Obama, au tournant

Par François GERE, le 9 novembre 2008  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Directeur de recherches à Paris 3. Président de l’Institut français d’analyse stratégique

Géopolitique des Etats-Unis et du monde. Le retour au réalisme stratégique consiste à reconnaître que l’OTAN ne peut intervenir partout et ne peut agréger tous les candidats surtout en période de croissance économique nulle ; que l’Alliance atlantique n’apportera la paix en Afghanistan que si les voisins de ce pays et les grandes puissances régionales Chine et Russie ne témoignent pas, au moins d’une bienveillante indifférence. Tel est, immense, le chantier de l’administration de Barack Obama.

Pour reprendre une expression populaire française : « le monde attend Obama au tournant. »

LA COINCIDENCE entre le culmen de la plus grande crise financière mondiale depuis 80 ans et l’élection à la présidence des Etats-Unis d’un jeune sénateur noir démocrate donne le sentiment d’une rupture. Une rupture c’est l’effondrement brutal et involontaire d’un ordre économique politique et géostratégique. C’est Rupture : la chute du mur de Berlin, l’effondrement de l’Union soviétique la disparition de l’économie socialiste comme modèle et la fin du marxisme léninisme en tant qu’idéologie de nature messianique de portée mondiale.

Evidemment rien de tout cela en ce mois de novembre 2008.

Rétablir le sens de la réalité

Même si cela ferait plaisir à certains, le capitalisme ne va pas disparaître. C’est une certaine façon d’en user qui, on ose l’espérer, sera réformée sinon totalement abolie.
Barack Obama n’est ni un révolutionnaire, ni un « socialiste » comme certains Français le croient avec une naïveté ou un aveuglement qui laissent perplexe. Le sénateur de l’Illinois est le pur produit d’un certain establishment américain. Il partage sans équivoque les valeurs traditionnelles des Etats-Unis, démocratie, liberté d’opinion et d’expression, liberté d’entreprise et de commercer, sensiblement les mêmes que celles proclamées par G. W. Bush mais il est clair qu’il les mettra en pratique d’une toute autre manière. Derrière les mêmes mots les faits diffèrent parfois très sensiblement. Reste qu’à l’égard du peuple américain le nouveau président va devoir rétablir la vérité (il y a eu trop de mensonges en huit ans), retrouver le sens de la réalité tant économique que diplomatique, perdu à force de volontarisme idéologique et enfin sur ces deux bases restaurer la confiance politique et économique.

Cela fait une petite dizaine d’années que chacun constate la relativisation de la puissance des Etats-Unis au regard des grandes économies émergentes. Les différentiels de dynamisme font leur œuvre inexorablement. Chine, Inde, Brésil témoignent d’une vitalité économique, technologique et démographique qui renvoient la vieille Europe à la nostalgie de la croissance des années 1950-70, la Russie demeurant quant à elle dans un « entre deux ». Certes les Etats-Unis conservent un potentiel énorme qui ne va pas se dissoudre du jour au lendemain.

Tournant

Cependant c’est là qu’intervient la notion de tournant. Il n’est nullement assuré que l’équipe Obama puisse enrayer la récession. Il est même douteux qu’elle parvienne à déclencher rapidement une relance. La crise économique étant loin d’avoir épuisé ses effets, la reprise risque fort de tarder ou de rester poussive à tout le moins. Si donc Obama échoue ou ne réussit que trop lentement, un tournant sera pris pour les Etats émergents selon qu’ils seront plus ou moins affectés. Si la Chine, l’Inde et d’autres déjà entraînés dans la crise financière, voient leur croissance cassée et si, par millions, des travailleurs se retrouvent à la rue de par l’effet de la récession américaine, la leçon sera retenue pour l’avenir de manière à éviter cette dépendance dont l’Europe est aujourd’hui la première victime.

A l’inverse, le nouveau président peut trouver les voies d’une résolution mondiale de la crise en associant directement les grands Etats aux mécanismes de régulation mondiaux qui doivent être définis ensemble pour être appliqués par chacun. Fini le G7+1, +2, plus des invités de circonstances. Puissance établies et puissances émergentes doivent ou coopérer ou s’opposer, chacun partant de son côté. Mais il existe des conditions préalables à une coopération efficace.

Remèdes mondiaux

C’est pourquoi la Maison blanche, faisant confiance à ses partenaires et alliés traditionnels en Europe peut temporairement leur laisser une grande part de la charge des dossiers de la coopération transatlantique. Car le président Obama doit aller chercher en urgence les remèdes mondiaux à Moscou, Pékin, Dehli et Brasilia, là où les vraies difficultés se posent. On a relevé la fraîcheur du message du président D. Medvedev ; les immédiats avertissements de Pékin sur le Tibet et Taïwan. La Chine conserve un mauvais souvenir de Jimmy Carter et du premier mandat Clinton. Elle craint une réaction protectionniste qui serait désastreuse alors que son économie se ralentit.

Il est donc urgent de clarifier la situation en faisant valoir concrètement que dans le monde nul n’a intérêt à laisser se développer une fracture en deux blocs due non plus à l’idéologie mais à des intérêts économiques et financiers perçus comme rivaux inconciliables. Le président américain ne manque pas d’arguments tant l’interdépendance a cru ces quinze dernières années en raison des investissements russes à l’Ouest et des achats massifs de bons du trésor américain par Pékin.

Mais pour réussir il faut trouver des solutions sur les dossiers politiques qui aujourd’hui irritent et pourraient, demain, exaspérer. Sur la défense anti missiles, sur l’élargissement de l’OTAN, sur l’influence américaine dans le Caucase et en Asie mineure, d’importantes clarifications sont devenues indispensables et des compromis nécessaires.

Réalisme

Le retour au réalisme consiste à reconnaître que l’OTAN ne peut intervenir partout et ne peut agréger tous les candidats surtout en période de croissance économique nulle ; que l’Alliance atlantique n’apportera la paix en Afghanistan que si les voisins de ce pays et les grandes puissances régionales Chine et Russie ne témoignent pas, au moins d’une bienveillante indifférence. Tel est, immense, le chantier de l’administration Obama.

Pour reprendre une expression populaire française : « le monde attend Obama au tournant. »

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Plus à ce sujet : Pierre Verluise, 20 ans après la chute de Mur. L’Europe recomposée, Paris : Choiseul, 2009. Voir


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