Voici la présentation d’un ouvrage à la jonction du 7e Festival de Géopolitique (Les frontières) et du 8e Festival de Géopolitique (2016) consacré à l’Afrique. Un continent qui pourrait compter 2 milliards d’habitants en 2050.
A. Moreau présente l’ouvrage de Michel Foucher, Frontières d’Afrique – Pour en finir avec un mythe, CNRS éditions, avril 2014, 64 pages, ISBN 978-2-271-08062-2
AGRÉGÉ de géographie (1970), docteur d’État (Sorbonne, 1986, Les frontières des États du Tiers monde), il a enseigné à l’université Lumière Lyon II, à l’Institut d’études politiques de Lyon et au Collège d’Europe de Natolin (Varsovie). Il enseigne depuis octobre 2007 à l’École normale supérieure, à l’IEP de Paris et à l’ENA. Ses travaux portent fréquemment sur les questions d’États et de frontières, en Europe et dans le monde ainsi que sur les représentations et les projets géopolitiques des puissances établies et des nouveaux acteurs émergents. Il a fondé l’Observatoire européen de géopolitique, à Lyon, qu’il a dirigé jusqu’en 1998. Il a collaboré à de nombreux numéros de la revue Hérodote, dirigée par Yves Lacoste. Il codirige le rapport Schuman sur l’état de l’Union (avec Thierry Chopin, la Fondation Robert-Schuman et les éditions Lignes de repères et Springer) et a publié dans la revue Esprit (2006) un article intitulé « L’Union politique européenne : un territoire, des frontières, des horizons ». Il est actuellement en charge de la Chaire Géopolitique mondiale au Collège d’études mondiales.
Michel Foucher était intervenant au 7e Festival Géopolitique de Grenoble qui vient de se terminer sur un nouveau succès. Sa conférence sera bientôt disponible en vidéo, comme plusieurs dizaines d’autres conférences.
L’auteur ouvre son œuvre en soulignant le préjugé selon lequel les frontières africaines seraient arbitraires, absurdes et subverties : pourtant, en juillet 2014, la résolution de l’Organisation de l’unité africaine concernant les différends interétatiques passe la barre des 50 ans, montrant sa stabilité. Michel Foucher entend donc éradiquer le mythe de frontières coloniales qui seraient responsables de conflits et du sous-développement en Afrique et expliquer comment « les frontières d’Afrique sont devenues des frontières africaines, assumées comme telles, dans une politique de réaffirmation des frontières avec le soutien de l’Union africaine » (p 12). Aujourd’hui, 83 500 km de frontières politiques parcourent le continent africain ; moins de 25% des dyades (frontières terrestres communes à deux Etats) sont clairement démarquées au sol.
Le premier point de Michel Foucher dans cette démonstration concerne le respect global du principe d’intangibilité des frontières africaines de 1964. Ce principe naît lors de la déclaration du Caire du 21 juillet 1964 qui marque l’engagement des Etats à respecter les frontières en place au moment de l’accès à l’indépendance nationale. Il est confirmé par la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye et est respecté alors que la tendance européenne est à la fragmentation après l’implosion de l’URSS en 1991. Pour la plupart, les frontières africaines sont tracées en moins de 25 ans, de 1885 à 1909. Ce sont des frontières peu précises sur des cartes indécises contenant beaucoup d’inconnues. La France et le Royaume-Uni participent à 60% de ces frontières. Ce fait, couplé à un partage rapide de l’Afrique, explique la nature des tracés : hydrographiques et lacustre dans 34% du total, ils suivent des lignes géographiques dans 42% des cas contre une moyenne mondiale de 23%. Le partage du continent africain se fait d’abord sur les cartes par les Etats européens et seulement ensuite sur le terrain, à l’inverse du découpage de l’Europe. Le discours sur l’artificialité des frontières en Afrique remonte donc à la colonisation et néglige les considérations des réalités politiques locales par les colonisateurs, présentes dans 1/6ème des cas. L’administration coloniale devant s’adapter aux configurations locales, les tracés sont remaniés et les critiques viennent donc d’abord des colonisateurs.
La création de frontières en Afrique par des acteurs extérieurs engendre des conflits frontaliers au cours des années en raison du manque des archives laissées par ces acteurs colonisateurs : 43 cas de tensions latentes sur des problèmes frontaliers sont relevés. Des ajustements sont donc faits à partir de 1963, les cartes sont remaniées (13% des tracés) au moment des indépendances après l’échec de compromis fédéraux. Cela augmente de 13 000 km les frontières, notamment en AOF (Afrique occidentale française), en AEF (Afrique équatoriale française) et en Afrique de l’Est britannique. Ces modifications n’empêchent pas les conflits, dont l’un des plus récents aboutit en 2011 à la sécession du Soudan méridional qui laisse en suspens des questions capitales : citoyenneté, droit de circulation entre les deux pays, partage des revenus du pétrole (le Sud détient 70% des gisements)…
L’avantage de la CIJ est l’objectivité de la décision, alors imposée aux différentes parties.
Face à ces tensions frontalières, des solutions juridiques et politiques sont mises en place pour régler les contentieux. Depuis 1963, huit conflits ont été réglés par la Cour Internationale de Justice dont un différend sur la frontière maritime entre le Sénégal et la Guinée-Bissau en 1995 et un désaccord frontalier entre le Niger et le Burkina Faso en 2013. L’avantage de la CIJ est l’objectivité de la décision, alors imposée aux différentes parties. Une alternative existe pour régler ces tensions : il s’agit du recours à l’option diplomatique bilatérale. Les deux Etats négocient directement en vue d’arriver à un compromis. Le dernier moyen est l’option économique, consistant à composer une gestion commune des ressources présentes dans les pays en désaccord. Chacune de ces méthodes doit être précédée d’un accord politique. Il arrive que dans certains cas, la CIJ soit contrainte de traiter des cas d’activités armées violant les frontières d’un Etat voisin.
Dans un quatrième point, l’auteur note que les frontières africaines sont vues comme une ressource et non comme un obstacle. En effet, le fait que les aires linguistiques ne coïncident pas toujours est un avantage dans la mesure où les familles dispersées maîtrisent plusieurs des 2000 langues recensées sur le continent ainsi que différents codes vestimentaires et franchissent ainsi les frontières plus aisément. Cela participe de l’intense circulation interne en Afrique marquée par une complémentarité entre régions côtières et intérieures très bénéfique. Ces échanges entraînent un développement de villes frontalières qui font passer la population de l’Afrique de l’Ouest de 90 millions d’âmes pendant les indépendances à 320 millions aujourd’hui. Par les frontières transitent également des flux illicites, mais cette contrebande industrialisée n’est pas éradiquée car elle profite aux Etats, dont les recettes nationales sont composées de 30 à 70% des droits de douanes. « Tout un monde vit des asymétries frontalières (marchands et transporteurs, douaniers et militaires), exprimées par des différentiels de change, d’offre, de normes, de prix » (p 36). Des Etats comme le Togo, le Bénin et le Niger dépendent de la porosité des frontières du Nigéria.
Le principal défaut des aires transfrontalières est le temps d’attente à la frontière : le nombre de documents douaniers multiplié par le nombre de signatures requises et le temps de franchissement des postes-frontières. Ce temps est par exemple de 35 jours à l’export en Afrique sub-saharienne et de 41 jours à l’importation contre 10 jours dans les pays développés. Le continent est cependant en voie de défragmentation afin de disposer d’échanges assez rapides pour soutenir la croissance économique que le continent connaît : 5% par an depuis le début des années 2000. « Le continent africain est animé de fortes dynamiques de transformation. Sa population a triplé entre 1960 et 2005 ; elle doublera d’ici 2050 et continuera de s’urbaniser » (p 41). Actuellement l’Afrique commerce plus facilement avec le reste du monde qu’avec elle-même ; une politique d’amélioration des régimes frontaliers serait intéressante pour réduire le temps d’attente et fluidifier les flux. Par ailleurs, un investissement de 23 milliards de dollars dans les réseaux routiers générerait dix fois plus en flux commerciaux sur 15 ans.
Il existe actuellement une pensée géopolitique africaine de réaffirmation des frontières, nécessaire puisqu’en 2014, seulement 35,8% de la longueur totale des frontières terrestres africaines sont considérées comme délimitées, par des infrastructures anciennes et des procédés expéditifs, créant des situations d’incertitude et de conflits. Depuis 2007, la Commission de l’Union Africaine a lancé un programme encourageant la réaffirmation des frontières terrestres et maritimes. Le double objectif est la prévention des conflits et la promotion de l’intégration régionale par le biais de la coopération transfrontalière.
« L’Etat moderne se construit sur et par la maîtrise de son territoire, supposé fonctionner comme référence identitaire et relais entre le centre et les citoyens » (pp 51-52). L’enjeu des frontières est donc de pouvoir combiner des logiques de surfaces et de flux dans l’optique de contrôler les périphéries. Le contrôle des frontières, la protection de ses populations et l’intégration de ses périphéries sont des défis à relever pour les Etats africains où la pensée postcoloniale est terminée au plan géopolitique.
Cet ouvrage est enrichissant dans la mesure où il permet de dresser un portrait récent des frontières africaines avec une mise en perspective historique afin de comprendre le cheminement suivi pour en arriver au point actuel.
Afin d’avoir un autre angle d’approche sur ce thème, l’ouvrage Les dynamiques transfrontalières en Afrique de l’Ouest, textes réunis et présentés par Enda Diapol, Paris : Karthala, 2007 est un choix pertinent.
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