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"Les réfugiés tibétains en Inde", A-S Bentz, PUF

Par Emmanuel LINCOT, le 12 janvier 2011  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Fondateur de la Chaire des Études Chinoises Contemporaines de l’Institut Catholique de Paris, Emmanuel Lincot est co-rédacteur en chef de la revue Monde Chinois et spécialiste d’histoire culturelle chinoise contemporaine

Une contribution capitale sur un sujet pour lequel les sources, même en langue anglaise, restent rares. L’auteur nous montre comment le sentiment nationaliste tibétain s’est forgé autour du charisme d’un homme, le Dalaï Lama.

Présentation du livre d’Anne-Sophie Bentz, Les réfugiés tibétains en Inde. Nationalisme et exil, préface de Christophe Jaffrelot, Paris, PUF, 2010.

INTERNATIONALISTE formée à l’Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement à Genève, Anne-Sophie Bentz a consacré ses recherches doctorales à la question des réfugiés tibétains en Inde. Capitale est sa contribution sur un sujet pour lequel les sources, même en langue anglaise, restent rares. L’auteur nous montre comment le sentiment nationaliste tibétain s’est forgé autour du charisme d’un homme, le Dalaï Lama. Exilé en Inde en mars 1959, il installe le siège de son gouvernement en Inde. Terre d’accueil, l’Inde est à la fois le pays qui abrite le plus grand nombre de ses compatriotes – un peu plus de 100000 sur 145000 au total – et le grand rival stratégique de la Chine qui n’a jamais oublié la défaite humiliante qu’elle lui a infligée en 1962. C’est ce jeu à trois qu’analyse Anne-Sophie Bentz. Malgré la disproportion des forces en présence, l’équation tibétaine est l’une des clefs qui continuera à déterminer l’état des relations sino-tibétaines, du monde himalayen en général, dans les années à venir. Au-delà de ces considérations, l’œuvre de ce jeune Chercheur, nous aide à réévaluer des notions pénétrées d’idéologie et de valeurs à l’aune de notre propre histoire. Par la maîtrise des différents courants historiographiques relevant des Sciences Politiques dont elle fait preuve, Anne-Sophie Bentz s’interroge, à la suite de Rogers Brubaker, sur ce qu’il convient d’entendre par le terme « Nation ». Son approche s’énonce en trois points : « 1) la nation est une catégorie de la pratique 2) la nation est une forme culturelle et politique institutionnalisée 3) la nation est un événement contingent. Et de conclure : « la nation moderne, par opposition à une pré-nation ou à une proto-nation qui aurait existé avant elle, ne peut être que politique » (p. 7).

C’est avec l’aide des services secrets américains que la nation tibétaine organise la résistance contre l’Armée Rouge chinoise. Paradoxal, le maoïsme aura créé un sentiment aigu d’appartenance nationale tibétaine. Dans ce contexte, s’écrivent les premiers récits d’une nation persécutée où l’ethnogenèse d’un Peuple et ses mythologies politiques se confondent, trouvant auprès des tibétologues et des intellectuels étrangers, le matériau nécessaire à l’élaboration d’un récit que diffuseront les relais d’opinion. En Inde mais aussi en Amérique du Nord ou en Europe, ils visent à sensibiliser le plus grand nombre en faveur de l’indépendance du Tibet. Toutefois, précise Anne-Sophie Bentz, à l’issue de son enquête réalisée auprès de cette communauté en exil, « il est toutefois indéniable que les Indiens et les Tibétains ne sont pas aussi proches que voudraient le laisser entendre les responsables tibétains…Cette prétendue proximité ne se traduit ni par le développement d’amitiés durables ni par la conclusion de mariages mixtes » (p. 215). A cette analyse de terrain, s’ajoute une connaissance détaillée des étapes qui depuis plus d’un siècle ont amené le Tibet au seuil d’une reconnaissance internationale. Anne-Sophie Bentz passe au crible le mode de fonctionnement du gouvernement en exil : son rapport avec les monastères bouddhistes, l’organisation de ses ministères, ses ramifications, l’avenir même de la fonction du Dalaï Lama tant sur le plan institutionnel que politique. Comment la survivance de l’un des piliers de l’une des dernières théocraties du monde peut-elle s’accommoder avec la nature foncièrement démocratique de ce régime ? Laissant le champ ouvert à tous les possibles, la contribution d’Anne-Sophie Bentz rend intelligible les enjeux qui se posent à la Chine et à sa plus proche périphérie.

Copyright Janvier 2011-Lincot/Diploweb.com


Anne-Sophie Bentz, Les réfugiés tibétains en Inde. Nationalisme et exil, préface de C. Jaffrelot, Paris, PUF, 2010

"Les réfugiés tibétains en Inde", A-S Bentz, PUF

Présentation de l’éditeur

Avec la fuite du Dalaï-Lama en mars 1959, commence pour une partie du peuple tibétain un exil forcé qui se perpétue aujourd’hui. Exil où l’Inde occupe d’emblée une place singulière : terre d’accueil du Dalaï-Lama, qui y a installé le siège de son gouvernement en exil, elle est à la fois le pays qui abrite le plus grand nombre de réfugiés tibétains – un peu plus de 100 000 sur 145 000 au total – et le pays où s’est constitué le mouvement nationaliste tibétain de l’exil. Ainsi se pose la question des rapports entre le nationalisme et l’exil chez les réfugiés tibétains en Inde, partant de l’hypothèse classique que l’exil a pour effet d’accentuer le sentiment nationaliste des exilés. A quoi ressemble ce nationalisme ? Quel est l’impact de l’Inde sur le mouvement nationaliste tibétain ? Et comment les réfugiés, à commencer par le premier d’entre eux, le Dalaï-Lama, conçoivent-ils la nation tibétaine ? Celle-ci revêt-elle une forme particulière parce qu’elle se développe en exil ? En Inde ? Telles sont les principales interrogations auxquelles ce livre se propose de répondre.


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