Géopolitique de la santé. De nouvelles maladies infectieuses peuvent apparaître en tout endroit du monde et à tout moment, comme le Sida et Ebola en Afrique noire, la grippe aviaire et le SARS en Chine, la maladie de la vache folle en Grande-Bretagne. Il est impossible de prévoir quelle prochaine maladie fera demain son apparition. Une seul chose est certaine, c’est que cela arrivera. Seule la vigilance nous permettra de détecter le plus tôt possible les épidémies avant qu’elles frappent une partie trop importante de la population. Il faut donc maintenir une lutte raisonnée et permanente contre les maladies infectieuses.
Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le site www.diploweb.com vous présente en exclusivité sur Internet un extrait d’un livre de Didier Raoult : "Les nouveaux risques infectieux. Grippe aviaire, SRAS, et après ?" publié aux éditions Lignes de repères en novembre 2005.
LES MALADIES infectieuses humaines ont évolué comme les sociétés humaines, lentement, en touchant d’abord de petits groupes puis des populations de plus en plus larges. Les maladies infectieuses humaines sont ainsi le reflet de la façon de vivre des hommes. Elles sont nées avec les premières sociétés rurales et nomades, et frappent désormais, à l’heure de la globalisation et de la mondialisation, un monde fortement urbanisé où vivent 6 milliards d’habitants. (…)
Les maladies contagieuses interhumaines sont apparaissent sans doute il y a moins de 10 000 ans, à l’exception de la tuberculose, âgée de plus de 15 000 ans. On estime que la rougeole est apparue il y a 7 000 ans, à partir d’une souche issue du bétail, et s’est spécifiquement adaptée à l’homme quand la population a été suffisamment dense pour permettre au virus de se dispenser d’un réservoir animal. On pense également que la variole est devenue épidémique chez l ’homme il y a 4 000 ans, peut-être en évoluant d’un virus proche infectant le chameau (le camelpox virus), qui, sur le plan génétique, est le virus le plus proche de la variole. Théoriquement, nous pouvons retracer l’origine de ces virus en les comparant génétiquement à leurs plus proches voisins, grâce à des techniques autorisant la datation des séparations (les horloges moléculaires) et permettant d’estimer la date d’apparition de la spécialisation d’un pathogène humain.
En outre, la sédentarisation a posé le problème de la gestion des excréments, provoquant l’apparition explosive de pathogènes digestifs humains, constitutifs du péril fécal. Tout processus de sédentarisation s’accompagne en effet d’un risque de souillures des eaux de boisson par les déjections. A son apparition, il est vraisemblable que les infections d’origine digestives sont devenues les plus communes de l’espèce humaine. La régression des infections liées au péril fécal n’a été observée que quand les moyens de drainage des eaux usées et la mise en place de l’acheminement d’eau propre a pu se mettre en place, de façon assez tardive, dans les villes de l’Antiquité. Il est vraisemblable que, pendant la très longue période commençant il y a 15 000 ans et se poursuivant jusque dans l’ère historique, des micro-organismes se sont spécialisés dans des populations relativement petites. D’ailleurs, la lutte contre les maladies infectieuses a probablement peu évolué depuis la Haute antiquité, et seules les sites urbanisés où le traitement des eaux avait été mis en place ont permis de faire augmenter l’espérance de vie et d’influencer la démographie.
Cet équilibre entre micro-organismes, animaux et humains va connaître une évolution permanente du fait du déplacement des hommes et des animaux. (…)
Ainsi, les grandes guerres de notre histoire ont leur cortège d’infections désastreuses. La rencontre de l’Orient et de l’Occident au cours des guerres médiques (entre les Perses et les Grecs) entraîna une épidémie considérable sur le territoire grec, connue sous le nom de « peste d’Athènes ». Les guerres et l’expansion de Rome aux confins de l’Orient et de l’Occident se sont accompagnées d’épisodes infectieux, auxquels il fut aussi donné le nom de pestes, et qui se sont avérés l’une des causes de la décadence romaine (l’empereur Marc Aurèle en aurait été victime). Une immense peste, appelée « peste justinienne », sévit dans toute l’Europe du VIe au IXe siècle. Les Croisades mirent en contact les armées occidentales avec l’Orient et l’Afrique, où sévissait encore la peste (Louis IX en mourut) ; elles furent suivies de la pire épidémie que l’on eût connue à ce jour, la grande peste, dite « peste noire », du Moyen-Âge, qui aurait tué 30 % de la population européenne. Cette peste noire est probablement l’événement qui eut l’effet le plus significatif sur la démographie humaine et sur l’histoire du Vieux Continent.
Les échanges commerciaux eux aussi ont été le vecteur des maladies. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises, le choléra a suivi la Route de la soie pour se déplacer du Gange, où se situait son réservoir traditionnel, vers l’Europe. Il est intéressant d’observer que le choléra, dans ces pandémies, a suivi les moyens de déplacements les plus modernes de l’époque, commençant par le chameau, le long de la Route de la soie, puis par le cheval à travers la Russie, enfin par les relais de poste qui lui conférèrent une vitesse considérable. Dans les temps modernes, il se déplaça en bateau, à l’exemple du choléra qui frappa le sud de la France au XIXe siècle, arrivé par bateau à Marseille (et dont Jean Giono fit le sujet du Hussard sur le toit). Ultérieurement, le choléra emprunta l’avion pour atteindre l’Afrique noire puis l’Amérique du Sud, où il est la cause d’une pandémie particulièrement sévère. Les routes maritimes ont joué un rôle considérable dans la diffusion des maladies contagieuses, en particulier pour la peste, véhiculée par les rats. Pour la France, on estime que les deux principales épidémies (la peste justinienne et la peste noire) sont, elles aussi, arrivées par la mer à Marseille. Et la dernière peste qui eût atteint la France de façon durable, et qui décima une partie importante de la population (un épisode évoqué par Marcel Pagnol dans Le Temps des secrets), débarqua à Marseille des soutes d’un bateau de commerce, le Grand Saint-Antoine, au milieu du XVIIIe siècle.(…)
Parmi les catastrophes infectieuses observées dans le passé, la rencontre de l’Ancien et du Nouveau monde constitue un véritable modèle. (…)
Au cours de ce processus d’échange et de mondialisation, les maladies se sont mutualisées. Celles qui sont le mieux identifiées, car elles sont faciles à reconnaître dans les textes anciens, sont la rougeole et la variole. Elles sévissaient de manière endémique dans l’Ancien monde, où les populations leur payaient un lourd tribu, en particulier parmi les plus jeunes. Jusqu’au milieu du XXe siècle, il existait un proverbe fameux, en Afrique centrale qui disait : « Tu compteras tes garçons quand la rougeole sera passée », ce qui témoigne du rôle qu’occupait cette maladie en matière de mortalité infantile. Dans une population non immunisée, les rougeoles sont encore bien plus dangereuses et tuent également les adultes. Ces deux maladies, rougeole et variole, ont décimé les Amérindiens. On considère que 90 % de ceux qui décédèrent dans les cinquante années qui suivirent la première rencontre avec les migrants européens sont morts de ces deux maladies. Il est vraisemblable que la facilité avec laquelle l’Amérique a été conquise fut en partie liée à la violence de ces épidémies.
A l’inverse, certaines maladies ont été importées d’Amérique. Nous savons que la syphilis a été ramenée par les marins de Christophe Colomb, pour exploser dès la fin du XVe siècle dans toute l’Europe, en particulier grâce aux guerres que les Français firent en Italie contre les Espagnols (d’où les expressions « mal de Naples » et « mal français »). (…)
Les guerres cumulent toutes les conditions favorables au développement des maladies infectieuses ; elles entraînent la concentration d’une population de soldats relativement homogène, dans des conditions de vie sont souvent mauvaises, chez des êtres dont le système de défense immunitaire est affaibli du fait du stress et qui souffrent de blessures constituant autant de portes d’entrée facilitant les maladies. Les belligérants sont à la fois les victimes et les sources potentielles d’épidémies nouvelles. Récemment encore, dans le cadre des guerres civiles d’Afrique centrale, en 1997, une épidémie majeure de typhus frappa le Burundi et le Rwanda et toucha plus de 100 000 personnes. On pense enfin que c’est au cours de la guerre d’Angola que les premiers transferts de l’infection du virus HIV hors d’Afrique ont été réalisés, du fait de la présence de troupes cubaines dont le retour aux Antilles apporta la maladie en Amérique.
L’homme a davantage modifié son organisation sociale dans le courant du XXe siècle qu’au cours de tous les siècles précédents. La population a explosé pour atteindre 6 milliards d’individus. La répartition des hommes sur la terre a profondément changé. Il existe aujourd’hui plus de 25 mégapoles de plus de 10 millions d’habitants, en particulier en Asie, ce qui se traduit par une urbanisation et une hyper-urbanisation très nouvelle. New York et Londres, les premières mégapoles, sont nées au début du XXe siècle dans les pays les plus riches. Dans la seconde partie du XXe siècle, les mégapoles se sont formées dans les pays pauvres ou de développement intermédiaire. Cela signifie, compte tenu du niveau d’hygiène relativement bas de ces mégapoles pauvres, que le risque d’y voir exploser des épidémies est de plus en plus probable. La mutualisation des germes dans le cadre de la mondialisation se fait de plus en plus rapidement. Les mêmes constatations qui sont faites pour l’économie, les textiles ou les voitures valent aussi pour les microbes. Les hommes se déplacent de plus en plus fréquemment et de plus en plus vite. On estime que plus de 500 millions de personnes prennent l’avion chaque année. Toutes les conditions sont ainsi réunies pour qu’apparaissent de nouvelles épidémies, car les hommes atteignent un très haut niveau de densité et donc une bonne réceptivité, et pour que celles-ci se diffusent rapidement, car les humains se déplacent de façon incessante.
Les changements climatiques influencent à leur tour l’écosystème, et par conséquent les maladies infectieuses. Ainsi le réchauffement climatique observé en Europe du Nord, modéré pour l’instant, a-t-il fait reculer vers le nord la limite de la présence des tiques vecteurs de maladies. Les tiques qui donnent la maladie de Lyme sont désormais présentes dans les forêts suédoises, de plus en plus proches du pôle, car les conditions climatiques leur permettent aujourd’hui d’y vivre, ce qui n’était pas le cas il y a une quinzaine d’années. L’événement climatique connu sous le nom d’El Niño, en associant des changements micro-climatiques et des inondations, a eu une influence particulière en Amérique du Sud. Des maladies qui avaient toujours eu une répartition très limitée ont ainsi pu s’y étendre et l’on a vu y apparaître de nouveaux foyers. On pense que l’importance de l’épidémie de choléra en Amérique du Sud est liée à ce phénomène. (…)
On constate que les humains ont du mal à intégrer le risque infectieux d’épidémie. Ainsi, les projections démographiques publiées régulièrement dans la presse supposent implicitement qu’il n’arrivera aucun accident imprévu. Le même état d’esprit s’applique quand on tente de modéliser les futures épidémies. Mais, dans l’état des connaissances et compte tenu des phénomènes multifactoriels associés aux épidémies, cela ne semble guère raisonnable. Car malgré tous les progrès qui ont été faits, les événements qui ont pu altérer l’évolution démographique au XXe siècle restent, comme par le passé, les guerres et les maladies infectieuses. Ceci est particulièrement visible en Afrique noire, dans les pays touchés de plein fouet par le SIDA, et pour lesquels le recul est suffisant pour examiner les faits et en mesurer les conséquences. L’Ouganda et le Botswana ont ainsi subi un recul spectaculaire de leur espérance de vie. On voit ici toute la vanité des projections démographiques faites pour l’Afrique avant l’épidémie. Les projections postérieures à celle-ci se sont d’ailleurs avérées tout aussi fausses, car la natalité a augmenté brutalement en réponse à la surmortalité provoquée par le virus, ce qui n’avait pas été non plus modélisé ! (…)
Enfin, toute une série de maladies liées à de nouveaux virus – les virus des fièvres hémorragiques, les virus respiratoires, les virus transmis par les arthropodes – sont en augmentation spectaculaire depuis quelques années, souvent du fait des modifications de nos écosystèmes environnants. L’explosion de ces maladies virales pose plusieurs problèmes. L’un des plus importants est qu’au moment de leur apparition, nous n’avons souvent pas les médicaments permettant de les maîtriser. Enfin, les maladies bactériennes émergent à leur tour, en particulier à cause des infections transmises à l’hôpital et de l’apparition de plus en plus commune de résistances aux antimicrobiens qui nous ont été si utiles au cours des soixante dernières années.
Des nouvelles maladies infectieuses peuvent apparaître en tout endroit du monde et à tout moment, comme le SIDA et Ebola en Afrique noire, la grippe aviaire et le SARS en Chine, la maladie de la vache folle en Grande-Bretagne. Il est impossible de prévoir quelle prochaine maladie fera demain son apparition. Une seul chose est certaine, c’est que cela arrivera. Seule la vigilance nous permettra de détecter le plus tôt possible les épidémies avant qu’elles frappent une partie trop importante de la population. Il faut donc maintenir une lutte raisonnée et permanente contre les maladies infectieuses, ce qui inclue l’hygiène et son apprentissage dès le plus jeune âge, la vaccination contre les agents contagieux pour lesquels elle existe, et l’usage raisonné des anti-infectieux. Toutefois, l’inattendu doit être attendu avec beaucoup de vigilance et il est essentiel que se développent partout dans le monde des laboratoires susceptibles d’identifier les pathogènes émergents et une formation médicale permettant de reconnaître les maladies nouvelles. Il faut reconnaître que, dans le domaine des maladies contagieuses, les personnels soignants (infirmières et médecins) ont joué un rôle important et douloureux. Souvent la contagion n’est constatée que lorsqu’un soignant contracte la même maladie que le patient qu’il soignait. Ce fut le cas des fièvres hémorragiques en Afrique et du SARS en Asie. Les médecins devront donc réapprendre à être extrêmement vigilants pour se protéger et ne pas être eux-mêmes le vecteur de nouvelles épidémies.
Présentation de l’ouvrage
Grippe aviaire, légionellose, listéria, fièvre hémorragique, SRAS : de nouveaux risques infectieux font régulièrement l’actualité, faisant craindre des épidémies massives. Sans parler des maladies connues (Sida, hépatites, …) en renouveau (tuberculose, …) ou de celles que le terrorisme pourrait utiliser. De fait, les maladies infectieuses, la plus grande cause de mortalité dans le monde, sont en pleine expansion.
Que faut-il réellement craindre ? Comment distinguer les peurs irrationnelles et les risques véritables ? Pourquoi de nouvelles maladies apparaissent-elles ? Comment lutter ?
L’auteur démontre que le rôle de l’évolution des modes de vie et milite pour un principe de vigilance, intelligemment appliqué. Un ouvrage pédagogique et accessible, pour faire le point sur un sujet propice à toutes les craintes.
Biographie de l’auteur
Didier Raoult, professeur de médecine à la Faculté de Marseille, est un spécialiste reconnu des maladies infectieuses et des questions de bioterrorisme. Il a rédigé en 2003 : "Rapport sur le bioterrorisme et les maladies infectieuses au ministre de la Santé".
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