Le rôle du président est prépondérant dans la redéfinition des orientations stratégiques en Afghanistan. Son importance dans la prise de décision est d’autant plus forte que le président du Conseil national de sécurité, traditionnellement chargé de conseiller le président à partir des différents facteurs militaires, intérieurs et internationaux, occupe en 2009 une place de second rang. Par conséquent, le pouvoir d’influence des responsables politiques et militaires est fortement limité par la structure centralisée du processus de décision, et ce malgré les différentes stratégies mises en place.
Cependant, la méthode aboutit à des solutions de compromis résultant d’un arbitrage entre différentes contraintes et qui ne démontrent pas une grande efficacité sur le terrain.
EN 2009, les débats au sein du gouvernement Obama sur les nouvelles orientations de la guerre en Afghanistan voient s’affirmer le rôle prépondérant du président Barack Obama sur la prise de décision. Les responsables politiques, en parallèle, peinent à peser sur le processus, bien qu’ils mettent en place de nouvelles stratégies pour avancer leurs points de vue durant cette période.
En 2009, deux groupes d’acteurs se forment au sein de l’administration Obama et s’opposent au long des débats sur la stratégie à mettre en place en Afghanistan.
Le premier groupe constitué de Joe Biden (vice-président) et la plupart des membres de la Maison-Blanche (cabinet et Conseil national de sécurité confondus) tels que Rahm Emanuel (chef de cabinet de la Maison-Blanche), David Axelrod (adjoint au cabinet de la Maison-Blanche), James Jones (président du Conseil national de sécurité) et Thomas Donilon (président adjoint du Conseil national de sécurité) soutient la mise en œuvre en Afghanistan d’opérations de contre-terrorisme [1]. Plus précisément, ce groupe est favorable à des opérations de « contre-terrorisme plus », qui prône l’envoi d’un nombre réduit d’hommes, en plus des frappes ciblées comprises dans la stratégie traditionnelle de contre-terrorisme. Cette option est définie par Joe Biden, chef de file des partisans de cette doctrine.
Le second groupe d’acteurs rassemble les experts de la Défense et responsables familiers de ces enjeux, comme Robert Gates (secrétaire à la Défense), David Petraeus (commandant du commandement central des États-Unis), Stanley McChrystal (commandant des forces américaines et otaniennes en Afghanistan), mais aussi Hillary Clinton (secrétaire d’Etat). Ils estiment qu’outre des frappes ciblées, une solution politique doit être apportée pour évincer la menace et stabiliser le pays de manière durable. Dans cette perspective, seule une campagne de contre-insurrection (COIN) peut permettre d’atteindre cet objectif à long terme [2].
Les jeux bureaucratiques mis en place par les deux principaux groupes d’acteurs afin d’influencer le choix final du président démontrent des degrés d’efficacité variables, qui dépendent du type de méthode employée.
On remarque d’une part l’emploi de stratégies intégrées, qui consistent à influencer le processus de décision en interne en altérant l’information disponible pour le décideur : soit de manière restrictive, en resserrant le cercle autour du président pour écarter l’opinion de certains acteurs ; soit de manière extensive, en donnant une visibilité accrue à des éléments complémentaires de réflexion, au travers de la rédaction de rapports par exemple. Parmi les stratégies intégrées utilisées, le rapport de Robert Gates semble relativement efficace, car il a probablement influencé le président à accorder un renfort de troupes supplémentaires sur le terrain pour permettre la mise en place d’une contre-insurrection. L’efficacité de cette méthode peut en partie s’expliquer par sa conformité avec le style du président Obama, sensible aux approches analytiques de ses collaborateurs.
D’autre part émergent des stratégies de contournement, qui consistent à s’appuyer sur des leviers externes à l’administration pour influencer le décideur. Elles sont majoritairement employées par les responsables militaires et se concrétisent par des déclarations publiques, notamment dans la presse. Néanmoins, elles ont conduit à une exclusion plus prononcée de ces acteurs et ont de fait réduit la portée de leurs opinions auprès du président. On peut citer à titre d’exemple les déclarations à la presse de David Petraeus ou de Stanley McChrystal entre juin et octobre 2009.
La constitution de l’équipe d’Obama témoigne de la volonté du président d’exercer une emprise sur le processus de décision et de minimiser les potentiels blocages provenant de l’opposition républicaine. Barack Obama n’a qu’une très courte expérience politique au niveau fédéral, il s’applique donc à s’entourer d’une équipe constituée de conseillers de confiance, rodés aux rouages politiques (les anciens de sa campagne présidentielle occupent les postes clés au cabinet de la Maison Blanche). De plus, le placement de certains experts peut se comprendre dans la volonté de donner du poids aux décisions qu’il prend dans des domaines dans lesquels il manque de légitimité, comme les affaires étrangères ou militaires : à titre d’exemple, il est possible que James Jones, ancien général, ait été appelé au poste de président du Conseil national de sécurité pour renforcer la crédibilité des décisions présidentielles en matière de défense (Jones n’a d’ailleurs occupé un rôle de second plan dans la réorientation stratégique en Afghanistan). Enfin, certains responsables nommés par l’administration Bush conservent leur poste lors de la prise de fonction de Barack Obama, à l’instar de Robert Gates, secrétaire à la Défense. Ce choix peut se justifier par la volonté du président de protéger l’administration démocrate des critiques de l’opposition en cas de difficultés en Afghanistan (ou en Irak).
Outre la constitution de son gouvernement, le style de gestion du président a un impact majeur sur la prise de décision de cette administration. Dans sa conduite des affaires, Obama se démarque par la mise en place d’un système de gestion compétitive - tel que défini par Alexander George, politologue américain - qui privilégie la libre expression des conseillers pour exposer le président à une variété de points de vue. Ce système accroît la concurrence des idées entre les responsables. Pour autant, la forte centralisation du pouvoir décisionnel dans les mains du président accentue la prééminence du pouvoir exécutif dans l’administration Obama. De plus, cette centralisation va à l’encontre du système de poids et de contrepoids, fondateur du système politique américain (« checks and balances ») et destiné à instaurer un équilibre des pouvoirs.
Par conséquent, les stratégies des acteurs paraissent vaines face au rôle central que conserve Barack Obama sur le pouvoir de décision. Les responsables politiques semblent relégués à des fonctions exécutives, ce qui réduit la portée des jeux bureaucratiques qu’ils instaurent. Par ailleurs, le cercle des proches conseillers du président exerce un rôle essentiel : à la fois au travers des nombreux entretiens qu’ils ont avec ce dernier et qui leur permettent de participer à la réflexion en dehors des réunions formelles ; leur influence sur la prise de décision se démontre également à l’épreuve des faits, puisqu’en Afghanistan à partir de 2010, ce sont essentiellement les opérations de contre-terrorisme qu’ils prônaient qui seront mises en œuvre. Cette tendance illustre l’expression de « gouvernement du cabinet », dont la paternité revient au président Dwight Eisenhower.
Le rôle du président est prépondérant dans la redéfinition des orientations stratégiques en Afghanistan. Son importance dans la prise de décision est d’autant plus forte que le président du Conseil national de sécurité, traditionnellement chargé de conseiller le président à partir des différents facteurs militaires, intérieurs et internationaux, occupe en 2009 une place de second rang.
Par conséquent, le pouvoir d’influence des responsables politiques et militaires est fortement limité par la structure centralisée du processus de décision, et ce malgré les différentes stratégies mises en place. En particulier, l’influence des responsables militaires, David Petraeus et Stanley McChrystal, est faible et tend à se détériorer.
On remarque également qu’il n’y a pas réellement d’opposition entre les responsables civils et militaires sur ce sujet, puisque les deux groupes opposés sur la stratégie en Afghanistan regroupent chacun des civils et des militaires.
Enfin, cette gestion de la décision permet de compenser les visions politiques prédéfinies par l’appartenance bureaucratique des responsables comme le démontre en partie le soutien de Robert Gates à ses commandants militaires. Elle permet également de pondérer les décisions au regard des priorités de politique interne (budgétaire entre autres). En revanche, cette méthode aboutit à des solutions de compromis résultant d’un arbitrage entre différentes contraintes et qui ne démontrent pas une grande efficacité sur le terrain.
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Charles-Philippe David, Louis Balthazar et Justin Vaïsse, La politique étrangère des États-Unis : fondements, acteurs formulation, Presses de Sciences Po, 2ème éd., juillet 2008
Allison Graham, Essence of Decision, 1971, Little, Brown and Company, Canada.
Gates Robert, Duty, Knopf, 2014.
Woodward Bob, Obama’s wars, Simon & Schuster, 2011.
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[1] Le contre-terrorisme est défini comme l’ensemble des opérations incluant des mesures offensives pour « prévenir, dissuader, devancer et réagir au terrorisme ».
[2] Une campagne de contre-insurrection (ou COIN pour « counterinsurgency »), comprend « des mesures militaires, paramilitaires, politiques, économiques, psychologiques et édilitaires prises par un gouvernement pour défaire une insurrection.
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