Martine Audibert, Directrice de recherche au CNRS, rattachée au Centre d’Economie et de Recherches sur le Développement International (CERDI), coresponsable du master « Economie de la santé et développement international » Ecole d’économie, université d’Auvergne. Dominique Kerouedan, Fondatrice et conseillère scientifique de la spécialisation « Global health » de l’Ecole des affaires internationales de Sciences Po, titulaire de la Chaire Savoirs contre pauvreté au Collège de France (année 2012-2013).
Alors que se tient à New-York le sommet des Nations unies sur le développement durable, les auteurs font le point sur le développement sanitaire en Afrique francophone. Cet article offre ainsi une vision d’ensemble synthétique fort utile, s’appuyant sur un nouvel ouvrage sous la direction de Martine Audibert et Dominique Kondji Kondji : « Le développement sanitaire en Afrique francophone. Enjeux et perspectives post-2015 », Paris, L’Harmattan, 2015, 308 p.
LES 25, 26 et 27 septembre 2015 se déroule, dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, le sommet des Nations unies sur le développement durable. Dix-sept objectifs de développement durable seront adoptés, ainsi que les cibles à atteindre par les pays à l’horizon 2030. L’agenda pour le développement est désormais universel et s’applique à l’ensemble des pays de la planète. Sur les huit objectifs du millénaire qui avaient été adoptés pour la période 2000-2015 et qui s’appliquaient alors aux seuls pays en développement, trois concernaient la santé (réduire la mortalité des enfants, améliorer la santé maternelle, combattre le VIH/sida, le paludisme, la tuberculose et autres maladies). Cette fois, un seul des 17 objectifs (objectif 3), concerne explicitement la santé.
La forte médiatisation des questions climatiques et de la détérioration de l’environnement ces dernières années, en même temps que la tenue à Paris en décembre 2015 de la Conférence mondiale sur le climat [1], peuvent expliquer que trois des 17 objectifs du développement durable soient spécifiquement liés aux questions climatiques et environnementales (objectifs 13, 14 et 15), en faveur desquelles un nombre considérable de ressources humaines, techniques et financières, vont être mobilisées dans les années et décennies qui viennent.
"Le continent africain souffre par ailleurs d’une insuffisance de moyens humains et financiers, aggravée par une faible performance des systèmes de santé et une forte croissance démographique (...)"
Or, les questions traditionnelles de santé des individus, de santé humaine, comme la santé maternelle et infantile, la nutrition, les maladies transmissibles (le paludisme, la tuberculose, mais aussi les bilharzioses ou les helminthiases et, pour certains pays, le VIH/sida qui a contribué à la chute de l’espérance de vie à la naissance dans les pays concernés), sont loin d’être résolues, notamment en Afrique. Celle-ci conserve son retard et a du mal à le rattraper, contrairement à ce que nous pouvons observer en Asie. Le continent africain souffre par ailleurs d’une insuffisance de moyens humains et financiers, aggravée par une faible performance des systèmes de santé et une forte croissance démographique, qui sont autant de causes de la propagation récente de l’épidémie à virus Ebola en Afrique de l’Ouest et ne laissent pas la région ou le continent à l’abri du risque d’émergence de nouvelles infections peut être plus sévères à mortalité élevée. Par ailleurs, un certain nombre de pays de ce continent sont touchés par des conflits armés, ce qui aggrave encore la situation sanitaire de ces pays du fait de la désorganisation du système de santé, des déplacements de populations, mais aussi des violences (tortures, assassinats) que subissent le personnel de santé et la population en général (violences sexuelles, assassinats, etc.). [2] Tous ces problèmes majeurs de santé publique perdurent en sus des questions environnementales et climatiques et appellent des réponses stratégiques, techniques et financières spécifiques. Or le risque sanitaire pour les pays et pour le monde réside bien dans la faiblesse des systèmes de santé nationaux à détecter et à réagir de manière rapide et efficace à la réémergence d’épidémies connues et, plus encore, à l’émergence de nouvelles pandémies. La lente et relative maîtrise de l’épidémie d’Ebola ne doit pas faire perdre de vue sa précarité : les pays et la communauté internationale ont paré au plus pressé : protéger les occidentaux de la contamination. Sur place, des mesures politiques, institutionnelles de long terme, ou même de moyen terme, que celles-ci relèvent de la responsabilité politique des autorités nationales ou de celle des autorités internationales, n’ont pas été prises à la mesure des enjeux. Les financements internationaux s’avèrent très insuffisants à bâtir des systèmes de santé solides et fiables.
En effet, si la communauté internationale s’est mobilisée depuis une quinzaine d’années à travers la création d’initiatives financières comme le Fonds mondial (de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme), l’Alliance mondiale pour la vaccination et l’immunisation (GAVI), ou les financements innovants du développement, pendant que les américains de leur côté dédiaient des fonds publics (PEPFAR) ou privés (des Fondations Clinton ou Bill and Melinda Gates) à la lutte contre le sida et à la prévention de quelques pathologies infectieuses, il faut comprendre que ces initiatives n’ont soutenu que dans une moindre mesure le renforcement des systèmes de santé nationaux dans leur ensemble [3]. Ainsi, des pans entiers de la santé ne sont pas couverts par ces contributions, tandis que de nouveaux fléaux, liés à la modernisation et à l’urbanisation, comme les maladies chroniques, non transmissibles (cancers, diabètes, maladies respiratoires,..), ainsi que les accidents de la voie publique, constituent un triple fardeau, pour des Etats déjà démunis du point de vue institutionnel et financier.
Par ailleurs, bien que des systèmes d’information sanitaire aient vu le jour depuis plus de deux décennies, les données à partir desquelles les choix stratégiques et les décisions sont prises sont entachées de multiples biais de définition et de mesure (décrits au chapitre 4 de l’ouvrage que nous présentons ici [4]) qui rendent peu fiables les analyses à partir desquelles se prennent les décisions politiques, stratégiques et techniques. Ce point nous semble capital à corriger en urgence, afin de rendre les dispositifs d’analyse et de prospective des pays, et les nôtres, capables, dans un contexte de croissance démographique africaine au rythme et à l’ampleur sans précédent dans l’histoire de l’humanité, d’évaluer à temps, le retentissement potentiel de cette croissance et des phénomènes migratoires, sur la demande sociale et alimentaire et être en mesure d’offrir, ici et là-bas, des services d’éducation, de santé et de protection sociale à un très grand nombre de personnes.
La question du développement des pays les plus pauvres de la planète, nous semble relever du social, en ce qu’elle est inextricable de celle des contextes de guerres, de conflits armés et de leurs conséquences migratoires.
Plus que relevant de la diplomatie économique comme nous le propose le gouvernement français, ou plus que relevant du développement durable comme le propose la communauté internationale (stratégie globale dont nous avons exposé les risques [5]), la question du développement des pays les plus pauvres de la planète, nous semble relever davantage du social, en ce qu’elle est inextricable de celle des contextes de guerres, de conflits armés et de leurs conséquences migratoires. Ces questions ne sont pas réservées à l’Europe. Les questions migratoires ne trouveront en Europe que des solutions palliatives, prenant la forme de l’accueil et de l’asile politique. Les causes et les déterminants des déplacements vers l’Europe, l’Afrique et le monde des personnes migrantes, relèvent de la diplomatie et de la géopolitique mondiale. Il est temps de le reconnaître et de mettre tout le monde autour de la table. Hilary Clinton a proposé que les Etats-Unis soient plus accueillants, mais la réponse à ces phénomènes migratoires relève, dans le moyen terme, de la géopolitique mondiale contemporaine et de cela il s’agit de débattre tous ensemble. Les Nations Unies, l’Union européenne, la société civile, doivent à cette fin s’associer aux Etats qui prétendent gouverner le monde, la France, l’Allemagne, les Etats-Unis, le Royaume-Uni par exemple.
Ainsi ce qui se passe dans le domaine de la santé en Afrique, ne fait qu’illustrer l’impact de problématiques plus vastes intéressant les Etats africains et la communauté internationale dans leur ensemble. Sur le continent, les atouts ne manquent pas, notamment parce que le secteur privé et la société civile sont prêts à s’engager. Le processus de démocratisation s’est accompagné de celui de la décentralisation (engageant de nouveaux acteurs sur le terrain), permettant de jeter les bases de la prise de décision au niveau communautaire.
Comment transformer ces atouts en forces pour l’avenir, c’est ce que propose ce livre, en montrant les faiblesses actuelles, en analysant les enjeux du renforcement des systèmes de santé et en proposant des perspectives sur la période 2015-2030, sous forme de feuille de route pour le mouvement de santé publique. Si le rôle de l’État n’est pas à rejeter, loin de là, les contributions des différents auteurs de l’ouvrage montrent que l’État peut s’appuyer sur la société civile, à travers des associations de santé publique et de professionnels compétents pouvant contribuer aux politiques de santé et au renforcement des systèmes nationaux de santé. Ainsi, le chapitre 1 met en lumière le rôle que joue, à travers les associations nationales, la Fédération mondiale des associations de santé publique (FMASP) [6], créée en 1967 et accréditée par l’Organisation Mondiale de la Santé pour la promotion des politiques de santé à travers le monde. En Afrique subsaharienne, on compte une vingtaine d’associations nationales de santé publique, impliquées dans la lutte contre le tabagisme, la promotion de la santé maternelle et infantile, l’accès à l’eau potable et l’assainissement, œuvrant ainsi comme des acteurs du développement dans le domaine de la santé.
Certes l’état de santé de la population s’est amélioré ces quinze dernières années, notamment la mortalité des enfants de moins de cinq ans qui est passée sous le seuil des 100 décès pour 1000 naissances vivantes. Mais si on peut vraisemblablement attribuer cette performance aux programmes élargis de vaccination qui ont largement bénéficié du financement de l’Alliance mondiale GAVI, l’ensemble des indicateurs de santé reste largement en deçà de ceux des autres continents alors que l’Asie du sud, qui accusait aussi un retard élevé dans les années 1990, a rattrapé une grande partie de ce retard.
Si les défis de santé sur le continent africain sont nombreux, il nous semble qu’il sera difficile d’obtenir des résultats probants tant que les questions de santé, qui ont trouvé des solutions durables et qui sont en bonne voie de disparaitre ailleurs dans le monde, n’auront pas été correctement traitées.
La mortalité maternelle est une épidémie silencieuse en Afrique.
Il en est ainsi de la mortalité maternelle. Comme l’écrivent A. Dumont, C. Tourigny et P. Fournier (chapitre 2), la mortalité maternelle est une épidémie silencieuse en Afrique. Si silencieuse, soulignons-nous, que son niveau est scandaleusement élevé (supérieure à 500 pour 100.000 naissances vivantes [7]) alors même que réduire cette mortalité dépend moins de solutions financières que d’une volonté politique affirmée et de solutions organisationnelles.
Il en est ainsi du paludisme ou encore de la lutte contre le VIH/sida dont les résultats en matière de lutte ne sont pas à la hauteur, ici des moyens financiers mis en œuvre [8]. Ces deux affections se heurtent encore, malgré l’ancienneté des programmes de lutte, à l’inertie du comportement des individus, liée en partie à la compréhension /incompréhension des messages de sensibilisation (VIH/sida, chapitre 4) sur la transmission des affections et au détournement du mode d’appropriation des moyens de lutte mis à la disposition des communautés [9]. Les messages et les moyens de lutte restent encore sur certains aspects trop éloignés des préoccupations, contraintes et sensibilités des bénéficiaires, parfois même du personnel de santé en charge d’appliquer les stratégies.
Seuls les malades intéressant la communauté internationale ont accès aux services préventifs et aux traitements, pendant que la grande majorité des autres malades et pauvres sombrent dans l’indifférence et la mort.
Le défi est également celui de la faiblesse des systèmes de santé, en termes tant d’efficacité, d’efficience, que de qualité, faiblesse pourtant évoquée depuis des décennies, mais que la communauté internationale occulte dans les faits en n’accordant pas autant d’attention aux moyens financiers et à la façon de les renforcer. Une des critiques avancées par exemple envers les programmes verticaux concernait la déstabilisation potentielle des systèmes de santé qu’ils pouvaient engendrer en détournant les ressources humaines et financières au profit de stratégies concernant deux ou trois pathologies. Si la réponse à ces critiques a été de s’engager à intégrer de plus en plus ces grands programmes dans les systèmes nationaux, les ressources financières effectivement allouées à cette intégration et au renforcement des systèmes de santé, susceptibles de favoriser l’intégration, restent encore marginales. Il résulte de ces déséquilibres des conséquences éthiques et déontologiques très importantes : seuls les malades intéressant la communauté internationale ont accès aux services préventifs et aux traitements, pendant que la grande majorité des autres malades et pauvres sombrent dans l’indifférence et la mort ; ceux-là pourraient être appelés « les disparus de la santé publique » tant ils sont ignorés des Etats et de l’aide internationale. Or les politiques publiques se doivent d’inclure l’ensemble des populations comme bénéficiaires des interventions.
Liée à la faiblesse des systèmes de santé et en partie cause du médiocre état de santé, la question récurrente de la faible utilisation des établissements de santé de base (délivrant les soins de santé primaires) est toujours d’actualité. La participation financière des usagers, incriminée plus que de raison, n’explique pas tout. Un état des lieux des déterminants de cette faible utilisation (Audibert et al., chapitre 6) montre la complexité des causes et fait ressortir l’importance de la qualité perçue de l’offre sur l’utilisation des établissements et le rôle, qualifié ici de leadership ou d’empowerment, du personnel de santé (Lacouture et al., chapitre 6), qui doit s’impliquer en prenant plus d’initiatives, de décisions tout en impliquant également la communauté. Ceci renvoie au renforcement des capacités locales et nationales.
L’enjeu est également d’amener chacun à changer de comportement face aux risques sanitaires par une meilleure adéquation des messages d’éducation et de santé pour l’appropriation de leur contenu. L’implication de la communauté et des relais communautaires apparaît essentielle. Mais l’utilisation de tous les modes possibles de promotion doit aussi être explorée, telle l’utilisation des médias, de l’école, des associations, que celles-ci soient de santé publique ou plus spécifiques, comme les associations féminines, les associations culturelles ou sociales, présentes dans nombre de villages (H. Balique, chapitre 6).
Cet ouvrage tire la conclusion du rôle que peuvent jouer les associations de santé publique pour la promotion de la santé publique et donne des orientations, en s’appuyant sur l’expérience de terrain de ses auteurs, pour relever les défis de santé en Afrique, permettre que ce continent rattrape son retard et améliore l’état de santé et le bien-être des populations que le continent abrite.
Plus
Martine Audibert et Dominique Kondji Kondji (dir.), « Le développement sanitaire en Afrique francophone. Enjeux et perspectives post-2015 ». Préface de James Chauvin, Paris, L’Harmattan, 2015, 308 p.
Sommaire de l’ouvrage : Chapitre 1 : Concept de santé publique et mouvement de santé publique. Chapitre 2 : Grands défis en matière de santé dans la région africaine. Chapitre 3 : Réponses politiques et stratégiques régionales aux grands problèmes de santé publique. Chapitre 4 : L’Afrique francophone et l’échéance des OMD de santé. Chapitre 5 : Progrès réalisés par les pays francophones d’Afrique en matière de revitalisation des soins de santé primaires. Chapitre 6 : Enjeux du renforcement du système de santé en Afrique.
[2] Alberti K.P, Grellety E, Lin Y-C, PolonskyJ, Coppens K, Encinas L, Rodrigue M-N, Pedalino B, Mondonge V et al. (2010), Violence against civilians and access to health care in North Kivu, Democratic Republic of Congo : three cross-sectional surveys. Conflict and Health 2010, 4, 17.
http://www.conflictandhealth.com/content/4/1/17.
Halte à la violence contre les soins de santé. https://www.icrc.org/fre/what-we-do/safeguarding-health-care/index.jsp
[3] B. Dujardin, D. Kerouedan. Les illusions des objectifs du millénaire pour le développement. Visionscarto, 27 novembre 2014.
http://visionscarto.net/pourquoi-les-nations-unies?var_mode=preview&var_previewtoken=2*59f72075ed8e5db573af2e72600eb3f19586bd43
[4] D. Kerouedan. L’Afrique francophone et l’échéance des OMD de santé. Chapitre 4 de l’ouvrage ici présenté.
[5] D. Kerouedan. Objectifs 2015-2030. Négociations sur le programme de développement après 2015 : perspectives africaines ? Diploweb, 20 novembre 2014. http://www.diploweb.com/Objectifs-pour-2015-2030.html
D. Kerouedan. La vocation altruiste dans un monde globalisé. Pour une approche humaniste du développement, Diploweb, 19 November 2013, http://www.diploweb.com/La-vocation-altruiste-dans-un.html
D. Kerouedan. La vocation altruiste dans un monde globalisé. Conférence inaugurale du Colloque international de philosophie politique « Survie, Vie digne, Qualité de vie, dans les situations extrêmes d’inégalisation globale ». Paris Sorbonne, 14 octobre 2014. 18p,
https://www.youtube.com/watch?v=U0k4cv_fen8
[6] Voir D. Kondji Kondji.
[7] OMS, Statistiques sanitaires mondiales 2014.
[8] A Madagascar par exemple, les données disponibles officielles semblent indiquer qu’après une diminution régulière du nombre de cas de paludisme de 2008 à 2011, ce nombre ait augmenté en 2012 et 2013 (T. Andrianantoandro, M. Audibert, Coûts de production et de consommation de la prise en charge des cas de paludisme compliqués et non compliqués, 2015, Projet PALEVALUT, EFI, Initiative 5%.
[9] Abdoulaye Alfa, D., Gbofan, F., Mongbo, R., Egrot, M., (2015). Filets imprégnés d’insecticides utilisés dans l’activité de maraîchage au Bénin : une innovation de santé par dérivation et par procuration, in C. Haxaire, C. Farnarier, B. Moutaud, Anthropologie de l’innovation en santé, Presses Universitaires de Rennes (à paraître).
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