"La défense de l’Europe, entre Alliance atlantique et Europe de la Défense", éd. Hermann

Par Marina GLAMOTCHAK, le 5 mai 2015  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Docteur en sociologie (EHESS, Paris), consultante, spécialiste des Balkans, Marina Glamotchak est chercheur en analyse stratégique, politique et économique et collaboratrices de plusieurs instituts de recherches en France et à l’étranger.

Présentation du livre dirigé par Georges-Henri Soutou et Thierry de Montbrial, "La défense de l’Europe, entre Alliance atlantique et Europe de la Défense", Edition Hermann, Paris 2015.

La sortie du recueil d’articles intitulé La défense de l’Europe, entre Alliance atlantique et Europe de la Défense  [1], ouvrage rédigé sous la direction de Messieurs Georges-Henri Soutou et Thierry de Montbrial et publié aux Editions Hermann, a été suivie par l’appel du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, à la création d’une armée de l’Union européenne (UE). Cet intérêt politique pour une Europe de la Défense n’est pas nouveau, depuis six décennies différents traités, alliances, unions tentent de donner un élan à une organisation militaire européenne.

C’est ce dont traite l’ouvrage qui rassemble huit textes présentés en novembre 2012 lors du premier colloque organisé par la Fondation Édouard Bonnefous de l’Institut de France en partenariat avec la Fondation Singer-Polignac. A la lumière de l’expérience des soixante dernières années, cet ouvrage questionne, à travers une chronologie des principales initiatives visant à créer une personnalité européenne de défense, l’identité européenne de la défense et sa relation vis-à-vis de l’OTAN.

Après un hommage à Edouard Bonnefous, ‘l’Européen’, homme d’État et chancelier de l’Institut, le texte introductif intitulé « La Défense de l’Europe entre Alliance atlantique et Europe de la Défense » écrit par G.-H. Soutou - membre de l’Institut, professeur émérite et directeur de la Fondation Thiers – pose « la question d’une personnalité européenne de défense ». La question d’une Europe de la Défense est replacée dans une perspective historique et repose sur l’analyse de deux faits : le contexte de la guerre froide et la sécurité ‘otanienne’ : « Les Etats-Unis et l’OTAN constituaient à l’époque la seule garantie de sécurité valable face à l’URSS. » (p. 9). La construction d’une armée européenne, ou Communauté européenne de défense (CED), envisagée dans les années 1950, soulevait au moins deux questions épineuses : le réarmement de l’Allemagne (privée d’armée suite à la Seconde Guerre mondiale) et une défense supranationale où les armées nationales (y compris française) seraient absorbées. Depuis, les différents projets ont échoué (l’Union politique européenne – ou plan Fouchet - en 1962, par exemple), la création d’un pôle européen de défense au sein de l’Alliance atlantique n’étant pas considérée comme souhaitable. Malgré ces échecs, le concept d’« Europe-puissance » avec toute son ambigüité, comme le souligne G.-H. Soutou dans un deuxième texte, continue de se développer. Ce concept s’appuie sur la relation politico-stratégique et militaire franco-allemande (Traité de l’Élysée, Traité de Maastricht, création de l’Eurocorps franco-allemand en 1992) ou la relation militaire franco-britannique (Sommet de Saint-Malo en 1998).

La fin de la guerre froide a changé la donne sécuritaire, l’Europe n’étant plus ‘une consommatrice nette de sécurité’, et les missions de maintien ou de restauration de la paix se jouent désormais en dehors de l’UE. Dans ce nouveau contexte, la défense européenne se borne essentiellement à la prévention des conflits même si une série d’institutions a été créée dans le domaine militaire (le Comité militaire de l’Union européenne (CMUE) [2], l’État-major militaire, l’Agence européenne de défense). Mais une ‘Europe européenne’, c’est-à-dire une Europe indépendante des Etats-Unis, pourrait profondément remettre en cause l’OTAN, ce que n’ont souhaité ni l’Allemagne ni la Grande-Bretagne, principaux partenaires français dans le dossier de la défense européenne. Ajoutons aussi que la Grande-Bretagne pourrait finalement quitter l’UE en 2017 en laissant un espace vide dans l’Europe de la Défense.

Antoine Marès, dans son texte « La genèse de la pensée d’Edouard Bonnefous en politique étrangère », livre la chronique du choix intellectuel et politique qui conduira E. Bonnefous à l’idée selon laquelle la communauté occidentale est « forcément atlantique ». Le deuxième texte sur E. Bonnefous, écrit par Sandrine Arnold Folpini, relate les actions menées et les positions pro-atlantistes prises lors des grands débats sur la politique étrangère et la défense européenne par le grand parlementaire français.
Elisabeth du Réau, après avoir rappelé les circonstances de l’échec de la Communauté européenne de défense (CED) devant l’Assemblée nationale française et sa portée internationale, décrit la solution alternative mise en place en 1954 (par l’Accord de Paris) et qui a vu la création de l’Union de l’Europe occidentale (EUO) qui jouera, pendant la période de la guerre froide, un rôle non négligeable.

Si, pendant la guerre froide, les Européens ont tiré certains avantages du « parapluie américain », quelle est leur place aujourd’hui dans le ‘balance of power’, l’équilibre mondial ?

Guillaume de Rougé nous livre une fine analyse des rapports entre l’OTAN et l’UE et les enjeux nouveaux qui en découlent pour l’Europe. Si, pendant la guerre froide, les Européens ont tiré certains avantages du « parapluie américain », quelle est leur place aujourd’hui dans le ‘balance of power’, l’équilibre mondial ? L’élargissement de l’OTAN aux frontières de la Russie, héritière de l’URSS, le développement d’un ‘OTAN global’, l’intégration des pays émergents au sein du système international et l’établissement de nouveaux régulateurs ou le fait que les Etats-Unis se tournent vers l’Asie – constituent des défis incontournables qui demandent une conception stratégique commune à l’UE.

Pauline Schnapper analyse la place du Royaume-Uni, profondément atlantiste, dans la défense européenne. Ce n’est que sous Tony Blair que la Grande-Bretagne a accepté l’idée d’une Europe de la Défense, dérogeant à sa position atlantiste traditionnelle.

Benoît d’Aboville expose les relations OTAN-UE après les années 1990. D’abord en opposition à l’OTAN, puis passant des compromis avant de collaborer avec l’Alliance atlantique, l’UE a finalement conduit une vingtaine d’opérations militaires ou policières. Pourtant, un nouveau pragmatisme s’installe (‘fatigue expéditionnaire’, fin d’un cycle militaire, intérêts stratégiques divergents) et la question se pose sur le rôle de l’UE en matière de sécurité et de défense par rapport à l’OTAN, lui-même en mutation.

Dans la conclusion, G.-H. Soutou rappelle que la question d’une défense européenne en dehors de l’OTAN n’était pas envisageable. Dans son ‘refus de puissance’, l’Europe a appliqué un concept de soft power (économie, culture, valeur démocratique), qui s’est d’ailleurs traduit dans sa politique d’élargissement et de voisinage. De façon générale, l’UE « n’avait ni la volonté politique ni les capacités militaires pour développer une défense militaire » (p. 141). Entre autres facteurs, notons que la Turquie bloque depuis 1997 le développement de la coopération UE-OTAN, qu’avait rendu possible le Sommet atlantique de Berlin en 1996.

Le dossier de la personnalité européenne de défense n’est pas clos. Dans un monde en profonde mutation, avec une Alliance atlantique qui cherche à se renouveler ou à se réorienter (vers l’Asie et l’Amérique latine), la crise en Ukraine modifie fondamentalement la situation sécuritaire en Europe.

Les avancées récentes vers une Europe de la Défense, conséquences directes de la situation tendue actuellement avec la Russie dans le dossier ukrainien, renvoient à une question fondamentale : celle d’une politique commune. Les membres de l’UE, dépourvus d’une diplomatie propre et commune, liés militairement à l’OTAN (à l’exception de quatre pays membres de l’UE qui ne sont pas membres de l’OTAN), n’ont pas jusqu’ici la capacité d’agir de manière autonome dans des crises si les Etats-Unis, c’est-à-dire l’Alliance atlantique, restent sur la réserve. Si les Européens souhaitent être les maîtres de la paix, il faudra d’abord qu’ils aient à la fois une politique étrangère commune et une capacité proprement européenne d’entrer en guerre.

Copyright Avril 2015- Glamotchak/Diploweb.com


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Georges-Henri Soutou et Thierry de Montbrial (dir.), "La défense de l’Europe, entre Alliance atlantique et Europe de la Défense", Edition Hermann, Paris 2015.

"La défense de l'Europe, entre Alliance atlantique et Europe de la Défense", éd. Hermann

4e de couverture

Où en est-on aujourd’hui de la Défense européenne, entre une Alliance atlantique en pleine transformation, mais qui va peut-être avoir du mal à se remettre de son échec en Afghanistan, une Europe de la Défense qui se structure très lentement, mais malgré tout davantage qu’on ne le pense souvent, mais dont le Royaume-Uni risque fort de s’éloigner et avec des acteurs européens qui cherchent à établir les nouvelles bases de leur sécurité dans un monde en total bouleversement ? C’est ce que cet ouvrage souhaiterait mettre en lumière, à la lumière de l’expérience des soixante dernières années.

Voir le livre "La défense de l’Europe, entre Alliance atlantique et Europe de la Défense", sur le site des éditions Hermann


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[1en février 2015

[2Le CMUE, l’organe militaire suprême mis en place au sein du Conseil de l’UE, est composé des chefs d’état-major des armées, représentés par leurs délégués militaires.

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