Avec l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne, le 1er janvier 2007, l’UE devient voisine de la Moldavie. Or, celle-ci est depuis plusieurs années confrontée au séparatisme d’une région située à sa frontière orientale : la Transnistrie. Celle-ci constitue un enjeu de sécurité pour l’UE : risques de déstabilisation régionale, présence non désirée de troupes militaires étrangères, criminalité transfrontalière… Il s’agit du conflit le plus proche de ses frontières de l’UE, puisqu’il est situé à 70 kilomètres de la Roumanie. La résolution du conflit serait en outre une opération concrète à même de favoriser l’émergence d’un espace euro-russe de sécurité. Reste à savoir à quelles conditions.
AVEC LA FIN de l’URSS le 8 décembre 1991, la Géorgie, l’Azerbaïdjan et la Moldavie ont connu des conflits séparatistes suite à leur indépendance. Ces conflits ont en commun d’avoir fragilisé le cadre institutionnel de ces Etats naissants, qui demeurent dans des situations délicates.
En l’occurrence, la Moldavie a eu à faire face au sécessionnisme de la Transnistrie, à l’Est du pays. Cette mince bande de terre de 4163 km² compte 555 000 habitants. Les rives droite et gauche du Dniestr / Nistru (nom russe et roumain du fleuve), représentant la Bessarabie et la Transnistrie, se sont affrontées en 1991-1992.
L’Union européenne (UE) a porté ces dernières années une attention de plus en plus soutenue à ce conflit, qui n’a toujours pas trouvé de solution viable. L’implication européenne a pour but de sortir du statu quo dans lequel se trouvent les relations entre la Moldavie et la Transnistrie.
La Transnistrie se situe dans un espace de confins entre plusieurs régions : la mer Noire, le Danube, les Carpates et le grand port d’Odessa. Elle est encastrée entre la Moldavie, dont elle fait légalement partie, et l’Ukraine.
Son rattachement au monde russe remonte à la conquête de la région par le maréchal Souvorov en 1792, à la suite des guerres russo-turques. Le maréchal Souvorov est d’ailleurs devenu un symbole, comme en témoigne sa statue au centre-ville de Tiraspol, la capitale transnistrienne.
La première trace de la Transnistrie apparaît en 1924, sous le nom de République Autonome Socialiste Soviétique de Moldavie. L’objectif était alors de constituer une « nation » moldave, afin de revendiquer le rattachement ultérieur de la Bessarabie. En 1940, lorsque Staline annexe la Bessarabie, il y adjoint une partie de la Transnistrie.
C’est ce territoire reconnu internationalement qui forme la Moldavie contemporaine. Il faut garder à l’esprit le fait que la Transnistrie n’a jamais été indépendante avant septembre 1990.
La République moldave de Transnistrie peut être considérée comme un Etat de facto. Ce terme définit un Etat non-reconnu, mais qui dispose de la plupart de ses autres attributs (territoire, population, administration). De fait, seule la reconnaissance internationale lui manque véritablement. Taiwan, l’Erythrée ou Chypre du Nord sont autant d’exemples d’entités revendiquant le droit à l’autodétermination, et qui cherchent par conséquent à édifier leur propre Etat. Le cas de la Transnistrie est celui d’une construction étatique menée par les élites locales.
La problématique centrale pour les Etats de facto concerne leur survie. En effet, ils ont perduré malgré un contexte défavorable : absence de reconnaissance internationale, menace constante, stade précoce de la formation d’institutions étatiques. Tiraspol a connu ces difficultés après le conflit armé de 1991-1992.
La Transnistrie fait partie des Etats séparatistes post-soviétiques (avec le Haut-Karabagh en Azerbaïdjan, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie en Géorgie), qui ont constitué des zones de tension. On ne peut réduire ces conflits, par ailleurs divergents sur certains points, à une rationalité unique (économique, ethnoculturelle, extérieure). Le facteur économique n’a pas été le moteur du conflit, même si la Transnistrie était plus industrialisée que le reste de la Moldavie. Par ailleurs, l’entité séparatiste était certes plus russifiée, mais on trouvait plus de Russes dans la capitale moldave, Chisinau, que dans toute la Transnistrie. Enfin, la Russie disposait d’une présence militaire sur place et paraissait réticente à l’idée de perdre son influence dans la région. Sa complicité avec les élites transnistriennes n’est certes plus à établir. Cependant, le Kremlin n’aurait pu déclencher seul le conflit sans un mouvement local qui soutienne le séparatisme.
Le conflit transnistrien en lui-même n’a atteint qu’une intensité limitée, et se résume globalement à quelques escarmouches armées. Les premiers affrontements remontent à septembre 1990, quand des forces de police moldaves se sont opposées aux séparatistes locaux dans la ville de Dubasari. Les forces de la XIVe Armée soviétique (devenue russe), les cosaques et les volontaires de Transnistrie ont repoussé l’armée moldave, moins équipée et moins entraînée. La bataille la plus sérieuse a eu lieu à Tighina (ou Bender), sur le territoire moldave en juin 1992, peu avant la fin des hostilités. Le conflit a causé la mort de près d’un millier de personnes.
Du fait de l’imposition des cessez-le-feu au début des années 1990, on a pu parler d’un « conflit gelé ». En fait, cette expression peut s’avérer trompeuse car elle a tendance à faire oublier le fait que les situations locales ont grandement évolué depuis les débuts de la sécession. Les dynamiques locales doivent ainsi être prises en compte pour le règlement du conflit.
Le conflit a fait l’objet d’une médiation internationale en 1992 sous l’égide de l’OSCE, avec la présence de la Russie, l’Ukraine et la Moldavie. La Transnistrie est reconnue comme une partie négociatrice à part entière. Le premier ministre russe d’alors, Evgueny Primakov, a proposé en 1997 un processus de résolution du conflit qui consiste à fédérer les deux entités.
C’est ce modèle qui a été également choisi dans le cas du plan Kozak. Dimitri Kozak, alors chef-adjoint de l’administration présidentielle, avait été envoyé en Moldavie afin de proposer un plan global de résolution du conflit. Sans entrer dans les détails, l’arrangement constitutionnel donnait un droit de veto à Tiraspol, ce qui était inconcevable pour beaucoup à Chisinau. La signature prévue a échoué au dernier moment, après un changement d’avis in extremis du président moldave Vladimir Voronine en novembre 2003.
Après la « Révolution Orange » de décembre 2004 en Ukraine, le nouveau président V. Iouchtchenko s’est davantage impliqué dans le conflit que ses prédécesseurs. Ces derniers avaient tendance à considérer ce problème comme périphérique. Les « Orangistes » ont souhaité faire de la Transnistrie un exemple réussi de coopération euro-ukrainienne. Le plan Iouchtchenko prévoyait un statut d’autonomie pour l’entité séparatiste, l’internationalisation des troupes de maintien de la paix, et la démocratisation du régime transnistrien (en encourageant la pluralisation de la vie politique et les ONG). Ces orientations ont permis quelques progrès, mais les forces en faveur du statu quo sont fortes.
La Transnistrie a été autrefois le centre industriel de la Moldavie soviétique. A l’indépendance, elle regroupait 17% de la population moldave pour plus du tiers du PIB et près de 90% de l’énergie de la Moldavie.
Les autorités de Tiraspol se définissent aujourd’hui comme une « petite économie ouverte ». Néanmoins, elle est aujourd’hui en crise, comme le reste de la Moldavie. Elle s’appuie sur une quinzaine de grandes entreprises essentiellement dans la métallurgie ferreuse et l’industrie légère. Son économie, au départ étroitement liée aux marchés de la CEI (Communauté des Etats Indépendants), exporte maintenant vers de nombreux autres partenaires, tant aux Etats-Unis que dans l’UE ou le Moyen-Orient.
Les réformes économiques ont eu pour conséquence de former un « capitalisme de contrebande » par le biais de nombreux trafics et activités semi-légales. En un mot, on a assisté au développement d’une oligarchie locale, qui étend son influence sur le pouvoir politique.
La vie politique locale reste marquée par la figure d’Igor Smirnov. Arrivé de Sibérie en 1986, il a été « élu » à plusieurs reprises depuis l’indépendance, avec une très large avance. Des cas de fraudes sont avérés, et les élections ne sont pas reconnues par l’OSCE, malgré la participation à la surveillance du scrutin d’organisations de la CEI. Autre personne clé du régime, le ministre de la sécurité intérieure, en place depuis l’indépendance, Vladimir Antiufeev, est recherché par Interpol pour crime de guerre en Lettonie. Néanmoins, on a pu assister à une rotation des élites, certes limitée.
La Transnistrie essaie depuis peu de montrer un autre visage, plus « démocratique ». Ainsi, lors des élections de décembre 2005, le président du Parlement Grigori Marakuta, a été remplacé par le jeune Evgueny Shevchuk (né en 1968). Ce dernier appartient au parti d’opposition, « Renouveau », qui représente plutôt les intérêts oligarchiques de Transnistrie alors qu’Igor Smirnov est très lié aux intérêts oligarchiques russes. Cependant, même si on observe une pluralisation des partis politiques, ainsi que l’émergence d’ONG, on peut douter de la vigueur de ce mouvement de démocratisation.
Ainsi, le régime de Tiraspol peut être considéré au mieux comme un « autoritarisme concurrentiel ». Le pouvoir n’est pas réellement contraint par sa population, mais s’est doté des apparences d’une démocratie représentative. L’ouverture actuelle semble donc n’être que relative, tolérant tout au plus des « dissidents dans le système ».
La Russie a été un acteur à la fois avant et après le conflit. Durant les années 1990, Moscou a plutôt soutenu Tiraspol, comme le montrent les mécanismes de résolution des conflits. Cependant, la politique a parfois fluctué entre le soutien à la Transnistrie, d’une part, et le rapprochement avec la Moldavie en 2001-2003 d’autre part.
Par ailleurs, les dernières années ont vu un retour de la Russie sur la scène internationale, grâce à des changements économiques, internationaux et politiques. En effet, la situation intérieure est moins instable que celles qui ont prévalu depuis 20 ans. Cette ambition renouvelée apparaît dans le discours annuel de 2005 de Vladimir Poutine, qui s’est donné comme priorité de poursuivre une « politique civilisatrice sur le continent eurasien ». Cette déclaration montre les progrès de la rhétorique néo-eurasiste au sein des élites russes, dirigées par une forme de ressentiment anti-américain et la sensation de la puissance retrouvée.
Moscou intervient directement dans les affaires transnistriennes en aidant à la construction de l’Etat et des institutions, notamment celles liées aux services de sécurité. Les dirigeants locaux s’appuient sur leurs liens avec divers niveaux de l’administration russe (ministères de la défense, groupes oligarchiques, etc.)
En outre, la Russie intervient souvent en faveur des entités séparatistes au sein du Conseil Ministériel annuel de l’OSCE. Elle encourage également les liens entre les différentes entités séparatistes de Géorgie et de Moldavie, réunies sous le sigle de « CEI-2 ».
Enfin, la Russie apporte un soutien économique à la Transnistrie. Les industries s’appuient sur des subventions masquées, notamment en matière énergétique via Gazprom. Les investissements russes se sont par ailleurs accélérés avec la vague de privatisation qui a commencé en 2003. Moscou a aussi exercé des pressions sur la Moldavie en introduisant des restrictions sur les exportations de fruits et de vin.
La Politique Européenne de Voisinage (PEV) a été créée pour répondre aux défis d’une Europe élargie le 1er mai 2004. Les premières communications de la Commission européenne remontent à 2003, et la politique s’est mise en place à partir de 2004. Les objectifs principaux de la PEV consistent à promouvoir la sécurité, la stabilité et la prospérité au-delà de l’UE. En un mot, il s’agit d’éviter l’apparition de nouvelles lignes de fracture en Europe.
De ce point de vue, la Transnistrie constitue bien un enjeu de sécurité pour l’UE : risques de déstabilisation régionale, présence non désirée de troupes militaires étrangères, criminalité transfrontalière… Il s’agit du conflit le plus proche de ses frontières de l’UE, puisqu’il est situé à 70 kilomètres de la Roumanie, qui fait partie de l’élargissement de 2007. La résolution du conflit serait en outre une opération concrète à même de favoriser l’émergence d’un espace euro-russe de sécurité.
L’UE est de plus en plus présente dans les tentatives de résolution du conflit, sous la pression d’évolutions institutionnelles internes (développement de la PESC/PESD, adoption d’une Stratégie de Sécurité Européenne) et de l’élargissement aux pays d’Europe Centrale et Orientale. Ces deux dernières années, l’Union a envoyé un représentant spécial pour le conflit, a ouvert une délégation de la Commission européenne à Chisinau, adopté un plan d’action dans le cadre de la PEV.
De plus, face aux divers trafics entre Tiraspol et le port d’Odessa, l’UE a souhaité davantage de contrôle des exportations transnistriennes. Ainsi, elle a lancé une opération de contrôle de la frontière sur le segment Transnistrie – Ukraine, qui est devenue effective le 1er décembre 2005. La mission doit fournir des conseils et former les douaniers afin d’améliorer leur capacité administrative. L’objectif est de prévenir la contrebande et les trafics, ce qui a pour conséquence de fragiliser la situation de la Transnistrie.
En guise de conclusion, la Transnistrie pourrait se diriger dans trois directions distinctes si elle devait quitter le statu quo.
L’un des scénarios verrait la « réunification » avec la Moldavie. C’est sur ce schéma que travaillent les organisations internationales, dans le cadre de la souveraineté moldave. Les modalités diffèrent selon les acteurs, les préférences allant de l’autonomie à la fédéralisation, selon les marges de manœuvre laissées à Tiraspol. Toutefois, il faut encore renforcer les liens entre les deux sociétés, afin de créer un désir de réunification.
L’ « indépendance » pleine de la Transnistrie est également une possibilité. Elle suppose sa reconnaissance par un grand nombre d’Etats et par les autorités internationales. Or, le principe de l’intangibilité des frontières, auquel les chancelleries internationales sont attachées, semble réduire les probabilités d’un tel scénario. Ce serait également un mauvais signal pour les Etats de l’Europe du Sud-Est.
Le « rattachement à la Russie » est également l’une des possibilités d’évolution de la Transnistrie. Ainsi, l’Etat de facto a tenu un référendum le 17 septembre 2006, qui évoquait la poursuite du cours de l’indépendance et une association libre avec la Russie. Cependant, le rattachement à la Russie paraît assez improbable, tout autant qu’avec l’Ukraine. Elle créerait aussi un précédent que nombre de diplomates souhaitent éviter.
De fait, à court terme, il est fort probable que le statu quo demeure, tant que certains acteurs n’ont pas d’incitation réelle au changement. L’UE a donc plus à gagner à changer le rapport de force local en rendant la Moldavie plus « attractive » pour les Transnistriens qu’en essayant de trouver un compromis fragile entre les deux parties.
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