Alors que Vladimir Poutine et Jacques Chirac viennent de se rencontrer le 11 avril 2003 à Saint-Petersbourg, Alexandra Viatteau propose une lecture des relations entre Paris et Moscou, à partir d’un texte de l’auteur russe Léon Tolstoï (reproduit en bas de page).
Une clé utile pour donner un sens à une dimension importante des relations internationales sur la longue durée. La Russie, sous tous ses régimes, et quoi qu’elle fasse, est l’alliée favorite de la France, mais Moscou ne compte qu’avec Washington pour réaliser son projet. Certes, pour ce faire, il faut affaiblir les Etats Unis, et la France est bien utile comme "locomotive" du mouvement anti-américain. Mais, à terme, la Russie ambitionne le leadership de l’Europe, pour se retrouver face à face entre "Grands", avec les Etats Unis.
LA CRISE durant les semaines précédent l’intervention anglo-américaine en Irak attire l’attention sur la guerre et la paix, leurs intérêts économiques et politiques et leurs propagandes sur le droit et la morale, mais aussi sur l’axe Paris-Moscou. Ce dernier se reforme toujours, sinon en vue d’un objectif commun, du moins en vue d’une opposition commune. Opposition en général anti-américaine depuis la division du monde en deux blocs imposée par le stalinisme, et la chute de l’empire soviétique, déséquilibrant le jeu des puissances. A l’occasion du cinquantenaire de la mort de Staline, en mars 2003, on a pu voir encore à Paris, sinon l’ancien enthousiasme aveugle pour le dictateur criminel communiste, du moins la fascination qu’inspire toujours ce "Machiavel de notre temps" ! Cependant, plus que des idéologies, héritées de la Révolution française et de la Révolution russe, ce qui lie la France à la Russie, en l’occurrence, c’est une tradition plus vaste d’amitié ou de connivence politique franco-russe.
Voilà pourquoi nous citerons un texte fort peu connu en France du grand écrivain russe Léon Tolstoï sur "L’esprit chrétien et le patriotisme" (édition originale, Librairie académique Didier, Perrin et Cie, Libraires-Editeurs, Paris, 1894). En effet, il est aussi très actuel, en 2003, de voir comment on emmêle depuis toujours des arguments et des réalités de toutes sortes, y compris contradictoires, au profit de positions communes ou de la justification de positions opposées. Propagandes au service de politiques d’action, ou d’inaction, d’intervention ou de non-intervention, usant de tout temps d’envolées oratoires, de feintes et de manipulations de masse. Ces dernières, décrites par Tolstoï à la fin du XIXème siècle, sont plus actuelles que jamais au début du XXIème siècle. Des méthodes semblables visant et utilisant presque les mêmes cibles de manipulation se retrouvent à plus d’un siècle de distance.
"Naissance du tsar système", titre l’hebdomadaire Paris-Match en automne 2002, à propos de deux nouveaux ouvrages sur Catherine II et Paul Ier. "Maintenant qu’avec Poutine la Russie a un nouveau tsar, autant connaître à fond les moeurs de ses prédécesseurs", écrit le journal.
Aussitôt le quotidien Le Monde attrape la balle au bond et fait aussi le lien, mais entre la répression russe d’aujourd’hui en Tchétchénie et "la barbarie (russe en Tchétchénie au XIXème siècle - AV) magistralement dépeinte par Tolstoï dans son roman "Hadji Mourat"".
"Les relations russo-européennes sont trop importantes pour être dominées par la question des droits de l’homme" : c’est cet état d’esprit implicite qui devait dominer les discussions du 10ème sommet entre l’Union européenne et la Russie, lundi 11 novembre 2002 à Bruxelles". (Le Monde, 12.11.2002).
Trois mois plus tard, en février 2003, arrivait à Paris le président russe Vladimir Poutine, chaleureusement accueilli par le président français Jacques Chirac, en allié sollicité contre l’"impérialisme des Etats Unis" et l’"hégémonisme américain". Pour reprendre le vocabulaire jadis forgé par Staline à l’usage du Kremlin et de ses satellites. Et toujours utilisé, à l’approche des élections à la Douma à Moscou, en mars 2003, par les militants communistes. Ainsi que par les manifestants communistes et gauchistes occidentaux "pour la paix en Irak", dans les rues de Paris notamment. En février, Amnesty International déploya sur le Pont Alexandre III - face au ministère des Affaires étrangères - une banderole avec les mots : "France-Russie, le silence complice". Il s’agissait encore de la Tchétchénie, dont on n’ignore pas que sur son territoire en lutte pour l’indépendance d’authentiques terroristes sont infiltrés parmi d’authentiques résistants. Une population civile martyre y subit une guerre, voire un génocide, contre lesquels les champions de la paix de nos Chancelleries, Eglises et Mouvements ne s’élèvent point avec la même vigueur que contre la guerre en Irak. Il est vrai que l’Irak est un pays souverain, alors que la Tchétchénie a perdu sa souveraineté encore sous les tsars russes.
"L’interdiction d’user de la force (par le droit international - AV) doit sauvegarder la souveraineté de l’Etat et la coopération internationale, écrit l’ancien sous-secrétaire d’Etat polonais aux Affaires étrangères et ambassadeur en Allemagne, Jerzy Kranz. (...) Mais, les normes du droit contemporain concernent à un degré de plus en plus élevé aussi la manière d’exercer le pouvoir à l’intérieur de l’Etat, ne serait-ce que la manière de respecter les droits de l’homme. L’objectif, ce n’est pas la paix à tout prix, et surtout pas la paix des cimetières dans l’indifférence face au crime. (...) C’est seulement grâce aux pressions des Etats Unis que l’on a réussi à faire voter à l’ONU la résolution 1441 forçant l’Irak à laisser les inspecteurs du désarmement faire leur travail. Il avait fallu pour cela plusieurs mois de disputes à l’ONU, où les intérêts économiques et politiques de la France et de la Russie avaient joué un rôle primordial (pour l’empêcher)..." (Cf. Tygodnik Powszechny, journal catholique proche du Pape Jean Paul II, 16 mars 2003, Cracovie).
Il convient de noter ici une importante précision de la position du Pape Jean Paul II - et donc de l’Eglise catholique -, donnée par cet hebdomadaire polonais familier de la pensée du Souverain Pontife et soucieux de ne pas en user pour servir des intérêts politiques de telles ou telles puissances. "Il ne faut pas confondre la doctrine de l’Eglise avec le pacifisme", affirme l’éditorial du Père Adam Boniecki dans Tygodnik Powszechny du 30 mars 2003. "Le Pape n’appelle pas à la suspension de la guerre". Même si celle-ci doit être "limitée dans le temps, avoir des objectifs précis, respecter le droit international et se soumettre à la surveillance d’un organe de pouvoir supranational". Le philosophe et théologien américain George Weigel, pour sa part, a souvent défendu des positions, notamment éthiques, de Jean Paul II . Sollicité par le journal de Cracovie, il fait une étude fine et diplomatique, mais néanmoins claire, de la différence entre les déclarations actuelles, "respectables, mais personnelles", de "hiérarques du Saint-Siège" et celle de "Jean Paul II. On a usé de déclarations de quelques hiérarques pour les "identifier avec les positions des gouvernements français et allemand". Or, le Pape déclarait dans sa lettre à Saddam Hussein (remise par le cardinal Etchegarray) que Saddam Hussein était responsable devant l’Histoire d’une décision qui pourrait empêcher l’éclatement de la guerre. La lettre ne soutenait en aucun cas Bagdad dans ses accusations contre une agression occidentale".
C’est, en général, l’opinion dominante en Europe du Centre-Est, déterminant la position de ces pays, qui se sont libérés de l’occupation soviétique du "bloc" communiste. C’est aussi une opinion que l’on retrouve chez d’anciens dissidents d’Europe de l’Est "qui ont combattu les régimes communistes (totalitaires - AV) avec lesquels le Baas au pouvoir à Bagdad entretenait d’excellentes relations" (Cf. Le Monde, 20 mars 2003). Sur l’axe Moscou-Bagdad-Paris..., mais aussi avec d’autres capitales occidentales intéressées et investies, puis entrées en guerre pour une autre conjoncture mondiale.
"Nous, les anciens dissidents, disent Hongrois, Polonais, Tchèques, Allemands, etc..., avons intérêt à ce qu’il y ait moins de dictatures sur Terre. Si l’anti-américanisme paraît globalement une posture de gauche en Occident, à l’Est, c’est plutôt l’apanage de l’extrême-droite...", disent-ils. On retrouve cette crainte à Paris chez certains intellectuels : "Nous refusons ce consensus de Krivine à Le Pen"... (Cf. Le Monde, 20 mars 2003, "En France, ces intellectuels qui disent "oui" à la guerre" ; cf. aussi Robert Redeker, "Les néopacifistes en guerre contre la paix", Le Monde, 26.3.2003 et Wojciech Pieciak, "Koniec Husajna" (la fin de Hussein), Tygodnik Powszechny, 30.3.2003, ainsi que Neue Zurcher Zeitung de Zurich, qui rappelle que les tortionnaires des organes de sécurité de Saddam Hussein étaient formés par des spécialistes d’URSS et de RDA). Ce consensus "de Krivine à Le Pen" en France autour de Saddam Hussein se fait pour des raisons diamétralement opposées, mais les extrêmes se touchent plus souvent qu’on ne le croit. Mobiliser les masses contre la guerre en Irak et ne pas les mobiliser contre la guerre en Tchétchènie, détester G. W. Bush et aimer V. Poutine, les réflexes, souvent conditionnés, de la politique et de la gesticulation sont insondables.
Les "intérêts supérieurs" des Etats étant ce qu’ils sont, et les politiques jouant par profession ou patriotisme les jeux diplomatiques auxquels ils sont tenus, ce ne sont pas les chaleureuses accolades du président français au président russe dans l’intérêt politique en février 2003 qui furent contestées, mais le geste superflu de recevoir Vladimir Poutine à l’Institut de France.
"A chaque rebond du despotisme aux rives de la Neva et de la Moskova, des clercs empressés sur les bords de la Seine décernent leurs prix de vertu (...) La France s’honore d’avoir reçu maints exilés, esprits libres, persécutés des tsars blancs et rouges. (...) Fallait-il que l’Institut retombe dans l’ornière ?..." (Appel signé par André Glucksmann, Bernard-Henri Lévy et Philippe Sollers in Le Monde, 11.2.2003).
C’est un cas de figure intéressant et très spécifiquement français, où tantôt la gauche, tantôt la droite, s’accusent mutuellement de complaisance vis-à-vis de la Russie. La droite a, en effet, des faiblesses pour l’"éternelle Russie" despotique au gouvernement, mais flatteusement voltairienne dans les salons. Avec ses fastes ! ses ressources ! sa force !
La gauche a toujours les yeux de Chimène pour l’héritière de la Révolution française (1789) et de la Commune (1871). "Patrie du socialisme et du communisme", dont Lénine a aussi élaboré le projet en France, puis en Suisse. Même si ce sont les Allemands du Kayser qui l’ont ramené chez lui pour faire le coup d’Etat bolchevique de la Révolution d’Octobre 1917.
Certes, l’amour pour Staline fut une erreur de jeunesse, une sorte de maladie infantile du communisme et des gauches françaises. Parce que Staline a "trahi la Révolution", dit-on contre toute raison jusqu’à aujourd’hui dans ces milieux intellectuels. Il suffit de lire attentivement le supplément du Monde du 26 février 2003 consacré tout entier à Staline. Signalons, d’ailleurs, que dans ce flot intéressant, le sort de la Pologne, par exemple, n’est pas du tout traité. Et que Katyn apparaît une seule fois, parce qu’un manuel... russe d’histoire en parle, à Moscou ! Nos manuels français n’en parlent toujours pas à Paris. On a aussi du mal à parler du Pacte germano-soviétique d’août-septembre 1939 et de l’agression soviétique contre la Pologne, le 17 septembre 1939. Mais on observe une amélioration des connaissances dans ce domaine. (Cf. A. Viatteau, "Le Pacte Ribbentrop-Molotov, l’agression soviétique contre la Pologne le 17.09.1939 et sa négation russe en 1999. L’état des connaissances scientifiques en 2000", diploweb.com, 18.10.2000 et "Staline assassine la Pologne, 1939-1947", éd. Seuil, 1999).
Ce rôle témoin, éclairant de la Pologne est, semble-t-il, gommé pour éluder la responsabilité du communisme, dès l’origine, et non du seul Staline, dans la barbarie totalitaire. Un ouvrage traduit, recommandé par Radio Classique (6 mars 2003 à 9h), écrit par un Russe américain, Richard Lourie, va jusqu’à personnaliser complètement le totalitarisme communiste soviétique. Dans "Moi, Staline", l’auteur se met dans la peau de Staline pour démontrer que c’est "par divertissement que j’ai (Staline) versé dans le crime", "joui de la terreur". "Un vrai nihiliste", commente Radio Classique.
On voit là cet échange de tir droite-gauche, gauche-droite françaises : de droite, on tire sur le nihilisme ; de gauche, on tire sur le despotisme. Mais, la fascination est la même. On aime la Russie et on frissonne devant ses tsars et leur knout.
C’est ainsi qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale - pour ne pas remonter aux origines -, aussi bien la Russie soviétique (l’URSS que le général de Gaulle voudra toujours appeler Russie), que Staline lui-même, ont profité, en général, de l’indulgent soutien politique d’intellectuels français, de gauche et de droite. A gauche, non seulement des communistes et leurs "compagnons de route", notamment chrétiens, mais même des chrétiens prestigieux comme François Mauriac et Jacques Maritain, ont donné leur appui à l’URSS stalinienne, au profit du "progrès", avant d’y voir plus clair. A droite, d’éminents intellectuels ont appuyé aussi de leur plume et de leur réputation le totalitarisme soviétique, par respect de la puissance et des intérêts russes et franco-russes.
En 1944, Wladimir d’Ormesson, dans Le Figaro, justifie la signature du traité d’alliance franco-soviétique, entre de Gaulle et Staline, car la Russie soviétique, selon lui, serait "passée d’un état révolutionnaire à un état soucieux avant tout de ses intérêts nationaux, dans le droit fil de son histoire diplomatique". Un jeune historien français, Frédéric Saillot, écrit à ce propos dans un ouvrage à paraître : "La lecture que fait W. d’Ormesson de l’évolution de l’URSS et de son retour au jeu diplomatique européen, passée au prisme d’un nationalisme borné, conduit à des accents d’une flagornerie pénible s’ils ne présentaient un symptôme intéressant, dans sa version conservatrice, du culte voué à Joseph Staline et de la vague philosoviétique, et par conséquent philocommuniste, qui imprègnent les mentalités de l’époque. "L’œuvre gigantesque accomplie par le maréchal Staline fait de lui un héros national de la classe de Pierre le Grand", écrit W. d’Ormesson."
"En conclusion de cet éditorial (Cf. Le Figaro, 26-27 novembre 1944) chargé d’expliciter les décisions de Yalta, où ni la Pologne, ni pourtant la France n’avaient été conviées, W. d’Ormesson donne un avertissement en signe de viatique : "la plus grande erreur que pourraient commettre nos amis Polonais serait d’essayer de jouer les puissances occidentales contre la Russie"." , écrit Frédéric Saillot.
En 1945, l’Union des chrétiens progressistes, carrément engagée dans le compagnonnage avec le PCF, s’oppose à la publication du manuscrit du Père Fessard, "France, prends garde de ne pas perdre ta liberté", qui applique au communisme la même grille d’analyse dont le jésuite s’était servi pendant l’Occupation pour dénoncer le nazisme. (Cf. Yvon Tranvouez, "Un cryptocommunisme catholique ? Les chrétiens progressistes en France, 1947-1953", in Renseignement et propagande pendant la Guerre froide" sous la direction de J.Delmas et J.Kessler, éd. Complexe-Mémorial de Caen, 1999).
Dans les rangs de la gauche non communiste, notamment des chrétiens de gauche, Jacques Maritain lui même, ainsi que François Mauriac, refusent de prendre position contre l’occupation de l’Europe du Centre-Est, et notamment contre les crimes commis en Pologne par l’URSS avant, pendant et après l’Insurrection de Varsovie en 1944 et la Libération en 1945. "La stratégie gaulliste obligeait à passer (cela) sous silence", confiait alors le Polonais Joseph Czapski, rescapé des massacres des officiers polonais en URSS et officier dans l’Armée polonaise des Forces Alliées occidentales (Cf. chapitre "Complicité politique et morale" in A.Viatteau, "Staline assassine la Pologne, 1939-1947", op.cit.).
Des prisonniers français - les chanceux, ceux qui ont pu regagner la France et non aller au Goulag à leur libération en Allemagne par les troupes soviétiques -, ont témoigné d’atrocités soviétiques contre des civils allemands. En vain. On trouve dans les archives départementales du Puy de Dôme des affiches communistes dénonçant ces témoignages vécus comme étant de la "calomnie de la part de fascistes et un complot des trusts pour jeter le discrédit sur l’Armée rouge" ! (archives 120W54 et 120W55). Déjà cet amalgame communiste et "compagnon de route" entre l’incomparable. Sur la chaîne française Antenne 2, le 2 avril 2003 à 13 heures, une enseignante apprenait à des élèves adolescents de nos écoles ce que voulait dire le portrait de George W. Bush affublé de la moustache de Hitler sur un panneau des manifestants "anti-guerre" photographié par la presse. Le garçon répondait avec sérieux, et sans être contredit, que "Bush avec la moustache d’Hitler, ça veut dire qu’il veut commettre un génocide contre les Arabes". Toujours la phraséologie des "fascistes et des trusts". Même Moscou ne va plus aussi loin aujourd’hui.
En 1949, J. Czapski relatait ses pourparlers avec l’éditeur français Calmann-Lévy pour la publication de son ouvrage sur les crimes de Staline en URSS pendant la Seconde Guerre mondiale, "Terre inhumaine". Dans un premier temps, Raymond Aron, responsable de la collection, accepte l’ouvrage. Mais, l’éditeur convoque J. Czapski et lui déclare : "Je ne suis pas du tout d’accord avec l’opinion de Monsieur Aron. Je ne pourrai pas publier votre livre. Vous parlez trop des Polonais, qui n’intéressent pas les Français. Il faudrait faire des coupures très importantes. Ce qui est plus grave, vous êtes trop antistalinien, ça ne passerait pas..." (Cf. Joseph Czapski, "Tumultes et spectres", éd. Noir sur Blanc, 1991, p. 68, in ouvrage à paraître de Frédéric Saillot ; cf. aussi A.Viatteau, "Transition Est-Ouest, Pologne : du passé vers le futur", in numéro 3, spécial "Pologne", Transitions et Sociétés, éd. CNRS-DELFI, Magna Europa).
"A cette époque, Calmann-Lévy a publié "Zéro et l’infini" d’Arthur Koestler. Le succès a été tel que l’éditeur a pris peur et a renoncé à une seconde édition (c’est du moins le bruit qui a couru). Un matin, dans une chambre d’hôtel, j’étais avec Koestler et nous parlions de Staline. Tout à coup, on nous a glissé sous la porte un feuillet disant : "Attention, vous parlez trop fort, les membres de la délégation soviétique logent dans cet hôtel !" - alors, ici non plus, on ne peut parler de Staline qu’à voix basse ! S’écria Koestler". (Cf. J. Czapski, op.cit.).
Et puis, Staline est mort, le 5 mars 1953. L’Europe du Centre-Est avait attendu en vain d’être libérée du tyran par les armées occidentales. Une autre solution, pacifique et sans doute meilleure, mais à très long terme, se présentait à elle. Qui parlait alors en France d’"hégémonisme soviétique" en Europe ? Qui combattait la violence et les crimes contre les peuples d’Europe dont se rendait coupable l’Union soviétique ? Il y a eu des milieux français courageux et informés qui l’ont fait. Mais, qui s’en souvient aujourd’hui ? Et qui s’en souvient autrement que par le prisme des puissantes campagnes de propagande menées alors contre eux par Moscou-même et par ses caisses de résonance en France ? (Cf. Eric Duhamel, "Jean-Paul David et le mouvement Paix et Liberté. Un anticommunisme radical", in "Renseignement et propagande..., op.cit.)
Lorsque Staline mourut, il y a 50 ans, en Russie, en Chine et dans le bloc de l’Est, tout mouvement se figea, tout travail cessa et il fut observé cinq minutes de silence, précédées de salves d’artillerie. Les sirènes des usines et des navires et les sifflets des locomotives fonctionnèrent pendant trois minutes sans interruption. Le dictateur était mort. Il allait rejoindre Lénine au mausolée et, sans doute, Hitler en enfer. Sans ironie, en Chine, Mao organisa pour Staline une immense cérémonie devant la Porte de la Paix céleste...
En France, les drapeaux furent mis en berne pour deux jours, faisant écrire dans Le Figaro à François Mauriac, déjà beaucoup plus conscient de la réalité : " Nos drapeaux en berne parce que Staline est mort, c’est le signe des contradictions d’une politique française que les circonstances nous imposent et que nous ne dominons pas. J’en suis frappé, certes, mais moins que du ton de notre presse qui ne se retient guère d’encenser le cadavre ".
En effet, la disparition de Staline a ouvert les écluses d’un flot d’articles et de déclarations, qui, passé un demi siècle, laissent songeur. En premier lieu, le parti communiste français endeuillé s’empressa d’assurer le comité central frère d’URSS que " les communistes français sauraient rester fidèles aux principes staliniens du Parti, de lutte sans merci contre les déviations de la ligne marxiste-léniniste, de fermeté dans l’application des tâches et de contrôle de l’application des décisions... "
Il en découlait ce que tout le monde sait aujourd’hui - ou devrait déjà savoir : que le PCF veillait à faire appliquer des tâches issues de décisions prises en URSS, hors de France, qu’il ne reculait pas, pour les faire appliquer, devant le contrôle, la fermeté et la lutte sans merci. Et que la lutte sans merci (à mort) contre tous ceux qui s’opposaient à Staline ne le choquait point - du moins quand cela se passait ailleurs. Notamment en Pologne et en Europe du Centre-Est.
" Gloire immortelle à Staline ! ", écrivait le comité central du PCF. Sa mémoire vivra éternellement dans nos coeurs. Ses enseignements éclaireront toujours notre route. Nous saurons, à son exemple, à l’exemple de son Parti, notre modèle, aller de l’avant vers le communisme !... En vain les chacals de la social-démocratie aboient-ils rageusement vers le grand disparu ! ". Et Lavrenti Béria, le complice du " Petit père " - bientôt liquidé lui-même d’une balle par ses collègues - mais pour le moment cité avec onction par L’Humanité, annonçait un renforcement de la vigilance contre les ennemis de l’Etat soviétique. En URSS et dans le monde.
Mao Tsé-toung lui-même s’exprimait dans l’organe du PCF : " En ce qui concerne les problèmes de la révolution chinoise, Staline y a contribué par sa sublime sagesse... " (on pouvait se demander si c’était à la révolution ou aux problèmes). " ...Tous les peuples savent que le camarade Staline était animé d’un amour ardent pour le peuple chinois et qu’il croyait que la force de la révolution chinoise était immense ". Mao, lui, croyait en tout cas à la force chinoise qui monte.
Le Monde analysait le stalinisme dans son éditorial, notamment l’extraordinaire situation qui avait abouti à faire des partis communistes du monde entier de simples pions à la disposition du Kremlin sous prétexte que le salut de la "patrie du socialisme" devait passer avant tout. L’internationalisme trotskiste révolutionnaire permanent se mobilisait déjà contre la "dérive" nationaliste de l’impérialisme communiste soviétique au profit d’un seul pays, et le maoïsme pointait son nez parmi les puissances agréées du monde contemporain.
" C’est au nom de ce principe, écrivait l’éditorialiste, que les communistes chinois furent livrés jadis aux bourreaux de Tchang-Kai-chek et que la guerre d’Espagne fut utilisée par les staliniens à des fins qui n’avaient souvent pas grand chose à voir avec la victoire. Rien, soyons en certains, ne sera changé, à moins que Mao Tsé-toung n’élève quelques prétentions à la direction de la révolution mondiale... ".
Le même pressentiment trotskiste ou maoïste faisait écrire à Gilles Martinet dans L’Observateur que la prédominance russe sur le mouvement communiste, comme jadis la prédominance française sur la révolution bourgeoise, allait peut-être cesser avec la mort de Staline : " ...le communiste le plus éminent actuellement vivant est Mao Tsé-toung et non Malenkov ".
Ni l’un ni l’autre, prédisait, à juste titre, un kremlinologue de L’Observateur, mais Nikita Khrouchtchev, parce qu’il a soudain avancé du dixième au cinquième rang au nouveau Présidium (Politburo) du comité central du parti.
Deux ans avant que Nikita Khrouchtchev ne réconcilie l’URSS avec le " renégat Tito ", dont le titisme avait servi de prétexte aux dernières purges sanglantes d’après-guerre de Staline, l’agence Yougopress, en ce mois de mars 1953, rappelait quant à elle, que " pour les Yougoslaves, Staline était l’homme qui avait enterré les acquis de la Révolution d’Octobre et qui était le symbole de la menace contre la paix mondiale en tant que créateur d’un bloc agressif ". Et Le Monde faisait également état, selon des informations parvenues de Belgrade, d’une tentative malheureuse de la résistance albanaise pour renverser le régime communiste stalinien d’Enver Hodja... On ne parlait pas encore, faute de le savoir, du rôle de l’honorable Kim Philby du contre-espionnage britannique, et des taupes du KGB au sommet de services occidentaux qui servaient Moscou dans sa " lutte sans merci " contre les démocraties libérales.
Aux Etats Unis, rapportait Combat, le Président Dwight Eisenhower se faisait le porte-parole de l’Amérique, qui " priait pour que le Tout Puissant veille sur la Russie ". Combat prévoyait des luttes intestines en URSS à propos de politique intérieure et de discussions économiques. L’économie, le nerf de la guerre, l’arme fatale, ou le boomerang.
Au Vatican, le Pape espérait que le Tout Puissant pardonnerait les crimes commis... En France, dans La Quinzaine, le Père Chenu s’inclinait devant "l’émotion populaire" et "l’espoir des pauvres" : "La piété ingénue de ces masses devant la mort de Staline..."
Toujours dans Combat, un représentant du radicalisme français, Edgar Faure, voyait dans Staline le dictateur efficace qui avait froidement fait table rase et liquidé un monde ancien pour y allumer les lumières du progrès : il estimait que, parmi les grands dictateurs du monde moderne, Staline était " le seul à avoir résisté au péril de la griserie, de la mégalomanie et de l’hystérie "... Ce n’était, tout de même, pas la position de tous les radicaux, tant s’en faut.
Enfin, bien avant le Rapport Khrouchtchev, un esprit qui conservait de la clarté, en plus de la fascination, jugeait ainsi le communisme dans Le Monde : " C’est une révolution sans romantisme, menée avec une volonté implacable, sans concession aucune au sentimentalisme ou à la pitié, en vue de forcer le bonheur de l’humanité... La poursuite de ce bonheur mathématique a peuplé les camps de concentration et les charniers ; elle a transformé des millions d’hommes en robots. Elle en a privé d’autres de la plus élémentaire dignité ". Seul pourrait dépasser la réussite tactique de Staline, poursuivait l’éditorialiste, " celui qui réconcilierait la révolution et la liberté ".
Un espoir qui a mal vieilli, avant de mourir de désillusion et d’entraîner le système sclérosé dans la mort, pour voir réapparaître à l’aube du XXIème siècle un gauchisme idéalisé, considérablement enrichi et renforcé par le libéralisme et le parlementarisme, dont Marx avait bien dit que c’étaient les meilleurs moyens d’accéder au pouvoir. En développant aussi, sans cesse, la propagande intellectuelle et la manipulation de masse, auxquelles tous ont recours, au demeurant, mais dont le maniement est plus ou moins expert.
En 2003, les médias français se livrent à une célébration ambiguë de la mort de Staline. D’une part, la critique est impitoyable, comme pour effacer les panégyriques de 1953. De l’autre, on poursuit une sorte de désinformation en prétendant que l’on "ne savait pas" : "Depuis, on a appris..." ; "Depuis, le bilan du stalinisme a fait apparaître l’homme, son régime, les horreurs qu’il commit et qui furent commises en son nom comme un effroyable totalitarisme..." ; "Il faudra plusieurs années pour que la terreur de masse et le Goulag soient connus de tous...", etc... (Cf. Le Monde, supplément de 24 pages consacré à Staline, 26.2.2003 et Le Monde Télévision, 1.3.2003).
Or, d’une part, ce n’est pas seulement J. Staline, mais c’est le communisme de V.I. Lénine et de L. Trotsky, partout dans le monde, et encore jusqu’à des temps très récents, qui a pratiqué le meurtre, la répression, la terreur de masse ou la terreur contre des dissidents et opposants. Avant de s’effondrer ou de s’édulcorer pour pénétrer dans le globalisme, plutôt que de s’y fondre. Comme l’écrit Le Monde, reprenant sans le savoir mon ancien enseignement, si "angoissant" pour certains , à l’Institut Français de Presse (Université Paris II) : "Bien avant les multinationales, le communisme a forgé la première entreprise "globalisée" : le Komintern". A présent, le communisme, évidemment "révisé", remodelé et tranquillement "entré" dans la place, est bien plus à l’aise dans l’ère globale que l’Union européenne avec ses divergences démocratiques naturelles. Et peut-être même souhaitables.
D’autre part, on savait tout en Occident, et en France, sur les crimes du communisme depuis les années 1920, 30, 40, 50, et jusqu’au bout. Comme on sait tout, depuis le début, sur les crimes en Irak ou en Tchétchènie, et ailleurs, en Chine, en Corée du Nord etc...
On constate avec effroi, quelquefois, que les crimes du communisme sont considérés avec indulgence, comme des crimes de "progrès", pour des laïcs, et même des crimes "évangéliques", pour certains intellectuels chrétiens. Dans La Croix du 4 janvier 2000, un auteur simula un texte de Léon Tolstoï, avec sa signature fictive, mais annoncée comme fictive, sous le titre "Nous autres Russes, avons fait rêver le monde". Voici ce qu’écrit cet intellectuel chrétien français russophile : "Qu’y avait-il de mieux pour la Russie, puis, plus tard, pour l’ensemble de la planète, que de mettre en œuvre la fraternité évangélique, le dépôt des offrandes pour la bonne santé de tous ?". "... on aurait éventré les portes du paradis à coups de hache. Et les portes furent bien éventrées : l’air qui en jaillit dans les hurlements était enthousiasmant ; si j’avais été là, j’aurais pris volontiers la tête de mes moujiks. C’est que moi aussi, je voulais faire régner l’Evangile dans les isbas...". Pauvre Tolstoï. Mais pauvres de nous, chrétiens et Français à qui l’on fait faire de pareils mélanges.
En réalité, l’enseignement de l’Eglise parle à propos des crimes du communisme d’une " perversion intrinsèque " de l’idéologie et du système communistes matérialistes athées soumis au seul utilitarisme d’un pseudo-progrès, - ce qui fut aussi une des caractéristiques du nazisme. Dans son encyclique " Divini Redemptoris ", condamnant le communisme à Pâques 1937, en même temps qu’il condamnait le nazisme par l’encyclique datée du même jour, "Mit Brennender Sorge", le Pape Pie XI était ferme sur ce point :
" On ne peut dire que de telles atrocités soient de ces phénomènes passagers qui accompagnent d’ordinaire toute grande révolution, des excès isolés d’exaspération comme il s’en trouve dans toutes les guerres ; non, ce sont les fruits naturels d’un système qui est dépourvu de tout frein intérieur. Un frein est nécessaire à l’homme pris individuellement, comme à l’homme vivant en société. Même les peuples barbares trouvèrent ce frein dans la loi naturelle gravée par Dieu dans l’âme humaine... Mais lorsque du cœur des hommes l’idée même de Dieu s’efface, leurs passions débridées les poussent à la barbarie la plus sauvage. C’est hélas ! le spectacle qui s’offre à nous : pour la première fois dans l’histoire nous assistons à une lutte froidement voulue et savamment préparée de l’homme contre " tout ce qui est divin ". "
L’Eglise avait raison et le Pape avait prédit dans ce même texte, il y a plus d’un demi siècle, que " le communisme n’a pu et ne pourra pas réaliser son but, pas même sur le plan purement économique ". Cependant, " il n’y aurait ni socialisme ni communisme si les chefs des peuples n’avaient pas dédaigné les enseignements de l’Eglise... Mais ils ont voulu élever, sur les bases du libéralisme et du laïcisme, d’autres constructions sociales, qui tout d’abord paraissaient puissantes et grandioses... elles s’écroulent misérablement... "
Ou bien elles s’affrontent et se déchirent. Le constat reste d’actualité dans notre monde.
Ceux qui fermaient les yeux sur les crimes communistes - dès le début - et gardaient leurs illusions ou leurs intérêts, à l’Est et à l’Ouest, doivent se rendre à l’évidence, et devraient enfin reconnaître qu’on les a prévenus des crimes. Dès 1917, on leur a expliqué le système, on les a appelés au secours. Cela restera vrai jusqu’au bout, jusqu’à la défaite et la condamnation de la forme "intrinsèquement perverse" du communisme. C’est en cela que l’Eglise l’a partiellement vaincu, car vaincu définitivement, il ne le sera que lorsque ceux que le marxisme-léninisme et le communisme ont séduits, et séduisent encore, prendront pleinement conscience de la vérité. En effet, " mentir, cela consiste pour les idéologies à se déguiser... en ange de lumière ", disait Pie XI.
Ajoutons pour notre part que, plus tard, les bolcheviques au pouvoir rejetèrent la faute des atrocités sur les socialistes révolutionnaires gauchistes, et inversement ; le parti des ouvriers sur les paysans, et à charge de revanche ; les internationalistes prolétariens sur les nationalistes ; ceux-ci sur les juifs, ou les caucasiens, et vice versa. En fait, les cerveaux malades à l’origine et au centre de l’inhumanité communiste étaient bien partagés. Ils bâtissaient tous ensemble, en assassinant, et en s’assassinant de temps en temps entre eux, le pouvoir marxiste-léniniste communiste soviétique, systématiquement, quoique souvent dans une certaine pagaie et dans l’hystérie collective.
L’Occident démocratique savait tout depuis le début, car il recevait par milliers des informations telles qu’il m’en a été donné de trouver dans des témoignages d’époque, interdits ou indésirables de publication, à l’Est et à l’Ouest : " Tout autour de nous, la violence sévit de plus en plus... J’ai du mal à décrire le sort maudit de la malheureuse Winnica (Vinnitsa en Ukraine, dont les charniers furent découverts en même temps que ceux de Katyn). Madame M. en vient. Avec la simplicité d’un témoin oculaire, elle donne un témoignage qui pétrifie l’âme : jusqu’à maintenant, 3000 personnes y ont été assassinées par la Tchéka (police politique bolchevique, ancêtre du KGB). Aucune n’a été tuée autrement qu’en subissant d’atroces souffrances . Victimes crucifiées, étouffées dans des anneaux de fil de fer barbelé, empalées, écorchées, brûlées... Lorsque un jour le monde apprendra tout cela, lorsque l’on dira ce martyrologe, l’Europe ne voudra pas le croire pour ne pas être saisie d’un éternel remords que de tels crimes étaient commis impunément, alors que depuis six mois il était facile de les empêcher ".
En effet, il y avait des observateurs occidentaux, enchantés, sur place, et c’est pour eux que la coalition des bolcheviques de Lénine et de la gauche des socialistes révolutionnaires de Trotsky jouait à quatre mains une partie de prestidigitation politique pour camoufler (à peine) la réalité. Au demeurant, soviets et observateurs, notamment français, voulaient surtout savoir à quelle famille révolutionnaire s’apparenterait le bolchevisme, quels seraient ses liens avec la Révolution française, et bien entendu avec les puissances et le capital ! Cela n’a pas beaucoup changé dans les rapports mondiaux…
C’est alors que l’Occident, notamment l’Angleterre, à l’époque, a essayé de réaliser cette fameuse "intervention avec le consentement des bolcheviques", pour reprendre l’expression très britannique de l’agent de Sa Majesté, Bruce Lockhart. Car, "en prenant parti contre les bolcheviques, nous ne faisons que miser sur le cheval le plus faible" !
Cette qualité d’appréciation fera que l’intervention de l’Entente, qui sera molle, manquera de plus son but de rappel à l’ordre de la barbarie par la civilisation en se contentant d’une demi-mesure politico-militaire d’un intérêt secondaire et dépourvue de la générosité et de la justice flamboyantes qui auraient justifié aux yeux du prolétariat-même un secours massif aux frères humains en péril sous un régime guère meilleur, et peut-être pire, que le tsarisme. Il est vrai que brisées par la Première Guerre mondiale, les puissances européennes de l’Entente pouvaient peu. Leurs progressistes, avec nos intellectuels et les Américains modernistes, à l’époque, voulaient tellement accoucher un monde nouveau qu’ils s’excitaient de voir arracher les entrailles à la civilisation mère , qui en mourait dans d’atroces tourments.
En 1934, l’écrivain H.G. Wells, qui avait déjà tenté de rallier V. I. Lénine à la cause du mondialisme dès 1924, va voir Staline dans le même but : " Je voulais dire à Staline, raconte Wells, que j’avais parlé à Franklin Roosevelt des nouvelles perspectives de coopération mondiale qui s’ouvraient à l’humanité... J’essayai d’en revenir à mon idée d’une convergence possible entre l’Ouest et l’Est, sur l’objectif commun d’un Etat mondial socialiste... vers une forme analogue de capitalisme collectif à l’Est comme à l’Ouest... " Ce fut un échec : " J’étais parti pour trouver un raccourci vers la " Conspiration au grand jour " (slogan de Wells depuis 1926 en vue d’un gouvernement mondial fondé sur les forces économiques et les pouvoirs technocratiques du monde - AV). Je m’étais attendu à trouver une Russie nouvelle prête à s’éveiller pour une Cosmopolis ".
Ce n’était pas encore l’heure, la convergence Est-Ouest n’avait pas encore sonné, mais cela explique qu’à gauche comme à droite, on ait souvent fermé les yeux sur des crimes, dans l’intérêt d’une union future, y compris avec la Russie, quel que fût son régime. Ou quelle que soit aujourd’hui sa politique et sa stratégie.
La Russie, sous tous ses régimes, et quoi qu’elle fasse, est l’alliée favorite de la France, mais Moscou ne compte qu’avec Washington pour réaliser le projet d’Etat mondial. Certes, pour ce faire, il faut affaiblir les Etats Unis, et la France est bien utile comme "locomotive" du mouvement anti-américain. Mais, à terme, la Russie ambitionne le leadership de l’Europe, pour se retrouver face à face entre "Grands", avec les Etats Unis, pour dominer la planète. Ou bien pour imposer l’hégémonisme russe sur les politiques et les idées.
La tribune française est, pour ce faire, importante en Europe pour la Russie. Pour les petites et les grandes choses. C’est dans Le Monde que paraît, le 1er-2 décembre 2002, la publicité d’une page entière pour promouvoir l’Exposition universelle internationale de 2010 à Moscou. D’ici là, il semble à Mikhaïl Gorbatchev, qui co-signe l’annonce, que les jeux seront faits : "Cela permettra au monde entier de saluer le succès des changements déjà connus sous le nom de perestroïka". Le thème de l’Exposition : "Ressources, technologies, idées pour aller vers un monde uni"... "dialogue global déterminant pour le sort du monde...", "la communauté mondiale est prête à se lancer dans une nouvelle vague de développement". La France s’est même dotée d’un ministère adéquat consacré au "Développement durable..." ! Et le président Valéry Giscard d’Estaing souhaite, le 23 mars 2003, sur FR3, la formation d’une "opinion publique globale". L’idée est avancée dans la conjoncture des manifestations de masses organisées contre les Etats Unis. Même si ce n’est pas tout à fait le sens de ce que voulait dire Valéry Giscard d’Estaing, du moins peut-on l’espérer.
Une certaine cécité intellectuelle et une mobilité certaine des foules, essentiellement jeunes, ont été conçues par Staline, déjà à Yalta, comme éléments d’un " ordre nouveau " international, essentiel pour la Russie.
En étudiant un jour les archives du Saint-Siège, j’ai découvert comment fut entreprise cette formation. Le 15 avril 1945, Mgr. Cigognani, Délégué apostolique du Saint-Siège à Washington, a raconté à Mgr. Tardini, Secrétaire de la Congrégation pour les Affaires ecclésiastiques extraordinaires à Rome, comment à Yalta, Staline avait déclaré qu’il allait se charger de la rééducation de la jeunesse européenne : "... Staline a déclaré aux autres deux " grands " que la Russie pouvait assumer la " rééducation de la jeunesse en Europe " ; il a dit au défunt Roosevelt : " les Etats Unis auront beaucoup de problèmes dans le Pacifique, et n’auront pas de temps pour cette rééducation " ; et à Churchill : " la Grande Bretagne devra régler de nombreuses questions dans son empire, et n’aura donc pas les moyens de s’occuper de rééduquer la jeunesse " ; il a ajouté que " sur les gens d’âge mur il n’y avait plus rien à faire ; ils ont des idées vieilles et rances, c’est des gens d’un autre temps et sans importance ". A cela, on m’a rapporté que les deux " grands " n’ont rien objecté, peut-être n’ont-ils pas osé, ils ont acquiescé, et l’autre considère cela comme un acquis nécessaire. Il leur aurait dit qu’il fallait quinze ans pour donner une formation intellectuelle complète à la jeunesse d’Europe (...) . J’ai pensé qu’il était bon de le signaler ", ajoutait le prélat.
Il avait raison. Il est aussi intéressant de se rappeler que canaliser l’activité des Etats Unis et de l’Angleterre sur des "problèmes" qui les occupent ailleurs qu’en Europe continentale avait été une constante de la tactique soviétique et russe. C’est ainsi, par exemple, que la crise de Suez en 1956, avait permis à l’URSS d’écraser assez tranquillement Budapest. Aujourd’hui, l’enjeu est beaucoup plus mondial. Cependant, on constate que le "referendum" truqué sur une Constitution rendant à la Russie la Tchétchènie indépendantiste s’est déroulé, le 23 mars 2003, dans une indifférence presque complète. L’OSCE parle de "situation insatisfaisante". Radio Vatican déplore la "mascarade". Tous constatent la "normalisation", devenue un terme neutre, et non une référence à l’écrasement d’une résistance dans l’histoire soviétique.
Quinze ans pour "rééduquer" la jeunesse : c’est à dire que dès les années 1960, la nouvelle génération européenne (mais aussi une nouvelle génération américaine, promotrice d’une pensée et d’une action marxistes ou "gauchistes" en apparence anti-staliniennes), devait être, sinon communiste, du moins, soit engagée dans le compagnonnage pro-soviétique, soit réinsérée dans des mouvements " de gauche et de progrès " pour un enjeu européen et mondial d’expansion marxiste-léniniste, hostile au "capitalisme" - aujourd’hui élargi au "libéralisme". C’est à dire, hostile à la fois au capitalisme, mais aussi aux valeurs primordiales de la démocratie libérale, par opposition à la "démocratie populaire" collective. Une rééducation de masse s’imposait, pour assurer la manipulation et la mobilité de "troupes", toujours prêtes à intervenir ensemble.
Tolstoï, en connaisseur, décrivait ce phénomène de rassemblement dans le texte dont nous citons un extrait en bas de cette page : "Ces quelques milliers de personnes toujours prêtes ne forment qu’une infime partie des millions d’hommes qui constituent le peuple ; en second lieu, parmi ces dix mille personnes qui crient en agitant leurs chapeaux, la moitié au moins ont été, sinon rassemblées de force, comme cela se passe chez nous en Russie, du moins, attirées artificiellement par quelque appât ; en troisième lieu, parmi tous ces gens, quelques dizaines à peine savent de quoi il s’agit, tandis que les autres se livreraient aux mêmes démonstrations s’il s’agissait d’une démonstration contraire à la présente".
La jeunesse à "rééduquer" et à "organiser" devait donc, avant tout le reste, avoir oublié l’Histoire et ses enseignements et repères, pour accepter la nouvelle version des faits et des comportements, même si elle " révisait " et modernisait la doctrine. Le pari de Staline a été bien tenu sur le plan historique, et peut-être comportemental. Toute l’historiographie occidentale, et notamment française, d’après-guerre est marquée, à un moment où à un autre, par la propagande, la désinformation et l’intoxication communistes, d’autant plus graves que le mensonge est mêlé à la vérité et à la compétence des maîtres . Et dans les rangs des jeunes (et des vieux qui ont été jeunes du temps de Staline), les manifestations de masse veulent souvent exprimer des idéaux auxquels manque de plus en plus souvent le savoir et la compréhension profonde des choses.
Citons encore Tolstoï, mettant en garde ses contemporains contre la tentation de suivre le courant : "Pourquoi irais-je lutter à moi tout seul contre tout le mal qui est sur terre ? Ne vaut-il pas mieux me laisser aller au courant qui m’entraîne ? S’il est possible de faire quelque chose, je ne le ferai pas tout seul, mais en commun avec d’autres. Et, laissant là cette arme toute puissante de la pensée qui s’exprime, chacun s’efforcera de trouver une arme qui serve à une action commune, sans faire attention que toute action en commun repose sur ces principes mêmes qu’il veut combattre...". Alors que la "force toute puissante, insaisissable et libre est celle qui apparaît dans l’âme d’un homme lorsque, seul , il songe aux événements du monde...". Et qu’il fonde sa propre réflexion sur la connaissance et le savoir, avant d’agir en conséquence.
La manipulation de l’intelligence et de "troupes" sur le terrain français, la Russie y était experte, bien avant l’URSS, et bien avant aujourd’hui. Dans un manuel universitaire de Relations internationales contemporaines signé du Professeur René Girault, on peut lire des informations à ce sujet au chapitre consacré aux "Cadres psychologiques et sociaux. Mentalités collectives". On y aborde toutes les formes de manipulation, de flatterie et d’intéressement de la naïveté, de l’ambition , ou même de la vénalité, de certaines élites intellectuelles bien placées, entre autres dans les médias (information, culture, éducation).
"Selon la presse parisienne, les Russes, sujets du tsar, aiment particulièrement les citoyens français. La méconnaissance de la Russie impériale par les journaux français pourrait presque être citée en exemple. (...) pour des raisons politiques et financières, la presse parisienne est largement "arrosée" pour travestir les réalités russes, (...) comme cet Etat devient notre ami, notre allié, les considérations patriotiques rejoignent les intérêts privés pour inciter les journalistes à brosser des portraits flatteurs du tsar, du régime et du peuple russe. La préparation psychologique par la presse française lors des visites en France des marins russes à Toulon en 1893, ou de celle du tsar Nicolas II à Paris en 1896, peut être retenue comme une parfaite réussite. L’enthousiasme réel des populations françaises ne dépend pas seulement de l’orchestration donnée par les journaux, mais ceux-ci ont fait de la puissance russe une vérité absolue, qui souffre difficilement la contestation". (Cf. René Girault, "Diplomatie européenne et impérialismes, 1871-1914", éd. Masson, Paris).
Nous n’en sommes peut-être plus là de nos jours. Bien qu’il n’y ait presque jamais de Noël sans "Catherine II" ou/et "Michel Strogoff" à la télévision publique, ou sans célébration des fastes de Saint-Pétersbourg jusque aux Invalides (avec exposition des "cadeaux de Napoléon au tsar Alexandre III" - mais la réciproque n’est pas signalée). Le titre de l’exposition de cet été à Paris est "Quand la Russie parlait français. Paris-Saint-Pétersbourg 1800-1830". De mauvais esprits font le rapprochement avec la campagne électorale aux élections de la Douma à Moscou du "clan des Saint-Pétersbourgeois, issus le plus souvent des services secrets où M. Poutine a fait sa carrière" (Cf. Le Monde, 29.3.2003).
Dans un registre culinaire tout à fait plaisant, propulsé au niveau quasi politique et diplomatique par le Sénat américain à l’occasion des discordances franco-américaines concernant l’Irak en 2003, une revue française semble riposter , sans aucun doute par hasard, au boycott américain des French potatoes par le rappel que "dans le menu d’Eugène Onéguine (célèbre poème national russe de Pouchkine - AV) figure du foie gras de Strasbourg dans une recette de 1830"... 1830, date de la grande Insurrection polonaise contre l’occupation russe, au demeurant.
La France ménage la Russie. Au point qu’il fallut lire la presse russe elle-même pour suivre l’affaire de l’éventuelle violation par Moscou de l’embargo sur les armes vers l’Irak. C’est donc dans Novaia Gazeta russe que l’on a pu lire : "Si les sanctions de l’ONU avaient été respectées par la Russie, l’armée irakienne se serait désagrégée depuis longtemps, et avec elle le régime de Saddam Hussein. La question n’est pas de savoir si l’embargo a été contourné, mais par qui, où, comment et pourquoi". Bonne question.
La Russie ménage les Etats Unis, et Vladimir Poutine prie George Bush d’excuser les "termes vifs" dans lesquels il devra dénoncer l’entrée en action des bombardiers et des troupes de la Coalition anglo-saxonne. Mais, la Russie n’oubliera pas l’Alliance de 1941-1945, puis la Convergence Est-Ouest, et les possibilités de gestion future commune du monde.
Et elle laissera à la France et aux foules les "spasmes intellectuels anti-américains" (George Weigel).
Il n’est donc pas inutile de revenir en arrière, tant sur les relations privilégiées franco-russes, que sur les procédés de manipulation et d’orchestration qui s’y prêtent. Pour cela, nous allons donner la parole à un Russe, à Léon Tolstoï. Son humour corrosif vise le passé, mais n’épargne pas, non plus, notre présent.
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"EN VÉRITÉ, ce fut un événement d’une portée universelle, qui vous frappait d’étonnement, vous touchait aux larmes, qui élevait l’âme et faisait courir en vous ce frisson d’amour grâce auquel on se prend à détester l’effusion du sang et les annexions violentes qui arrachent des enfants à leur mère. (...)
Arrivés en France, les marins russes, durant deux semaines, passèrent de fête en fête ; au milieu ou à la fin de chacune d’elles, ils mangèrent, burent et prononcèrent des discours. Et des détails précis, relatifs aux lieux où ils furent, ainsi qu’à leurs menus et aux paroles qu’ils prononcèrent, furent communiqués par télégrammes à toute la Russie. Chaque fois qu’un capitaine russe buvait à la santé de la France, on le faisait savoir aussitôt au monde entier, et chaque fois que l’amiral disait : "Je bois à la belle France !" l’univers en était avisé sur le champ.
"Nous nous aimons tendrement"
Le fond de ces paroles était partout le même : "Nous nous aimons tendrement les uns les autres ; nous sommes transportés de joie à l’idée que nous nous sommes pris si subitement en affection. Notre but n’est pas la guerre, la revanche, la conquête des provinces ravies ! Non ! Notre but est la paix, la paix bienfaisante ; nous voulons assurer la paix et la tranquillité à l’Europe. Vivent l’empereur et l’impératrice de Russie : nous les aimons et nous aimons la paix. Vivent le président de la République et son épouse, nous les aimons, eux aussi, et nous aimons la paix, ainsi que le chef de l’escadre russe. Vivent la France et la Russie, leur flotte et leur armée, nous aimons l’armée, mais nous aimons aussi la paix !" Les discours finissaient régulièrement, comme par un refrain, par ces mots : Toulon, Cronstadt, ou bien Cronstadt, Toulon. Le nom de ces lieux où tant de mets divers et de boissons variées avaient été absorbés, se prononçait comme rappelant les hauts faits éclatants des représentants des deux peuples ; il semblait qu’après avoir prononcé ces noms on n’eût eut plus rien à ajouter, car tout était compris. "Nous nous aimons les uns les autres et nous aimons la paix. Toulon, Cronstadt !" Qu’est-il besoin d’ajouter à ces mots ? Surtout quand on parle aux accents confondus de deux hymnes, dont l’un représente le tsar et demande à Dieu de répandre sur lui ses bienfaits, tandis que l’autre maudit tous les tsars et leur prédit l’extermination.
Au nom de l’amitié
(...) Ces étranges manifestations furent accompagnées de cérémonies religieuses plus étranges encore, et de prières publiques : les Français, pourtant, paraissaient en avoir dès longtemps perdu l’habitude. J’ai peine à croire que, depuis le temps du Concordat, pareille quantité de prières publiques aient été dites. Tous les Français devinrent pieux en un moment ; ils suspendirent avec grand soin dans les chambres des marins russes ces mêmes images religieuses que, peu de temps auparavant, ils avaient enlevées avec autant de soin des murs de leurs écoles, comme autant d’instruments de superstition ; et, sans trêve, on les vit en prières. (...) "Puisse l’amitié de la Russie et de la France faire de nos deux nations les gardiennes de la paix !"
Cependant, des milliers de télégrammes s’échangeaient entre la Russie et la France. Les femmes de France félicitèrent les femmes de Russie ; celles-ci, à leur tour, exprimèrent leur reconnaissance. Une troupe d’acteurs russes félicita les acteurs français ; les acteurs français répondirent que l’accueil de leurs collègues russes resterait gravé au fond de leur cœur. Des étudiants en droit exprimèrent leur enthousiasme à la nation française. Tel général félicita madame une telle ; madame une telle assura le général de son dévouement à la Russie. Des enfants russes envoyèrent à des enfants français des compliments en vers ; les petits Français répondirent en vers et en prose. Le ministre de l’Instruction publique, en Russie, assura le ministre de l’Instruction publique, en France, de l’affection subite que venaient de ressentir à l’égard des Français tous les enfants, les savants, les écrivains qui dépendaient de son administration ; les membres de la Société protectrice des animaux exprimèrent aux français leur attachement ; le conseil municipal de Kazan fit de même.
Une même croyance
Un chanoine du diocèse d’A... assura le Protopresbyter de la cour impériale que, dans le cœur de tous les cardinaux et évêques de France, brûlait un vif amour pour la Russie, pour Sa Majesté Alexandre III et son auguste famille. Il ajouta que le clergé de France et celui de Russie avaient presque la même croyance : tous deux n’honorent-ils pas la sainte Vierge ! A cela, le Protopresbyter répondit que les prières du clergé français pour la famille impériale éveillaient une joie profonde dans le cœur de tout le peuple russe qui aime le tsar ; il dit encore que, comme le peuple russe honorait aussi la sainte Vierge, il pouvait compter sur la France, à la vie, à la mort.
Des sentiments analogues furent exprimés par des généraux, des télégraphistes et des marchands épiciers. Tous eurent quelqu’un à féliciter et à remercier.
(...) Un journaliste a écrit qu’un Français lui a dit, dans un bal, qu’on trouverait difficilement à Paris, une femme qui ne fut pas prête à oublier ses devoirs pour satisfaire les désirs d’un marin russe : et tout cela passa inaperçu, comme une chose toute naturelle. On vit même des cas de folie caractérisée. Ainsi une femme, enveloppée d’une étoffe aux couleurs françaises et russes, attendit l’arrivée du cortège et se précipita dans la Seine en criant : "Vive la Russie !".
Sain d’esprit, du moins en apparence
(...) Cet étrange enthousiasme était contagieux. Un journaliste raconte qu’un matelot, en apparence sain d’esprit, sauta à la mer en criant : "Vive la France !" Quand on l’eut tiré de l’eau, on lui demanda pourquoi il s’était jeté par-dessus bord ; il répondit qu’il avait fait voeu, en l’honneur de la France, de faire en nageant le tour de son navire.
Ainsi, l’enthousiasme, que rien n’arrêtait, grandit de plus en plus comme une boule de neige humide que l’on fait rouler, et il atteignit un tel degré que, non seulement des gens nerveux, mais même les personnes les plus fortes et les plus saines furent emportées par le courant et se trouvèrent dans un état d’esprit tout à fait anormal.
Au nom de la paix, déjà
(...) Il n’y eut pas un discours, pas un compte rendu, où l’on ne dise que le but de ces orgies est d’assurer la paix à l’Europe. A la fin du dîner offert par les représentants de la presse russe, tout le monde parle de la paix. M. Zola, qui, peu de temps auparavant, écrivait que la guerre est inévitable et même utile, et M. de Vogué, qui, plus d’une fois, a exprimé la même idée, ne disent pas un mot de la guerre et ne parlent que de la paix. On ouvre la session de la Chambre par des discours sur les fêtes passées : tous les orateurs déclarent que ces fêtes sont une déclaration de paix à l’Europe. (...)
Instruments
(...) La force des Gouvernements repose sur l’opinion publique ; or, ayant la force, ils peuvent toujours, grâce à leurs instruments, les fonctionnaires, les juges, les instituteurs, le clergé et la presse, provoquer telle opinion publique qui leur est nécessaire...
(...) Mais, il faut savoir comment se préparent ces manifestations.... Eh, bien, lorsque par une série de mesures prises par le Gouvernement grâce aux moyens dont il dispose, la lie du peuple, c’est à dire la foule urbaine, est mise dans un état particulier d’excitation, on s’écrie : voyez, c’est l’expression spontanée des sentiments du peuple ! ... Les moyens nécessaires pour provoquer une excitation populaire, moyens qui sont actuellement aux mains des Gouvernements et des classes dirigeantes, sont tellement puissants qu’on s’en peut servir à volonté dès qu’on désire provoquer ce qu’on appellera une manifestation..."
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