Paris : Presses de l’Université Paris-Sorbonne (PUPS), Coll. Mondes contemporains, 2007, 290 p. Cet ouvrage est le fruit d’une collaboration entre près d’une vingtaine d’historiens polonais et français. Il enrichit considérablement notre connaissance de la question polonaise, question européenne par excellence.
Comment comprendre la géopolitique de l’Union européenne élargie en ignorant l’histoire du nouvel Etat membre le plus peuplé : la Pologne ? Comment appréhender en un ouvrage de référence l’histoire de la Pologne du XVIIIe siècle à nos jours ? En lisant cet ouvrage construit autour des lignes suivantes : les visions géopolitiques des Polonais ; les représentations de la Pologne en Pologne et à l’étranger ; les problèmes de sécurité ; la problématique des rapports avec la Russie ; la Pologne comme grande cause européenne ; la circulation des idées entre la Pologne et le reste de l’Europe ; les problèmes internes liés à la place de la Pologne en Europe : questions religieuses, questions des minorités.
Fruit d’une collaboration entre près d’une vingtaine d’historiens polonais et français, cet ouvrage enrichit considérablement notre connaissance de la question polonaise, question européenne par excellence.
Sans aucun esprit de complaisance, les auteurs s’attachent à se situer au plus près des faits. Très au-dessus du pathos habituel, Thierry Lentz démontre que : « Si la question polonaise fut […] un instrument de la politique européenne de Napoléon, elle n’en fut jamais un des objectifs. » (p. 39). Alors que la citoyenneté de l’Europe communautaire reste à consolider, Daniel Beauvois prouve que la Pologne d’aujourd’hui ne peut se targuer d’un système nobiliaire passé présenté – à tort – comme le fleuron de la société citoyenne européenne, comme un modèle admirable. En effet, « L’idée polonaise d’une démocratie nobiliaire, belle dans sa conception, fut toujours viciée dans son application et déboucha, à son déclin, sur des drames qu’il ne faut pas, semble-t-il, ignorer si l’on veut en donner un reflet sans enjolivement de l’identité nationale et s’insérer avec lucidité dans la culture européenne. » (p. 56) Jadwiga Wala constate en étudiant la place de la Pologne dans la géopolitique française de l’entre-deux-guerres qu’« Au lieu de bénéficier d’une alliée forte et enviable, la France contribua à la création d’une Pologne aux frontières incertaines, à la dynamique nationale durablement freinée par l’existence de minorités indifférentes, voire hostiles, aux intérêts de l’Etat et à la pérennité de la Nation. » (p. 118) Isabelle Davion, au vu de ses recherches sur les tentatives de reconstruction du système diplomatique européen, avance que : « Les dirigeants français, nombreux à se succéder entre 1932 et 1938, ont eu des visions différentes de la politique à adopter vis-à-vis de la Pologne. Tous s’accordent cependant sur un point : elle outrepasse son rôle lorsqu’elle prétend prendre part aux négociations décisives entre grandes puissances. Dès lors, l’intimité que la France lui refuse, c’est auprès de l’Allemagne que le colonel Beck va la chercher. A plusieurs reprises, le gouvernement polonais tente de participer à un éventuel Concert européen dont elle paraît de plus en plus incapable de prévenir le fait accompli. De la crise de Munich résulte, au début de l’année 1939, la tentation très réelle du Quai d’Orsay et de l’état-major de dénoncer unilatéralement ce qu’on a appelé l’alliance polonaise. » (p. 165) Alexandra Viatteau, pour sa part, s’attache à tordre le cou à des représentations partisanes en France de Piłsudski, en détaillant sa vision, sa stratégie et sa politique.
Georges-Henri Soutou présente la place de la Pologne dans la politique extérieure française pendant la Guerre froide. Il rappelle que : « Dès 1943, la France Libre fit un choix crucial pour l’avenir : le partenaire et l’allié le plus proche de la France après la guerre serait l’URSS, car elle seule partageait vraiment les soucis de la France à l’égard d’un éventuel redressement allemand. » (p. 250) C’est pourquoi dès 1944 le général Charles de Gaulle subordonne sa politique polonaise à sa politique envers l’URSS. La majorité des responsables parisiens comprennent cependant à partir de 1945 la réalité de la mainmise soviétique sur l’Europe orientale et en particulier la Pologne. A la fin des années 1940, on comprend dans les milieux dont le chef de file est Robert Schuman « que seule la fermeté occidentale, la construction d’une Europe occidentale liée aux Etats-Unis, la solution du problème allemand par la réconciliation franco-allemande et par l’intégration de la RFA à l’Europe de l’Ouest et à l’Occident permettrait d’obliger l’URSS un jour à libérer l’Europe orientale. Ce jour là la Pologne aurait toute sa place dans l’Europe unie. » (p. 256) G.-H. Soutou détaille ensuite les calculs de de Gaulle de retour au pouvoir et son voyage en Pologne en 1967, puis l’approche du président Georges Pompidou et les illusions du président Valéry Giscard d’Estaing.
G.-H. Soutou présente enfin le président François Mitterrand face à la réunification de l’Allemagne et à la fin de la Guerre froide. Il apporte ici une mise en perspective particulièrement intéressante, mettant en relation la réunification allemande et l’architecture européenne. « […], la première réaction de François Mitterrand fut de tenter de freiner la réunification allemande, qui à ses yeux compromettrait le statut de la France en Europe. Il comptait pour cela en particulier sur le processus dit ״ 2+4 ״, par lequel on désignait des négociations entre les Quatre et les deux Allemagne. En février 1990, il pensait qu’avec ״ 2+4 ״, la réunification prendrait des années. D’autre part, il chercha dans un premier temps à insérer la réunification dans la construction d’une Grande Europe incluant l’URSS : il le dit à Gorbatchev à Kiev le 6 décembre 1989 : ״ Il doit y avoir réunification mais dans le cadre d’une Grande Europe ״. D’où le 31 décembre suivant sa proposition d’une Confédération européenne comprenant l’URSS ; dans le même esprit, il voulait développer les structures de sécurité en Europe entre les deux pactes pour encadrer la réunification, ce qui rejoignait le concept de Maison commune de Gorbatchev, comme il le lui dit en mai 90 à Moscou. Cette grande Europe aurait été facilitée, dans l’esprit du président de la République, par la fin du communisme soviétique de type classique et l’apparition en URSS et en Europe de l’Est d’un communisme réformé compatible avec le socialisme démocratique de l’Europe occidentale. C’est dans cet esprit que dans son discours de Valladolid, en octobre 1989, il exhortait les peuples de l’Europe orientale à ne pas rejeter ״ les valeurs du socialisme ״. Cette grande Europe aurait d’autre part permis à la France d’encadrer la réunification allemande en accord discret avec l’URSS ; Paris aurait pu ainsi maintenir son rôle international dans la nouvelle situation, selon la conception d’ensemble rappelée plus haut, l’URSS réformée aidant la France à contrebalancer le poids de l’Allemagne et des Etats-Unis. » (p. 272) Si cette perspective pouvait passer pour « brillante » sur les quais de la Seine, il n’est pas surprenant que les peuples à peines sortis du joug de l’URSS aient préféré se rapprocher des Etats-Unis, via l’OTAN. Ce qui pèse – et pèsera – sur la PESD de l’Union européenne, dont ils sont – ensuite – également devenus membres. Reste à savoir comment dépasser ces contraintes pour renforcer l’Union européenne élargie.
Dans son avant propos, Piotr S. Wandiycz écrit avec raison : « Comme autrefois, la diplomatie polonaise est à la recherche d’un équilibre entre, cette fois, l’Union européenne et les Etats-Unis. » (p. 19) Quant à la France, effet secondaire des mutations géopolitiques de l’Europe post-guerre froide, elle se trouve contrainte de revoir sa posture à l’égard de l’OTAN.
Pour la mise en perspective des élargissements de l’Union européenne, voir aussi le livre de Pierre Verluise, Fondamentaux de l’Union européenne. Démographie, économie, géopolitique. Préface du recteur G.-F. Dumont. 10 cartes, 28 graphiques, bibliographie, index. Coll. Référence géopolitique. Paris : Ellipses, décembre 2008, 160 p. Voir
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