Paris : documentation Française, coll. Droit et Démocratie, 2000, 101 p. Il est ici question des rapports entre les Constitutions nationales et le droit européen. Qui l’emporte ?
VOICI LES CONTRIBUTIONS d’un colloque organisé par Droit et Démocratie, que préside actuellement Jacques Ribs. Une phrase de Noëlle Lenoir, membre du Conseil Constitutionnel illustre clairement le propos : "Depuis que je suis au Conseil Constitutionnel, peu de lois ont été examinées sans que soient mis en cause, de façon peut-être tout à fait indirecte ou implicite, le droit communautaire ou les principes de la Convention européenne" des droits de l’homme, signée le 24 novembre 1950 et ratifiée par la France … 24 ans plus tard.
Il est donc ici question des rapports entre les Constitutions nationales et le droit européen. Qui l’emporte ? Les juges ont tiré les conclusions des avancées - ou des abandons, c’est selon - des hommes politiques, pris en quelque sorte à leur propre jeu. Comme Nöelle Lenoir le souligne :"Ce ne sont pas les juges qui ont décidé de construire l’Europe. Celle-ci est la traduction d’une volonté politique dont les juges ont été nécessairement amenés à tenir compte" (p. 101). Le célèbre arrêt de la Cour de justice des Communautés européenne Costa / ENEL du 15 juillet 1964 en tire la conclusion suivante : "Issu d’une source autonome, le droit né du traité ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même".
Dès lors, pour reprendre la formulation du Conseiller d’Etat Jean-Pierre Puissochet :"en langage moins choisi, cela veut dire que la Cour invite le juge national, si vous m’autorisez l’expression, à "s’asseoir" sur les dispositions de son droit interne, et même sur les dispositions constitutionnelles, au moins d’ordre procédural, pour assurer l’application correcte de la disposition communautaire" (p. 80)
Autrement dit, si la justice est en France toujours rendue au nom du peuple français, le droit applicable et appliqué devient chaque jour davantage un droit issu d’une source extra française.
Michel Gentot, Président de Section honoraire au Conseil d’Etat, précise :"si le Conseil d’Etat continue à faire respecter par l’exécutif les normes nationales, notamment constitutionnelles, il le fait en intégrant les évolutions induites par la construction européenne. Comme juge, il donne toute sa place au droit européen dans le respect de la Constitution. Comme conseiller du Gouvernement, il participe étroitement à la mise en œuvre dans notre droit interne des traités européens et des actes dérivés" (p.13). En conséquence, le rapporteur au Conseil d’Etat doit commencer par se demander quelles sont les dispositions et règlements communautaires qui s’imposent dans le domaine dans lequel le Gouvernement souhaite légiférer ou réglementer. Si un projet de loi non conforme à un règlement ou une directive est voté par le Parlement, le Conseil d’Etat doit rappeler au Gouvernement qu’il pourra être écarté par le juge administratif comme par le juge judiciaire.
Avocat au Conseil d’Etat, Frédéric Thiriez soutient que l’intégration de la Convention européenne des droits de l’homme dans ce qu’on appelle le bloc de constitutionnalité est non seulement l’évolution la plus probable mais déjà une réalité. Formellement, il admet que ce n’est pas le cas, puisque le Conseil constitutionnel se refuse toujours à l’admettre et que la jurisprudence de 1975 considère qu’une loi qui serait contraire à un traité, y compris la Convention européenne, ne serait pas pour autant contraire à la Constitution. "Formellement donc, écrit-il, cette Convention ne fait pas partie du bloc de constitutionnalité. Mais n’est-ce pas un faux problème, dans la mesure où nos juges nationaux se reconnaissent le pouvoir d’écarter une loi qui serait contraire aux principes et aux droits des libertés reconnues par la Convention européenne des droits de l’homme ? Autrement dit, je soutiens que, même si formellement la Convention européenne n’est pas intégrée au bloc de constitutionnalité, matériellement elle l’est, depuis les arrêts J. Vabre et Nicole. La Convention européenne a bien valeur constitutionnelle, puisque la loi ne peut pas y être contraire et que seule la loi constitutionnelle le pourrait" (p. 36).
Ainsi, constate Didier Maus : "Entre chaque pays et l’Union européenne, il n’existe plus uniquement un lien politique. Le lien, désormais, est juridique, il est constitutionnel, il n’y a plus de raison qu’il disparaisse. Certains peuvent regretter ce constat. D’autres peuvent y souscrire avec des applaudissements. L’essentiel consiste à l’avoir présent à l’esprit" (p. 9). Résultat, ajoute-t-il, "la merveilleuse phrase de l’article 20 de la Constitution française :"Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation est de moins en moins vraie. Il existe de plus en plus un pouvoir d’association et non plus un pouvoir de décision.
En ce qui concerne le Parlement, on relève un dessaisissement progressif de ses compétences législatives nationales, mais en même temps un développement de sa participation à la législation communautaire à travers la transposition des directives européennes. Le protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l’Union européenne, annexé au traité d’Amsterdam, souligne la nécessité "d’encourager une participation accrue des parlements nationaux aux activités de l’Union européenne et de renforcer leurs capacités à exprimer leur point de vue". L’expression "encourager une participation accrue des parlements nationaux" sonne, d’une certaine manière, comme un acte de décès de la pleine compétence desdits parlements. Les parlements nationaux avaient jusqu’à maintenant le droit de légiférer comme ils le souhaitaient à l’intérieur de leur propre ordre juridique : désormais, ils sont les partenaires d’une procédure normative dont le centre de décision est ailleurs" (pp. 9-10).
Ancien membre du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat, François Luchaire constate :"Il y a donc dépossession volontaire du Parlement français" (p. 57). Les Français titulaires d’un mandat de député européen sont-ils, alors, assidus au Parlement européen ? Jacques Robert, ancien membre du Conseil constitutionnel en doute :"Nos députés ne sont jamais là. Tout le monde sait très bien que les députés français, à Strasbourg, sont en général absents quand on prend de grandes décisions" (p. 71), notamment à cause du cumul des mandats. Il est vrai que l’exemple vient de haut, puisqu’il arrive qu’après avoir participé à une décision à Bruxelles un ministre la dénonce à peine rentré chez lui, comme le produit scandaleux d’une bureaucratie apatride et irresponsable. Ce qui, bien sûr, est assez commode. Pour autant, la cohérence fait défaut et cela a un prix.
Jacques Robert, distingue - et cela n’a bien sûr aucun rapport - une évolution vers une sorte de pré-fédéralisme. "Nous sommes - plus ou moins déjà - dans une organisation supranationale : un cadre régional, des organes communs et permanents, un exécutif de haut niveau, un organe délibérant élu, une Cour de justice. Or, quelles sont les quatre caractéristiques de la supranationalité ? Premièrement un organe exécutif qui peut édicter des normes et des décisions dans le domaine de ses compétences (compétences qui ont été déterminées par l’acte conventionnel initial) ; deuxièmement, un pouvoir exécutif exercé soit à l’unanimité, soit, de plus en plus fréquemment, à la majorité qualifiée ou simple ; c’est, en troisième lieu, l’édiction de mesures s’imposant aux Etats membres sans formalités de réception particulières ; enfin, les normes et les décisions priment celles des Etats sur leur territoire. Nous avons donc dépassé le stade de la confédération qui fonctionne, comme chacun le sait, sur la base de l’unanimité. Nous l’avons dépassé parce que les organes confédéraux n’ont pas de pouvoir normatif, mais nous ne sommes pas encore une véritable structure fédérale, car la fédération a un caractère étatique et l’Union européenne n’est pas encore un Etat. Mais cette étape dite de la supranationalité est un pré fédéralisme et nous allons, que nous le voulions ou non, vers une structure qui sera de plus en plus une structure fédérale" (pp.66-67).
Cet ancien membre du Conseil constitutionnel constate que "la démocratie perd de plus en plus de terrain au profit des experts. Combien de questions, qui devraient faire l’objet d’une loi délibérée et votée par des représentants élus du peuple français, sont tranchées par le Conseil, souvent à la majorité qualifiée, sur étude et proposition d’une commission composée de hauts fonctionnaires qui n’ont aucune responsabilité devant le peuple ! (…) Il est parfaitement possible que, demain, les normes européennes portent atteinte aux garanties accordées aux citoyens et à l’organisation des pouvoirs publics d’un Etat membre. Sommes-nous sûrs que l’on ne portera pas atteinte demain aux principes de la laïcité française ou à l’indivisibilité de la République ? (p. 74)
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