L’Ukraine, un pays à la recherche d’une place entre l’Europe et la Russie

Par François LE MOAL, le 7 juin 2008  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Diplômé de l’IEP de Grenoble. Rédacteur au journal Europa.

Le 30 septembre 2007, les Ukrainiens étaient appelés aux urnes pour renouveler leur Parlement, soit seulement un an et demi après les dernières élections législatives, le 28 mars 2006, suite à la dissolution décidée par le Président Viktor Iouchtchenko, porté au pouvoir par la Révolution Orange en décembre 2004. Ainsi, après la volonté affichée de transformations rapides des institutions et d’ouverture à l’Europe, l’Ukraine semble encore marquer le pas et même hésiter sur le chemin à prendre pour son avenir. Mais qu’en est-il vraiment ? Où va l’Ukraine ? Pour y voir plus clair, retour sur 3 années rythmées de péripéties, de tensions et d’incertitudes…

DEPUIS SON INDEPENDANCE en 1991, personne ou presque n’était au courant de ce qui se passait en Ukraine. Quelques-uns savaient peut-être que c’est en Ukraine qu’a eu lieu la catastrophe de Tchernobyl, en 1986, du temps de l’URSS, et d’autres, amateurs de football, connaissaient sans doute Andreï Chevtchenko, mais rien de plus… jusqu’à un certain jour de novembre 2004.

La Révolution Orange et ses réalisations

Le 21 novembre 2004 se déroule le second tour de l’élection présidentielle, opposant le pro-européen Viktor Iouchtchenko, du parti Notre Ukraine, au Premier ministre Viktor Ianoukovitch, chef du Parti des Régions et soutenu par la Russie. La campagne électorale a été très dure, l’épisode le plus dramatique étant la tentative d’empoisonnement dont a été victime Viktor Iouchtchenko et, dont il porte désormais les séquelles sur le visage.

Conformément aux attentes, les oblasts – divisions administratives régionales de l’Ukraine – de l’Est, industriels et à majorité russophones, et la Crimée, ont largement voté en faveur de Viktor Ianoukovitch, tandis que l’Ouest, plus rural et ukrainophone, est acquis à la cause de Viktor Iouchtchenko. Les premiers résultats donnent Viktor Ianoukovitch vainqueur ; il est aussitôt félicité par Moscou. Mais de nombreuses fraudes ont été observées par l’OSCE. Viktor Iouchtchenko apparaît sur la Place de l’Indépendance, à Kiev, où se sont rassemblés ses partisans, accompagné de personnalités politiques qui le soutiennent, comme Ioulia Timochenko (Bloc électoral Timochenko) et Alexandre Moroz (Parti Socialiste ukrainien). Il ne reconnaît pas la défaite et se déclare nouveau Président de l’Ukraine.

L’Union européenne, par la voix du Premier Ministre néerlandais Jan-Peter Balkenende, qui assure alors la présidence tournante, ne reconnaît pas non plus les résultats, et Javier Solana, Haut représentant pour la politique étrangère de l’Union européenne, appelle les protagonistes à trouver une « solution politique négociée », puis se rend à Kiev dans cet objectif. Une Table ronde est organisée pour apaiser les tensions. Les médiateurs principaux sont Valdas Adamkus, Président de la Lituanie, et Aleksander Kwasniewski, Président de la Pologne. Les Polonais semblent les plus actifs pour dénouer les fils de la crise, la Révolution Orange leur rappelant sans doute un parfum de Solidarnosc, en 1980 ; Lech Walesa, ancien leader du mouvement et Président de la Pologne de 1990 à 1995, et Bronislaw Geremek, son ancien Ministre des Affaires Etrangères, actuellement député européen, feront d’ailleurs le voyage pour apporter leur soutien à la population qui résiste des jours durant dans le froid et la neige.

Finalement, le 3 décembre 2004, les résultats de l’élection sont annulés et un nouveau second tour est fixé au 26 décembre. Viktor Iouchtchenko l’emporte avec 52% des voix et nomme Ioulia Timochenko au poste de Premier Ministre. Le camp orange a triomphé et prend enfin le pouvoir.

Viktor Iouchtchenko réserve sa première visite de chef d’Etat à Vladimir Poutine afin de préciser ses intentions, et lui fait savoir qu’en aucun cas il n’est prêt à rompre les liens qui lient son pays à la Russie, « partenaire stratégique éternel de l’Ukraine ». Puis il se rend à Strasbourg, au Conseil de l’Europe, où il réaffirme son espoir d’intégration à l’Union européenne et à Cracovie pour assurer de la garantie des approvisionnements en pétrole en provenance de la Mer Caspienne à travers l’Ukraine, après la révélation d’un projet russe qui consisterait à utiliser le pipe-line Odessa-Brody, pour transférer le pétrole de Sibérie vers la Turquie La maîtrise du territoire ukrainien apparaît donc comme hautement stratégique pour chacun des ensembles régionaux – Union européenne et Russie -, et la direction politique prise par Kiev est ainsi suivie de très près par ses voisins et ses partenaires. Viktor Iouchtchenko multiplie les rencontres durant la première moitié de l’année 2005 et ses efforts semblent porter leurs fruits : un plan d’action pour l’établissement d’une zone de libre-échange avec l’Union européenne permettra l’adhésion de l’Ukraine à l’OMC et un protocole d’accord sur l’énergie est signé ; le GUAM (Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan, Moldavie) créé en 1996 pour contrecarrer l’hégémonie de la CEI, et donc de la Russie, est relancé pour une coopération en matière énergétique, alors que la Pologne et la Lituanie se joignent en août à l’Ukraine pour annoncer le lancement d’un « défi à Moscou », qui se traduit concrètement en décembre par la création de la Communauté de choix Démocratique : 8 pays – Estonie, Lettonie, Lituanie, Ukraine, Roumanie, Moldavie, Macédoine, Géorgie - se rassemblent pour réduire l’emprise de la Russie sur la région.

De son côté, le Premier ministre Ioulia Timochenko, l’égérie de la Révolution Orange, augmente les retraites de 57% et entreprend des réformes dans la fonction publique, dans le but d’atteindre les « standards européens », mais doit faire face à une très forte inflation (+15%) et une chute brutale de la croissance (2,6% contre 12,1% en 2004). Jouissant malgré tout d’une grande popularité auprès de la population, elle souhaite contester devant la justice les privatisations de 3000 entreprises réalisées au cours du mandat de Leonid Koutchma, le prédécesseur de Viktor Iouchtchenko, qui, lui, avait prévu de revenir seulement sur une quarantaine de cas litigieux… Alors qu’elle s’apprêtait à prendre en main ce dossier « chaud », elle est limogée en septembre 2005. Iouri Ekharounov, du parti Notre Ukraine, est nommé après un compromis avec les parlementaires du Parti des Régions. Mais ce changement de gouvernement surprenant est à rapprocher d’un évènement majeur dans la politique énergétique de l’Europe, la signature à Berlin entre le géant russe Gazprom et les compagnies allemandes E-On et BASF, d’un projet de construction d’un gazoduc entre la Russie et l’Allemagne sous la Mer Baltique, contournant ainsi l’Europe de l’Est et privant, l’Ukraine des redevances qu’elle perçoit sur le transit du gaz. Pour sa part, le nouveau Président polonais Lech Kaczynski fait allusion au pacte germano-soviétique de 1938 pour qualifier cet accord. Iouri Ekharounov aura la lourde tâche de poursuivre les réformes, tout en trouvant un meilleur équilibre entre la pérennité des liens avec la Russie et l’ouverture progressive sur l’Europe.

Le gaz russe à l’origine d’instabilités et d’incertitudes

La nouvelle stratégie mise en place n’empêche pas le déclenchement de la crise du gaz ; le 1er janvier 2006, la Russie décide de couper les robinets vers l’Ukraine pour lui rappeler que le contrat qui lui offrait des tarifs préférentiels sur l’énergie est rompu depuis juin 2005, selon la thèse officielle. Mais il faut surtout y voir une manœuvre politique de la part de Vladimir Poutine, qui ne s’est jamais remis de son échec lors de la Révolution Orange. Il a perdu le contrôle d’un pays de l’« étranger proche », qui plus est l’Ukraine, souvent considérée – à tort ou à raison – comme le berceau de la civilisation russe, et devant de ce fait être maintenue dans la sphère d’influence de Moscou. Rappelons que Vladimir Poutine, ancien membre du KGB, considère la dislocation de l’URSS comme « la plus grande catastrophe géopolitique du XXè siècle ». En utilisant l’« arme » du gaz, il a clairement voulu marquer les esprits des Ukrainiens – toute tentative politique d’éloignement par rapport à la Russie, et donc de rapprochement avec l’Occident, peut être source de danger – et a ainsi préparé le terrain pour le Parti des Régions de Viktor Ianoukovitch en vue des élections législatives du mois de mars, d’autant que le mécontentement au sein de la population est grand. Mais il est aussi parvenu à prouver aux Européens que la Russie, dont le sol regorge de gisements d’hydrocarbures à fort potentiel, est un partenaire indispensable en matière énergétique, d’autant plus que la question de la garantie des approvisionnements se posera de manière récurrente dans les années à venir avec la menace de la raréfaction des ressources. Les Polonais, les Hongrois, les Tchèques et les Slovaques, jusque-là largement dépendants de la Russie, ont décidé de prendre les devants en formulant une demande de diversification des approvisionnements auprès des institutions européennes.

Conformément aux prévisions, les élections législatives marquent un retour en fanfare de Viktor Ianoukovitch, qui recueille 32,14% des voix. En revanche, le parti du Président Viktor Iouchtchenko est sévèrement sanctionné lors de cette première consultation post-révolution, n’obtenant que 13,91% des suffrages. Il est même devancé par le Bloc Electoral de son ancien Premier Ministre Ioulia Timochenko, qui réalise un score de 22,29%. En terme de géographie des votes, nous nous retrouvons face à la même situation que lors de la présidentielle de 2004, avec le Parti des Régions solidement ancré à l’est du pays et le camp orange majoritaire à l’ouest, où l’on peut distinguer également deux zones, l’extrême ouest resté fidèle à Notre Ukraine et le centre-ouest autour de Kiev qui s’est orienté vers le parti de Ioulia Timochenko. Nous pouvons ainsi dire que nous n’avons plus seulement deux Ukraines, mais trois Ukraines. Loin derrière, le Parti Socialiste et le Parti Communiste obtiennent respectivement 5,69% et 3,66% des voix. Enfin, les autres formations, n’ayant pas passé la barre des 3% nécessaires pour siéger à la Verkhovna Rada, regroupent 22,31% des voix, un chiffre qui souligne le morcellement du paysage politique ukrainien et le désarroi d’une grande partie de la population qui se réfugie vers une autre forme de vote de protestation que le Parti des Régions.

Néanmoins, si nous additionnons les voix des partis qui ont participé au mouvement de décembre 2004 – Notre Ukraine, Bloc Timochenko, Parti Socialiste – nous obtenons un total de 41,89%, suffisant pour obtenir la majorité au Parlement ; l’esprit de la Révolution Orange, a certes, été ébranlé, mais il est toujours présent, et il s’agit plutôt d’un choix de personnalités, Ioulia Timochenko ayant été préférée à Viktor Iouchtchenko. Elle prend alors l’initiative des négociations pour la formation d’un nouveau gouvernement dont elle espère prendre la direction. Mais le Président n’a aucune envie de retrouver l’égérie de la Révolution Orange comme Premier Ministre, la considérant trop radicale et excessive dans ses promesses, et elle lui reprochant un manque d’ambitions dans la conduite des réformes. Malgré tout, un accord de principe de coalition gouvernementale est signé dans la semaine qui suit le scrutin. Nous pourrions alors supposer que le camp orange est enfin reconstitué, mais les tensions qui avaient rythmé la campagne électorale refont très vite surface : le Parti Socialiste, par la voix d’Alexandre Moroz, accuse Notre Ukraine de retarder l’entrée en vigueur de l’accord, et Ioulia Timochenko partage son sentiment, estimant que les hésitations de Viktor Iouchtchenko ont pour origine l’éventualité de sa nomination au poste de Premier Ministre.

Il faut attendre le mois de juillet 2006, après de multiples tractations, pour la formation d’un nouveau gouvernement. Après avoir longtemps songé à une dissolution du Parlement, Viktor Iouchtchenko profite finalement d’un retournement de situation de dernière minute qui écarte Ioulia Timochenko : le Parti Communiste, le Parti Socialiste et le Parti des Régions s’allient et constituent une majorité de 240 députés sur 450. Le leader pro-russe Viktor Ianoukovitch hérite ainsi du poste de Premier Ministre et Alexandre Moroz, pour sa part, devient Président du Parlement ; l’Ukraine entame alors une période de cohabitation. Afin d’éviter certaines crispations au cours de celle-ci, un « pacte d’union nationale » a été signé sur la conduite du pays, notamment sur les questions de politique étrangère ; le rapprochement avec l’Union européenne et le projet d’entrée à l’OMC ne sont pas remis en cause mais un référendum conditionnera l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, plutôt perçue comme une structure militaire qu’un organe de sécurité. Cet accord prévoit également « l’usage libre du Russe » pour la principale minorité ethnique et linguistique, très fortement présente à l’est.

Reprise du dialogue avec les Européens et maintien à distance vis-à-vis de la Russie

Or, dès février 2007 éclate une nouvelle crise politique. En effet, comme le craignaient certains experts, la cohabitation s’avère difficile et les députés du groupe Notre Ukraine, en désaccord avec la politique menée par le gouvernement, démissionnent les uns après les autres. Le Président Viktor Iouchtchenko, après avoir arraché l’accord de Viktor Ianoukovitch, décide en avril de dissoudre le Parlement ; les élections législatives sont fixées au 30 septembre 2007.

Pour la seconde fois en un an et demi, les Ukrainiens sont appelés aux urnes. Pour la plupart, il s’agira plutôt d’un vote par défaut que par conviction, car beaucoup de ceux qui ont participé à la Révolution Orange sont très déçus : certes, la démocratie et la liberté d’expression en sont ressorties renforcées, mais la vie quotidienne est de plus en plus difficile. Viktor Iouchtchenko est le premier visé par les critiques et s’attend à un nouvel échec pour son parti.

Le Parti des Régions demeure le premier parti ukrainien, avec 34,37% des voix, mais perd 11 sièges. Le Bloc Timochenko suit de près, avec 30,71% des suffrages et est incontestablement le grand vainqueur de ces élections. Quant à Notre Ukraine, le parti du Président, il se stabilise à 14,15%. Deux petites formations entrent aussi au Parlement : le Parti Communiste qui a progressé pour atteindre 5,39%, et le Bloc Litvine, aux positions politiques peu claires, avec 3,96%. En revanche, le Parti Socialiste chute à 2,86%, payant sans doute sa participation au gouvernement précédent, et ne sera plus représenté au Parlement.

Cette fois, Ioulia Timochenko apparaît plus légitime et propose la formation d’un gouvernement composé de membres de son parti et de Notre Ukraine. De son côté, Viktor Iouchtchenko avance l’idée d’une grande coalition entre les trois grandes formations, donc avec le Parti des Régions de Viktor Ianoukovitch, afin de préserver l’unité du pays, mais « la dame de fer » menace de retourner dans l’opposition si cette idée prenait forme. Les tractations risquent donc de se prolonger à nouveau pendant quelques semaines. La Russie, par l’intermédiaire de Gazprom, s’invite aux négociations en brandissant la menace de réduction des livraisons de gaz si l’Ukraine ne rembourse pas sa dette. Certains voient à travers cette intervention un moyen de pression pour éviter le retour de Ioulia Timochenko, d’autres la considèrent comme une simple recommandation avant le pic de consommation hivernal. La Commission européenne appelle les deux parties à trouver un terrain d’entente le plus rapidement possible pour ne pas se trouver dans la même situation qu’au début de l’année 2006. Un accord est finalement signé dans le courant du mois de décembre.

Entre-temps, le 5 octobre 2007, Viktor Iouchtchenko se rend à Paris pour rencontrer Nicolas Sarkozy et n’assiste donc pas à Douchanbe, la capitale du Tadjikistan, au dernier sommet de la CEI avec Vladimir Poutine en tant que Président de la Fédération de Russie. Le 10 octobre, il est convié par son homologue lituanien Valdas Adamkus à la « Conférence de Vilnius sur la sécurité énergétique 2007 : une énergie responsable pour des partenaires responsables », conférence au cours de laquelle il est question du développement de la politique énergétique de l’Europe, plus particulièrement entre la Pologne, les pays baltes et les états membres du GUAM. Enfin, le 21 octobre 2007, les élections législatives polonaises sont remportées par le parti libéral Plateforme Civique (PO) de Donald Tusk, qui devient Premier Ministre. Celui-ci souhaite abandonner les méthodes de Jaroslaw Kaczynski – frère jumeau du Président Lech Kaczynski – et avoir des relations plus apaisées avec l’Allemagne et la Russie, participer plus activement à la construction européenne en étant l’un des premiers états membres à ratifier le Traité de Lisbonne, mais également développer des relations constructives avec l’Ukraine et la Géorgie, afin de contribuer à la politique de voisinage de l’Union européenne. En peu de temps, l’Ukraine semble être de plus en plus sollicitée par l’Europe communautaire et adhère volontiers à la PEV.

Le retour de Ioulia Timochenko, mais le cœur n’y est pas vraiment

Le 22 novembre 2007, quelques centaines de personnes se rendent sur la Place de l’Indépendance, à Kiev, pour célébrer le troisième anniversaire de la Révolution Orange, mais nous sommes bien loin de la foule en liesse, qui rêvait de jours meilleurs. Beaucoup critiquent la classe politique qui n’a pas tenue ses promesses en terme de lutte contre la corruption, de réforme des institutions et d’augmentation des salaires, et qui s’est surtout enfermée dans ses querelles intestines durant ces trois années, et même encore pour la nomination du gouvernement, certains députés pro-occidentaux de Notre Ukraine ne souhaitent pas voter en faveur de Ioulia Timochenko puisque son retour au pouvoir pourrait lui servir de tremplin à l’élection présidentielle, qui aura lieu en 2010 ou en 2011, contre Viktor Iouchtchenko. C’est seulement le 18 décembre 2007 qu’elle est nommée Premier Ministre.

L’Ukraine repart donc avec le même « duo » qu’il y a trois ans, juste après la Révolution Orange et semble reprendre le chemin qui la mène progressivement vers l’Europe. Mais les divergences de points de vue sur certains sujets cruciaux se multiplient et nuisent à la crédibilité du pays en dehors de ses frontières. Ainsi, alors que Viktor Iouchtchenko signe avec Vladimir Poutine à Moscou le 12 février 2008 un accord pour le remboursement de la dette gazière de 1,5 milliard de dollars, Ioulia Timochenko indique qu’elle n’en tiendra pas compte et est prête à de nouvelles négociations ultérieurement. Gazprom rappelle à l’ordre l’Ukraine le 3 mars 2008 par une réduction de 25% de ses livraisons de gaz. Deux jours plus tard, la « dame de fer » conclut un accord qui met un terme à cet ultime litige entre le deux pays. En outre, dans l’espoir d’une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN lors du sommet de Bucarest, en Roumanie, du 2 au 4 avril 2008, Viktor Iouchtchenko multiplie les rencontres avec ses homologues des pays membres de l’Alliance Atlantique. Ses principaux soutiens proviennent des anciens pays satellites de l’URSS, en premier lieu la Pologne. Une réunion des Ministres des Affaires Etrangères des 26 états membres se tient au siège de l’OTAN à Bruxelles le 6 mars 2008 pour faire un état des lieux. Il est peu probable que la demande de l’Ukraine, tout comme celle de la Géorgie, soit rapidement satisfaite. Pour l’Europe et les Etats-Unis, cet élargissement aux portes de la Russie serait inopportun et le temps serait plus favorable à l’ouverture du dialogue avec le nouveau Président Dimitri Medvedev, élu le 2 mars 2008. Le 12 février, Vladimir Poutine avait menacé de pointer ses missiles sur l’Ukraine si des bases de l’OTAN y étaient installées. Ioulia Timochenko, pour sa part, se montre prudente et propose l’organisation d’un référendum sur la question, sachant que la majorité de la population est hostile à l’adhésion. La bataille pour les prochaines élections présidentielles paraît déjà lancée.

Entre difficultés et lueurs d’espoir

Beaucoup de problèmes devront aussi être réglés d’ici là. L’Ukraine est en effet un pays malade, affecté de symptômes multiples. Nous avons évoqué les luttes de clans de la classe politique, la corruption et la très lente amélioration du niveau de vie, mais nous ne devons pas oublier la situation démographique catastrophique, avec le taux de natalité le plus bas d’Europe, deux fois inférieur au taux de mortalité, l’émigration, véritable hémorragie, qui lui a fait perdre 7 millions d’habitants depuis la chute de l’URSS, et les 600 000 personnes porteuses du virus du SIDA. Un rapport de l’ONU publié en 2001 prédisait une baisse de 40% de la population d’ici 2050. Il est presque inutile de rappeler que l’Ukraine porte encore pour longtemps les conséquences environnementales et sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl, tellement celle-ci lui colle à la peau. Ses mines comptent parmi les plus meurtrières du monde, et un coup de grisou qui a fait 80 victimes dans la mine Zasiadko, près de Donetsk, dans la région du Donbass nous l’a malheureusement rappelé récemment. Son industrie héritée du régime communiste est souvent obsolète et source de pollution.

Mais il existe quelques lueurs d’espoir : l’agriculture commence sa modernisation et pourrait refaire de l’Ukraine le « grenier à blé » qu’elle était à l’époque soviétique. Les investisseurs étrangers misent sur son potentiel économique et permettent une plus grande diversification de l’industrie : les IDE des entreprises de l’Union européenne sont passés de 230 millions d’Euros en 2003 à 5,5 milliards d’Euros en 2006, alors que, par exemple, le géant indien de la sidérurgie Mittal a racheté la première aciérie ukrainienne en octobre 2005. Par ailleurs, l’adhésion de l’Ukraine à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) le 5 février 2008 a permis l’ouverture des négociations pour la mise en place d’une zone de libre-échange avec l’Union européenne. Enfin, dans un registre totalement différent, s’agissant du sport, l’Ukraine, en collaboration avec la Pologne, s’est vue attribuer à la surprise générale l’organisation du championnat d’Europe de football des nations de 2012, l’Euro 2012. Cette distinction est porteuse de symboles forts puisqu’elle est un moyen comme un autre de rapprocher l’Ukraine de l’Europe par l’intermédiaire de la Pologne et de montrer qu’elle y a toute sa place. Le défi est immense en terme d’infrastructures et le projet a déjà pris du retard, mais il peut être un élément favorable à la cohésion du territoire, à la valorisation de l’image du pays, à son essor économique. Il présente aussi une occasion de ressouder la population autour d’un enjeu collectif.

Copyright mai 2008-Le Moal / www.diploweb.com

La rédaction remercie A. Bon


Plus à ce sujet : Pierre Verluise, 20 ans après la chute de Mur. L’Europe recomposée, Paris : Choiseul, 2009. Voir


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