Présentation du livre dirigé par Marc Lazar, L’Italie contemporaine de 1945 à nos jours, Paris, Fayard, Les grandes études internationales, 2008.
L’approche plurielle proposée ici permettra à tout un chacun, connaisseur ou non de l’Italie, d’aborder, outre ses aspects les plus contemporains, ce pays méditerranéen dans ce qu’il a de plus passionnant : son art de mêler le nouveau et l’ancien.
L’ITALIE n’a cessé de nous surprendre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ses capacités à rebondir tant dans le domaine politique qu’économique lui ont souvent permis d’offrir l’image d’un pays dynamique, capable même d’anticiper et de vivre des expériences originales. A ce titre la figure du « cavaliere », depuis le milieu des années 1990, continue de nous interpeller sur un pays et une population qui paradoxalement nous sont à la fois familiers et méconnus à bien des égards. C’est tout le mérite de cet ouvrage collectif de proposer un panorama sur l’Italie actuelle avec ses héritages, mais aussi ses expériences propres qui lui ont permis d’affirmer sa singularité en Europe, tout en levant le voile sur de nombreux clichés. La profonde modernisation qu’a connu l’Italie depuis la fin du second conflit mondial a induit un certain nombre de bouleversements dans de nombreux domaines. En matière de mutation, l’intégration de l’Italie dans l’Europe et plus largement dans la mondialisation ont un impact qu’il est encore difficile de mesurer. Cependant, au-delà des ruptures, des permanences subsistent dans la péninsule et continuent d’avoir des effets structurants sur l’évolution du pays.
A partir de 1945, après une phase de reconstruction, l’Italie entre dans une période de haute croissance. A cette période faste, on a pu donner le nom de « miracle italien ». Des années 1950 aux années 1970, au-delà du contexte globalement favorable des « 30 Glorieuses », une partie des recettes de la croissance fut puisée dans le caractère propre de l’Italie, en particulier dans l’appel à une main d’œuvre nombreuse et peu coûteuse des provinces du sud. Grâce à un marché intérieur stimulant, ainsi qu’à un réseau dense de PME jouxtant de grands groupes à la capacité mondiale, l’Italie a rapidement retrouvé sa place de puissance européenne dans le monde. Une telle modernisation a occasionné une série de mutations sociales et culturelles sensibles dans le pays.
Du point de vue démographique, par exemple, l’Italie, assez faussement réputée pour son modèle de la famille nombreuse, est devenue un des pays les moins dynamiques d’Europe. De même, d’un « réservoir » de migrations, elle s’est transformée en quelques décennies en un grand foyer d’accueil, gérant d’ailleurs avec difficulté des flux migratoires sans cesse plus importants. Désormais, la baisse de la fécondité est manifeste en Italie mais sans pour autant remettre en cause la famille qui reste une cellule de référence encore très structurante.
La société italienne, à l’instar des autres sociétés des pays développés, a subit de profonds changements depuis 1945. L’individualisation comme la sécularisation des comportements n’ont cessé de gagner du terrain. De même, l’introduction récente et assumée d’une certaine « vulgarité », en particulier dans la sphère politique, comme rejet d’un certain « classicisme », modifie à la fois le paysage et le message politique. A l’opposé depuis les années 90, on note un accroissement de la participation des élites intellectuelles à la vie politique.
Le territoire italien, à son tour, n’a pas été exempt de mutations. L’image d’une Italie coupée en deux semble désormais dépassée. La naissance d’une « troisième Italie » positionnée entre le nord et le sud de la péninsule, avec son cortège de « districts industriels », constitue en effet une rupture territoriale considérable. De même, si la question du « Mezzogiorno » a pu longtemps hanter l’Italie, une nouvelle « question septentrionale », dont l’élément le plus visible est contenu dans la « Ligue du nord », parait désormais prendre toute sa place.
Une des évolutions les plus marquantes de la péninsule est celle qui concerne la sphère politique. Un tournant semble en effet avoir été pris au début des années 90 dans le cadre de l’opération « mains propres ». A cette occasion, surgissent dans la vie politique, nombre de juges, et d’universitaires devant lesquels le personnel politique traditionnel semble faire place nette, avant d’opérer cependant un retour marqué au milieu de la même décennie, dans la personne de Silvio Berlusconi. Avec le « cavaliere », le système politique italien parait avoir évolué dernièrement vers une plus grande personnalisation du pouvoir, mais aussi vers une forme de bipolarisation de la vie politique. L’Italie, après avoir « digéré » l’héritage difficile du fascisme, et après avoir expérimenté une « première » République fondé sur un partage du pouvoir entre différents partis de masse, évoluerait-elle vers une « deuxième » République qui ne dit pas encore son nom, une République « médiacratique » au fédéralisme de plus en plus accentué ?
Au-delà des métamorphoses, l’Italie conserve un certain nombre de traits qui lui sont propres. Mafia, clientélisme et corruption restent par exemple trois éléments structurants de l’Italie contemporaine. Malgré l’offensive menée par l’Etat, les mafias italiennes restent très actives dans la péninsule comme le montre le scandale récent de la « gestion » des déchets dans la région de Naples. Au caractère inéluctable de la mafia, s’ajoutent les phénomènes du clientélisme et de la corruption qui semblent encore tout aussi endémiques dans la péninsule.
De même, si les rapports entre l’Etat et l’Eglise ont pu évoluer depuis les accords du Latran de 1929, la présence et l’action de l’Eglise dans tous les domaines de la vie en Italie, restent, malgré les progrès de la sécularisation de la société, une spécificité italienne, et montrent que cette dualité n’a pas fini d’être une constante dans la péninsule.
Quant à la question méridionale, malgré toutes les évolutions, elle n’a pas été gommée pour autant. Elle semble, elle aussi, tout à fait récurrente.
A bien des égards, l’Italie contemporaine ne se distingue pas de ses voisins et partenaires européens. Du point de vue politique, elle n’est pas la seule à vivre l’expérimentation d’un enchevêtrement, voire d’une confusion, entre politique et médias, même si, bien sûr, cette expérience, incarnée dans la personne de Silvio Berlusconi, semble chez elle la plus aboutie.
Dans un tout autre registre, si l’Italie s’est souvent montrée une des plus enthousiastes dans la construction européenne, elle a dû souffrir, à chaque échéance, d’une remise à niveau de ses « compteurs », qui n’a pas été sans poser de nombreux problèmes. A cet égard, les dernières contraintes de la monnaie unique, en ôtant à l’Italie son levier monétaire, semblent particulièrement peser sur son économie et partant, sur ses capacités à renouer avec la croissance. En effet, l’Italie présente aujourd’hui, par opposition à nombre de ses voisins, des éléments de faiblesse susceptibles de freiner son économie : un système scolaire et universitaire insuffisants et une propension à innover trop réduite.
L’approche plurielle qui nous est proposée ici, permettra donc à tout un chacun, connaisseur ou non de l’Italie, d’aborder, outre ses aspects les plus contemporains, ce pays méditerranéen dans ce qu’il a de plus passionnant : son art de mêler le nouveau et l’ancien.
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Plus : les co-auteurs Autour de Marc Lazar, professeur d’histoire et de sociologie politique à Sciences Po et à la Luiss (Rome), ont participé à cet ouvrage : David Alcaud, Jacques Andréani, Frédéric Attal, Christophe Bouillaud, Bruno Cousin, Philippe Dagen, Fabrice d’Almeida, Paul Dietschy, Catherine Drubigny-Saraceni, Jean-Dominique Durand, Didier Francfort, Mario Fusco, Jean-Yves Frétigné, Alessandro Giacone, Jean A. Gili, Jacques Le Cacheux, Marie-Anne Matard-Bonucci, Pierre Milza, Paola Monperrus-Veroni, Pierre Musso, Marco Oberti, Gilles Pécout, Hervé Rayner, Christophe Roux, Isabelle Sommier, Colette Vallat, Antoine Vauchez, Eric Vial.
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