Paris : Hors Commerce, mars 2004, 327 p. Dans ce livre l’auteur publie des informations inconnues du public au sujet des réseaux des services secrets et des mafias russes en France. Après la lecture de cet ouvrage, nul ne pourra dire : « Personne ne l’a fait savoir en temps utile ». En revanche, si rien n’est fait, chacun pourra envisager pourquoi.
LA REELECTION de Vladimir Poutine à la présidence de la Fédération de Russie, en mars 2004, donne à cet ouvrage une utilité indéniable pour appréhender les prochaines années. Tout dirigeant devrait lire cette enquête pour savoir à qui il a affaire. Le livre sera également précieux aux lecteurs nés depuis 1980, pour qui le système soviétique reste parfois difficile à appréhender. Ce qui gêne leur perception des ruptures et des continuités de la Russie post-soviétique. En effet, l’auteur brosse un tableau remarquable des vingt dernières années. Elle aide à cerner des paramètres par nature obscurs : les jeux des services secrets et des mafias russes.
Docteur en Etudes slaves des Langues Orientales et politologue au Centre National de la Recherche Scientifique, Hélène Blanc étudie ces phénomènes depuis longtemps, ce dont la richesse des sources citées rend compte. Criminologue, l’auteur dispose des compétences nécessaires pour appréhender des processus complexes mais essentiels pour expliquer ces réalités contemporaines.
Hélène Blanc présente ainsi la Russie de la période 1982-2004 : « Celle-ci s’avère décisive, puisqu’elle subit tour à tour les bouleversements de la Perestroïka, la chute du communisme soviétique, l’effondrement de l’URSS, le passage de la Fédération de Russie à « l’économie de marché » pour se terminer par l’avènement officiel du FSB (l’ex-KGB) à la tête de la Russie en la personne de Vladimir Poutine. Qu’on le veuille ou non, le KGB demeure le fil rouge aidant à percer bien des mystères, à première vue, inexplicables… » (p. 9)
En effet, la présence des services secrets à la tête du pays remonte à 1982, avec la nomination de Youri Andropov au poste de Secrétaire général du Parti communiste d’Union soviétique. « Le choix d’Andropov officialise précisément le fait que les services secrets avaient, enfin, arraché le pouvoir au Parti communiste. » (p. 15) Le bras armé du régime s’est promu maître d’un pays-continent. Il peut alors « multiplier par deux, trois ou plus, la puissance de son réseau d’espionnage à l’étranger. » (p.16)
Après la mort de Y. Andropov et l’intermède de Konstantin Tchernenko vient le tour de Michkaïl Gorbatchev, nommé Secrétaire général du Parti communiste en 1985. Il s’agit, lui encore, d’un homme des services secrets. Très bien informé de l’état délabré de l’URSS et des aimables phantasmes occidentaux au sujet de son pays, il relaie un discours conçu sur mesure. La crédibilité perdue de la voix du Kremlin est alors reconstruite par la Glasnost – remarquable opération de désinformation – pour faire accepter sans débat l’idée d’une Perestroïka peu comprise en Occident. Hélène Blanc cite à ce propos Nicolas Jallot : « En fabriquant la Perestroïka, le KGB comprend que la seule solution pour redynamiser l’Union soviétique est d’abandonner l’Europe centrale. » (p. 18) Après la chute du Rideau de fer, l’homme des services secrets soviétiques gagne un prix Nobel.
Peut-être parce que les années Gorbatchev (1985-1991) sont celles d’une formidable poussée des services secrets soviétiques et … des mafias de cette zone. En effet, celles-ci tirent largement bénéfice des « réformes » applaudies à grands cris par l’Ouest. Ces structures criminelles jouent dans le même temps un rôle important dans la mise en œuvre de la stratégie de fuite des capitaux organisée par les services secrets soviétiques pour remettre à terme la Russie dans une situation plus favorable.
Hélène Blanc éclaire ensuite les zones d’ombres du peudo-putsch d’août 1991, puis le départ de M. Gorbatchev en décembre 1991. Depuis quelque temps déjà, le nouvel homme fort est Boris Eltsine. Après avoir joué un rôle déterminant dans l’implosion du système soviétique le 8 décembre 1991 – soit trois jours après l’artificielle suspension de paiement de la dette extérieure soviétique – Boris Eltsine met en œuvre un série de privatisations qui éblouissent les Occidentaux. Sous couvert de passage à l’économie de marché, les néo-nomenklaturistes et les mafias accaparent le bien public, avec la bénédiction des services secrets.
Les années Eltsine (1991-1999) sont celles de « La Russie oligarchique », titre du deuxième chapitre. 80% de la population est rejetée sans ménagement en dessous du seuil de pauvreté, tandis que l’essentiel des richesses de cet immense pays se trouve détenu par 2 à 7% de la population. « Entre ces deux nouvelles catégories sociales, s’installe un parasite occulte qui prospère grâce au capitalisme sauvage : le racket devient en effet une industrie très florissante. » (p. 71) Le nombre de chefs d’entreprise et de banquiers froidement abattus devient également impressionnant, ce qui consolide l’emprise des mafias sur la sphère productive puisqu’elles vendent une « protection ». Quelques années après l’effondrement de l’URSS, les différents clans maffieux hérités du soviétisme contrôlent 50 à 80% de l’économie, selon les estimations. « Insidieusement, la Russie se mue en Etat oligarchique au capitalisme mafieux. L’idée même de « démocratie » s’en trouve totalement discréditée dans l’opinion. Et ce, à long terme. » (p. 92)
Pendant ce temps, une cellule de « relations publiques » relayée par les réseaux implantés à l’Ouest présente le KGB comme affaibli pour mieux faire accroire qu’il ne représente plus aucune menace ni pour la Russie, ni pour l’Occident. Celui-ci baisse la garde avec un soulagement évident. Pourtant, « l’ex-KGB gouverne secrètement le pays. Par l’entremise d’Alexandre Korjakov, par exemple, confident et garde du corps (de B. Eltsine), qui le suit comme son ombre ou de son fidèle ami, Mikhaïl Barsoukov, incidemment patron des services secrets. » (p. 85)
Comment comprendre les relations entre les services secrets et les mafias russes ? Un esprit mal informé a tendance à penser qu’il s’agit par nature de structures ennemies, les services combattant par définition les mafias. Les experts occidentaux voient pourtant la situation autrement. L’auteur cite à ce propos B. Schmidbauer, secrétaire d’Etat chargé de coordonner les services de renseignements allemands : « Nous avons la certitude que des membres de l’ancien KGB jouent aujourd’hui (1994) un rôle important dans le secteur du crime organisé, que les structures du KGB participent activement aux trafics de drogues, d’armes, de matières nucléaires, de traite des Blanches et fabriquent de la fausse monnaie. » (p. 86)
En outre, les officiers des services spéciaux se présentent par milliers aux élections régionales et fédérales russes. Bien documentés, ils remportent souvent le siège escompté et gagnent ainsi une onction démocratique du meilleur effet. Sergueï Grigoriants, expert des services secrets soviéto-russes confie ainsi en 1999 : « Bientôt, la Douma votera peut-être selon les ordres du FSB… » (p.91)
Boris Eltsine ayant rempli son office, les clans qui constituent le pouvoir réel derrière le rideau de fumée organisent sa sortie. La guerre de Tchétchénie relancée en août 1999, un homme des services spéciaux se fait une image séduisante pour l’électorat russe en promettant aux Tchétchènes les pires sévices. Il est ensuite nommé président intérimaire, puis candidat à la présidence. La stratégie électorale conçue en haut lieu semble parfaitement adaptée au milieu, puisque Vladimir Poutine est élu une première fois en 2000. Sa menace a été – il est vrai - immédiatement mise à exécution à l’encontre des Tchétchènes. Voilà un homme qui tient ses promesses électorales, comme l’ouvrage d’Anna Politkovskaïa, Tchétchénie, le déshonneur russe (Buchet/Chastel, 2003) le démontre amplement. Cette stratégie est tellement pertinente qu’elle fonctionne même une deuxième fois, en 2004. Pour autant, s’agit-il d’une « démocratie » comme nous la concevons ?
Hélène Blanc répond : « Il faut cesser de considérer la Russie comme une démocratie. En 2004, la Russie n’est ni un Etat de droit (pas encore), ni un Etat démocratique. Plus que jamais, la Russie de Poutine, héritière de l’Union soviétique, reste un Etat de force. » (p. 124) Le chapitre 4 présente une biographie édifiante de V. Poutine pour qui s’intéresse à lui.
Le dernier chapitre met noir sur blanc – probablement pour la première fois - des informations inconnues du grand public au sujet des réseaux des services secrets et des mafias russes en France. Il importe de lire par soi-même les pages 262 à 316. Grâce à sa formation spécialisée en la matière, l’auteur détaille notamment la présence des Russes dans le tissu économique français. Déterminés à infiltrer notre économie, il est clair que les Russes veulent aussi le pouvoir politique. Pour cela, ils appliquent des modes opératoires ayant largement fait leurs preuves : influencer ou corrompre les élites tels que les spécialistes, intellectuels, fonctionnaires, journalistes, hommes politiques, syndicalistes, artistes, etc.
Hélène Blanc révèle ainsi comment un député ayant été ministre de la République, candidat à l’élection présidentielle, a été approché par ces milieux pour financer sa campagne dans l’intention de le tenir ensuite. Quelques jours après la mise en libraire de l’ouvrage, son nom a été révélé. Il s’agit de François Bayrou, dirigeant de la nouvelle UDF ! Il faut saluer celui-ci pour avoir apporté ce témoignage. En France comme dans d’autres pays de l’Union européenne, « l’infiltration gagne du terrain ». Il serait judicieux que les politiques donnent aux services compétents les moyens nécessaires pour préserver la démocratie des dérives induites par le développement de la corruption au sein des structures nationales et communautaires. L’élargissement du 1er mai 2004 à des pays marqués par quatre décennies de communisme, avec un indice de perception de la corruption généralement élevé, fait de cette tâche une urgence majeure. D’autant que les liens entres maffias et terrorismes sont avérés.
Après la lecture de cet ouvrage, nul ne pourra dire : « Personne ne l’a fait savoir en temps utile ». En revanche, si rien n’est fait, chacun pourra envisager pourquoi.
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