Irak : l’improbable réconciliation

Par Mokhtar LAMANI, le 30 août 2009  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Fonctionnaire international marocain, ancien ambassadeur de la Ligue des pays arabes en Irak, actuellement Senior Visiting Fellow au Centre for International Governance Innovation (CIGI, Canada, Ontario)

DEBUT juillet 2009, le vice président américain Joe Biden, investi de la difficile tâche d’accélérer le processus de réconciliation nationale, a effectué une visite terne et incomplète en Irak. Terne au vu de ses maigres résultats, et incomplète car on ne peut agir en matière de réconciliation nationale en Irak en ne considérant que les partis gouvernementaux ; continuant ainsi à ignorer les Irakiens qui avaient refusé la participation à tout processus politique sous occupation.
C’est pourquoi la visite du vice Président, n’a fait que confirmer les incertitudes quant à l’avenir de l’Irak et l’extrême fragilité de sa situation. Pire cette visite n’a eu aucun effet démontrant l’incapacité grandissante des américains en Irak. Les violences ciblant la population civile s’accentuent à la veille des élections législatives qui ne semblent pas convaincre la majorité des irakiens que le bout du tunnel est proche.

Ainsi, il est inapproprié d’aborder la question de réconciliation nationale en Irak sans reconnaître le caractère structurel de sa problématique. Comme voie de rédemption, elle est de tous les discours qu’ils soient du pouvoir en place, de ses opposants, de la puissance occupante, des bailleurs de fonds ou des différents antagonistes.

Aux problèmes qui opposaient les Irakiens, après 2003, entre adeptes et adversaires d’un processus politique sous occupation, s’en sont ajoutés d’autres, fragmentant tous les acteurs, morcelant ainsi la société irakienne à un niveau sans précédent. Il faut dorénavant évoquer la nécessité d’une pléthore de réconciliations. Réconciliations qui requièrent au préalable l’acceptation d’un projet politique inclusif, assurant la participation de tous les Irakiens, édifiant une nation sur le principe de la citoyenneté et garantissant la pluralité et la justice pour tous. La fragmentation politique irakienne actuelle a évolué dans un climat de méfiance totale et d’absence quasi absolue de tout dialogue sérieux entre les différents acteurs.

L’environnement tant régional et qu’international ne semble pas, par ailleurs, en faciliter les tâches :

. La nouvelle administration américaine, tout en n’admettant pas la défaite totale de la précédente en Irak, entame une nouvelle approche timide sans pour autant oser suggérer une stratégie alternative d’ensemble.

. L’Iran qui s’est incontestablement assuré une relative main mise sur l’échiquier irakien, ne peut pas pour autant se relaxer sur son « rocking chair », sa situation tant régionale qu’interne demeure critiques.

La réconciliation en Irak doit être un acte de volonté et non une imposition. Cela ne saurait se réaliser sans une prise de conscience décisive et courageuse de toutes les parties à se libérer des tenailles de la haine et des violences pour se reconnaître les unes les autres.

En outre, les irakiens ont besoin d’une tierce partie apte à les aider à dialoguer avant toute négociation sérieuse susceptible de dégager un consensus national. L’ONU ne semble malheureusement plus en mesure de jouer ce rôle. Les Américains ont délibérément contourné tout rôle à l’ONU dès l’invasion de l’Irak en mars 2003. Cette dernière aurait pu être la seule habilitée à jouer un rôle rassembleur en matière de réconciliation nationale.

Les Américains ne se sont pas seulement contentés de marginaliser l’ONU dans le processus d’intervention militaire, mais ils ont aussi refusé de lui confier la gestion de l’après-guerre.

Leur gestion de la situation fût malheureuse, pour ne pas dire catastrophique, donnant sans cesse raison à la boutade de Winston Churchill que « les États-Unis finissent toujours par trouver la bonne solution, mais seulement après avoir épuisé toutes les mauvaises ». Cette gestion de fortune poussera les Américains à agir autrement en concédant des rôles timides à l’ONU, bien accommodés à leur intérêts, vu l’ampleur des problèmes et des complications sur le terrain. Ainsi l’action de l’ONU est demeurée sans aucun effet ni éclat, confirmant ainsi l’altération de sa crédibilité et par là même, celle de l’action multilatérale dans une région des plus fragile.

Les différentes résolutions du Conseil de Sécurité sur le mandat de l’ONU en Irak n’ont suscité que des interrogations, sur leur pertinence, efficacité, voire leur faisabilité. La mission de l’ONU était plus vouée à aider l’administration américaine de l’époque que d’assister le peuple irakien à se rétablir de sa douloureuse et longue agonie.

Toutes les conférences de réconciliation organisées jusque-là n’ont été que leurres. Certaines comme celle d’Helsinki dont le document final a été signé uniquement pas des membres du Parlement. Fallait-il faire le voyage à Helsinki pour un tel document dont les signataires se rencontrent quotidiennement aux palais des congrès de Bagdad ?
La plupart de ces documents continuent de réaffirmer « l’impossibilité de se réconcilier avec ceux dont les mains sont tachées par le sang des innocents » mais l’on est en droit de se demander : durant les 50 dernières années, qui en Irak n’a pas ses mains tachées ?
La normalisation politique et institutionnelle, comme priorité, doit prôner un réel « désarmement des cœurs » qui aiderait les Irakiens – tous les Irakiens – à comprendre que la stabilité et la pérennité de leur pays doivent passer par l’entente. Cette entente est la seule garantie de l’immunisation de l’Irak de l’intérieur.

Il s’est avéré impossible de maintenir un Irak stable, sous l’autorité d’un État unitaire et centralisé, sans l’usage excessif et brutal de la force. D’autre part, la transition de ce centralisme à une large décentralisation à été faite d’une façon qui a conduit à territorialiser le confessionnalisme et une partition de facto du pays.
La reconstruction ne peut être réalisée ni par la « justice du vainqueur », ni par un système politique établi sur des bases d’exclusion ethnique ou religieuse, elle ne pourra s’accomplir que si elle résulte de la réussite d’un projet politique :

. Projet politique susceptible de garantir l’avenir et d’assurer une protection efficace des droits civils et politiques de tous les Irakiens, ainsi que la préservation de la cohésion sociale et la sauvegarde de leurs libertés et droits fondamentaux.

. Toutes les composantes du peuple irakien ont souffert avant et après 2003, d’où l’ultime nécessité d’une démocratisation associant la population à la prise de décision et respectant le pluralisme et les spécificités.

. Il faut enfin s’assurer qu’aucun abus, fosses communes, génocides ou massacres ne se reproduisent plus jamais.

Face à ces incertitudes, la nouvelle administration américaine semble avoir abandonné tous les tests de stratégies de sorties et considère uniquement la situation sécuritaire. L’engagement en Irak n’est plus une priorité pour les Etats-Unis depuis le début de la crise financière.

Enfin, nulle volonté politique ne doit faire oublier au peuple irakien et a sa belle mosaïque que le but des réconciliations n’est pas d’embellir ni le passé ni le présent, encore moins de les oublier, mais qu’il s’agit d’éviter que les plaies ne restent ouvertes. Afin qu’elles ne deviennent pas à leur tour sources de rancœurs et de détournement de l’avenir.

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