Le 3 octobre 2010, le "Canadien de Guantanamo", Omar Khadr, a été condamné à quarante ans de prison pour crime de guerre par un tribunal militaire américain. Sa peine serait ramenée à 8 ans - en plus des 8 années déjà passées à Guantanamo - conformément à un accord de plaider-coupable. Il pourrait purger sa peine au Canada à partir de 2011, mais la décision revient au gouvernement canadien.
Ce jugement intervient alors que les efforts de B. Obama pour fermer le centre de détention de Guantanamo sont au point mort au Congrès des Etats-Unis. (Source : Le Monde, 2 novembre 2010).
Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le Diploweb.com vous présente un article d’Alain Nonjon, illustré d’une carte, publié sous le titre "Guantanamo" dans le n°127 d’Espace prépas en octobre 2009.
« Une dague plongée dans la terre cubaine » F. Castro.
Occupée jadis par les iguanes (8 % de la population mondiale), l’enclave pénitentiaire de Guantanamo est indissociable de l’impérialisme méridien américain dans son arrière-cour, qui a pris corps avec la doctrine Monroe (1823), la politique du big stick de T. Roosevelt (1903). C’est en effet au lendemain de la guerre contre l’Espagne (1898) que les États-Unis ont hérité de Porto Rico, des Philippines et de Cuba. La constitution cubaine de 1902 inclut l’amendement Platt qui accorde aux Américains le droit d’intervenir à Cuba pour préserver « l’indépendance et garantir vie et propriétés des Américains. » et la baie de Guantanamo est louée à cette fin aux Cubains à partir du 2 juillet 1903 pour y établir une « base navale et charbonnière » « à l’exclusion de toute autre utilisation » (art 2), clause renouvelée en 1934, sous la forme d’un bail perpétuel… Base de ravitaillement des navires de l’Atlantique à partir de 1941, Guantanamo a un statut qui résiste à la révolution cubaine, Fidel Castro encaissant le dernier loyer (4 805 dollars !) en 1959. Après le fiasco du débarquement de la baie des Cochons, Guantanamo devient un camp retranché, protégé par un rideau de cactus et, accessoirement, des champs de mines, et par son statut juridique : « la base fait partie de la juridiction territoriale maritime spéciale des EU ». Jusqu’en 1991, la base vivote, vie rythmée par quelques incidents (des coupure d’eau qui justifient une unité de dessalement). Les événements de Haïti où le président Aristide est renversé par la junte du général Raoul Cédras sont l’occasion de faire de la base un camp de réfugiés haïtiens rejoints par des balseros cubains rapatriés là par les gardes-côtes américains. C’est naturellement donc que Guantanamo devient, après le 11 septembre 2001, le camp de détention « des combattants ennemis » (nomenclature nouvelle désignant des personnes ni soldats ni civils coupables d’avoir combattu dans les rangs des talibans ou d’en être proches ou seulement suspectées de l’être », avec ses barrières de sécurité, ses protections marines rapprochées - les Boston Whalers - et ses requins…
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« Le goulag de notre époque », Irène Khan, secrétaire générale d’Amnesty International, 25 mai 2005.
Ce jugement sévère a de quoi irriter les thuriféraires de la démocratie américaine, mais l’après-2001 a fait de Guantanamo une « zone de non-droit » ne respectant pas la convention de Genève, de détention sans jugement, de combattants ennemis au nom de la réactivation d’une vieille loi de 1798 (Enemy Alien Act) qui donne de fait le « pouvoir de détenir sans verdict judicaire tout ennemi étranger originaire du pays en conflit ». Une fois de plus les pères fondateurs de la nation américaine ont bon dos, car G.W. Bush a toujours utilisé la mystique des premiers conquérants pour justifier ses croisades même les plus osées… (state and democracy building, par exemple). Avec la radicalisation du conflit afghan, la traque universelle aux terrorismes de l’Indonésie à la Somalie, de l’Irak au Pakistan, avec le surpeuplement des lieux de détention (prison afghane de Kunduz et bateaux de la CIA), Guantanamo est devenue très vite une geôle surembouteillée. Les locataires de Guantanamo sont tout à la fois des talibans pris dans les rafles pakistanaises dans les zones tribales, jeunes desesperados (records 13 ans et près de 100 ans) formatés par des séjours dans les camps d’entraînement de al-Qaïda, prosélytes d’un Islam réglant ses comptes avec les infidèles saoudiens potentiellement de mèche avec les initiateurs du 11 septembre 2001… ou « pires éléments de al-Qaida et des talibans »… et égarés au mauvais endroit au mauvais moment, « détenus fantômes » ne figurant sur aucun registre. D’après des documents « secret défense », 10 % n’ont rien à faire là, ou sont des prisonniers « Mickey mouse » (menu fretin sans intérêt) selon le Los Angeles Time…
« L’honneur est lié à la défense de la liberté »
Cette devise du camp America (construit par Halliburton, firme liée à D. Rumsfeld !) rappelle d’autres portes d’entrée de camps de triste mémoire. Ce n’est pas un camp mais plusieurs qui ont été construits (du camp X-Ray au camp Delta en passant par les camps numérotés (de 1 à 4 ou 7, le 4e réservé aux prisonniers les plus coopératifs…) avec des conditions souvent inhumaines (2,40 m sur 1,80 m de largeur et 2,40 m de hauteur, absence d’intimité, méthode d’interrogation reposant sur la peur, l’humiliation et toute la gamme des agressions à la religion islamique (couleur orange des vêtements, Coran confisqué ou souillé, dénudement pour que le détenu se sente humilié et impur, gardiennes provocatrices plus que gardes MP, waterboarding et toute la panoplie des techniques du Behavioural science consultation team…, manipulations environnementales (températures élevées ou bains glacés) l’arsenal est en soi effrayant (sommes-nous à Abou-Graib commandée par le général Miller… après qu’il eut commandé Guantanamo) et plus encore les justifications des autorités de tutelle. Parlant « des techniques d’interrogations agressives », Donald Rumsfeld a même transmis un message selon lequel « des pressions physiques et l’humiliation étaient un traitement adéquat pour les détenus ».
« Nous sommes là en présence de temps extraordinaires », G. W. Bush.
« L’existence de Guantanamo a probablement suscité plus de terroristes dans le monde qu’elle n’en a jamais détenu », B. Obama.
Avant même l’élection de B. Obama, l’administration Bush a été l’objet de critiques de toutes parts et a dû promulguer la loi DTA (Detainee Treatment Act déc 2005) qui prohibe « toute torture ou traitement cruel inhumain ou dégradant sur des détenus placés sous la garde des EU » quel que soit le lieu de leur détention… le Président gardant la possibilité d’interpréter la loi… ! Plusieurs rapports ont demandé la fermeture de Guantanamo dont le plus complet reste celui du 26 février 2006 de 6 experts de l’ONU à la suite duquel Bush confesse « je voudrais vider Guantanamo mais il reste de gros poissons »… dont les 14 prisonniers de haute valeur en provenance des prisons secrètes de la CIA (autre scandale…) transférés en septembre 2006 comme le Soudanais Ibrahim Ahmed Mahmoud Al Gosi, adjoint du financier de al-Qaida. Les commissions militaires ont été déjugées par la Cour suprême américaine en juin 2006, car non organisées sous couvert du Congrès. Lorsque le procès des accusés du II septembre s’est ouvert en février 2008, c’est avec 2 973 chefs d’accusations correspondant au nombre de victimes et pour violation des lois de la guerre : le principal accusé y a reconnu tous les crimes (décapitation de Daniel Pearle, projets d’assassinat de Jean-Paul II) en concluant sa confession de « on m’a fait dire beaucoup de choses… sous la torture. ». On comprend dès lors les difficultés juridiques, politiques de ce système : système hors-normes pour des attentats du 11/O9, hors-normes sur le territoire sanctuarisé américain, dans une situation ouverte de guerre depuis 1992 avec des ennemis à géométrie variable, au c œur d’une lancinante rhétorique de guerre des civilisations. Depuis 2006 cependant il semble que beaucoup de pratiques aient été suspendues, 500 détenus ont été libérés ou transférés, B. Obama a pu annoncer dès la première semaine de son mandat la fermeture du camp de détention à l’horizon d’un an, engagement renouvelé symboliquement le 21 mai 2009 aux Archives nationales de Washington devant les trois Chartes de la liberté des EU (Constitution, Déclaration des droits et Déclaration d’indépendance). Pourtant, en septembre 2009, le Congrès rejetait l’idée d’une fermeture du camp. Eric Holder avoue en octobre 2009 : « ce sera difficile, surtout pour une centaine ni libérables ni aptes à être jugés et intransférables à l’étranger, ni aux EU » (prison militaire de Fort Leavenworth au Kansas ayant été rejetée…). Nul ne peut affirmer que la mesure sera prise en 2010… D’ici là fort heureusement les iguanes sont protégés et il en coûterait 10 000 dollars à celui qui par malheur… les écraserait !
Copyright Nonjon-2009 /Espace Prépas n°127, octobre 2009.
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