Un ouvrage qui propose une large présentation de la géopolitique de l’archipel, avec de nombreuses cartes.
Présentation du livre de Barthélémy Courmont, Géopolitique du Japon, éd. Artège, 2010
NOMBRE d’ouvrages sur le Japon paraissent depuis ces derniers mois [1]. Remilitarisation de l’archipel ou coopération avec le géant chinois : les thèses oscillent le plus souvent entre ces deux choix sans que le lecteur puisse se faire une idée plus précise sur les singularités nippones tant sur le plan politique qu’historique. L’ouvrage de Barthélémy Courmont est en ce sens des plus salutaires. On reconnaîtra à l’auteur son don pour l’analyse des données les plus contemporaines qu’il allie à une approche de terrain. A cette compréhension globale, l’auteur ajoute une solide connaissance historique du Japon sur la longue durée. Ainsi, il nous montre que l’entrée du Japon dans la modernité coïncide avec la percée des Etats-Unis en Extrême-Orient.
Rivaux puis alliés au sortir de la Seconde Guerre mondiale, Tokyo et Washington nouent alors des relations très étroites qui sont à l’origine d’une formidable croissance économique et d’une coopération stratégique qui se poursuivra encore longtemps. Comme le souligne Barthélémy Courmont, la proximité de la Corée du Nord, et surtout la rivalité avec la Chine, qui dégénère parfois en tensions, implique pour Tokyo le maintien d’un partenariat étroit avec une puissance militaire de premier plan comme les Etats-Unis. Il est à cet égard important pour le Japon de réaffirmer fréquemment l’importance de cette relation bilatérale, et des gestes symboliques comme le choix du Japon par Hillary Clinton pour sa première visite officielle en tant que Secrétaire d’Etat américaine, sont particulièrement appréciés. Nonobstant cette proximité d’intérêts, l’accord stratégique entre Tokyo et Washington signé en 2005 prévoit le retrait progressif des forces américaines stationnées au Japon. Cet accord prévoit notamment un redéploiement de troupes américaines, soit 7000 marines, d’Okinawa vers l’île de Guam, territoire américain situé dans l’Archipel des Mariannes. Plus vaste et beaucoup moins peuplée qu’Okinawa, Guam serait ainsi mieux située, selon les stratèges du Pentagone, pour répondre aux enjeux sécuritaires dans la région ainsi qu’en Asie du Sud-est. Mais le Japon, qui héberge 89 bases américaines, comptera encore 40000 soldats américains sur son sol après le transfert vers Guam, financé par l’Etat japonais pour un montant proche de 9 milliards de dollars. L’archipel conserve ainsi son rôle d’allié le plus proche et de pilier de la stratégie américaine en Asie.
Les inquiétudes sur la relation Washington-Tokyo au sujet des bases militaires américaines se sont amplifiées avec l’arrivée au pouvoir du Parti Démocrate du Japon et les déclarations du ministre des Affaires étrangères Katsuya Okada le 17 septembre 2009, voulant rediscuter avec les Etats-Unis d’un plan de redéploiement des troupes américaines basées dans l’archipel, notamment en ce qui concerne son coût. La question du transfert des forces américaines et des conditions dans lesquelles il doit s’effectuer sera au cœur de la relation entre les deux pays dans les prochaines années, et est parfois instrumentalisée politiquement au Japon. Ces aspects géopolitiques de l’ouvrage de Barthélémy Courmont complètent une analyse très fouillée des structures politiques propres au Japon. Entre le départ de Yasuhiro Nakasone, fin 1987, et l’arrivée au pouvoir de Junichiro Koizumi, en avril 2001, le Japon a connu pas moins de dix Premier ministres. Cette instabilité chronique s’est accentuée ces dernières années, et depuis septembre 2006, le Japon en est à son sixième Premier ministre.
Dans un contexte de récession économique, cette instabilité révèle, comme le souligne Barthélémy Courmont, deux faits : une crise de la représentativité et la question du renouvellement des élites dirigeantes. Ce dernier aspect est très net en ce qui concerne les dérives népotiques, l’immense majorité des responsables politiques japonais étant issus de familles comptant plusieurs générations successives de dirigeants.
L’ouvrage de Barthélémy Courmont aborde enfin des domaines encore peu traités par les spécialistes de l’Archipel : la nature des relations diplomatiques et économiques entre le Japon et l’Union européenne par exemple. Démocraties, ayant en partage le respect des Droits de l’homme, ils ont instauré un dialogue politique qui, à partir de 2001, s’est élargi à des questions de sécurité internationale comme le contrôle des armements, le désarmement et la non prolifération, la prévention des conflits et la construction de la paix. Même si la coopération entre le Japon et l’Union européenne, dans le domaine militaire, reste très peu développée, il sera intéressant, rappelle l’auteur, de voir dans quelle mesure l’Europe peut représenter une option pour le Japon dans les prochaines années, notamment dans le cas d’une modification de la relation avec les Etats-Unis ou d’une évolution sensible de la relation avec la Chine. Une chose est certaine, conclue Barthélémy Courmont, la recherche par le Japon de nouveaux partenaires est très largement amorcée, y compris dans les régions proches comme le Pacifique et l’Océan Indien. Cet environnement suscite, en effet, pour Tokyo de nombreuses inquiétudes. Il s’agit plus particulièrement de la question nord-coréenne, qui concentre une partie de son attention et l’oblige à aller chercher des garanties de sécurité en dehors de l’espace nord-asiatique. Ces garanties peuvent être situées autant dans le Pacifique (Australie) que dans l’Océan Indien (Inde). L’arc de stabilité défini par les gouvernements du PLD, en particulier celui de Shinzo Abe, cible de manière évidente la Chine, en s’appuyant sur un partenariat stratégique accru avec des pays tels que l’Inde, l’Australie, et de manière générale tous ceux qui s’inquiètent de voir la Chine devenir une puissance trop encombrante. Ce projet est rapidement retombé, en particulier devant la difficulté à rassembler une coalition partageant les mêmes intérêts à l’égard de Pékin, mais il traduit les tentatives diverses de Tokyo en vue de se positionner face à son puissant voisin. Aujourd’hui très fortement remis en cause, notamment suite aux changements politiques en Australie et, plus encore, au Japon, l’arc de stabilité avait le mérite d’identifier, depuis Tokyo, les partenaires sur lesquels il est possible de s’appuyer, soit de manière constante, soit par des coalitions de circonstances. Plusieurs éléments ont ainsi été posés afin de construire des alliances régionales en Asie orientale. Il s’agit tout d’abord d’une consolidation du Trilateral Security Dialogue. Celui-ci lie le Japon, l’Australie et les Etats-Unis. Il comportait une relation américano-australienne, en vertu de l’ANZUS, et une relation américano-japonaise. Le triangle a été complété avec l’accord de sécurité signé de 13 mars 2007 entre Tokyo et Canberra. Certains y virent la mise en place d’un squelette d’architecture régionale de sécurité (le « JANZUS »). Il reste en suspens actuellement, mais n’est pas définitivement enterré.
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. Voir l’article de Jean-Emmanuel Medina, "Japon-Chine : Senkaku/Diaoyu, les enjeux du conflit territorial"
[1] Citons Edouard Pfimlin, Le retour du soleil levant. La nouvelle ascension militaire du Japon, Paris, Ellipses, 2010 ; Claude Meyer, Chine ou Japon. Quel leader pour l’Asie ?, Paris, Presses de Sciences Po, 2010.
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