A l’occasion de la publication de sa Géopolitique de la mer et des océans. Qui tient la mer tient le monde !, coll. Major aux PUF, Pierre Royer nous propose ici en exclusivité ses réflexions sur l’importance stratégique de la mer aujourd’hui et demain. Il aborde notamment la question de l’après "Charles de Gaulle", lorsque le porte-avions français sera devenu trop ancien.
LORSQUE j’ai terminé le manuscrit de mon livre Géopolitique de la mer et des océans, la Royal Navy (britannique) venait de subir des coupes claires et n’attendait qu’un seul porte-aéronefs, à l’image de la Marine nationale (française). A sa parution, elle a obtenu de conserver 2 navires avec des avions à appontage vertical, donc de pouvoir entretenir une permanence à la mer d’une force aéronavale, tandis que la perspective d’un 2ème porte-avions français sombrait toujours plus dans les abysses de la dette publique. Grâce à un retard de l’éditeur (felix culpa !), j’ai pu corriger la version définitive, mais pour pouvoir parler d’une éventuelle flotte de deux porte-avions français, il me faudra attendre… les années 2030, lorsque se posera la question du remplacement du Charles de Gaulle – si mon livre est réédité jusque là !
Cette anecdote dit trois choses essentielles. Sur le Royaume-Uni d’abord, qui tient à garder la première flotte européenne (et désormais 5ème mondiale, en attendant la livraison de ses nouveaux joyaux de 65 000 t. chacun, soit 1,5 fois le Charles de Gaulle), même si elle a perdu en capacités opérationnelles ces dernières années compte tenu du retrait anticipé de plusieurs grosses unités.
A contrario, cela confirme que la France continue d’« oublier sa vocation maritime » comme le regrettait N. Sarkozy au Havre en 2009… sans pour autant décider de lancer la construction d’un sister-ship au Charles de Gaulle. Certes, le coût d’un tel navire n’est pas anodin –au moins 3 milliards d’euros pour une version à propulsion classique, moins onéreuse – mais à répartir sur une dizaine d’années de construction et garantissant le maintien d’une activité et d’un savoir-faire industriels que la Russie souffre aujourd’hui d’avoir en partie galvaudés. Mais la France a fait le choix d’autres priorités budgétaires. Pourtant, où est la place géopolitique de la France ? Où est l’urgence pour sa défense ?
Il est évident pour tous que la menace ne vient plus du continent ou d’une invasion terrestre, comme ce put être le cas jusqu’en 1945 ou même, dans les scénarios les plus catastrophiques, jusqu’à la fin de la Guerre froide. Dès 1969, en lançant le SNLE Redoutable, le général De Gaulle soulignait que la Marine était désormais en première ligne de la Défense nationale. C’est encore plus vrai aujourd’hui, où la France doit surtout craindre des attaques contre ses territoires d’outre-mer et contre la Zone économique exclusive (ZEE) qu’ils lui donnent : 11 millions de km² d’océans sous juridiction française (dont plus de la moitié pour la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie), le deuxième plus vaste domaine maritime mondial, devancé seulement par les Etats-Unis, où il faut assurer sa souveraineté sur l’exploitation des richesses minérales et de la pêche.
Le troisième message est qu’une puissance navale ne se forge pas dans l’urgence car les mers sont soumises aux principes d’inertie et d’impermanence. C’est pourquoi mon livre comporte aussi un éclairage historique et fait le point sur tous les secteurs de l’activité maritime, de la construction navale au transport. Les matériels conçus aujourd’hui – au moins pour les capital ships, ces navires décisifs dans les rapports de force –, ne verront pas le jour avant 20 ans, ceux que l’on commence à construire ne seront disponibles qu’à la fin de la décennie… Or, que voyons-nous dans le monde actuel ? Des puissances installées qui, à l’image du Royaume-Uni ou des Etats-Unis, dont la Marine est moins affectée par les coupes budgétaires que les autres armées, défendent leur position, et des puissances émergentes qui, comme le dit S. Delannoy, « sortent la tête de l’eau », y compris sur le plan naval. La Russie lutte pour rester la 2ème flotte mondiale ; la Chine, devenue 3ème, disposera prochainement d’une capacité aéronavale embryonnaire, ainsi que l’Inde ; le Japon et la Corée renforcent également leurs capacités de projection de puissance et le Brésil entend assurer lui-même sa souveraineté sur son « Amazonie bleue » de plus de 4 millions de km². [1]
Tous ces pays ont compris que « qui tient la mer tient le monde », comme l’écrivait Raleigh il y a 400 ans. Parce que la mer est plus que jamais indispensable aux approvisionnements et aux exportations, et plus ils « émergent », plus ces pays entrent dans le jeu des interdépendances mondiales et dans le « grand jeu » géopolitique qui se joue dans chaque océan, étudié en détail dans l’ouvrage. La France tiendra-t-elle son rang dans ce « grand jeu » dans 10 ans ? Dans 20 ans ? Ou selon son habitude, se lamentera-t-elle de son « déclin » comme après la perte des Indes et du Canada au XVIIIème siècle ?
Alors, le changement c’est maintenant ? Apparemment pas pour la Marine [2], ce qui n’a rien de surprenant dans un pays où un poète écrivait : « la mer, la mer, toujours recommencée… »
Copyright Octobre 2012-Royer/Diploweb.com
Plus
. Pierre Royer, Géopolitique des mers et des océans. Qui tient la mer tient le monde !, Coll. Major, PUF, octobre 2012.
4e de couverture
Les océans ont beau constituer 70% de la surface terrestre, leur rôle est souvent sous-estimé. Qui a conscience que plus de 80 % du commerce mondial se fait par voie maritime ? Que 90 % des communications internationales empruntent des câbles sous-marins ? Qui se doute des effets cataclysmiques qu’aurait l’interruption du trafic maritime en quelques semaines ? Les routes maritimes sont pourtant les artères de la mondialisation, et c’est ce qui justifie l’intérêt constant que leur portent les grandes puissances maritimes.
Loin d’être un luxe hors de prix, la puissance navale est une condition impérative de la liberté : liberté de commercer, d’agir pour protéger ses intérêts, de résister aux chantages sur l’accès aux ressources car, comme le disait Walter Raleigh : « Qui tient la mer tient le commerce du monde ; qui tient le commerce tient la richesse ; qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même ».
. Une analyse à la fois très actualisée et ancrée dans le temps long puisque mers et océans sont particulièrement soumis au principe d’inertie.
. Une description géoéconomique précise de tous les océans et des principales mers : flux et échanges, routes et détroits, ports et activités littorales…
. Une étude géopolitique des grandes puissances navales, de leurs moyens, deleurs stratégies, de leurs rivalités.
. Tous les enjeux actuels et futurs du contrôle des mers et des océans : économiques, scientifiques, géopolitiques, environnementaux…
. De nombreuses cartes pour visualiser les dynamiques et les affrontements qui caractérisent mers et océans.
Agrégé d’histoire, diplômé de Sciences po Paris en Relations internationales et officier de Marine de réserve, Pierre Royer enseigne en classe préparatoire ECS à Ipésup.
. Voir un autre article de Pierre Royer, illustré d’une carte grand format, "Etats-Unis, thalassokrator mais pas thalassocratie" Voir
[1] NDLR : Cf. Le remarquable article de Bruno Muxugato, La découverte des gisements d’hydrocarbures du « pré-sel ». Un défi pour la puissance brésilienne », in Etudes internationales, juin 2012, pp. 185-212.
[2] NDLR : Pour autant beaucoup d’observateurs de l’édition 2012 de l’Université d’été de la Défense (Brest) ont constaté que cette session avait été un véritable démonstration de force du « savoir communiquer » de la Marine nationale
SAS Expertise géopolitique - Diploweb, au capital de 3000 euros. Mentions légales.
Directeur des publications, P. Verluise - 1 avenue Lamartine, 94300 Vincennes, France - Présenter le site© Diploweb (sauf mentions contraires) | ISSN 2111-4307 | Déclaration CNIL N°854004 | Droits de reproduction et de diffusion réservés
| Dernière mise à jour le mardi 3 décembre 2024 |