Etudiante en Master I de Relations Internationales et Action à l’Etranger à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Créé en 2005, le Master de Relations Internationales et Action à l’Etranger a pour vocation de préparer les étudiants à la grande variété des métiers ouverts sur la vie internationale.
Voici la première étude géopolitique sur la condition féminine, sous la forme d’un manuel qui expose clairement une vue d’ensemble de la question.
Présentation du livre d’Élizabeth Crémieu, Bouchra Benhida "Géopolitique de la condition féminine", Paris, Collection Major, PUF, 2014, 204 p. ISBN-972-2-13-062130-0
VIOLS en Inde en 2012 ou enlèvement de 200 étudiantes par Boko Haram au Nigéria en 2014, la médiatisation croissante de violences contre des femmes témoigne d’un état de la condition féminine encore difficile dans le monde, et ce, malgré le troisième objectif du millénaire du développement souhaitant « promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes ». Cette question ne se pose bien sûr pas qu’au « Sud » et se retrouve aussi dans les pays dits « développés », avec par exemple les débats récurrents sur la parité en France ou la restriction du droit à l’avortement par de nombreux états des Etats-Unis. Enfin, alors que le mouvement Femen donne une image souvent critiquée du féminisme, il semble justifié de s’interroger sur la situation des femmes aujourd’hui. Elizabeth Crémieu, agrégée de géographie et ancien professeur de classe préparatoire HEC et maitre de conférence à Sciences Po, se propose justement de dresser la géopolitique de la condition féminine dans son ouvrage, réalisé en collaboration avec Bouchra Benhida, docteur en économie et directrice de l’Institut de recherche et d’analyse en géopolitique et géoéconomie de l’ESCA (Casablanca).
Lorsqu’on traite de la condition des femmes, on est au cœur d’un affrontement entre la tradition et la modernité.
Elizabeth Crémieu retient deux aspects pour définir la condition féminine : les droits des femmes d’une part, c’est-à-dire droits civils, politiques, droit à l’éducation, aux soins, au travail ; et leurs conditions de vie d’autre part, plus précisément leur statut, leur relation avec les hommes, leurs libertés, etc. Malgré des progrès certains mais inachevés, le danger de recul est grand, surtout dans le contexte actuel de recrudescence des violences envers les femmes. Comme l’avait bien compris Jules Ferry en 1880, « celui qui tient la femme, celui-là tient tout » (cité p. 12). La femme est en effet à la fois marqueur identitaire et clé de la maitrise démographique. Il est important aussi de noter que « lorsqu’on traite de la condition des femmes, on est au cœur d’un affrontement entre la tradition et la modernité » (p. 14).
Dans son ouvrage, l’auteure revient d’abord sur l’héritage universel et persistant de l’infériorité de la femme. Cet héritage, qu’on retrouve dans tous les textes fondateurs des religions mais aussi chez des penseurs comme S. Freud ou C. Levi-Strauss, se justifie par l’infériorité physique des femmes et instaure une division sexuée des tâches : aux hommes la gestion des questions productives et politiques, aux femmes celle des fonctions reproductives et domestiques. Se retrouve aussi ici la volonté des hommes de contrôler la fécondité. Préférence pour les fils, importance de la virginité, réclusion des femmes, dot, mariage précoce, prostitution, privation du droit à l’héritage, exclusion des veuves, chasse aux sorcières, violences, sont autant d’exemples cités pour illustrer la place traditionnelle de la femme soumise. La responsabilité des femmes dans la reproduction de ce modèle de génération en génération n’est enfin pas à sous-estimer.
Elizabeth Crémieu dresse ensuite un tableau du féminisme, depuis les Lumières à aujourd’hui, en passant par les conséquences de la Révolution industrielle et celles de l’exode rural et de l’urbanisation. Les premiers mouvements féministes apparaissent en Europe et en Amérique du Nord au XIXe siècle, menés par des femmes instruites de la classe moyenne favorisée, en lien avec d’autres grandes mobilisations de l’époque comme la lutte contre l’alcoolisme, la prostitution ou l’esclavage. Une des premières revendications est le droit de vote, qui remet directement en cause « une des prérogatives essentielles des hommes : le monopole de la gestion de la cité » (S. Samouiller et K. Jabre dans Le Livre noir de la condition des femmes, cités p. 56). Le droit à l’éducation et la protection des mères font aussi partie des revendications.
Le féminisme est multiforme : féminisme de l’égalité ou de la différence, féminisme socialiste ou libéral, « black feminism », féminisme laïque et universaliste, féminisme d’inspiration religieuse.
Suit la deuxième vague féministe des années 1960 et 1970 avec la liberté sexuelle, la contraception et l’avortement. Les « gender studies » apparaissent également à ce moment-là. Certains parlent d’une troisième vague dans les années 1990, le féminisme « pro-porn », revendiquant la légalisation de la prostitution. L’auteure souligne que le féminisme est multiforme : féminisme de l’égalité ou de la différence, féminisme socialiste ou libéral, « black feminism », féminisme laïque et universaliste, féminisme d’inspiration religieuse. Le féminisme est également parcouru de tensions : entre femmes éduquées et populaires, entre féminisme indépendant et féminisme des ONG. Et enfin, entre féminisme du Nord et féminisme du Sud. Car le Sud aussi connaît des mouvements féministes. D’abord minoritaires et faibles dans les contextes de décolonisation, les revendications se font entendre après les indépendances qui n’ont pas amélioré la situation des femmes. Il faut aussi noter l’héritage égalitaire des sociétés communistes ou encore les avancées des dictatures modernistes. Au Nord comme au Sud, les mêmes méthodes sont utilisées : relais de la presse, manifestations, utilisation d’Internet, lobbying. Cela n’est cependant pas sans danger dans bon nombre de pays où les femmes risquent l’emprisonnement, l’exil ou parfois même la mort. Enfin, le féminisme est souvent méconnu et caricaturé.
La condition féminine a connu de grands progrès depuis 1945. D’abord, les femmes ont maintenant le droit pour elles avec des textes comme la Charte de l’ONU garantissant l’égalité des droits des femmes et des hommes. La communauté internationale s’est emparé de cette question avec, entre autres, la création d’ONU Femmes et la Convention pour l’élimination des discriminations envers les femmes (CEDAW). Le livre insiste sur le rôle important de l’intérêt politique à l’échelle nationale dans le traitement de ces questions. Cela peut même devenir un enjeu de politique étrangère comme le montre l’exemple de l’octroi par l’Arabie Saoudite du droit de vote aux femmes prévu en 2015. Cependant, le droit civil reste encore discriminatoire dans de nombreux pays.
La santé des femmes - notamment leur espérance de vie - peut être considérée comme un révélateur de l’état d’une société et des rapports entre les sexes.
Les progrès scientifiques ont, eux, permis la contraception, largement utilisée dans le monde (par 61% des couples aujourd’hui). Pour Françoise Héritier citée p. 96, le droit à la contraception « constitue le levier essentiel de la sortie de la domination parce qu’il porte et agit au lieu même où la domination s’est produite ».
Et face à la religion, le plus souvent contre, l’impératif démographique a permis la diffusion de la contraception. L’avortement, lui, reste un sujet brûlant et est limité dans les trois quarts des pays. La santé des femmes a également connu des progrès, même si les écarts demeurent très grands entre les pays à revenu élevé et les pays à revenu moyen ou faible. A ce titre, la santé des femmes peut être considérée comme un révélateur de l’état d’une société et des rapports entre les sexes.
L’éducation des filles est importante car elle a des effets multiplicateurs sur la démographie, la santé et l’économie. On note de grands progrès dans les taux de scolarisation ainsi qu’une progression de la parité dans le monde. Cependant, des écarts persistent entre Nord et Sud, où la pauvreté, la distance jusqu’à l’école, les possibles harcèlements sexuels et le faible nombre d’enseignantes sont autant de freins à la scolarisation des filles. Au Nord, on continue de noter des différences d’orientation selon les sexes. Et, malgré ces progrès, en 2008, deux tiers des analphabètes restent des femmes. Enfin, l’éducation est la première à souffrir des guerres et des crises économiques.
Deux tiers des pauvres sont des femmes.
Le travail des femmes a également augmenté et s’est déplacé de l’agriculture vers l’industrie et les services. Les femmes souffrent encore d’une ségrégation verticale et horizontale, au Nord comme au Sud. Au Sud, le problème des emplois informels et vulnérables touche d’abord les femmes, avec une « féminisation de la survie » [1]. L’auteure rappelle d’ailleurs que deux tiers des pauvres sont des femmes. Il existe cependant un lien entre richesse, puissance et emploi des femmes, et on lie maintenant souvent la question de la croissance et du développement à celle de l’amélioration de la condition féminine. Pour les femmes aussi, travailler peut avoir des effets positifs, à l’image du cas de l’émigration de travail qui, malgré les difficultés rencontrées, constitue une libération et un gain en statut pour les femmes qui renvoient l’argent gagné au pays et font ainsi vivre leur famille.
Pour certains, « le corps de la femme est, non pas métaphoriquement mais réellement, un territoire ennemi, jugulé, terrassé, mis à sac et à profit ».
Pour finir, Elizabeth Crémieu décrit les menaces pesant sur les femmes. Elle note que la montée des fondamentalismes religieux, toutes religions confondues, représente aujourd’hui le plus grand danger, car ces derniers cherchent à contrôler la femme et la sexualité pour gagner le pouvoir en imposant des valeurs. La femme est en effet un marqueur de l’identité d’une société : « Dans toutes les sociétés qui se sentent menacées, ce sont les femmes qui sont chargées de conserver, de porter l’identité. Si elles veulent se libérer, c’est qu’elles sont passées à l’ennemi » (Sophie Bessis, citée p. 157). De plus, les violences contre les femmes sont en augmentation. Le fémicide est aujourd’hui la première cause de mortalité des femmes. Ces violences contre les femmes peuvent avoir des conséquences géopolitiques comme le montre l’exemple des fœticides féminins en Chine, où le manque de femmes pourrait avoir deux effets : un « nouvel enlèvement des Sabines » [2] et un enrôlement plus important des hommes dans l’armée. F. Héritier, citée p. 167, affirme que « le corps de la femme est, non pas métaphoriquement mais réellement, un territoire ennemi, jugulé, terrassé, mis à sac et à profit ». Ainsi les viols par exemple peuvent être de véritables armes politiques, notamment en temps de guerre ou de nettoyage ethnique.
Ainsi, les acquis pour la condition féminine restent fragiles et menacés. Et face à cette menace que constituent les « trafiquants de Dieu » [3], Elizabeth Crémieu conclue ainsi : « La guerre est donc déclarée entre partisan(e)s de l’égalité et de la liberté des femmes et des hommes, et partisan(e)s des traditions. Cette guerre se déroule non pas entre des civilisations ou des sociétés, des Etats, ou des religions, mais au sein de chaque société, de chaque Etat, de chaque religion, et peut-être de chaque individu. » (p. 186)
Cette « première étude géopolitique sur la condition féminine » [4] se présente comme un manuel et expose clairement une vue d’ensemble de la question. La construction thématique par chapitres donne parfois une impression de catalogue compilant les travaux existants sur la condition féminine. Cela a toutefois l’avantage de présenter de nombreux exemples et de renvoyer à de nombreux auteurs. La bibliographie, organisée elle aussi selon les chapitres, permet en effet de se référer facilement aux ouvrages cités. Elizabeth Crémieu semble prendre fait et cause pour les femmes, mais sait aussi reconnaître que les hommes n’ont pas tous les torts et que le patriarcat a pu avoir des effets bénéfiques, comme la protection. Elle reste cependant en retrait pour faire un exposé neutre tentant de traiter tous les aspects de la question, ne montrant son envie d’être digne de l’héritage féministe qu’à la dernière ligne.
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. Le site du Master de Relations Internationales et Action à l’Etranger de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
. Élizabeth Crémieu, Bouchra Benhida "Géopolitique de la condition féminine", Paris, Collection Major, PUF, 2014, 204 p. ISBN-972-2-13-062130-0
4e de couverture
Où en est la condition des femmes ? Malgré l’influence tenace des traditions patriarcales dans une grande partie du monde, de nombreux progrès ont été accomplis depuis soixante-dix ans, que ce soit en matière de droits politiques et civils, d’accès à la contraception et à l’avortement, ou encore de droit à l’éducation et au travail. Ces avancées constituent un facteur majeur de croissance et de développement. Elles sont toutefois très inégales selon les régions du monde et constamment menacées : le fémicide reste en effet la première cause de mortalité des femmes, et ce type de violences tend aujourd’hui à se répandre.
Cet ouvrage s’adresse à ceux qui veulent connaître les origines des inégalités entre les hommes et les femmes et étudier les enjeux de pouvoir qui en découlent à l’ère de la mondialisation, et en particulier aux étudiants en géopolitique et dans les IEP.
[1] Formule de Saskia Sassen citée p.142.
[2] Formule de Gérard-Francois Dumont dans son article « Vers un nouvel enlèvement des Sabines ? » paru dans Géostratégiques, n°17, en septembre 2007, formule citée p. 171.
[3] Formule utilisée par Elizabeth Crémieu p. 186.
[4] Présentation faite par l’éditeur en quatrième de couverture.
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