Géopolitique de l’Union européenne et de l’Espagne. Catalogne. B. Vallano met en perspective les élections du 25 novembre 2012 et la situation politique qui pourrait en résulter, sur fond de crise économique.
LA Diada, fête nationale catalane célébrée le 11 septembre, a été en 2012 le théâtre de la plus importante manifestation jamais organisée à Barcelone. Plus d’un million de personnes, ont défilé au cri d’Independència, rassemblées derrière le slogan : « Catalunya, nou Estat d’Europa » (Catalogne, nouvel État d’Europe) [1] à quelques jours d’une rencontre cruciale durant laquelle le Président catalan Artur Mas, leader de la coalition nationaliste de centre-droit Convergència i Unió (CiU) venait proposer d’ouvrir les négociations sur son projet de pacte fiscal avec le Premier Ministre espagnol Mariano Rajoy.
A l’heure où la fière et riche Catalogne se trouve confrontée à la pire situation économique de ces dernières décennies, l’idée selon laquelle les catalans sont victimes d’un traitement fiscal fort désavantageux de la part de l’Espagne et ne veulent plus payer pour le reste du pays, se répand. Quelques jours après le rejet catégorique de cette proposition par le Premier Ministre, A. Mas a annoncé la convocation de nouvelles élections le 25 novembre 2012. Dès lors, il a fait de la défense de l’indépendance son principal combat, assurant que la Catalogne ne pouvait plus s’épanouir dans le carcan politique et institutionnel imposé par l’Espagne. Pour la première fois depuis le retour de la démocratie (1975), la question sécessionniste est devenue le référent autour duquel se polarisent les antagonismes politiques, relayant la crise et l’économie au second plan.
Si historiquement, le catalanisme politique s’est montré méfiant à l’égard de l’indépendantisme, défendant la voix fédérale ou confédérale, une série de facteurs récents est venue renforcer les thèses séparatistes. Néanmoins, les nombreuses incertitudes qui entourent le processus et le pragmatisme des différents acteurs plaident pour une reprise du dialogue visant à redéfinir les relations entre la Catalogne et le reste de l’Espagne.
Considérons successivement (I) le passage du retour de l’autonomie à la remise en cause du Consensus de 1978, puis pourquoi (II) une indépendance semble peu probable à court terme.
Les Décrets de Nueva Planta (1707 à 1716) signés par le Roi Philippe V abolirent les ordres juridiques et institutions politiques propres de la Couronne d’Aragon, et imposèrent une recentralisation politique, institutionnelle et culturelle au profit de la Castille. Ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle que le catalanisme politique s’organise, prônant une Catalogne fédérée ou confédérée à l’Espagne, et n’embrassant qu’à de rares reprises les thèses séparatistes.
Après la répression politique et culturelle franquiste à l’égard de la Catalogne de 1939 à 1975, l’adoption de la Constitution démocratique de 1978 (défendue à l’époque par CiU), reconnaitra le caractère unitaire mais pluriel de l’Espagne, et permettra une forte décentralisation. La Généralité de Catalogne sera rétablie, puis, dirigée par l’habile Jordi Pujol (CiU) de 1980 à 2002, elle retrouve une large autonomie politique et des compétences élargies (police, éducation, santé…).
La réforme du Statut d’Autonomie de 2006, fruit d’un pacte entre les principales forces politiques régionales avait reçu l’aval du Premier Ministre J.L. Zapatero et du Parlement espagnol. Ratifié par référendum par 73.9% des électeurs catalans [2], ce nouveau statut devait élargir les compétences de la Généralité, et reconnaissait le « caractère national de la Catalogne ». L’invalidation d’une série d’articles par le Tribunal Constitutionnel espagnol le 28 juin 2010 au terme d’un processus long et controversé, a été vécue comme une atteinte à la démocratie et au respect de la volonté du peuple catalan. Elle a débouché le 10 juillet 2010, sur une première manifestation de plus d’un million de personnes rassemblée derrière le slogan « Som una nació, nosaltres decidim » (« Nous sommes une Nation, nous décidons »).
D’autre part, la montée de l’indépendantisme ne peut être comprise sans évoquer la violence économique et psychologique de la crise qui touche actuellement l’Espagne. Dans ce panorama, la riche Catalogne, avec son taux de chômage à plus de 22% [3] et sa dette publique équivalant à 22% de son PIB [4], est la plus endettée des 17 régions espagnoles. Contrainte de faire appel au Fonds de Liquidité Autonomique (FLA) mis en place par Madrid pour aider les régions à se financer, elle se trouve actuellement soumise à une cure d’austérité drastique. Ceci est vécu comme une humiliation et une injustice par la « première économie » du pays, dont la tradition industrieuse a abondamment alimenté le discours du catalanisme politique qui la lie au « génie national ». C’est d’ailleurs dans cette optique que le Pacte fiscal porté par CiU qui promettait de ramener le déficit fiscal de la Catalogne avec le reste de l’État, de 8% actuellement à 4%, apparaissait souvent comme la solution de la dernière chance. Depuis son rejet par M. Rajoy, l’indépendance est alors perçue de manière croissante comme l’une des seules réponses concrètes qui permettrait de sortir la Catalogne de la spirale austérité - récession.
Le discours indépendantiste traditionnellement axé sur les aspects politiques et culturels, se recentre aujourd’hui sur les avantages économiques d’un État souverain qui « disposerait du 7ème PIB/habitant de l’UE [5] ». Cette rhétorique aux accents populistes et simplificateurs, n’est pas sans rappeler celle des nationalistes flamands de la NV-A et de la Ligue du Nord italienne.
Si une courte majorité de 51,1% [6] de catalans semble en juin 2012 adhérer au projet indépendantiste, selon le même sondage, seulement 22,7% d’entre eux ne se définissent comme exclusivement catalans, plus de 70% reconnaissant leur identité plurielle espagnole et catalane. Il est alors possible d’imaginer l’existence d’un indépendantisme de conviction, incarné par les électeurs qui considèrent l’Espagne comme étrangère et souhaitent véritablement l’avènement d’un État souverain au sein de l’UE, face à un indépendantisme d’opportunisme exprimant davantage un fort mécontentement face à l’attitude de l’Espagne et un désespoir face à la crise et visant à exercer une pression sur Madrid.
La classe politique catalane est également très divisée. Si la gauche indépendantiste d’ERC et la droite espagnole du PP, campent respectivement sur leurs positions, des fissures apparaissent du côté des nationalistes de CiU. J.A. Duran i Lleida, leader d’Unió Democràtica, deuxième formation de la coalition, n’a jamais caché son scepticisme à l’égard de l’aventure séparatiste et désavoue le Président-candidat en affirmant depuis le début de la campagne que l’indépendance est une erreur et que la Catalogne peut encore trouver sa place au sein d’une Espagne confédérale. Quant au Parti des Socialistes Catalans, fédéré au PSOE espagnol et principale formation de gauche, il continue de défendre la voie du fédéralisme et accuse A. Mas d’avoir lancé ce débat pour détourner l’opinion de l’échec de sa gestion économique.
Les signaux envoyés par la Commission européenne qui rappelle que si une partie d’un État membre fait sécession, les Traités cessent de lui être appliqués [7], confirment le risque d’une sortie temporaire de l’UE et sème le doute au sein d’une population europhile et attachée aux avantages de l’appartenance au marché unique et à l’euro. La Catalogne serait en effet soumise à un processus d’adhésion classique, auquel l’Espagne pourrait s’opposer lors du vote par unanimité. Le résultat serait alors désastreux pour l’économie locale qui perdrait un accès privilégié à son principal marché, renforçant encore la frilosité des milieux d’affaires qui questionnent également la pertinence du débat à l’heure où les dirigeants espagnols s’échinent à transmettre un message de confiance et d’unité aux marchés.
D’autres voix s’élèvent enfin pour évoquer l’épineuse question de la répartition de la dette publique entre l’État central et le nouvel État ou encore le respect des droits de l’importante minorité castillanophone en cas de sécession.
Si la proclamation unilatérale de l’indépendance semble peu probable, le maintien du statu quo l’est également. Aussi, si les sondages se confirment, une majorité pro-indépendantiste pourrait l’emporter le 25 novembre 2012 [8]. Il serait alors difficile pour A. Mas de reculer devant l’organisation d’un référendum d’autodétermination prôné pendant sa campagne mais interdit par la Constitution. Sans valeur juridique, ce dernier pourrait cependant l’aider à faire pression sur Madrid dans le cadre de négociations.
En effet, la volonté du Gouvernement central de maintenir l’unité du pays, et celle des décideurs catalans d’éviter une fracture profonde de la société sur un sujet clivant et aux incertitudes nombreuses, plaident pour une reprise du dialogue. Ces négociations se centreront alors sur la réforme du système fiscal, l’élargissement des compétences exclusives de la Catalogne, la reconnaissance de son « caractère national » et la redéfinition des rapports Madrid-Barcelone, sur un modèle plus coopératif que hiérarchique.
Il est cependant difficile de savoir si la résolution de cette question fera chuter la fièvre indépendantiste et permettra à l’Espagne de trouver une articulation institutionnelle satisfaisante pour toutes ses composantes, ou si elle ne sera qu’une étape transitoire sur le chemin de l’indépendance de la Catalogne.
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. Voir l’article de Thierry Garcin, Vers une Europe de plus en plus fragmentée ? Voir
[1] El País du 11-09-2012 : ccaa.elpais.com/ccaa/2012/09/11/catalunya/1347375808_419590.html
[2] Site du Congrès espagnol : congreso.es/consti/elecciones/referendos/ref_cata_2006.htm
[3] Données du 3ème trimestre 2012 - Institut d’Estadistica de Catalunya : idescat.cat/es/
[4] Données de la Banque d’Espagne, journal Expansion : expansion.com/2012/09/14/economia/1347612117.html
[5] El Pais du 11/11/2012 : ccaa.elpais.com/ccaa/2012/11/10/catalunya/1352553870_632470.html
[6] Baròmetre d’Opinió Política de la Generalitat (enquête réalisée du 4 au 18 juin 2012).
[7] La Vanguardia du 30 – 10 – 2012 : lavanguardia.com/politica/20121030/54353650784/ bruselas-catalunya-ue.html
[8] Données du Centro de Investigaciones Sociologicas - El Pais du 08/11/2012 : ccaa.elpais.com/ccaa/2012/11/08/ catalunya/1352373034_525342.html
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