Bernard Valero est Directeur de la communication et de la presse, porte-parole du ministère des Affaires étrangères et européennes (France). Propos recueillis par Pierre Verluise, Directeur du site géopolitique Diploweb.com
Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Bernard Valero répond aux questions du Diploweb. Il aborde successivement les perspectives politiques de l’Union européenne, les moyens budgétaires du Quai d’Orsay, les « révolutions arabes » et l’actualité du G20.
Pierre Verluise : Monsieur le Ministre des Affaires étrangères et européennes, Alain Juppé, a évoqué fin 2011 la possibilité d’une évolution de l’Union européenne vers plus de fédéralisme. Que faut-il entendre exactement en la matière ? Quelles seraient très concrètement les implications de cette évolution, les gains attendus, les contraintes et les risques possibles ?
Bernard Valero : Le ministre d’Etat a eu l’occasion d’expliquer en quoi la zone euro est une force pour nous et pourquoi il faut aller un coup plus loin dans la solidarité.
La France souhaite une zone euro plus intégrée, fondée sur davantage de décision à la majorité qualifiée, pour éviter les blocages de l’unanimité et permettre aux Européens de réagir plus vite. C’est l’esprit du pacte budgétaire décidé par 25 membres de l’Union européenne le 30 janvier 2012. La zone euro est aujourd’hui le cœur de la construction européenne, qui est une protection inestimable face à la compétition internationale et aussi contre les tensions internes à l’Europe.
C’est la solidarité entre les pays européens qui va nous permettre d’atteindre ces objectifs et de continuer à exister dans un monde où vous avez, par exemple, 1 milliard 300 millions d’habitants en Chine et un milliard 200 millions d’habitants en Inde. Il faut donc aller plus loin dans la solidarité européenne. Le ministre d’Etat y croit profondément et y met toute sa détermination car c’est un enjeu fondamental.
Bernard Valero, porte-parole du ministère des Affaires étrangères. Crédit photo : MAE.
P.V. : Avant de revenir au Quai d’Orsay, Alain Juppé a défendu avec Hubert Védrine la nécessité de moyens budgétaires suffisants pour le ministère des Affaires étrangères et européennes. Compte tenu des contraintes budgétaires présentes et à venir, comment maintenir avec moins de moyens la même exigence de résultats ?
B. V. : Dès sa prise de fonction et dans le droit fil de l’analyse qu’il avait livrée à l’été 2010, M. Alain Juppé a indiqué que la diplomatie française devait disposer de moyens à la hauteur de ses ambitions et de ses responsabilités. Cette position, le ministre d’Etat l’a défendue aussi lors des travaux du Livre blanc, tant il est vrai qu’il n’y a pas de politique étrangère ambitieuse sans les moyens de la mener à bien.
S’agissant des effectifs, le ministre d’Etat a donc demandé au Premier ministre, dans le cadre du budget 2012, qu’il soit pris acte des efforts déjà consentis, le nombre d’emplois du ministère ayant été réduit de près de 20% depuis 15 ans, et que les suppressions programmées pour 2012 et 2013 prennent en compte ces efforts. Si les moyens de notre diplomatie doivent évidemment être défendus, nous ne pouvons faire fi des contraintes générales pesant sur l’ensemble des finances publiques de l’Etat.
Alors que notre réseau diplomatique et consulaire se redéploie en permanence pour s’adapter aux évolutions du monde, alors que la vive croissance des communautés françaises à l’étranger accroît chaque année les attentes de nos compatriotes, il a fallu faire preuve d’inventivité pour affronter des défis croissants avec des dotations en diminution.
Nous avons hiérarchisé notre réseau. Nous avons fait des efforts importants, tout en conservant les moyens pour que notre diplomatie reste une communauté vivante et qu’elle conserve sa capacité à être une force de propositions, en initiative face aux évolutions du monde.
P. V. : Après l’enthousiasme médiatique à propos des "révolutions arabes", la fin de l’année 2011 a été marquée dans ces mêmes médias français par une crainte à l’égard de poussées islamistes notamment en Tunisie et en Egypte. Quels sont, de part et d’autre, les pièges à éviter et les outils à disposition ?
B. V. : Nous nous sommes réjouis de la tenue d’élections libres en Tunisie, puis au Maroc et en Égypte. Nous sommes heureux qu’il en soit bientôt de même en Libye. Il faut l’avouer, en France comme ailleurs, ces processus suscitent beaucoup d’interrogations. Certains se demandent si les valeurs au nom desquelles les peuples se sont soulevés constitueront bien la référence des futurs régimes. D’autres craignent un retour aux errements du passé.
À ceux-là, nous répondons que ces élections tournent la page de plusieurs décennies d’oppression et que nous ne pouvons refuser à des peuples qui ont été si longtemps condamnés au silence le droit d’exprimer leurs choix. Nous refusons d’accepter l’idée selon laquelle les peuples arabes devraient choisir entre dictature ou régime fondamentaliste.
Notre posture s’articule autour de deux principes : la vigilance quant au respect des principes démocratiques, de l’alternance politique et des droits de l’Homme, de l’égalité hommes-femmes, de la diversité des courants d’opinion et des minorités ; l’appui aux pays en transition démocratique, comme l’a illustré l’engagement de la présidence française du G8 en faveur du partenariat de Deauville.
P. V. : Comment comprendre le rôle et le jeu des Etats-Unis dans les "révolutions arabes", notamment en Libye ? Quelle est la part d’habileté et la part d’ambiguïté ?
B. V : Les Etats-Unis ont favorisé les forces nouvelles qui se sont levées en Tunisie, en Egypte et en Lybie. Ils ont participé, à travers l’OTAN, à l’organisation de la défense du peuple libyen, que le régime de Kadhafi voulait anéantir, permise par la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Nous nous félicitons de l’action des Etats-Unis et de leur soutien, dans cette même enceinte onusienne, pour condamner les exactions du régime syrien et demander à la communauté internationale de défendre le peuple face aux dérives du président Bachar el-Assad.
En bilatéral, aux Nations Unies, à l’OTAN et dans beaucoup d’autres enceintes, nous travaillons étroitement avec nos partenaires américains.
P. V. : La Corée du Sud et la France ont été en mesure de construire une dynamique pour le G20 mais le passage de témoin semble moins concluant avec le Mexique. Comment maintenir la dynamique construite par Séoul et Paris ?
B. V. : La Corée du Sud avait porté plusieurs projets que nous avons pu concrétiser durant notre présidence, nous lui en sommes reconnaissants. Pour notre part et durant notre présidence du G20, nous avons fait avancer de nombreux dossiers sur des questions essentielles, notamment le renforcement du FMI, la taxe sur les transactions financières, des projets d’infrastructures prioritaires dans les pays en développement.
Nous avons également amené les pays du G20 à accepter l’idée d’un socle social minimal que tout le monde doit respecter. Il y a un certain nombre de règles sociales qui sont adoptées par tout le monde. C’est une petite révolution. Au niveau agricole, citons également toutes les mesures pour soutenir la production et en faveur de la stabilisation du cours de toutes les matières premières alimentaires.
Le Mexique préside le G20 depuis le 1er décembre 2011 et la France se félicite de ce passage de témoin. Elle travaille étroitement avec les autorités mexicaines pour le nécessaire transfert d’expérience entre présidences et continue à rester activement impliquée dans les travaux du G20, dans l’esprit du renforcement de la Troïka des présidences. Nous sommes confiants dans la capacité du Mexique à agir pour un monde plus stable et une économie internationale mieux régulée.
Manuscrit clos le 3 février 2012
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