ECRICOME : commentaire de carte, la méthode et l’exemple

Par Michel NAZET, le 21 décembre 2015  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Professeur honoraire, classes prépas - Lycée Saint Michel de Picpus (Paris). Auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages.

ECRICOME : cadeau pour les étudiants qui viennent de s’inscrire par milliers aux concours. Voici une méthode et un exemple pratique pour s’entraîner et faire la différence. Vous pouvez vous inscrire à la Lettre d’informations du Diploweb.com pour recevoir chaque semaine des informations utiles.

I. La méthode

LE COMMENTAIRE de carte en Histoire-Géographie et Géopolitique du monde contemporain (HGGMC) est une épreuve de la banque d’épreuves ECRICOME (Ecrits communs) qui vient en appui de l’une des deux dissertations données au choix à ce concours.

Il est noté sur 5 points et la dissertation qui l’accompagne sur 15.
Son introduction date de 2010, sur une proposition de l’Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales (APHEC).

Il s’agissait à l’origine dans le contexte de révision des programmes de proposer une alternative à la confection de carte obligatoire au concours de la banque d’épreuve de la BCE, épreuve ESCP.

Bien cadré par un texte officiel ainsi que par un numéro spécial d’Espace Prépas de décembre 2009 et intitulé Les bonnes cartes d’ECRICOME [1], l’exercice est désormais bien rôdé.

De quoi s’agit-il ?

Le texte officiel précise que la ou les cartes qui ont un rapport avec le sujet de la dissertation pourront être en couleur et que tout type de carte est susceptible d’être présenté : cartes géoéconomiques, géopolitiques, historiques, mise en cartographie de données quantitatives… Les cartes peuvent aussi être à très grande échelle portant sur des lieux géopolitiques majeurs. Le sujet peut par ailleurs proposer deux cartes au maximum dont la comparaison invite à saisir des évolutions, des redistributions des rapports de force. Le titre problématisé dans l’intitulé du sujet de la carte donne l’indication du thème à privilégier dans le commentaire. Des questions peuvent accompagner la ou les cartes proposées sans qu’elles soient obligatoires.

On attend du candidat qu’il démontre qu’il sait lire, analyser, décrypter les enjeux géopolitiques des cartes pour une meilleure compréhension de la complexité du monde actuel.

Il est bien précisé que le commentaire de carte n’est pas une nouvelle dissertation, qu’il doit être un exercice court qui ne saurait excéder une page et demie, qu’il doit être entièrement rédigé. Sont appréciées les qualités rédactionnelles, la pertinence de la réflexion, la capacité du candidat de dégager quelques idées-forces bien distinctes (et par là même son esprit de synthèse).


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Les attentes prérequises…

Outre celles qui viennent d’être soulignées et qui ne sont pas vraiment différentes de celles attendues pour la dissertation ou la confection d’une carte et de sa légende, il est bien sûr indispensable d’avoir des connaissances importantes et actualisées, la familiarité des cartes d’atlas mais aussi celles de la presse (cf. Espace prépas, Diploweb.com, Conflits, Le Monde…) ou du Dessous des cartes sur ARTE. L’exercice exige aussi que l’on s’y soit préparé en Khôlles et lors des devoirs sur table et/ou concours blancs a minima en seconde année, du moins, évidemment, pour tous ceux qui ont l’intention de présenter les épreuves ECRICOME. En règle générale, l’expérience montre que les élèves de CPGE accèdent à technicité déjà satisfaisante au bout de 4 à 5 exercices de ce type…


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Quelle méthodologie mettre en œuvre ?

Même s’il n’y a aucune obligation de le faire, il est souhaitable de préparer l’introduction, le plan, la conclusion de sa dissertation avant de passer au commentaire afin le cas échéant de créer une synergie entre les deux exercices.

En ce qui concerne le commentaire, il est indispensable dans un premier temps de bien lire le titre de la carte pour appréhender le thème de réflexion à retenir, pour prendre conscience de la nature de la carte, de sa source, de sa date de publication, de sa légende afin à la fois d’opérer un premier décodage des signes utilisés et surtout de se livrer à une analyse rapide de sa structure.

Il faut ensuite préparer puis rédiger son commentaire en une demi-heure environ en sachant que sont attendus, in fine, les éléments suivants :

1. En introduction (5-6 lignes) une présentation de la carte qui indique la source, la nature, l’objet, l’échelle [2], et éventuellement la projection choisie (Mercator…), et qui se termine par la présentation du problème géopolitique posé en essayant de ne pas tout simplement recopier le titre problématisé de la carte.

2. Un commentaire proprement dit (une bonne vingtaine de lignes) avec deux parties dont la longueur respective peut varier avec la matière dont on dispose. La première (une quinzaine de lignes le plus souvent) dégage les idées principales du document (généralement au moins deux, au plus quatre), la seconde (5-6 lignes) effectue une critique de la carte en montrant en quoi elle peut être partisane (les grandes puissances se placent presque toujours au centre d’un planisphère), ou discutable en raison de partis pris idéologiques, politiques ou même scientifiques (par exemple une carte des grandes zones de civilisation selon S. Huntington), ou encore biaisée et réductrice (il est impossible de cartographier tous les éléments d’un thème), même insuffisante… sans oublier que le monde évolue vite et qu’une carte de quelques années, voire quelques mois, comporte très souvent des lacunes qui, dévoilées, permettent au candidat de briller…

3. En guise de conclusion (5-6 lignes), il convient enfin de dégager la portée de la carte, c’est-à-dire son intérêt… en étant bien conscient qu’il y en a un… au moins pour le jury qui a donné le sujet !
Les enseignements de la pratique et des retours de correction…
Le cahier des charges retenues a été à ce jour respecté par le jury ECRICOME [3] qui a proposé des cartes solides de sources reconnues et ne portant pas le flanc à la critique :

En 2010, le sujet 1, Le développement du Proche et du Moyen-Orient, otage des ressources naturelles et des fractures géopolitiques était accompagné d’un commentaire de carte avec le titre L’Eau et la Paix, en appui d’une carte de l’Atlas du Monde diplomatique, A. Colin, 2006.

En 2011, le sujet 1, Le continent africain dans le jeu des puissances depuis la fin de la guerre froide, était complété par un commentaire intitulé : Que reste-t-il de la Françafrique avec pour support deux cartes extraites de L’Afrique indispensable, Les IDE français, Manière de voir n° 108, Le Monde diplomatique 2010, et de la revue Diplomatie n° 37 p. 62.

En 2012, le sujet 2, Les métropoles, territoires dominants de la mondialisation, comportait un commentaire de carte avec le titre Mondialisation et population urbaine : la planète des bidonvilles et était extraite de Manière de voir, le Monde diplomatique de décembre 2010-janvier 2011 p. 61.

En 2013, le sujet 1, L’Inde du sous-développement à la puissance ? était accompagné d’un commentaire qui avait pour titre : Quelle puissance géopolitique pour l’Inde aujourd’hui dans son environnement régional et portait sur une carte du Monde diplomatique de P. Rekacewicz de novembre 2009.

En 2014, le sujet 1, Les matières premières au cœur des nouveaux enjeux économiques et géopolitiques contemporains était accompagné d’un commentaire portant sur La terre, ressource stratégique avec deux cartes de la revue Tendeo/Paysans.

En 2015, le sujet Un monde sans frontières : une utopie dépassée ? était agrémenté du commentaire de carte suivant : Encore plus de murs dans un monde sans frontières ? Il portait sur une carte de
L’Atlas des migrants en Europe, Armand Colin, 2012.

En règle générale, les rapports de correction montrent que la proportion de copies réparties entre le sujet sans commentaire et le sujet avec est relativement aléatoire en raison du différentiel de difficulté estimé, à tort ou à raison, par le candidat.

L’expérience montre aussi que l’exercice peut se révéler valorisant (la plupart des copies ont une note supérieure à 2, 5 sur 5, et les copies qui respectent les consignes ont souvent une note supérieure à 4 sur 5) à condition, comme dans toute épreuve, à la fois d’éviter les principales chausse-trappes (hors sujet, exercice non terminé et ou bâclé faute de temps…), le commentaire confetti d’une demi-page ou le commentaire fleuve mal structuré, sans oublier une rédaction à la syntaxe et/ou à l’orthographe calamiteuse.

Dans ces cas de figure, la sanction est généralement rédhibitoire.
Il faut bien sûr encore éviter, cela se trouve aussi malheureusement, de se contenter de traiter la dissertation sans le commentaire, ou de traiter la dissertation sans commentaire avec le commentaire de l’autre sujet… Une négligence, voire une désinvolture, qui renforce le sentiment partagé par nombre de correcteurs que le commentaire est souvent une variable d’ajustement et un exercice pratiqué à la va-vite…

Dans le détail enfin, les étudiants connaissent mal, au niveau de l’introduction, les échelles et les projections utilisées qui sont le plus souvent ignorées et encore plus inexploitées. Les intérêts du texte, qui se résument à de la paraphrase du document, sont également trop souvent ignorés, au contraire de sa critique souvent adéquate et donc satisfaisante. La portée du document (en conclusion) est trop souvent absente.

II. La valeur de l’exemple : commentaire de carte portant sur l’Union européenne

Sujet n°1- l’Union européenne est-elle une puissance ?
Commentaire : la division de l’Union européenne, frein à la puissance ?
Carte : L’Europe élargie est-elle une puissance ?

ECRICOME : commentaire de carte, la méthode et l'exemple
L’Union européenne élargie est-elle une puissance ?
Conception : P. Verluise. Réalisation : M. Seynaeve pour Diploweb.com 2014

La carte au format pdf

Carte. L’Union européenne élargie est-elle une puissance ?
Conception : P. Verluise. Réalisation : M. Seynaeve pour Diploweb.com, 2014.

Commentaire : la division de l’Union européenne, frein à la puissance ?

Introduction

La carte de l’Europe centrée sur l’UE 1/25 000 000e [4], ici distinctement bordée par le Maghreb, les terres russes, le nord du Proche-Orient [5] et intitulée L’Union européenne est-elle une puissance ? a été conçue par Pierre Verluise et publiée en décembre 2014 sur le Diploweb, une revue géopolitique on line destinée aux publics (étudiants, spécialistes, grand public…) qui s’intéressent à la géopolitique [Nature du document].

À la fin de l’été 2015, au cours duquel l’Union européenne (UE) semble s’être divisée sur un éventuel Grexit et sur ce qu’il aurait signifié (la fin de la zone euro ? de l’UE ?), cette carte permet-elle de comprendre en quoi les modalités de la construction européenne handicaperaient l’expression de sa puissance [6] ?

Commentaire


Le document présente l’intérêt, de façon explicative, de revenir sur la rapidité du phénomène de l’élargissement de l’UE, sur l’hétérogénéité économique et les tropismes géopolitiques qui en résultent ainsi que de mettre en lumière les incohérences qui affectent la constitution de la zone euro.

En premier lieu, L’UE à 28 apparaît ici comme le fruit d’un processus très rapide puisque les sept élargissements se sont faits en une soixantaine d’années. Les derniers, conséquence de la fenêtre d’opportunité offerte par l’effondrement de l’URSS en 1991, ont eu pour conséquence l’entrée de 16 nouveaux pays, soit plus de la moitié de ses membres, dans une construction politique dont la gouvernance est largement intergouvernementale [7] et par là même consensuelle.

Ensuite, il est clair que non contente d’agglomérer des États de taille et de traditions politiques différentes, l’UE juxtapose des pays au niveau de vie très hétérogènes, puisque dix-sept ont un niveau de vie inférieur à la moyenne de l’UE. Ce qui dessine une Europe inédite à deux vitesses avec d’une part une Europe du Nord-Ouest (comprenant aussi la Finlande et la France) riche, et une Europe du Sud et de l’Est [8] pauvre.

Elle montre enfin en quoi les États européens, s’ils sont globalement atlantistes [9] pour des raisons de sécurité, sont écartelés de par leur géographie entre leur volonté de privilégier l’Est européen (l’Allemagne) et le Sud de la Méditerranée (les 4 pays méditerranéens)…

Ces choix ont enfin pour avantage (subliminal ?) de mettre en lumière les incohérences d’une zone euro qui réunit certes des pays des différentes strates de la construction européenne mais aussi, sans les réunir tous d’ailleurs, des pays riches et des pays pauvres, ainsi que des pays aux horizons géoéconomiques et géopolitiques divergents [Analyse].

Il n’en reste pas moins que la carte souffre, en raison des choix opérés, des difficultés pour cartographier des phénomènes institutionnels, ou tout simplement d’évolutions récentes, d’un certain nombre de lacunes.

En effet, les incomplétudes de sa puissance proviennent prioritairement de lacunes institutionnelles persistantes dans sa gouvernance économique, l’UE est loin d’être une zone monétaire optimale au sens de Mundell. Elle fait aussi l’impasse sur le phénomène de polarisation économique mise en lumière par l’école de la nouvelle économie géographique [10] qui explicite une polarisation de l’économie européenne autour des grandes métropoles européennes au détriment des marges, en particulier celles du Sud [11]. Enfin, elle ne prend pas en compte un certain nombre d’évolutions récentes : la France, de tradition gaullo-mitterrandiste, est probablement l’État européen le plus atlantiste de l’heure et la Grèce a aussi aujourd’hui un tropisme oriental qui la fait regarder vers la Russie, sinon vers la Chine… [Critique]

Conclusion et portée

Il ressort clairement de la carte étudiée que l’Europe n’est pas une véritable puissance parce qu’elle ne le peut pas en raison de ses intérêts contradictoires et dont elle ne le veut pas non plus parce qu’elle serait sensée privilégier tel ou tel pays au détriment des autres [12].

La question qui n’est par contre ici pas tranchée est de savoir si elle peut surmonter ces deux obstacles par le renforcement des disciplines et de la solidarité européennes ou encore la création d’un Parlement de la zone euro.

La sortie provisoire de la crise grecque peut le laisser espérer mais cela prendra du temps au prix sans doute d’autres psychodrames collectifs surtout si l’on veut croire avec J. Attali que l’Europe n’avance que lorsqu’elle a peur.

Copyright Décembre 2015-Nazet/Diploweb.com


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[1-Pour l’essentiel voir Anne Battistoni et Alain Nonjon, Cartes en mains, Ellipses, 2013

[2NDLR : L’échelle est la distance à laquelle est apprécié un espace. Dans la cartographie contemporaine, l’échelle est le rapport existant entre un centimètre sur la carte et un centimètre sur le terrain. Ce rapport est toujours exprimé en 1/x (1 centimètre sur la carte pour x centimètres sur le terrain). Les différentes échelles produisent des images plus ou moins proches, et plus ou moins précises du territoire. Les géographes distinguent plusieurs ordres de grandeur entre la très grande échelle, détaillée, et la petite échelle qui, contrairement à ce qu’exprime le français courant, est le propre des cartes représentant de vastes espaces. Un planisphère est ainsi une carte à très petite échelle. Stéphane Rosière, Professeur à l’Université de Reims, enseigne ainsi que « les analyses de géographie politique comme de géopolitique marient les comparaisons et les analyses d’un problème à différentes échelles. »

[3- Les annales sont visibles sur le portail de la banque d’épreuves, elles comprennent, outre les sujets, un rapport et une proposition de corrigé.

[4- 2cm pour 500 km soit 5 0 000 000 cm et 1cm pour 25 000 000 donc 1/25 000 000e

[5- Le détail a son importance, cf. ci-dessous le 4e paragraphe du commentaire.

[6-Le concept de puissance, indispensable était à expliciter dans la dissertation et l’on pouvait y renvoyer sans le redéfinir.

[7- Notion capitale pour comprendre des atermoiements décisionnels que la cohérence du couple franco-allemand permet généralement de lever.

[8- Le propos est ici justifié dans la mesure où le rideau de fer serait devenu un « souvenir ».

[9-C’est-à-dire des partisans de l’alliance américaine et d’un rôle effectif de l’OTAN.

[10-Paul Krugman ou, en France, Laurent Davezies.

[11- Alors que le sud de l’Italie est loin d’être épargné, elle explique une sensibilité plus grande à la crise.

[12-Cf. le discours sur l’Europe allemande

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