Cet ouvrage convient tout à fait à des lecteurs intéressés par ce vaste sujet qu’est la guerre. Il recoupe diverses disciplines comme les sciences politiques, la sociologie, l’histoire, les relations internationales et la philosophie.
Le Diploweb.com présente le livre d’Élie Barnavi, "Dix thèses sur la guerre", Paris, Café Voltaire Flammarion, 2014, 142 p. ISBN 978-2-0813-3308-6.
ELI BARNAVI nous livre dix thèses sur la guerre. Ce professeur émérite enseignant l’histoire de l’Occident moderne à l’Université de Tel-Aviv a publié cet ouvrage à l’heure où des guerres incessantes à l’échelle globale connectent une multitude d’acteurs. En effet, la guerre est au cœur des débats puisque son évolution ne cesse d’être soulignée, et l’apparition de menaces inédites a fait ressurgir la question d’un nouveau conflit mondial.
Si l’histoire militaire n’est pas sa spécialité, l’auteur a un point de vue qui est toutefois intéressant puisqu’il a lui-même été soldat dès son adolescence, servant comme parachutiste dans deux conflits israélo-arabes. Cette expérience personnelle est d’ailleurs systématiquement partagée avec le lecteur avant de développer chacune de ses thèses.
Par ailleurs, cet ancien ambassadeur d’Israël en France ne peut s’empêcher d’évoquer les rapports qu’a sa patrie avec la guerre, et entend donc éclairer ses lecteurs sur le conflit israélo-palestinien. Engagé, Elie Barnavi a appelé les parlementaires français à la reconnaissance d’un Etat palestinien en novembre 2014.
Chacune des dix thèses proposées par Elie Barnavi sont des questions anciennes, mais toujours d’actualité. Les exemples donnés couvrent ainsi différentes guerres sur différentes périodes, et incluent différents acteurs.
La réflexion globale de l’auteur est axée sur la guerre en tant qu’institution sociale et culturelle, et est ponctuée d’anecdotes sur « sa » guerre [1]. Partant de son expérience personnelle, il évoque tout d’abord le conditionnement psychologique du soldat avant, pendant et après la guerre. L’auteur énonce d’ailleurs que ce conditionnement s’applique à toute personne subissant et participant à une guerre.
Par ailleurs, la guerre serait inhérente à toute société. L’auteur le démontre à travers l’émergence historique de l’Etat, qui est « né de la guerre et par la guerre, et est en train de désapprendre la guerre » (p. 19)
Il précise son développement en insistant sur le cas de la société israélienne, qui est véritablement née de la guerre. Évoquant un véritable mode de vie, il justifie ainsi le rôle central que joue l’armée dans un pays « entouré de puissances hostiles et menacé d’emblée d’anéantissement, par ailleurs faible en ressources territoriales, humaines et matérielles » (p. 48). Cette armée illustre d’ailleurs en partie l’influence du pouvoir religieux dans la société, à travers la diffusion d’une propagande nationale-religieuse dans les troupes [2].
L’histoire démontre que la guerre est une épreuve inévitable quel que soit le régime politique mis en place.
Bien qu’il ne soit pas d’accord avec la thèse du politologue Morgenthau selon laquelle la guerre est dans la nature humaine, l’auteur souligne que cette épreuve est inévitable quel que soit le régime politique mis en place.
De plus, il existe une rationalité admise et institutionnalisée autour de ce phénomène, puisque la guerre est encadrée par un droit de la guerre et produit des organisations. L’auteur considère d’ailleurs cette régulation comme un progrès.
De cette essence découle une perception de la guerre dans l’opinion publique, que l’auteur évoque à travers la notion de culture de guerre. Cette culture spécifique à chaque conflit, créée notamment par les institutions scolaires, n’est cependant pas une condition pour faire la guerre.
L’auteur souligne qu’actuellement la perception de la guerre dans la société civile se traduit par un esprit public de refus de la guerre, pesant sur la politique des gouvernements.
Historien de métier, l’auteur étudie succinctement l’évolution des guerres du point de vue de leur forme, de leurs caractéristiques et des moyens employés.
L’auteur souligne ainsi qu’en termes de violence, il existe une différence de degré et non de nature entre les guerres du passé et celles du présent. En effet, « toute guerre porte en elle, à des degrés divers, une certaine ’barbarisation’ des comportements humains » (p. 72).
De plus, l’auteur évoque le phénomène relativement récent des guerres civiles, qui produisent elles aussi une culture de guerre dans l’opinion publique. Ces guerres incluent d’ailleurs systématiquement des acteurs extérieurs qui interviennent selon leurs propres intérêts.
L’auteur souligne que la capacité grandissante des armées ainsi que le progrès technique font que l’ampleur de ces guerres ne doit pas être sous-estimée, en comparaison avec des guerres plus « classiques ».
Estimant que toute guerre civile s’apparente à une guerre de religion, Elie Barnavi énonce d’autre part que toutes les conditions des guerres de religion se combinent actuellement dans une configuration nouvelle.
Spécialiste de la guerre civile religieuse en France dans la seconde moitié du XVIe siècle, l’auteur rappelle une typologie des guerres de religion qu’il avait auparavant dressé [3] ; celles qui opposent les religions entre elles ; celles qui opposent des acteurs ayant des visions différentes de la même religion au sein d’un Etat ; et enfin, celles « entre un islam purifié, débarrassé des scories étrangères, revenu aux sources de la foi et ayant ainsi retrouvé ses vertus conquérantes, et l’Occident athée, corrompu et corrupteur, et ses valets du monde arabo-musulman » (p. 93).
L’instauration d’un califat régional au Moyen-Orient par l’EIIL traduit plus largement sa volonté de provoquer une guerre civile à l’échelle globale.
Cette dernière catégorie serait tout à fait inédite selon lui, et correspondrait actuellement aux actions del’organisation de l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL). En effet, l’auteur estime que l’instauration d’un califat régional au Moyen-Orient par l’EIIL traduit plus largement sa volonté de provoquer une guerre civile à l’échelle globale.
Ces guerres de religion, particulièrement cruelles et passionnées, couplent cependant la défense de la foi avec des causes diverses (sociales, politiques, internationales...). La religion reste néanmoins la justification suprême qui lie les coalitions disparates, et non un simple prétexte.
Concernant les moyens employés, l’auteur évoque le phénomène de médiatisation des conflits et en déduit que les médias sont une composante essentielle de la guerre. En effet, ils peuvent favoriser voire freiner une intervention militaire, et permettre l’émergence d’une question nationale sur la scène internationale.
Cette médiatisation est une bonne chose selon lui, puisque cela signifie que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, selon la définition du théoricien Clausewitz.
Censure et/ou "communication" ?
Cette médiatisation doit cependant être contrôlée. L’auteur évoque ainsi les difficultés pour les corps armés de maîtriser leur communication, tout en soulignant l’impuissance de la censure militaire. Des difficultés tiennent également au fait que les sociétés attachent de plus en plus d’importance à la transparence ainsi qu’à la liberté de la presse, ce qui justifie l’effort des armées à communiquer le maximum d’information possible.
Il évoque aussi des procédés mis en place pour satisfaire médias et armées, mais qui peuvent s’avérer préjudiciables pour la guerre. En effet, la logique de chacun des deux reste différente ; si l’un veut gagner la guerre, l’autre veut en rendre compte.
[4]
Elie Barnavi reste malgré tout optimiste quant à l’instauration d’une paix durable, et s’interroge sur d’éventuelles solutions. Il relève d’ailleurs qu’il y a de moins en moins de conflits armés, et de moins en moins de victimes.
Selon lui, les solutions ne se trouveraient pas dans le pacifisme intégral. En effet, cette doctrine traduit un rejet radical de la guerre et de toute violence et a parfois « atrophié les défenses des démocraties et facilité la tâche de ses ennemis » (p. 117). Les solutions ne sont pas non plus à rechercher dans le progrès ni dans l’avènement d’un homme nouveau, et encore moins dans l’instauration d’un gouvernement mondial.
Selon l’auteur, c’est le modèle de l’Europe, et de façon plus globale l’organisation du monde en démocraties libérales qui pourrait mettre fin à la guerre, et ainsi briser le postulat ancré dans les esprits selon lequel la guerre est une fatalité humaine. En effet, il rappelle qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale l’Europe a « cassé le cycle stérile des guerres et des traités de paix […] qu’elle a remplacé par un ordre international inédit » (p. 136). Il souligne que c’est d’ailleurs le seul endroit dans le monde où il n’y a pas de guerres de religion.
Le parallèle avec l’expérience personnelle de l’auteur est très intéressant et rend l’ouvrage presque autobiographique. Plongée immédiatement dans le vif du sujet, ce choix narratif permet de porter sur la réalité de la guerre un regard neuf et dépourvu de naïveté. Pour ceux qui ne sont pas familiers de l’histoire d’Israël, certains éléments peuvent cependant paraître abstraits. Le livre se lit très rapidement.
Cet ouvrage convient tout à fait à des lecteurs intéressés par ce vaste sujet qu’est la guerre, et recoupe diverses disciplines comme les sciences politiques, la sociologie, l’histoire, les relations internationales et la philosophie.
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[1] Elie Barnavi a notamment combattu lors de la Guerre des Six Jours entre Israël, la Jordanie et la Syrie (en juin 1967)
[2] Cette diffusion est faite par l’Aumônier général du Rabbinat militaire, officier général aux côtés du chef du département de l’Education
[3] Cette typologie avait été dressée dans son ouvrage Les religions meurtrières et y est plus amplement développée
[4] Formule du philosophe Kant qui cherchait à sortir les Etats de leur état de nature, c’est-à-dire l’état de guerre permanente
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