Paris : Karthala, 2008, 238 p. Ce livre aide à comprendre le rôle et la perception de l’institution militaire dans l’évolution socio-politique russe de ce début de XXIe siècle.
Le mérite de ce travail est de montrer que la question militaire ne se réduit pas à l’accumulation d’une puissance mesurable en termes de capacités matérielles. Elle participe d’un processus d’abord politique et social. Au-delà de la puissance, il y a les acteurs.
Extrait de la préface, résumé du livre et lien vers un podcast présentant un entretien avec Mme Sieca-Kozlowski.
ENTAMER une recherche sur le lien armée-nation dans la Russie de Vladimir Poutine n’est pas chose aisée. L’entreprise, en l’occurrence, cumule plusieurs difficultés.
La première est naturellement l’accès à l’information, dans un pays où celle-ci semble se restreindre, a fortiori lorsqu’il s’agit de sécurité ou de défense. La deuxième vient du fait que l’armée russe fait partie des institutions les plus touchées par les bouleversements que le pays a connus depuis 1991 : jadis redoutée dans le monde entier comme symbole de la puissance et des ambitions soviétiques, désorientée ensuite par la fin de la guerre froide au point de plus même être prise au sérieux par l’Occident, aujourd’hui au centre des tentatives de Vladimir Poutine pour reconstruire un patriotisme d’Etat, l’armée russe héritière de l’armée rouge n’est pas un objet d’étude stable. A ces obstacles déjà importants, les auteurs de ce travail ajoutent à la complexité de la tâche, en choisissant un angle d’approche sociologique plutôt que géopolitique. Il eut été plus facile, sans doute, de puiser dans la littérature de relations internationales, les annuaires stratégiques et leurs estimations diverses, pour offrir au lecteur une esquisse plus ou moins vérifiable des capacités militaires russes actuelles, ou de disserter sur la résurgence d’une menace venue de l’est, voire d’une nouvelle guerre froide.
Ils ont préféré la porte étroite, qui consiste à nous montrer la place, le rôle, la perception de l’institution militaire dans l’évolution socio-politique russe de ce début de XXIe siècle. L’ambition exige une finesse d’analyse, une connaissance du terrain, un accès aux sources mais aussi aux non-dits, que seuls des spécialistes confirmés pouvaient réunir. […]
L’utilité d’un tel travail est multiple. Il fournit d’abord un ensemble de connaissances difficiles à rassembler, sur des sujets aussi sensibles que les relations entre l’Eglise et l’armée, l’information à caractère militaire, l’antimilitarisme, ou plus globalement sur les perceptions tourmentées d’une société confrontée à la guerre en Tchétchénie, à la résurgence d’un nationalisme post-soviétique, et à l’actualité souvent peu glorieuse d’une armée en quête de repères et de prestige. Une armée dont le nombre est devenu un handicap bien plus qu’un signe de puissance, une armée à réformer sans doute (mais comment ?), une armée dont les opérations hasardeuses, les exactions (en Tchétchénie toujours), les violences internes et les dysfonctionnements (depuis les bizutages et autres mauvais traitements jusqu’au naufrage du sous-marin Koursk en août 2000 en mer de Barents) ont donné, à l’étranger mais aussi sur la scène intérieure, en dépit des efforts de communication, une image négative.
La rencontre, dans ce contexte, entre culture militaire et mobilisation patriotique, est d’autant plus délicate. Parce que chacun de ces deux concepts nécessiterait un effort de définition ardu, parce que l’interaction entre les deux est explosive, et parce que le « moment poutinien » ne fait qu’exacerber les tensions de cette dialectique entre le pouvoir et la force, une réflexion sur ce thème était la bienvenue. […] Le mérite de la sociologie militaire en général et de ce travail en particulier, est précisément de montrer que la question militaire ne se réduit pas à l’accumulation d’une puissance mesurable en termes de capacités matérielles. Elle participe d’un processus d’abord politique et social. Au-delà du « secret défense », il y a les sociétés, leurs interactions et leur complexité. Au-delà de la puissance, il y a les acteurs. Au-delà des décideurs, il y a « l’intendance » (qui ne suit pas toujours), les hommes (qui ne sont pas à toute épreuve), l’environnement (qui soutient… ou dénonce). Autant de dimensions redécouvertes ici, qui lance des pistes nombreuses pour un agenda de recherche académique renouvelé, et des questionnements pertinents pour les praticiens de l’international, civil ou militaire.
Copyright Karthala 2008
Commémorations célébrant le courage et l’héroïsme au combat, exaltation du patriotisme dans le discours politique et l’espace public, mise en avant des forces armées, politique étrangère visant à la restauration du statut de grande puissance du pays : La Russie semble saisie d’une vague de patriotisme sans précédent dont les formes les plus radicales comme les discours de la "préférence nationale", les agressions racistes ou la violence extrême du conflit tchétchène, inquiètent. Au delà des aspects les plus spectaculaires, et en s’interrogeant aussi sur les continuités historiques, cet ouvrage montre que le militaire garde une place centrale dans les institutions et la société russes contemporaines.
Voir le détail de l’œuvre et écouter le podcast "Culture militaire et patriotisme dans la Russie d’aujourd’hui", entretien avec E. Sieca-Kozlowski. Voir et écouter
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