La disponibilité de principe affichée par la Banque centrale européenne à intervenir sur les marchés de la dette souveraine pour peser sur des primes de risques injustifiées, confirmée lors de la réunion du conseil des gouverneurs de la BCE le 6 septembre 2012, apporte le chaînon manquant aux mesures de consolidation de l’UEM élaborées par les Etats-Membres aux cours des deux dernières années. En faisant disparaître le risque catastrophique (au sens financier) liée aux craintes de dissolution de la zone euro, l’attitude de la BCE donne du temps aux Etats pour mettre en œuvre les réformes engagées et pour réaliser les ajustements budgétaires annoncés. A ce titre, sans mettre fin à la crise dans la zone euro, elle annonce la fin de la crise de la zone euro.
DANS SON DISCOURS du 26 juillet 2012, Mario Draghi, a désigné les incertitudes sur la pérennité de l’Union économique et monétaire (UEM) comme facteur des taux d’intérêt excessifs sur la dette des Etats-membres en difficultés. Ce faisant, le président de la Banque centrale européenne (BCE) a formulé un diagnostic lucide et éclairant sur la nature de la crise de l’euro, en même temps qu’il fournissait une justification imparable à une intervention de la BCE sur les marchés de la dette des Etats Membres (EM) concernés.
La disponibilité de principe affichée par la Banque à intervenir sur les marchés de la dette souveraine pour peser sur des primes de risques injustifiées, confirmée lors de la réunion du conseil des gouverneurs de la BCE le 6 septembre 2012, apporte le chaînon manquant aux mesures de consolidation de l’UEM élaborées par les EM aux cours des deux dernières années.
L’ensemble des éléments permettant d’envisager le dénouement de la crise de la zone euro - création de mécanismes d’assistance conditionnelle aux pays connaissant des difficultés de financement, renforcement de la discipline budgétaire des EM, mise en place de procédures de régulation et de gestion de crise centralisées du secteur bancaire, possibilité d’intervention illimitée de la BCE pour apaiser les tensions sur les marchés de la dette souveraine - sont en place.
C’est ce qu’a pu constater le président de la République française dans une interview à plusieurs journaux européens, dont Le Monde, le 17 octobre 2012 : « Sur la sortie de crise de la zone euro, nous en sommes près, tout près ».
Les réformes décidées visent à conforter l’UEM en palliant ses lacunes. Elles n’en changent pas la nature, qui reste celle d’arrangement de changes fixes plurinational. Mais elles renouvellent tout en les renforçant les engagements que les Etats ont pris, envers eux-mêmes, en choisissant de créer l’euro. Explicitement : ne pas faire financer leur dette souveraine par la BCE ni par leurs partenaires, maîtriser leur déficit et leur dette. Implicitement : rétablir leur compétitivité par la dévaluation interne, c’est-à-dire, comme du temps de l’étalon-or, la baisse relative des coûts et des prix, comprimer la demande intérieure pour équilibrer leur balance courante en cas de choc sur les flux de capitaux.
Après avoir décrit la résurgence du risque de change au sein de l’Union monétaire et rappelé comment les Etats du cœur étaient sortis de la crise du système monétaire européen en 1993, on souligne le parallèle avec le dispositif élaboré par la zone euro pour sortir de la crise actuelle : articulation d’une stratégie de moyen/long terme, permettant, d’une part d’ancrer l’anticipation du respects de nouvelles disciplines, budgétaires par les EM et, d’autre part, de fournir une assistance financière conditionnelle aux Etats confrontés à une crise de financement ; et d’un dispositif de tactique permettant de dissuader, si nécessaire, la spéculation sur les titres souverains des pays de la zone euro en difficulté via la disponibilité de la BCE à intervenir sans limite sur le marché de la dette souveraines des Etats dans le cadre d’un programme d’assistance.
En évoquant pour la première fois dans la bouche d’un président de la BCE l’existence de primes de risque liées aux doutes des investisseurs sur l’irréversibilité de l’euro [1], Mario Draghi a formulé un diagnostic précis et alarmant de la crise de l’euro.
I .1. Le diagnostic est précis, car il désigne la crise de l’euro pour ce qu’elle est devenue, à savoir la crise d’un arrangement plurinational de changes fixes. Il rappelle que le trait fondamental d’une union monétaire n’est pas l’existence d’une monnaie unique mais la fixation irrévocable des parités [2]. En adoptant ce point de vue, on comprend pourquoi des causes différentes explosion de la dette publique, perte de compétitivité, faiblesse des perspectives de croissance potentielle trouvent une expression commune dans les pays de la zone euro en crise : l’envolée du coût de la dette publique et du crédit au secteur privé. La résurgence de primes de convertibilité contribue de manière potentiellement auto-réalisante à l’envolée des taux d’intérêt dans les pays en difficultés, qui peuvent s’établir sur un « mauvais » équilibre, selon le Président de la BCE. Le fractionnement de la zone euro qui en résulte se traduit par des conditions de financement excessivement diverses dans la zone et des sorties de capitaux, particulièrement importantes en Espagne (après la Grèce), qui compromettent la conduite de la politique monétaire par la BCE.
La cause commune est la crainte des créanciers, nationaux comme internationaux, que le coût économique, social et politique des ajustements nécessaires pour maîtriser la dette, rétablir la compétitivité ou relancer la croissance en l’absence d’ajustement du change, ne conduisent les gouvernements à reconsidérer la participation de leur pays à la zone euro et à réintroduire des mesures de contrôle des changes, voire à décider de quitter l’euro.
1.2. Précis, le diagnostic du président de la BCE est également alarmant : il implique que les pays en difficulté de la zone euro se retrouvent dans une situation comparable à celle qu’ils ont connue en 19921993, lors de la crise du SME. Autrement dit, pour une partie des Etats membres (EM) de la zone euro, les acquis de la formation de l’euro, notamment la stabilisation définitive du change nominal, sont mis en doute et ces pays ainsi que leurs partenaires sont de nouveau dans l’obligation de convaincre les investisseurs de leur engagement à maintenir le gel des parités, par des mots et par des actions, exprimant cet engagement de manière contraignante, dans la durée.
La longueur même de la crise, qui se poursuit depuis maintenant 3 années, ayant progressivement gagné tous les pays de la périphérie de la zone euro selon des séquences d’évènements répétitifs et prévisibles, montrent que l’UEM est plus robuste que le SME. Lors de la crise du SME, les pays fragiles, confrontés non seulement à l’envolée des primes de risque sur leur dette mais aussi à l’épuisement de leurs réserves de change et au refus de la Bundesbank de participer au soutien des monnaies attaquées, n’avaient pas résisté bien longtemps avant de dévaluer leur monnaie. La crise de l’euro laisse plus de temps aux EM pour ajuster leurs politiques. La zone euro a su se doter de mécanismes d’assitance aux Etats confrontés à une crise de leur balance des paiements, précocement, et en marge des traités de l’UE. Surtout, certains acquis de l’euro ont fonctionné en faveur des pays en crise. En particulier, les arrangements de trésorerie (Target) entre les banques centrales nationales et la BCE permettent aux pays en crise de financer le déficit de leur balance des paiements sans avoir à se soucier de l’épuisement de leurs réserves. Le mécanisme, qui se traduit par la constitution symétrique de créances et de dettes dans les comptes de la BCE, fonctionne comme un système de swaps indirects entre les Banques centrales nationales de la zone euro. Les pays de la périphérie en crise ont ainsi accumulé un montant de dettes de 650 Mds d’euros à la fin de 2011, couvrant à hauteur de 48% du PIB pour la Grèce, de 77% pour l’Irlande, de 35% pour le Portugal, de 16% pour l’Espagne et de 12% pour l’Italie, leur déficit courant et les sorties nettes de capitaux vers le reste de la zone. En contrepartie, les pays du Nord de la zone ont accumulé un montant de créances équivalent, au grand dam de certains économistes allemands qui dénoncent un mécanisme dissimulé d’assistance [3]. Ces flux publics de créances et de dettes compensent l’assèchement des flux privés en direction des pays en difficultés, notamment en direction de leurs banques, qui s’accompagne d’un fractionnement sur des lignes nationales des marchés monétaires et financiers de la zone euro. Au total, les pays en difficulté ont bénéficié de mécanismes de solidarité qui leur avaient été refusés lors de la crise du SME, 20 ans auparavant.
Toutefois, le maintien d’un arrangement de changes fixes est avant tout fonction de la volonté politique des Etats participants, et de la perception de cette volonté, notamment par leurs partenaires, autres Etats, Institutions financières internationales (IFI), marchés, avec dans le cas de ce dernier, un élément de prophétie auto-réalisante. La rigueur imposée par la sanction des marchés, renforcée dans le cas des pays sous programme d’assistance par les conditionnalités surveillées par la Troïka, entretient les craintes que les gouvernements, soumis à la pression populaire, soient tentés par le défaut sur leur dette et la sortie de l’euro. Ce faisant, les investisseurs et les opérateurs de marché méconnaissent la profondeur de l’engagement européen des EM et l’ampleur du capital politique investi dans toutes les étapes et tous les acquis de la construction européenne. Mais, en sens inverse, les Etats ne peuvent échapper au fait que leur engagement est par nature contingent, par manque de moyens d’exécution forcée sur des Etats souverains. Il doit dont être périodiquement renforcé pour combler les lacunes révélées par l’expérience, le plus souvent au travers de crises.
Se construisant au travers de crises, l’Europe peut tirer des leçons des crises par lesquelles elle est passée et s’inspirer des solutions trouvées pour y faire face. Les points communs entre la crise actuelle de la zone euro et la crise du SME suggèrent que les EM de la zone sont en passe de réunir les éléments permettant de sortir de la crise présente.
Les EM sont sortis de la crise du SME en articulant une stratégie de long terme et un dispositif tactique. La stratégie de long terme visait au renforcement de la discipline en matière de politique monétaire, par l’accélération de la mise en œuvre du traité de Maastricht, notamment l’indépendance des banques centrales, et la création de l’euro. Le dispositif tactique visait à dissuader la spéculation contre la monnaie des pays ayant décidé de se maintenir dans le SME, en recourant à un ample élargissement des marges de fluctuations. Les engagements contenus dans la stratégie de long terme ont contribué à ancrer des anticipations favorables à la stabilité des changes dans le SME ; l’incertitude introduite par l’élargissement des marges de fluctuations entre les monnaies du SME rendait aléatoire les paris spéculatifs à la Soros sur la dévaluation des monnaies.
A l’instar de la crise du SME, la sortie de la crise de l’euro passe par l’articulation d’une stratégie de moyen/long terme, permettant, d’une part d’ancrer l’anticipation du respects de nouvelles disciplines, budgétaires par les EM et, d’autre part, de fournir une assistance conditionnelle aux Etats confrontés à une crise de financement ; et d’un dispositif de tactique permettant de dissuader, si nécessaire, la spéculation sur les titres souverains des pays de la zone euro en difficulté.
La proclamation crédible de l’engagement de tous les EM, ceux qui sont en crise et ceux qui ne le sont pas, à préserver l’union monétaire est la seule issue à la crise. Il y faut plus que des mots, des mécanismes crédibles, au sens où ils sont opérationnels sur une échelle financière adéquate et susceptibles d’être mie en œuvre à temps sans risquer d’être remis en cause, par manque de volonté politique ou de moyens financiers.
II.1. Les composantes de la stratégie de moyen/long terme ont été mise en place au fil des réformes de la gouvernance de la zone euro adoptées par les Etats au cours des deux dernières années. Leur cohérence se mesure au regard de leur objectif : combler les lacunes de l’UEM.
Celles-ci sont désormais admises et décrites avec un détachement qui ne peut que troubler le citoyen lambda, par les personnalités en position de responsabilité lors de l’élaboration de l’euro ou de sa gestion aujourd’hui : l’impotence du Pacte de stabilité et de croissance, l’absence de suivi et de surveillance des déséquilibres extérieurs et de la compétitivité, le manque de régulation centralisée du secteur bancaire, qui crée une corrélation dangereuse entre la dette souveraine et les bilans des banques d’un même Etat, la carence d’outils de gestion de crise, pourtant envisagées au moment du lancement de l’euro.
II.2.1. Les réformes sont centrées sur le renforcement de la discipline budgétaire des Etats, avec la visée de maîtriser puis de réduire l’endettement public. Au risque de la redondance et de la complexité, divers dispositifs – « semestre européen », « six pack », TSCG, « two pack » - visent tant au plan national qu’au plan communautaire, à détecter précocement, à prévenir et le cas échéant, à sanctionner ab ovo, les déficits excessifs des Etats.
S’ils sont efficaces, les dispositifs nouvellement installés ou renforcés auront pour effet de contraindre les Etats à stabiliser leur dette, voire à la réduire à marche forcée, pour les plus endettés d’entre eux. A cet égard, ils sont susceptibles d’ancrer les anticipations des investisseurs en traduisant la volonté affichée des Etats de pratiquement renoncer, hors circonstances exceptionnelles, à l’endettement comme moyen de financement ordinaire de leurs dépenses, d’une manière qui rappelle leur renoncement antérieur à une politique monétaire indépendante et à la possibilité de dévaluer leur monnaie.
La prévalence du modèle allemand dans la gouvernance de l’euro est confirmée et étendue de la gestion de la monnaie aux finances publiques.
Les conditions mises à l’adhésion à l’euro impliquaient l’adoption du modèle monétaire de l’Allemagne par les EM. Cela s’est traduit par la rupture des liens entre gouvernements et Banques centrales, au niveau national d’abord puis au profit de la BCE. On peut penser que les pays qui ont acquiescé ont compris qu’ils renonçaient à une prérogative (pratiquer une politique monétaire indépendante de celle de la Bundesbank, i.e. plus inflationniste garantie par la possibilité de dévaluer) qu’ils ne possédaient plus de facto, pour en avoir expérimenté la vanité au cours des années 1980, du fait de l’ajustement des prix et des salaires.
Cette fois, c’est la politique budgétaire qui est en jeu. Il s’agit là aussi d’adopter le modèle allemand (un modèle récent et pas encore testé, d’ailleurs). Ce modèle inclut la mise en place de limites nationales à l’endettement. Les Etats sont réticents à se défaire d’une prérogative, cette fois la capacité à s’endetter, qu’ils voient comme un attribut de la souveraineté. Mais beaucoup n’ont-ils pas en pratique perdu la capacité de s’endetter ?
Pourquoi le modèle allemand parvient-il à s’imposer ? Moins du fait de la pertinence économique des idées allemandes que du fait de leur adéquation à l’Union européenne conçue comme une « société » d’Etats [4]. L’approche allemande de l’organisation de la société repose sur l’ordo-libéralisme qui distingue la société civile de l’Etat, la première recevant du second des règles qui permettent la poursuite harmonisée de leurs intérêts par les individus, en garantissant la stabilité de leur environnement. La monnaie est l’une de ses règles. L’UE est fondée sur des règles pour la même raison : procurer aux EM un cadre de stabilité au sein duquel ils peuvent poursuivre de manière harmonisée la recherche de leurs intérêts.
II.2.2. Les réformes visent également à renforcer la surveillance multilatérale de la performance macro-économique des EM, principalement sous l’angle du crédit et celui de la compétitivité, afin de détecter précocement et de prévenir les crises de balance des paiements au sein de la zone euro.
Là encore, il s’agit de tirer les enseignements de l’expérience depuis la création de l’euro qui a été marquée par des divergences croissantes dans l’évolution des coûts, des prix et de la compétitivité au sein de la zone, contribuant aux creusements de déséquilibres persistant des balances des paiements courants. Les mécanismes de surveillance mis en place et les recommandations de la Commission européenne aux Etats qu’ils permettront de formuler pourraient non seulement lisser les ajustements de balance courante au sein de la zone mais également les rendre plus symétriques, en répartissant les efforts entre Etats excédentaires et Etats déficitaires…
Récemment, les Etats-membres se sont également rendus à la nécessité de conforter l’UEM par la mise en place d’une union bancaire reposant sur des procédures centralisées de régulation et de gestion de crise du secteur bancaire. Dotée à l’instar de la Bundesbank d’un mandat étroit (la stabilité des prix), la BCE a été créée sans responsabilité explicite par rapport à la stabilité du système bancaire et financier, notamment sans rôle explicite de prêteur en dernier ressort et sans compétences en matière de régulation du secteur bancaire.
Avant même la crise de l’euro, la crise des subprimes et ses répercussions sur les banques internationalisée, a marqué la fin du modèle initial de la BCE, laquelle, sous la direction de J.C. Trichet s’est investie sans hésitation d’un rôle de prêteur en dernier ressort. La crise de l’euro a ensuite révélé à quel point les asymétries dans les pratiques nationales de régulation bancaire avaient contribué à favoriser un endettement public et privé excessif dans les pays de la périphérie de la zone euro et à créer une interaction toxique entre la dette souveraine et les bilans bancaires. Pour permettre à la BCE d’exercer pleinement sa responsabilité en matière de stabilité du secteur bancaire et financier, le Conseil européen de juillet 2012 a décidé de lui confier la régulation centralisée des banques dans la zone euro et de mandater la commission pour faire des propositions visant à renforcer la centralisation de la supervision et de la gestion de crise du secteur bancaire dans la zone euro.
II.2.3. La zone euro s’est dotée, tôt dans la crise, de mécanismes d’assistance conditionnelle aux Etats connaissant des difficultés de balance de paiements du fait de reflux brutal des capitaux extérieurs. Elle l’a fait en dehors des traités de l’UE, qui interdisent explicitement le financement croisé des dettes publiques, dans un premier temps de manière plutôt informelle (le Fonds européen de stabilité financière, FESF) ; puis de manière plus formelle, en créant, dans le cadre d’un traité spécifique ayant vocation à être intégré au socle juridique communautaire, le mécanisme européen de stabilité (MES), doté d’un capital dont 80 mds d’euros sont libérés. L’activation du MES, avalisée par la cour constitutionnelle allemande, lui permettra de prendre le relais du FESF pour les opérations nouvelles.
Au travers du FESF et du MSE, la zone euro est dotée de mécanismes d’assistance couvrant une gamme d’interventions de nature comparable à celles du FMI, quoique plus diversifiées puisqu’ils autorisent, outre des prêts concessionnels, des interventions sur le marché primaire et secondaire de la dette des Etats assistés ainsi que la recapitalisation directe de leurs banques. Comme dans le cas des interventions du FMI, l’assistance des mécanismes européens, à laquelle le FMI apporte son soutien sous forme d’expertise et de financement, est conditionnée à la négociation et à la mise en œuvre par l’Etat assisté d’un programme d’ajustement budgétaire et structurel. A ce titre, la mise en place des pare-feu de la zone euro participe pleinement du renforcement de la gouvernance de cette dernière, contribuant à combler les failles révélées par la crise.
II.2.4. Il manquait au dispositif de réforme de la gouvernance de la zone euro un mécanisme permettant de dissuader la spéculation sur les marchés de la dette souveraine des pays en difficultés. Le manque a été comblé par la décision de la BCE, annoncée le 6 septembre 2012, de procéder sur le marché secondaire à des achats directs discrétionnaires et illimités de titres d’Etats (Outright Monetary Transactions, OMT), à la condition d’avoir sollicité une assistance du FESF/MES et d’avoir négocié un programme d’ajustement avec leurs partenaires.
Le caractère discrétionnaire – la BCE a pris soin de ne pas se lier en annonçant un objectif de taux ou de spread - et illimité des interventions de la BCE rend périlleuse la spéculation à la baisse sur la dette souveraine car la BCE dispose des moyens de déplacer l’équilibre du marché. En principe, le maintien du soutien de la BCE à un pays est conditionnel au respect des engagements prévus par le programme d’ajustement mais la perspective d’un retrait du soutien de la BCE ne se pose pas pour l’avenir prévisible. Les annonces de la BCE ont eu des effets positifs notables sur le coût du financement de la dette italienne et surtout espagnole, y compris sur les segments longs de la courbe des taux.
II.2.5. - Idéalement, il serait nécessaire d’aller plus loin, en direction de mécanismes de transferts automatiques pour atténuer les effets de chocs asymétriques. Dans les situations de crise, lorsque des transferts financiers discrétionnaires entre pays sont en jeu, le processus politique européen est susceptible d’être perçus par les protagonistes comme un jeu à somme nulle. La méfiance qui s’installe entre les Etats devient un facteur de paralysie, les Etats disposant de marges de manœuvre se montrant réticents à satisfaire aux demandes de leurs partenaires par crainte de les encourager à poursuivre les politiques qui les ont mis en difficultés : c’est l’aléa de moralité si souvent invoqué par l’Allemagne et les pays « vertueux » de la zone euro. L’exemple Nord-américain, par exemple montre l’efficacité économique mais aussi politique des transferts financiers aux Etats incorporés au système fédéral d’assurance chômage. Il est probable, toutefois que les différences notables entre les systèmes européens d’assurance chômage, et plus encore, les différences dans le fonctionnement des marchés du travail, seront un obstacle à l’établissement d’un système pan-euro d’indemnisation du chômage.
La crise de la zone euro a confronté les Etats Membres à des problèmes qu’ils espéraient éviter, par un mélange de règles (no bail clause, PSG), d’effets de la convergence du fait de l’UEM, et de charades (l’UEM supposée précipiter l’avènement de l’union politique, etc.). Elle les a forcés aussi à improviser dans l’urgence des réformes dont la logique est le rétablissement, à l’issue de la crise, du statu quo ante, au premier chef, la clause de no-bail out .
Les réformes décidées visent à conforter l’UEM en palliant les lacunes. Elles n’en changent pas la nature, qui reste celle d’un arrangement de changes fixes plurinational. Mais elles renforcent les disciplines imposées aux Etats, nécessaires pour le bon fonctionnement de l’arrangement. La réforme de la gouvernance de la zone euro renouvelle tout en les renforçant les engagements que les Etats ont pris, envers eux-mêmes, en choisissant de créer l’euro. Explicitement : ne pas faire financer leur dette souveraine par la BCE ni par leurs partenaires, maîtriser leur déficit et leur dette. Implicitement : rétablir leur compétitivité par la dévaluation interne, c’est-à-dire, la baisse relative des coûts et des prix, comprimer la demande intérieure pour rééquilibrer leur balance courante en cas de choc sur les flux de capitaux. En contrepartie, les réformes de la surveillance macro-économique ouvrent, si la Commission et le Conseil les mettent complètement en œuvre, des perspectives d’ajustements symétriques, mieux partagés entre pays déficitaires et pays excédentaires.
L’accalmie qui s’est établie depuis l’été 2012 à la faveur des réformes de la gouvernance de la zone euro reste vulnérable à des chocs (par exemple, une dégradation de sa situation qui conduirait à une sorti désordonnée la Grèce) et à des retards ou des lacunes dans la mise en œuvre des réformes (par exemple, une union bancaire trop partielle).
Il est certain que la gestion macro-économique de la zone qui résulte des réformes exercera, sur le court/moyen terme, un effet restrictif qui pèsera sur la demande et la croissance. Mais, l’ancrage des anticipations sur le maîtrise de leur endettement public par les Etats peut dégager des marges de manœuvre (allègement des charges d’intérêt) et autoriser, si nécessaire, un étalement de l’ajustement budgétaire, à condition que les ressources dégagées soient affectées à des dépenses d’avenir (éducation, recherche, infrastructures). En outre, les réformes de la surveillance macro-économique ouvrent, si la Commission et le Conseil les mettent complètement en œuvre, des perspectives d’ajustements symétriques, ne reposant pas seulement sur les pays déficitaires, le graal des systèmes de changes fixes à l’époque des fiat money, depuis Bretton Woods.
L’amélioration demeurera vulnérable à des chocs (par exemple, une dégradation de sa situation qui conduirait la Grèce à une sortie désordonnée) et à des retards ou des lacunes dans la mise en œuvre des réformes (par exemple, une union bancaire trop partielle).
Il restera que la crise de l’euro aura laissé sur la construction européenne des cicatrices durables qui en compliquent la nécessaire relance.
Les Etats-membres de la zone euro sont confrontés aux deux faces d’un même défi :
. remettre l’intérêt européen au centre du débat entre les Etats ;
. convaincre les citoyens du bien fondé des choix européens et de leurs implications au plan national.
Ils vont être mobilisés par des négociations sur la finalisation des réformes de la gouvernance, sources de division entre eux et peu compréhensible par les opinions publiques.
Il serait utile de compléter ces débats portant sur les institutions par des projets de coopération entre les Etats et s’adressant aux préoccupations du public.
Deux domaines offrent des opportunités.
. L’énergie : nous pourrions proposer une initiative sur la mutualisation de la recherche et développement en matière d’énergies renouvelables.
. La protection sociale : nous pourrions proposer une initiative sur l’harmonisation d’un socle de protection sociale ainsi que sur la mutualisation d’un socle d’indemnisation du chômage.
A défaut d’initiatives permettant de redonner à l’UE une image positive et dynamique, le risque est grand que le discrédit de l’Europe et de ses institutions s’aggrave et s’accompagne de la montée générale des passions nationalistes, sous des formes diverses, populistes, identitaires ou séparatistes, qu’on voit poindre à droite et à gauche, du Nord au Sud du continent
La crise de l’euro se termine, probablement ; mais pas la crise économique dans la zone euro ; et encore moins, la crise de l’Union européenne…
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. Voir un autre article de Patrick Allard, "La crise de l’euro, un révélateur géopolitique", publié le 27 novembre 2011 Voir
. Voir un article de Pierre Verluise, "L’UE, modèle multipolaire ?" publié le 28 octobre 2012 Voir
. Voir la présentation du livre de Pierre Verluise, Géopolitique des frontières européennes. Elargir, jusqu’où ?", 20 cartes en couleur, éd. Argos 2013, diff. Puf
[1] “Risk premia that are related to fears of the reversibility of the euro are unacceptable, and they need to be addressed in a fundamental manner. The euro is irreversible” ; Mario Draghi, Introductory statement to the press conference, Francfort sur le Main, 2 août 2012.
[2] Ce que soulignait fort bien le rapport Werner : « Une union monétaire implique à l’intérieur la convertibilité totale et irréversible des monnaies, l’élimination des marges de fluctuation des cours de change, la fixation irrévocable des rapports de parité et la libération totale des mouvements de capitaux. Elle peut s’accompagner du maintien de signes monétaires nationaux ou consacrer l’établissement d’une monnaie communautaire unique ». Rapport au Conseil et à la Commission concernant la réalisation par étapes de l’Union économique et monétaire dans la Communauté, Luxembourg, 1970, p. 10.
[3] Inter alia, Hans-Werner Sinn and Timo Wollmershäuser, “Target Loans, Current Account Balances and Capital Flows:The ECB’s Rescue Facility”, International Tax and Public Finance, volume 19, n°4, juillet 2012, pages 468-508
[4] Cf. Jean-Claude Trichet, « European Exceptionalism », Project Syndicate, 6 septembre 2012.
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