Géopolitique du Caucase et de la CEI. La lecture de cet ouvrage permet de comprendre en quoi la notion de « Caucase aux caucasiens » est loin d’être une réalité, même si celle de « l’Europe aux Européens », ne l’est pas forcément non plus. A méditer dans le cadre de cette mondialisation qui n’a pas laissé de côté le Caucase, même si elle s’y est invitée de différentes manières, « par la mer pour les Géorgiens, par la diaspora pour les Arméniens et par le pétrole pour les Azéris » comme l’indique Gaïdz Minassian.
Paris : Autrement, collection Frontières, 2007, 188 pages.
LE CAUCASE DU SUD est une notion certes géographique mais qui reste difficilement transposable sur le plan politique, englobant les trois Etats qui le composent, l’Arménie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Ces derniers, sont en effet, coincés entre deux mers devenues des rouages stratégiques, au croisement de l’Europe, de l’Asie centrale et du Proche-Orient, forts de leurs 15 millions d’habitants, mais issus de plusieurs dizaines d’ethnies, partagés entre Christianisme et Islam, radicalisme religieux et revendications identitaires tout autant que dialogue œcuménique fructueux, qui se pratique ici depuis plusieurs siècles, ne partageant pas la même langue et aux relations - plus ou moins estompées - tant avec l’ancienne puissance tutélaire soviétique, qu’avec les puissants voisins turc et iranien…
Néanmoins, le nouveau « Grand jeu » qui s’y déroule sur front d’hydrocarbures, de rivalité russo-américaine - sous couvert de promesse d’adhésion à l’OTAN, pour la Géorgie, et participation à la Communauté des Etats Indépendants, notamment à travers l’Organisation du Traité de Sécurité collective (OTSC), bras armé de la CEI pour l’Arménie complique quelque peu les relations de voisinage.
Voilà ce qu’entend nous présenter, Gaïdz Minassian, docteur en science politique et chargé de cours, est chercheur au Groupe d’analyse politique (GAP) à l’université de Paris X Nanterre et chercheur au Centre d’études et de recherche de l’Ecole militaire (CEREM). Il collabore à plusieurs revues comme Politique Etrangère de l’IFRI, Questions internationales de la Documentation française et l’Annuaire français des relations internationales du Centre Thucydide de l’université de Paris II Assas. Gaïdz Minassian publie également au "Monde.fr."
On évoque de plus en plus souvent la fin du reflux russe, notamment sur le plan militaire et stratégique, caractérisé en premier lieu par une certaine reprise en main de son étranger proche, sur ses marches, alors que dans un même temps les Etats-Unis semblent reconsidérer leur positionnement tactique en Europe regardant notamment de plus en plus à l’Est. Une nouvelle guerre froide est peut-être en train de se dérouler sous nos yeux.
Or, les trois pays du Caucase du Sud sont des rouages essentiels à cette stabilité régionale, de par leur histoire singulière et pourtant intimement liée et leur situation géographique, entre la mer Noire et la mer Caspienne, frontalière de la Turquie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et bordant la Russie qui constitue sa frontière nord (par le biais des républiques « autonomes » du Caucase à l’instar de la Tchétchénie, du Daghestan, de l’Ingouchie, pour ne citer que les plus « agitées »).
Cette géopolitique particulière en fait un des rouages essentiels du « Grand Jeu » qui semble renaître de ses cendres, grâce et à cause d’une odeur enivrante de pétrole et des dividendes qui semblent couler à flot, sans que l’on sache dire si cela durera... En témoignent les nombreux oléoducs qui passent à travers le territoire des trois Etats caucasiens, en premier lieu desquels le projet Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) inauguré en grande pompe à Bakou, mais qui n’est que le plus visible…
Dans ce contexte explosif, le Caucase du Sud peut légitimement revendiquer le qualificatif de ligne de fracture, pour aller dans le sens de Samuel Huntington. La Transcaucasie, qui emprunte au passé désormais révolu des Républiques soviétiques du Caucase, partie intégrante de l’URSS jusqu’à leurs indépendances en 1991 est à une passe déterminante pour l’avenir de chacune des trois nations « associées-rivales »et celui de la sécurité collective dans la région.
Par ailleurs, l’émergence d’un intérêt européen de plus en plus significatif, gage de paix et de stabilité régionale, sur cet espace pivot des relations internationales, confirme à quel point cette région instable est devenu un enjeu fondamental pour la sécurité internationale. La politique de voisinage (lancée en 2004 dans la foulée de l’adhésion des nouveaux Etats membres) qui engage l’UE à dialoguer intensivement avec ses voisins, censés déterminer la gestion des éventuelles nouvelles frontières de l’Union. Cette dernière pouvant demain se trouver comme voisin l’Irak ou l’Iran…
Il est cependant utile de cerner les ambitions de cette Politique de bon voisinage à l’aune du besoin de sécurité aux marges de l’UE, comme l’a rappelé Javier Solana, le Haut Représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), en 2005, qui insistait sur le fait que « la politique de nouveau voisinage n’a pas pour objectif l’élargissement de l’UE ; elle ne l’implique pas, mais ne l’exclut pas non plus ».
Cela l’est beaucoup moins si l’on considère la nécessité pour l’UE d’avoir des relations privilégiées avec ce premier « cercle d’amis ». Pourtant cet espace de dialogue, qui dispose d’un budget de 15 millions d’euros sur la période 2007-2013 (soit 10% du budget d’action extérieure de l’UE), qui se voulait exemplaire, solidaire et équilibré, n’a pas pesé bien lourd face aux considérations tactiques russes dont la notion « d’étranger proche » revêt un caractère beaucoup plus offensif et nettement moins coopératif que la dimension de dialogue que l’UE entend engager demain avec tous les pays du Caucase et peut-être après-demain avec la Russie…
Ainsi, la sécurité de l’ensemble du continent européen passerait nécessairement par la concrétisation des points suivant :
. la consolidation de la démocratie dans l’ensemble du Caucase du Sud et au-delà dans sa partie Nord, ainsi que le règlement politique de la question tchétchène, pour ce qui apparaît comme les conflits les plus visibles. Il ne faut cependant pas faire l’impasse sur ceux moins médiatisés (en premier lieu desquels celui en Ossétie du Sud sur fond de « paix armée » entre la Russie et le pouvoir central géorgien), pourtant freins eux-aussi à l’intégration régionale pacifique voulue par la Géorgie ;
. le maintien d’un dialogue avec la Russie malgré tout - qui garde indéniablement des intérêts économiques et sécuritaires -, qui à défaut d’être serein au niveau bilatéral doit tout de même se faire via les nombreux espaces de dialogues existants. La Communauté des Etats Indépendants (CEI), pourtant décriée de part et d’autre garderait ainsi une certaine utilité, toute comme la Communauté Économique euro-asiatique ou encore l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC).
La proximité avec la mer Caspienne qui dispose de vastes ressources en gaz naturel et en pétrole, fait des trois Etats du Caucase-Sud, grâce à leur situation géographique, des passages obligés du transit des carburants, tant à cause des nombreux oléoducs, gazoducs (en activités ou en projets), que grâce à ses ports (Poti, Batoumi, Soukhoumi si la question abkhaze trouve une issue, et surtout celui de Soupsa, directement lié à l’exportation du brut venant de Bakou et des gisements prometteurs de la mer Caspienne et du Kazakhstan), qui sont autant de débouchés gigantesques en direction des marchés européens.
Cette situation déterminante renforce l’importance de ces Etats dans la tentative entreprise par l’UE de diversifier ses importations et de sécuriser ses sources d’approvisionnements énergétiques.
C’est dans ce cadre de lecture qu’il convient de reconsidérer aussi les « révolutions colorées », inaugurées par la « révolution de la rose » en Géorgie en 2003 et prolongés par la Déclaration de Borjomi, signée par les présidents géorgien Mikhaïl Saakachvili et ukrainien Viktor Iouchtchenko, le 12 août 2005, annonçant la création d’une « Communauté de choix démocratique », allant de la mer Baltique à la mer Caspienne dont les échecs semblent hélas consommées, réduisant d’autant l’aspiration démocratique des populations.
Enfin, le non-règlement des conflits dit « gelés » (Ossétie du Sud et Abkhazie en Géorgie, Haut-Karabakh, épine tenace entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie), la géopolitique du pétrole et du gaz, accompagnée d’une course aux armements ainsi que la proximité avec les foyers conflictuels iranien, irakien et tchétchène semblent des éléments suffisamment perturbateurs pour rendre caduque, pour l’heure, l’expression d’une réelle intégration régionale, pourtant revendiquée aux lendemains des indépendances de 1991 et que les forts taux de croissance et le scénario commun du divorce avec Moscou aurait du légitimer.
Seize ans plus tard, cet ouvrage dresse ainsi un début d’inventaire fort utile, afin de mieux comprendre pourquoi et comment la maîtrise de leurs destin commun pourrait permettre à la Transcaucasie, « labyrinthe de l’histoire », comme le rappelle l’auteur, de devenir le laboratoire d’une Europe qui pourrait s’étendre dans le futur de l’Atlantique au Caucase.
La lecture de cet ouvrage permet ainsi de comprendre en quoi la notion de « Caucase aux caucasiens » est loin d’être une réalité, même si celle de « l’Europe aux Européens », ne l’est pas forcément non plus. A méditer dans le cadre de cette mondialisation qui n’a pas laissé de côté le Caucase, même si elle s’y est invitée de différentes manières, « par la mer pour les Géorgiens, par la diaspora pour les Arméniens et par le pétrole pour les Azéris » comme l’indique Gaïdz Minassian.
NDLR : Cette présentation a été initialement publiée dans la revue Défense nationale.
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