Étudiante en Master 2 de géopolitique à l’Institut Français de Géopolitique (IFG, Université Paris VIII), Assia Allaoui est diplômée d’une licence de Géographie et Aménagement du Territoire à la suite de deux années en classe préparatoire de Lettres et prépare son Master en géopolitique locale. Sinisante, Assia Allaoui s’est rendue en Malaisie et à Singapour dans le cadre de la rédaction de son mémoire de M1 intitulé : « Géopolitique de la stratégie immobilière chinoise dans l’État de Johor : le projet d’aménagement Forest City, catalyseur de rivalités politiques au sein de la société malaisienne ». Contact : allaoui-assia hotmail.fr
La stratégie immobilière chinoise intensive, à l’instar des différents projets présents tout le long du front de mer johorien, semble complémentaire de la volonté de sécurisation maritime et s’inscrit pleinement dans les perspectives des Nouvelles Routes de la Soie (BRI). La ZES Iskandar Malaysia est propice aux investissements étrangers, principalement chinois, permettant ainsi de s’assurer d’une forte présence en Asie du Sud-Est.
Cette carte commentée illustre comment la géopolitique permet d’identifier les interactions de plusieurs acteurs œuvrant à différentes échelles et comment le plus puissant peut optimiser une opportunité locale – ici l’affairisme du roi – pour marquer des points à l’échelle régionale dans le cadre d’un projet continental.
LES ZONES ECONOMIQUES SPECIALES (ZES), très populaires en Asie du Sud-Est à l’instar de la Chine et de Hong Kong incitent la Malaisie à poursuivre ce modèle dès les années 2000. Sous le gouvernement Badawi, la ZES Iskandar Malaysia est lancée. Face au succès de la métropolisation de Kuala Lumpur, l’État de Johor devient l’un des corridors économiques privilégiés en raison de sa position géostratégique unique au monde sur une des routes de la mondialisation. Les prétentions d’interface mondialisée attirent en grande majorité des investisseurs étrangers, notamment la République populaire de Chine, et les alliés de l’ASEAN (principalement Singapour).
Les investissements chinois en Malaisie s’illustrent dans leur diversité. L’État de Johor est particulièrement la cible des promoteurs immobiliers. Dans un esprit de poursuite de la politique de Pékin, la formation d’une « constellation chinoise » dans cette région passe par les mégaprojets immobiliers faisant face à la cité-État singapourienne.
Le corridor d’Iskandar Malaysia dispose de nombreuses particularités avantageuses pour ces derniers qui, depuis 2010, multiplient les projets le long du détroit de Johor. En premier lieu, sa délimitation s’est accompagnée de la création d’une ZES avec beaucoup d’avantages fiscaux ainsi que des procédures administratives et décisionnelles facilitées par la présence locale d’une institution fédérale (IRDA). Les politiques malaisiennes pro-bumiputeras s’effacent dans cet espace laissant les mains libres aux promoteurs face aux populations visées par ces projets.
Un partenariat dit « gagnant-gagnant » s’est mis en place entre les autorités malaisiennes et chinoises dans cet État qui ne peut refuser les investissements directs chinois conséquents participant à l’élévation du niveau de vie de Johor. Par ailleurs, le sultanat johorien est enclin à acquérir une plus grande autonomie que ce que lui permet le système politique du pays. En effet, la Malaisie est une monarchie constitutionnelle parlementaire héritée de la période coloniale britannique. D’un point de vue théorique, le gouvernement fédéral prévaut sur les sultanats mais la réalité de l’État du sultan Ibrahim Iskandar Ismaïl démontre de fortes divergences quant à l’exercice du pouvoir.
Depuis le 31 janvier 2024 et ce pour une durée de cinq ans, le sultan de Johor est à la tête de la Malaisie par l’occupation du titre de Roi de la Fédération. Le scandale 1MDB impliquant Najib Razak, ancien premier ministre de 2009 à 2018, a alimenté une méfiance accrue envers les investisseurs chinois. Ainsi, pour lutter contre les pratiques corruptrices et restructurer ces partenariats qui n’étaient pas équitablement gagnants pour les deux parties, sous l’égide de Mahathir, la Malaisie a renégocié certains projets.
Pour autant, l’éléphant blanc [1] Forest City reste un symbole particulièrement parlant des années Najib et de l’étendue de l’influence chinoise. Ce mégaprojet de ville nouvelle tumultueux, débuté en 2013, témoigne des intérêts chinois marqués dans la région pour étendre son influence. Détenu à plus de 66% par Country Garden Holdings, l’entreprise rattachée au gouvernement chinois s’implante face à Singapour et bouleverse les relations géopolitiques entre la Malaisie et Singapour. Ce projet, destiné à une population aisée, a conduit les pêcheurs du long des côtes de Johor à diversifier leurs activités en raison de la diminution des ressources halieutiques causée par les équipements de Forest City. Pour autant, les échecs se sont multipliés tant par la démesure de cette ville nouvelle que par la conjoncture des événements politiques. Associée à l’étiquette de "ville fantôme", les autorités singapouriennes ne voient plus le projet comme une menace directe.
Par ailleurs, la Malaisie cherchant à tout prix à concurrencer Singapour, a œuvré pour se développer tel un miroir dans l’espoir de capter ses retombées économiques positives. La conjoncture politique actuelle et le tempérament très affairiste du Roi amènent à la réalisation d’un rêve de longue date : une coopération économique entre Singapour et l’État de Johor.
L’année 2025 a été marquée par le lancement de la ZES Johor-Singapour. Conçue pour faciliter la synergie économique entre les deux territoires, la Malaisie offre une ressource foncière considérable qui manque cruellement à Singapour. De son côté, la cité-État apporte ses compétences et son savoir technologique avancé à un pays émergent.
Pour autant, la collaboration chinoise ne reste pas à l’arrêt, et va même s’intensifier. En effet, l’activité politique du roi actuel n’est pas sans se faire remarquer. Différent des autres monarques, il s’octroie un rôle politique de façon indirecte dans le gouvernement fédéral. Sa prise de parole en décembre 2023, où il affirmait qu’il ne serait pas un « roi muet », est en cohérence avec les actions menées. De ce fait, les négociations bilatérales avec les autorités chinoises, parfois en dehors du protocole, intriguent et démontrent à nouveau qu’elles sont motivées par des intérêts personnels. L’évocation de la reprise de la ligne ferroviaire à grande vitesse entre Kuala Lumpur et Singapour (projet ajourné en 2018 sous Mahathir) avec les autorités chinoises rompt avec l’image symbolique du Roi, déstabilisant ainsi l’autorité fédérale et une organisation admise depuis l’indépendance.
La ZES Iskandar Malaysia est de ce fait propice aux investissements étrangers mais surtout chinois, permettant ainsi de s’assurer d’une forte présence en Asie du Sud-Est. La stratégie immobilière chinoise intensive, à l’instar des différents projets présents tout le long du front de mer johorien, semble complémentaire de la volonté de sécurisation maritime et s’inscrit pleinement dans les perspectives des Nouvelles Routes de la Soie (BRI).
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Titre du document : Carte. La zone économique spéciale d’Iskandar Malaysia, un lieu propice aux investissements chinois Conception et réalisation : Assia Allaoui, 2025 Document ajouté le 25 août 2025 Document PNG ; 438488 ko Taille : 1200 x 848 px Visualiser le document |
Cette carte commentée illustre comment la géopolitique permet d’identifier les interactions de plusieurs acteurs œuvrant à différentes échelles et comment le plus puissant peut optimiser une opportunité locale – ici l’affairisme du roi – pour marquer des points à l’échelle régionale dans le cadre d’un projet continental.
[1] NDLR : L’expression « éléphant blanc » désigne un mégaprojet, souvent d’infrastructure, qui amène plus de coûts que de bénéfices à la collectivité.
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