Alain Nonjon présente une réflexion à la confluence de la géopolitique de l’environnement et de la population. L’article est illustré d’une carte.
De l’Alaska — menacé par le dégel des sols arctiques — en passant par le Tchad, la Chine — où progresse la désertification —, sans oublier le Népal — victime de la fonte des glaciers — et les États-Unis — où les cyclones sont de plus en plus violents… les climatosceptiques sont contraints de réviser leur déni du réchauffement climatique. Ce qui était une prise de conscience de la « transition » climatique au cours de la première conférence mondiale sur le climat en 1979, devenue hypothèse dans les années 1980, est désormais une certitude. Une nouvelle catégorie de migrants, les réfugiés environnementaux, est apparue, faisant dès aujourd’hui de la lutte contre le changement climatique « un impératif de solidarité humaine dans un monde divisé » (Cecilia Ugaz, coauteur du rapport du PNUD 2007-2008 sur les migrations de population).
Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le Diploweb.com est heureux de vous présenter cet article d’Alain Nonjon publié sous ce titre en 2011 dans Espace prépas n°137.
. L’EQUATION est d’une simplicité diabolique : tant que la hausse des températures reste au-dessous de 1 °C, le risque est faible pour la planète, même si quelques écosystèmes particulièrement vulnérables sont touchés ; entre 1 °C et 2 °C, les conséquences augmentent de manière significative et au-delà de 2 °C, les risques deviennent majeurs et peuvent partiellement donner lieu à de grandes extinctions et modifications dramatiques des écosystèmes.
. Le catalogue des catastrophes installe une géopolitique de l’apocalypse avec des pénuries alimentaires et d’eau potable, des dangers socio-économiques et… des migrations incontrôlées. Les prospectives (celles du chercheur britannique Norman Myers notamment ou encore de Rajendra Kumar Pachauri, président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – GEIC) font état de 150 millions de migrants potentiels en 2050, soit a minima 1,5 % de la population mondiale.
. Le principal problème est que le réchauffement climatique ne fait qu’amplifier les risques existants et touche des régions déjà enfermées dans le cycle de la misère, comme une partie de l’Afrique subsaharienne ou de l’Asie des moussons.
. Le relèvement des eaux (eustatisme) déjà en cours préfigure les catastrophes de demain, surtout avec 500 millions d’habitants vivant à moins de 5 km des côtes et 320 millions à moins de 5 m d’élévation par rapport au niveau de la mer.
. Au Bangladesh (delta du Gange et du Brahmapoutre), sur un territoire grand comme la moitié de la France, 150 millions d’habitants vivent à moins de 10 m au-dessous du niveau de la mer et, au regard des évolutions actuelles, la surface pourrait se réduire de 17 %. Les mangroves sont aussi menacées, notamment celle des Sundarbans, une des plus actives du monde. La transformation des rizières en fermes à crevettes n’est qu’une solution partielle, car l’activité d’aquaculture mobilise 10 fois moins de main-d’œuvre. Tous les grands complexes deltaïques particulièrement denses sont menacés, comme celui du Nil, l’Égypte pouvant perdre de 12 à 15 % de ses terres arables à l’horizon 2050… En Océanie, les communautés du pourtour du détroit de Torres seraient concernées. L’Europe, qui, de 1998 à 2002, a connu des inondations qui ont affecté 1 % de sa population, fait 700 morts et provoqué le déplacement de 500 000 personnes, ne serait pas épargnée. La France, selon le Conservatoire du littoral, verrait d’ici la fin du siècle 14 % de ses côtes submergées et la tempête Xynthia a d’ores et déjà anticipé un mouvement qui devrait voir les zones inconstructibles passer de 10 à 500 m de la mer. Les Pays-Bas, dont 60 % de la population vit au-dessous du niveau de la mer, seraient obligés de réactiver la devise nationale « Je lutte et je me maintiens… ». La liste des seuls impacts du relèvement des niveaux des mers donne à réfléchir : autonomie en eau douce non assurée, intrusion d’eau de mer dans les nappes phréatiques, disparition des mangroves et de la biodiversité, blanchiment du corail, ressources halieutiques en diminution, tourisme menacé, déplacement de population, primes d’assurances accrues, problèmes sanitaires et infectieux…
. Mais, de toute évidence, les zones les plus pauvres sont les plus menacées, car 80 fois plus sensibles aux catastrophes naturelles selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Déjà, depuis 30 ans, 95 % des victimes vivent dans les pays les plus pauvres sans prévention (d’après Munich Re, géant de l’assurance). En effet, les quelque 2 milliards de personnes qui vivent avec moins de 2 dollars par jour sont directement exposées au réchauffement climatique par : la baisse de la productivité agricole (Afrique subsaharienne) ; la hausse de l’insécurité alimentaire liée à la raréfaction de l’eau et aux conflits qu’elle engendre ; la hausse des maladies endémiques activées par le réchauffement climatique (dengue, malaria) ; la régression d’écosystèmes sur lesquels des populations ont bâti leur mode de vie (baisse des réserves de pêche). Des études en Inde ont montré que la sécheresse des années 1970 avait fait baisser de 20 % le nombre de filles susceptibles d’être scolarisées… enchaînement fatal de la misère.
. Or les sommes mobilisées sont dérisoires pour la CCNUCC (Conférence-cadre des Nations unies sur le changement climatique) : en 2008, les sommes consacrées s’élèvent à 26 millions de dollars, soit moins que le budget annuel du Royaume-Uni pour les inondations ! Il y a donc urgence à trouver des solutions.
. Les pays émetteurs de gaz à effet de serre ne vont-ils pas devoir, dans le cadre d’une nouvelle gouvernance mondiale, accueillir des réfugiés au prorata de leurs émissions ? Alors que les Maldives ne contribuent que pour 0,001 % aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre et seront un des premiers États concernés par la hausse du niveau de la mer, les États-Unis ne doivent-ils pas se préparer à accueillir des éco-réfugiés proportionnellement aux 30 % de gaz à effet de serre qu’ils émettent ? Ne faut-il pas passer d’un modèle de justice rétributive basé sur le principe de la punition ou du pollueur payeur à un modèle de justice distributive qui a pour objet de répartir les coûts et les bénéfices ? (F. Gemenne Ceri)
. Des guerres régionales ne sont-elles pas susceptibles d’éclater ? Dans son ouvrage Guerres du climat, Pourquoi on tue aujourd’hui ?, le psycho-sociologue Harald Welzer indique que le Darfour est en guerre climatique. Depuis 60 ans, la région connaît une désertification accélérée entraînant des déplacements de population et une compétition entre éleveurs nomades et paysans sédentaires qui appartiennent à des ethnies différentes. Même si le conflit est souvent présenté comme ethno-religieux (Arabes/Africains/musulmans/chrétiens animistes) aucune issue ne se dessine et le Soudan est un des scénarios catastrophes de l’avenir. Il y a cependant débat… Les conflits seraient majoritairement causés par l’exclusion ethnique, la pauvreté et un changement de rapport de forces depuis la fin de la guerre froide. Mais, il est difficile de dissocier migrations économiques et environnementales.
. Quel statut accorder à ces réfugiés climatiques lorsque celui de réfugié politique pose déjà lui-même de nombreuses questions ? L’article 1 de la convention de Genève définit comme réfugié « toute personne qui craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques et qui ne peut, du fait de cette crainte, rester dans son pays ». Cet article ne peut être appliqué aux migrants environnementaux.
. Le débat sur les avantages de ces migrations peut-il avoir décemment lieu ? Elles diminuent la pression démographique dans certaines régions, elles amplifient les rétrotransferts (selon Catherine de Wenden, 500 000 sans-papiers seraient arrivés d’Amérique centrale après le cyclone Katrina pour la reconstruction) et permettent de cibler des investissements prioritaires.
. Les attitudes gouvernementales ne sont-elles pas en jeu ? Comme au Sahel où aucun pays n’a signé la convention 169 de l’OIT (Organisation internationale du Travail) qui fait de la promotion des droits des peuples autochtones… une partie du règlement du problème des migrations. Des laboratoires régionaux peuvent-ils faire école, comme l’association Aosis (alliance des petits États insulaires au nombre de 43) ou le Pacific access category (PAC) de la Nouvelle-Zélande, qui a permis d’accueillir près de 3 000 ressortissants des îles menacées ? Cet accord conclu entre les gouvernements des Tuvalu, de Fidji, des îles Kiribati, de Tonga et de la Nouvelle-Zélande doit permettre une « évacuation » progressive de la population de ces États (l’Australie a décliné l’offre).
. Une réflexion globale est donc nécessaire en termes de développement de sécurité si l’on veut éviter The Next World War, telle que la prédit Roy Woodbridge. Les prochains grands conflits risquent fort de trouver leur origine dans cette concurrence pour l’accès aux ressources vitales. Face à ce futur difficile, il est temps de faire la guerre de manière unifiée et coordonnée à la dégradation environnementale. Vœu ou volonté ?
Copyright 2011-Nonjon/Espaces prépas, 2011, n°137
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Voir l’article d’Eric Steiger "L’ouragan Katrina : les leçons d’un échec. Les faiblesses du dispositif de sécurité intérieure des Etats-Unis" publié par le Diploweb.com en 2008 Voir
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