Manuel de géopolitique

27 – Les convoitises territoriales

Par Patrice GOURDIN, le 23 novembre 2023  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Docteur en histoire, professeur agrégé de l’Université, Patrice Gourdin enseigne à l’École de l’Air. Il intervient également à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence. Membre du Conseil scientifique du Centre géopolitique, l’association à laquelle le Diploweb.com est adossé.

Quelle est la part des appétits territoriaux lorsque des acteurs extérieurs interviennent dans la crise ou le conflit ? Les États peuvent conclure des accords et/ou intervenir violemment dans un conflit pour agrandir leur territoire au détriment du pays aidé ou frappé. Cette motivation jalonne toute l’histoire. La liste des vaincus dépouillés de tout ou partie de leur territoire, de même que celle des alliés gagnés ou des neutralités acquises par la promesse d’un agrandissement territorial, se révèlent particulièrement longues. Et l’actualité internationale est particulièrement éloquente.

Les convoitises territoriales sont donc bien des moteurs des acteurs géopolitiques. Alors, quels outils mobiliser et quelles informations rechercher pour conduire une étude géopolitique des appétits territoriaux ? Découvrez la méthode avec cet extrait gratuit du célèbre "Manuel de géopolitique" de P. Gourdin.

Les États peuvent conclure des accords et/ou intervenir dans un conflit pour agrandir leur territoire au détriment du pays aidé ou frappé. Cette motivation jalonne toute l’histoire. La liste des vaincus dépouillés de tout ou partie de leur territoire, de même que celle des alliés gagnés ou des neutralités acquises par la promesse d’un agrandissement territorial, se révèlent particulièrement longues. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, ces modifications territoriales résultèrent, pour l’essentiel, soit de traités, soit d’alliances matrimoniales, soit de guerres. Depuis le XIXe siècle le mariage n’est plus un moyen de s’agrandir, et, depuis 1945, la guerre non plus. Les objectifs territoriaux ne figurent pratiquement plus dans les buts de guerre de manière explicite. Ils demeurent soigneusement dissimulés, quitte à se révéler après un éventuel succès. Dans tous les cas, il faut comprendre l’intérêt de ces territoires, ce qui nous ramène à l’étude des enjeux territoriaux, humains et/ou symboliques, mais en changeant le niveau spatial d’analyse, puisque nous dépassons le territoire sur lequel se déroulent la crise ou le conflit. Et n’oublions pas que, transparent ou soigneusement celé, l’appétit territorial n’est pas forcément la seule raison qui pousse à agir.

L’extension du royaume de France résulta de l’ensemble des processus susmentionnés, tout comme celui des diverses entités politiques européennes au Moyen-Âge et durant les Temps Modernes. Le comté pyrénéen d’Aragon devint un royaume puissant par ses conquêtes militaires (Saragosse, en 1118, la vallée de l’Èbre, en 1147, le royaume de Valence, en 1238), ainsi que par un mariage : celui qui unit, en 1151, la reine Pétronille d’Aragon avec le comte Raymond Bérenger IV de Barcelone. La longue et complexe reconquête de l’Espagne par les chrétiens contre les musulmans (XIe-XVe siècle) connut de multiples rivalités territoriales. Les royaumes d’Aragon et de Castille rivalisèrent pour l’accès à la Méditerranée jusqu’à ce que le traité de Cazola (1179) permît un compromis territorial. Ainsi se reconstitua l’unité des États chrétiens de la péninsule ibérique, qui mena à la victoire décisive de Las Navas de Tolosa, en 1212. En 1232, un seul État musulman demeurait : le royaume de Grenade. La querelle entre le Sacerdoce et l’Empire (1154-1250), doublée de la rivalité des ducs de Bavière, puis de Saxe (famille des Welfs) avec les ducs de Souabe (famille des Staufen, ou Waiblingen) pour le Saint Empire, suscita de multiples alliances, en partie motivées par les espérances de gains territoriaux, celles du pape n’étant pas les plus modestes. Lors des Guerres d’Italie (1494-1559), la France et ses alliés, comme ses adversaires, visaient des objectifs en partie territoriaux. L’implication des souverains de Suède dans la Guerre de Trente Ans puis dans tous les conflits qui suivirent en Europe du Nord leur permit d’agrandir considérablement leurs possessions, même si la paix de Nystad, en 1721, leur fit perdre la prépondérance en mer Baltique. Les conflits qui se déroulèrent dans l’Europe du XVIIIe siècle opposèrent les prétendants à l’hégémonie aux tenants de l’équilibre : les alliances varièrent et certains États en tirèrent parti pour s’agrandir, en particulier la Prusse (Silésie, une partie de la Pologne). Durant la Guerre de la Succession d’Autriche (1740-1748), le roi Frédéric II de Prusse servit ses propres visées territoriales (Silésie) en exploitant celles de ses alliés : France vers les Pays-Bas, Espagne et Sardaigne vers l’Italie. Durant toute cette période, l’Angleterre veilla à l’équilibre des puissances sur le continent, mais s’assura la maîtrise des mers, notamment au détriment de la France, des Provinces-Unies et de l’Espagne. À la même époque, l’empire chinois des Qing jouait des rivalités entre khanats pour imposer sa domination sur la partie orientale de l’Asie centrale.

27 – Les convoitises territoriales
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Au XIXe siècle, l’Empire ottoman affaibli, ce fameux “homme malade“ comme l’appelaient les diplomates, ainsi que l’Empire chinois, firent l’objet de nombreux affrontements et de multiples combinaisons diplomatiques en vue de leur dépècement. Entre 1880 et 1914, la colonisation de l’Afrique occupa une part notable des actions militaires et des négociations diplomatiques des puissances européennes. Les deux Guerres balkaniques (1912-1913) virent, pour la première, l’union des Serbes, des Monténégrins, des Grecs et des Bulgares pour priver l’Empire ottoman de ses derniers territoires en Europe. Le second conflit regroupa la Grèce, la Serbie, le Monténégro, renforcés par la Roumanie, contre la Bulgarie, jugée trop gourmande et trop proche des Russes. De 1913 à 1945, la politique extérieure de Sofia, tout comme celle de Budapest, découla largement de leurs aspirations territoriales, ce qui influença, par contrecoup, celle de leurs voisins. L’Italie, membre de la Triple Alliance mais demeurée neutre en 1914, choisit la Triple Entente, en 1915, parce que les promesses de cette dernière favorisaient davantage ses visées expansionnistes dans les Balkans. Les clauses secrètes du Pacte germano-soviétique, le 23 août 1939, procédaient à un partage de la Pologne et abandonnaient les pays baltes à Staline.

En 1945, le droit international a conforté le principe de respect de l’intégrité territoriale des États. La Charte de San Francisco, par son article 2, impose le règlement pacifique des différends :
« Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ».
Ceci rend illégale toute guerre de conquête. En outre, celle-ci est moralement indéfendable après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Un peu plus tard, s’ajouta le processus de décolonisation. Pour autant, bien que raréfiée, l’appropriation du territoire d’autrui n’est pas toujours absente des motivations et peut se parer des meilleures intentions du monde. Nous la discernons, même si elle n’est pas seule, derrière les litiges frontaliers évoqués plus haut.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, Staline pratiqua une politique territoriale des faits accomplis qui bénéficia à l’URSS sans que la communauté internationale ne pût ou ne voulût s’y opposer. Maître du terrain, il obtint un accord de principe à Yalta pour la modification des frontières polonaises :
« Les chefs des trois gouvernements estiment que la frontière orientale de la Pologne à l’Est devra suivre la ligne Curzon, avec des déviations au profit de la Pologne sur une profondeur de cinq à huit kilomètres en certains endroits. Ils reconnaissent que la Pologne devra obtenir des accroissements sensibles de territoires au nord et à l’ouest [1] »

En conséquence de quoi, les frontières polonaises furent décalées vers l’ouest. L’URSS annexa 180 000 km2 aux Républiques de Biélorussie et d’Ukraine, tandis que Varsovie en reçut 100 000 : au nord, la moitié de la Prusse orientale (Warmie, Mazurie) et, au sud, la Poméranie et la Silésie. La nouvelle frontière de la Pologne avec l’Allemagne suivait désormais le cours des rivières Oder et Neisse occidentale. La Pologne à nouveau reconstituée perdit 80 000 km2, mais elle dispose depuis de 400 kilomètres de côtes sur la mer Baltique, ce qui la désenclave.

Staline sut également tirer profit de la situation alors difficile des États-Unis pour réaliser des gains en Extrême-Orient. L’URSS entrerait en guerre contre le Japon à condition que :
« les droits antérieurs de la Russie qui avaient été violés par l’attaque perfide du Japon en 1904 [seraient] rétablis, c’est-à-dire :
a) La partie sud de Sakhaline ainsi que toutes les îles adjacentes [feraient] retour à l’Union soviétique ;
b) Le port commercial de Dairen [serait] internationalisé ; les intérêts essentiels de l’Union soviétique dans ce port [seraient] sauvegardés et la cession à bail de Port Arthur à l’URSS comme base navale, [serait] rétablie ;
c) le chemin de fer de la Chine de l’Est et le chemin de fer de la Mandchourie du Sud, qui assure un débouché à Dairen, [seraient] exploités conjointement par une société mixte sino-soviétique [...]
Les îles Kouriles [seraient] cédées à l’URSS [2] »

La République fédérale d’Allemagne (RFA), créée en mai 1949 sur le territoire des trois zones occidentales d’occupation en Allemagne, n’incluait pas la zone occupée par l’URSS. Le gouvernement du chancelier Konrad Adenauer se fixa pour objectif d’unir en un seul État les quatre zones occupées par les vainqueurs en 1945 et refusa de reconnaître la légitimité de l’État communiste fondé – sans réelle approbation populaire – en octobre 1949 sous le nom de République démocratique allemande (RDA). Par conséquent, le gouvernement ouest-allemand décida de ne plus entretenir de relations diplomatiques avec les pays (excepté l’URSS) qui reconnaissaient officiellement la RDA : il s’agissait d’empêcher cette dernière d’accéder à un statut international. Cette position, s’appela la “doctrine Hallstein“, du nom du ministre des Affaires étrangères qui la rendit publique en 1955. La volonté de reconstituer un ensemble territorial allemand unique guida la diplomatie de Bonn durant les deux premières décennies de la Guerre froide. La reconnaissance mutuelle des deux Allemagne et l’abandon de la “doctrine Hallstein“, en 1972, marquèrent une étape essentielle de la détente Est-Ouest. Le 12 septembre 1990, le traité sur l’Allemagne, permit l’unification RDA-RFA, Berlin-Est-Berlin-Ouest : pour les Européens, par ces fusions territoriales, la Guerre froide prenait réellement fin. La question de la frontière germano-polonaise figura également parmi les contentieux que réglèrent la Détente (traité Pologne-RFA, 1970) puis l’unification allemande (traité germano-polonais du 14 novembre 1990). Les accords entérinèrent la perte des territoires attribués par Staline à la Pologne.

Le refus des Arabes de partager avec les Juifs le territoire du mandat britannique de Palestine provoqua, en 1948, une guerre dont les conséquences déstabilisent encore le Proche-Orient. Si les Palestiniens apparaissent comme les principaux lésés, puisqu’ils ont perdu le territoire sur lequel fonder un État indépendant, Abdallah de Transjordanie élargit son royaume à la Cisjordanie et à Jérusalem-Est, tandis que l’Égypte mettait la main sur la bande de Gaza. Les coalitions arabes qui s’en prirent à Israël visaient explicitement la reconquête de l’intégralité du territoire de la Palestine ex-britannique. L’hostilité persistante de ses voisins, par ailleurs imparfaitement unis, poussa l’État d’Israël à s’emparer de “gages territoriaux“ lors de la guerre de 1967 : le Sinaï, la bande de Gaza, la Cisjordanie, Jérusalem-Est et le Golan. Le gouvernement israélien annexa Jérusalem-Est en 1980 et le Golan en 1981, tandis qu’il restitua le Sinaï après la paix signée en 1979 avec l’Égypte et parrainée par les États-Unis. La Cisjordanie et Gaza, quant à elles, servent de zone de colonisation juive (processus interrompu par Ariel Sharon dans la bande de Gaza, en 2004).

Lorsque, en 1949, les débris du gouvernement Guomindang se réfugièrent précipitamment dans l’île de Taiwan, sous haute protection américaine, personne n’imaginait à quel point ce territoire jouerait un rôle crucial dans les relations internationales. Le projet des communistes chinois ne se bornait pas à l’instauration d’un régime politique et économique différent, il entendait également rétablir l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Chine. Depuis lors, Taiwan n’est, à leurs yeux, qu’une province chinoise sécessionniste qu’il convient de ramener dans le giron de la mère patrie. Or, Taipeh se vit reconnaître comme le seul représentant légal de la Chine jusqu’en 1971. Quand les États-Unis conclurent, à cette date, leur alliance stratégique de revers avec Pékin contre l’URSS, l’une des revendications à satisfaire fut l’abandon du soutien diplomatique à Taiwan. Depuis lors, l’île ne cesse de peser sur les relations de la République populaire de Chine avec le reste du monde.

La Syrie vit toujours dans le Liban une création de la colonisation française. Ce territoire fit donc figure de “province perdue“ dans les représentations géopolitiques de Damas. Arguant du caractère insoluble de la sanglante guerre civile qui déchira le Liban à partir de 1975, la Syrie – qui ne manquait pas d’entretenir plus ou moins secrètement le conflit –, obtint des États arabes, avec l’assentiment des États-Unis, par les accords de Ta‘if (octobre 1989) le contrôle de fait du territoire de son voisin. La pression de la communauté internationale contraignit Damas à lâcher sa proie en avril 2005. Les deux pays n’établirent de relations diplomatiques que le 15 octobre 2008.

Depuis 1975, l’Algérie et le Maroc s’opposent au sujet des 209 000 km2 du Sahara occidental (ancienne colonie espagnole du Rio de Oro). Ce dernier fournirait au royaume chérifien – hostile, puis réservé vis-à-vis d’un référendum d’autodétermination – un contrepoids territorial à la puissance algérienne [3]. L’Algérie, quant à elle, pourrait prendre le Maroc en tenaille et accéder à l’océan Atlantique.

L’ère Saddam Hussein (1979-2003) en Irak offre un cas d’étude fort intéressant : depuis l’adoption de la Charte, les agressions purement annexionnistes se faisaient rares ; or, le raïs irakien en perpétra deux. Ajoutons qu’elles furent, en partie du moins, instrumentalisées par d’autres États. Alors qu’il venait de prendre le contrôle total du pouvoir, il tenta d’exploiter le désordre régnant en Iran, par suite de la révolution khomeyniste, pour s’emparer de la rive gauche du Chatt al-Arab et de la riche province pétrolière du Khuzestan. Tous ceux qui redoutaient l’extension de la révolution iranienne le laissèrent faire, voire l’aidèrent à ne pas perdre cette Première Guerre du Golfe (1980-1989). Toutefois, un subtil dosage de l’aide et un peu de double jeu lui ravirent le moindre espoir de victoire. Mais un autre objectif existait, visé depuis que les Anglais lui avaient accordé son indépendance, en 1961 : le Koweït. Le territoire de cet émirat aurait offert à Bagdad une ouverture maritime plus large sur le Golfe Arabo-Persique, ainsi que d’importantes réserves d’hydrocarbures. Il s’agissait donc d’une proie particulièrement tentante. Mais s’en emparer signifiait violer l’intégrité territoriale et la souveraineté d’un État membre de l’ONU. Autant dire que l’agression du Koweït en 1990 fournit indéniablement le prétexte rêvé aux États-Unis pour briser l’ascension de la puissance irakienne au Proche-Orient. Washington put donc se présenter en défenseur du droit international pour préserver avant tout ses propres intérêts stratégiques et économiques ainsi que ceux de ses alliés. À peine 18 000 km2 changèrent le destin de Saddam Hussein. À l’issue de la Seconde Guerre du Golfe (1991), ses rêves de grandeur étaient brisés.

Le scénario des coalitions assorties d’appétits territoriaux a pu être observé dans l’ex-Zaïre – aujourd’hui République démocratique du Congo-RDC. En 1997, l’Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie, formèrent une alliance contre le président Mobutu et aidèrent Laurent-Désiré Kabila à prendre le pouvoir. Mais, dès 1998, se produisit une rupture et, pour la première fois en Afrique, deux coalitions de pays s’affrontèrent : l’Ouganda et le Rwanda, soutenus par le Burundi, suscitèrent une opposition armée, tandis que Laurent-Désiré Kabila était appuyé par le Zimbabwe, l’Angola, la Tanzanie et le Tchad (soutenu par la Libye). Parmi tous ces intervenants, deux semblaient nourrir des visées territoriales : l’Ouganda, en Ituri ainsi qu’au Kivu, et le Rwanda, au Kivu.Cette dernière région, surnommée la “Suisse de l’Afrique centrale“, recèle d’importantes richesses : un potentiel touristique, des terres fertiles sur une vaste étendue (ce dont manque le Rwanda) de 256 000 km2, des minerais en abondance (cuivre, or, coltane, dont le trafic finança en partie la reconstruction du Rwanda entre 1997 et 2004 et continue à lui procurer de confortables revenus d’après le rapport publié en décembre 2008 par les Nations unies sur la situation en RDC [4]) et même des hydrocarbures (lacs Kivu et Tanganyika). Le Rwanda tenta de s’en emparer avant la conquête coloniale. Disputée durant cette dernière, elle constitue depuis la décolonisation, le ventre mou de l’Afrique centrale car le Zaïre ne la contrôla jamais réellement : elle se situe à 2 500 kilomètres de Kinshasa [5]. Les ambitions rwandaises et ougandaises, un moment tempérées par la communauté internationale (accords de paix de 2002), ressurgirent à l’automne 2008 avec la soudaine intensification de la guérilla menée depuis 2002 par le général Laurent Nkunda (un Tutsi congolais) contre le président Joseph Kabila, avec le soutien de Kigali [6]. D’ailleurs, le terrain conquis élargit la zone contrôlée le long de la frontière avec le Rwanda [7]. Après avoir conclu, le 5 décembre 2008, une alliance avec le gouvernement de Kinshasa, le Rwanda se retourna contre son protégé et l’assigna à résidence le 22 janvier 2009. Il faisait les frais d’une manœuvre par laquelle Kigali entendait restaurer son image internationale (afin de conserver le bénéfice de l’aide versée par plusieurs pays européens) et Kinshasa tentait de préserver son intégrité territoriale [8]. Cependant, le Rwanda agit aussi pour ses intérêts dans le trafic des matières premières et pour de réelles préoccupations de sécurité [9].

L’actuelle aggravation de la crise entre les Flamands et les Wallons a réveillé une partie des Néerlandais, en particulier les membres ou les sympathisants du courant populiste. Rappelant l’éphémère Royaume-Uni des Pays-Bas créé par le congrès de Vienne en 1815 – et dont la Belgique se sépara en 1830 –, ils se montrent favorables à l’incorporation de la Flandre afin de faire revivre ce qu’ils appellent les « Grands Pays-Bas [10] ».

Non loin de là, un député d’extrême-droite, le pasteur luthérien Søren Krarup déclara fin 2007 : « les frontières du Danemark ne sont pas fixées ». Il rappelait ainsi la perte d’une partie du Schleswig-Holstein au profit de l’Allemagne en 1864 et d’une partie du sud de l’actuelle Suède (notamment la Scanie, avec le port de Malmö), cédée par le traité de Roskilde, en 1658. Ces déclarations, retinrent l’attention pour deux raisons : d’une part, il existe des relations très étroites entre les deux rives de l’Öresund – ce détroit qui sépare le Danemark de la Suède – et, d’autre part l’extrême-droite est influente au Danemark (plus de 13 % des suffrages) [11].

La République populaire de Chine – de même que Taiwan – revendique la souveraineté exclusive sur l’ensemble de la mer de Chine du Sud  : îles, îlots, bancs de sable et même hauts fonds immergés lui appartiendraient et elle se réserve le droit d’y appliquer le “principe archipélagique“ pour déterminer “sa“ mer territoriale et fixer “sa“ zone d’exploitation économique exclusive. Cela aboutirait à une prise de contrôle presque totale de cet espace, ce que refusent avec plus ou moins de vigueur les autres États riverains [12]. Ainsi, fin 2007, Pékin, sans tenir le moindre compte des protestations du Vietnam, de la Malaisie, des Philippines, de l’Indonésie, de Brunei et de Taiwan, a intégré dans son découpage administratif officiel les Paracel, les Spratley et le Macclesfield Bank, qui forment désormais une “cité“ chinoise unique à l’échelon d’un district [13].

Le cas de figure, banal autrefois, se raréfie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, ouvertement revendiqué ou sournoisement escamoté de l’argumentaire, le territoire demeure, en dépit du droit international, un objectif de l’action des États. Il convient donc de ne pas surestimer la “déterritorialisation“ de la puissance et de chercher les éventuelles trivialités derrière le désintéressement des déclarations officielles. À l’inverse, le droit international consacrant l’intégrité territoriale, ce dernier peut fournir un prétexte commode pour éviter d’intervenir ou pour dénoncer une intervention par ailleurs justifiée..

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PROBLÉMATIQUE LIÉE AUX CONVOITISES TERRITORIALES

Quelle est la part des appétits territoriaux lorsque des acteurs extérieurs interviennent dans la crise ou le conflit ?

CHAMPS DE RECHERCHE

Outils pour étudier les appétits territoriaux motivant une intervention extérieure sur le territoire où se déroule la crise ou le conflit :

. les ouvrages consacrés à la géographie, à l’économie, à l’histoire, aux relations internationales, au droit international et à la science politique.

Les informations recueillies servent à repérer quelles perspectives d’agrandissement territorial peuvent entraîner dans les événements des acteurs extérieurs au territoire. Le plus souvent un ou plusieurs des éléments suivants :

. l’ancienneté et la pérennité des convoitises,

. la formulation ou l’occultation des convoitises,

. l’impuissance (partielle ou totale) du droit international,

. l’instrumentalisation du droit international.

La liste n’est pas exhaustive, mais elle recense les facteurs qui apparaissent le plus fréquemment.

Une information est pertinente lorsqu’elle contribue à éclairer la crise ou le conflit que l’on étudie.

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[1. Conférence de Yalta, Communiqué, 11 février 1945.

[2. Conférence de Yalta, Accord concernant l’entrée en guerre de l’URSS contre le Japon, 11 février 1945.

[3. Tuquoi Jean-Pierre, « Le Sahara, abcès de fixation entre Rabat et Alger », Le Monde, 10 juillet 2007.

[4. Totolo Edoardo, « Coltan and Conflict in the RDC », ISN-Security Watch, February 11, 2009.

[5. Servenay David, « RD Congo : pourquoi le conflit du Kivu resurgit aujourd’hui », Rue89, 30 octobre 2008.

[6. Rémy Jean-Philippe, « Le Nord et le Sud-Kivu, foyers de guerres régionales », Le Monde, 1er novembre 2008 ; Hofnung Thierry, « Dix ans de guerre au cœur de l’Afrique“, Libération, 1er novembre 2008.

[7. Rémy Jean-Philippe, « Dans son fief du Nord-Kivu, Laurent Nkunda défie Kinshasa », Le Monde, 4 novembre 2008.

[8. Rémy Jean-Philippe, « Le chef rebelle Laurent Nkunda victime de la nouvelle alliance Congo-Rwanda », Le Monde, 24 janvier 2009.

[9. Gettleman Jeffrey, « Rwanda Stirs Deadly Brew of Troubles in Congo », The New York Times, December 4, 2008.

[10. Cessou Sabine, « Le rêve d’un grand Deltaland néerlandophone », Libération, 16 novembre 2007.

[11. Truc Olivier, « Un député d’extrême-droite veut récupérer une région au sud de la Suède », Le Monde, 8 janvier 2008.

[12. Serra Régine « La mer de Chine méridionale : une souveraineté contestée », Questions internationales, n° 6, 2004, p. 54.

[13. Deron Francis, « Les ambitions de Pékin sur les archipels de la mer de Chine irritent les Vietnamiens », Le Monde, 22 décembre 2007.

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