Docteur en Géopolitique, chercheur à l’IRIS, Directeur du site www.diploweb.com.
PS : Comme cela a été précisé en introduction et en conclusion de cet article, ces prévisions de la Commission européenne étaient à considérer avec précaution.
Avec le recul on s’aperçoit que la Commission sous-estimait grandement l’impact de la crise. Le lien ci-dessous conduit à des données plus proches des réalités, au moins pour 2009.
Les prévisions d’Eurostat à la date du 23 décembre 2009 pour 2009 et 2010. Voir
LES EFFETS de la crise financière et boursière (sept.-oct. 2008) se manifestent progressivement dans l’économie. Compte tenu de son insertion dans les échanges mondiaux et de l’importance de ses flux avec les États-Unis, l’Union européenne à 27 (UE-27) se trouve exposée à un risque majeur de récession. En effet, l’activité risque d’être comprimée par les deux bouts : en amont, moins de crédit pour financer la production et les projets ; en aval moins de demande pour acheter les produits et les services. Reste à savoir dans quelles proportions.
La Commission européenne a commencé à prendre la dimension de la menace en revoyant ses prévisions économiques à la baisse dans une publication en anglais, l’Economic Forecast. Autumn 2008. [1] Ce document présente de nombreuses données, consolidées pour les années 1992 à 2007 ou sous forme de prévisions pour 2008, 2009 et 2010. Admettons d’emblée que, par nature, les prévisions indiquent des tendances. Avec cette réserve, le document propose des éléments pour tenter d’évaluer les perspectives économiques pour l’année qui commence. À l’échelle planétaire puis à l’échelle communautaire, quelles sont les prévisions de croissance du PIB à prix constants en 2009 ?
Commençons par le graphique 1 : Pour plusieurs régions ou pays, prévisions de croissance du PIB en 2008, 2009 et 2010, en % par rapport à l’année précédente. La valeur portée sur le graphique concerne 2009.
Notons d’emblée que plus les prévisions s’éloignent dans le temps plus elles deviennent fragiles, aussi faut-il rester particulièrement prudent à l’égard des prévisions pour 2010.
À l’échelle de la planète, la croissance du PIB pourrait avoisiner 2,3% en 2009. Les trois pôles de la Triade obtiendraient des résultats très inférieurs, voire négatifs. Aux États-Unis et au Japon, le PIB devrait diminuer respectivement de 0,5% et 0,4%. L’UE-27 serait dans une situation légèrement plus favorable, avec une croissance de 0,2%.
Les prévisions du Fonds monétaire international sont encore plus pessimistes pour les États-Unis (-0,7%) et l’Union européenne (-0,2). [2] Compte tenu des marges d’erreur, il n’y a pas de quoi pavoiser. Nombre d’emplois seraient détruits par la récession. Alors que 7% de la population active de l’UE-27 était au chômage en 2008, ce pourrait être le cas de 7,8% en 2009, avec de fortes différences entre pays membres. En 2010, le chômage pourrait atteindre 8,1% dans l’UE-27, en dépit d’une croissance du PIB prévue à 1,1%.
Pendant ce temps beaucoup de pays dits « en développement » ou « émergents » afficheraient des résultats bien supérieurs à la Triade. La Chine, subirait certes un ralentissement de la croissance de son PIB – de 9,7% en 2008 à 7,9% en 2009 – mais elle rebondirait en 2010 à 8,8%. La Russie devrait perdre un peu plus d’un point de pourcentage de croissance – de 7,1% en 2008 à 6% en 2009, pour revenir à 6,5% en 2010. [3] Quant à l’Afrique subsaharienne, elle pourrait connaître en 2009 un taux de croissance du PIB de 5,5%, voire 6% en 2010. Pour faire allusion à René Dumont [4], l’Afrique noire serait-elle - enfin - « bien » partie ?
Sur la base de ces prévisions, deux questions viennent à l’esprit. La crise de 2008-2009 va-t-elle contribuer à affaiblir la domination de la Triade sur le système- monde ? Comment les pays « en développement » et les pays « émergents » vont-ils optimiser leurs avantages relatifs ? Le concept de Triade aura-t-il encore du sens d’ici dix ans ?
En attendant, concentrons-nous maintenant sur un pôle de la Triade, l’Union européenne.
Au vu des prévisions de la Commission européenne, les 27 pays membres de l’UE ne seraient pas égaux face aux incidences de la crise. D’importantes différenciations spatiales sont mises en évidence par la carte : UE-27 : prévisions d’évolution du PIB à prix constants pour l’année 2009, en %.
L’étude des graphiques 2 et 3 conduit à distinguer quatre groupes au sein des pays membres.
Considérons le graphique 2 : Monde et UE-27 : 14 pays membres dont la croissance du PIB prévue pour 2009 serait supérieure à la moyenne communautaire, en %.
L’œil distingue deux groupes, ceux dont la croissance seraient supérieure à la moyenne mondiale prévue en 2009 (2,3%) et ceux dont la performance serait inférieure à la moyenne mondiale.
. Groupe 1, prévision de croissance du PIB en 2009 supérieure à la moyenne mondiale. Il s’agirait, par ordre décroissant des pays suivants : Slovaquie (4,9%) ; Roumanie (4,7) ; Bulgarie (4,5) ; Pologne (3,8) ; République tchèque (3,6) ; Slovénie (2,9) ; Chypre (2,9) et Grèce (2,5). Ces 8 pays rassemblent 96,9 millions d’habitants, soit 19,57 % de la population de l’UE-27. [5] Autrement dit, un citoyen communautaire sur cinq se trouve dans ce groupe. Sur ces 8 pays, 7 sont de nouveaux États membres (NEM), entrés en 2004 ou 2007. Ce qui vient confirmer que les NEM sont certes généralement plus pauvres que les anciens pays membres mais inscrits dans une dynamique de rattrapage. [6]
Pour autant, le rythme de la croissance serait sérieusement ralenti, particulièrement en Roumanie. Ce pays, avec une croissance du PIB prévue à 8,5% en 2008 perdrait 3,8 points de pourcentage pour obtenir en 2009 une croissance de 4,7%. Certes le coup de frein est brutal, mais nombre d’anciens États membres se contenteraient d’une croissance à plus de 4%... Il importe, enfin, de noter dans ce groupe la présence de la Pologne, le plus peuplé des NEM, avec une croissance prévue en 2009 à 3,8%. Après avoir connu une « transition » parfois difficile entre l’économie planifiée et l’économie de marché, il est dans l’intérêt communautaire que le « géant de l’élargissement » ne perde pas davantage pied.
Il faut relever que les pays d’Europe balte, centrale et orientale disposent dans la période délicate qui s’annonce d’une forme de « bonus » : une large part des fonds de la politique régionale communautaire destinés à mettre à niveau les régions les plus pauvres de l’UE. Pour les années 2007-2013, les fonds structurels et de cohésion atteignent parfois des montants considérables. En Pologne, l’apport des fonds européens représente chaque année près de 5% du PIB. En République tchèque, les subventions européennes pèsent chaque année environ 2,5% du PIB. Ils tombent fort à propos pour amoindrir les effets de la crise, de manière contracyclique. Les PECO bénéficient donc d’un « plan de relance » - décidé bien avant 2008 - qui peut les aider à amortir les chocs. Encore faudrait-il remplir au moins trois conditions. En premier lieu, il importe de trouver les cofinancements indispensables, ce qui peut s’avérer difficile dans une période de raréfaction du crédit. Ainsi, en Estonie, le gouvernement a rencontré des difficultés pour le cofinancement nécessaire à l’utilisation des fonds européens. Pour les dix premiers mois de 2008, il n’a utilisé que 10% des sommes prévues pour l’année. En deuxième lieu, les pays considérés doivent être capables d’inventer des projets pour optimiser ces fonds « à l’irlandaise ». Ils doivent conjointement renforcer leur lutte contre la corruption, faute de quoi la Commission européenne pourrait bloquer les versements. En troisième lieu, il importe que les politiques économiques mises en œuvre par les gouvernements ne touchent pas aux facteurs qui contribuent au dynamisme économique et social du pays.
. Groupe 2, prévision de croissance du PIB en 2009 inférieure à la moyenne mondiale mais supérieure à la moyenne de l’UE-27. Il s’agirait, par ordre décroissant, des pays suivants : Malte (2%) ; Finlande (1,3) ; Luxembourg (1,2) ; Hongrie (0,7) ; Autriche (0,6) et Pays-Bas (0,4). Ces 6 pays rassemblent une population de 40,9 millions d’habitants, soit 8,26% de la population UE-27. Les anciens pays membres sont ici majoritaires, avec seulement deux NEM : Malte et la Hongrie. Ce dernier pays a tardé à mettre en œuvre les réformes nécessaires et il commence à en payer le prix. La Hongrie a vu sa monnaie décrocher début octobre 2008. Compte tenu de l’approximation de toute prévision, il semble envisageable qu’un ou l’autre des pays de ce groupe bascule en dessous de la moyenne communautaire.
Étudions le graphique 3 : UE-27 : 13 pays membres dont la croissance du PIB prévue pour 2009 serait inférieure à la moyenne communautaire, en %.
Ces pays devraient connaître de très sérieuses difficultés l’année prochaine, notamment en terme d’emploi. Il est possible de distinguer deux groupes, par rapport à la croissance nulle.
. Groupe 3, prévision de croissance du PIB en 2009 inférieure à la moyenne UE-27 (0,2%), mais supérieure ou égale à 0%. Cette classe semble tellement réduite qu’elle est discutable, mais elle rassemble des pays qui éviteraient – de peu – une chute de leur PIB l’année prochaine. Ce qui peut avoir un poids politique. Il s’agirait, par ordre décroissant, des pays suivants : Belgique (0,1%) ; Danemark (0,1), Portugal (0,1), Lituanie (0), Allemagne (0), Suède (0), France (0), Italie (0). Ces 8 pays comptent 242,9 millions d’habitants, soit 49,04% de la population de l’UE-27. Autrement dit, un citoyen communautaire sur deux se trouve dans ce groupe. Il s’agit, majoritairement d’anciens États membres, dont le plus peuplé : l’Allemagne fédérale. Le « miracle » allemand des années d’après-guerre serait à la peine, en dépit des efforts de réforme développés depuis le début des années 2000. Or l’Allemagne fédérale est la principale puissance exportatrice de l’UE-27. Les six pays fondateurs de la Communauté économique européenne en 1957 – Luxembourg et Pays-Bas dans le groupe 2 ; Belgique, Allemagne, France et Italie dans ce groupe 3 – se caractérisent par des performances prévues modestes, voire médiocres. Ce qui pourrait avoir des incidences sur leurs images auprès des opinions, voire leurs poids politiques si la situation tardait à être redressée. Chacun aura noté, enfin, le cas de la Lituanie. Seul NEM de ce groupe, elle pourrait connaître une chute brutale de son activité, passant d’un taux de croissance prévu en 2008 à 3,8% à 0%. Les Lituaniens, qui se souviennent que leur pays a connu en 2007 une croissance de 8,9% devraient avoir à faire face à une année difficile. Cependant, leurs voisins Baltes seraient dans une situation encore plus critique.
. Groupe 4, prévision de croissance du PIB en 2009 comprise entre -0,2% et -2,7%. Il s’agirait, par ordre décroissant des pays suivants : Espagne (-0,2%) ; Irlande (-0,9) ; Royaume-Uni (-1), Estonie (-1,2) et Lettonie (-2,7). Ces 5 États comptent 114,6 millions d’habitants, soit 23,13% de la population de l’UE-27. Ces pays rassemblent des effectifs très inégaux. Le « Tigre irlandais », qui a connu une croissance moyenne annuelle du PIB de 7% entre 1992 et 2004 risque de traverser un moment pénible. Ce qui pourrait peser sur un éventuel référendum bis au sujet du traité de Lisbonne, parfois évoqué pour la fin de l’année 2009. Quant à la Lettonie, qui serait en 2009 la lanterne rouge de l’UE-27, le contraste pourrait être particulièrement marqué avec la croissance de l’année 2007 : 10,3%. Ceux qui espéraient que le « rattrapage » serait sans heurts risquent de déchanter. Il faut noter que les trois Etats Baltes se retrouveraient en 2009 avec une croissance du PIB inférieure à la moyenne UE-27, formant une région en grande difficulté. Celle-ci serait à la fois caractérisée par une dynamique démographique de dépopulation et par une dynamique économique de dépression.
Trois pays sont officiellement candidats à l’UE, reste à savoir quelles sont les prévisions de la Commission européenne en ce qui les concerne. Observons le graphique 4 : Monde, UE-27 et trois candidats : croissance du PIB prévue pour 2008 et 2009, en %.
Certes la Turquie, la Croatie et l’ancienne république yougoslave de Macédoine verraient leur croissance se tasser un peu sous l’effet de la crise. Cependant ces trois pays resteraient non seulement très au-dessus de la moyenne UE-27 mais aussi au-delà de la moyenne mondiale. Pour autant, il ne faut pas oublier qu’il s’agit de pays beaucoup moins riches que les pays l’UE.
L’année 2009 – qui risque fort de ressembler à l’annus horibilis pour près de la moitié des membres de l’UE – aura une fin : le 31 décembre 2009. Que prévoient les services de la Commission européenne pour 2010 ?
Pour terminer, observons le graphique 5 : Monde, UE-27, pays membres et candidats : croissance du PIB à prix constants prévue en 2010, en %.
Rappelons que plus les prévisions s’éloignent dans le temps plus elles sont fragiles. En 2012, il sera intéressant de comparer les chiffres consolidés de la croissance en 2010 avec ces prévisions faites sur des évaluations arrêtées fin octobre 2008.
À cette date, les experts de la Commission européenne pensaient que l’UE-27 obtiendrait en 2010 une croissance du PIB à prix constants de 1,1%. Ce qui représenterait presque trois fois moins que la croissance mondiale prévue la même année : 3,2%. Pendant ce temps, le Japon afficherait 0,6%, les États-Unis 1%, l’Amérique latine 3,1%, l’Afrique subsaharienne 6,0%, la Russie 6,5%, la Chine 8,8%...
Les pays membres de l’UE étaleraient leurs performances de 5,5% en Slovaquie à -1,1% en Lituanie. Le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie, la France et l’Allemagne commenceraient lentement à retrouver le chemin de la croissance. 10 des 12 NEM feraient mieux que la moyenne communautaire.
Nul ne sait quelle sera la part d’erreur dans ces prévisions, mais il semble certain que la crise dans laquelle nous sommes engagés risque de modifier aussi bien les conditions de vie et de travail que nombre de paramètres des relations intra-communautaires et internationales. La crise économique aura très probablement des effets géopolitiques à plusieurs échelles, à court, moyen et long termes. Pour sa part, l’Union européenne saura-t-elle contribuer à l’invention de nouvelles solutions ?
Plus
. Voir la présentation du livre de Pierre Verluise, Géopolitique des frontières européennes. Elargir, jusqu’où ?", 20 cartes en couleur, éd. Argos 2013, diff. Puf
Tableau de synthèse
[1] EUROPEAN COMMISSION, Directorate-General for Economic and Financial Affairs, Economic Forecast. Autumn 2008, novembre 2008, 174 p.
[2] Fonds monétaire international, Perspectives de l’économie mondiale, mise à jour du 6 novembre 2008.
[3] Reste à savoir, dans le cas de la Russie, quelles seront les incidences de l’évolution des prix mondiaux des hydrocarbures sur les performances économiques du pays.
[4] Cf. René DUMONT, L’Afrique noire est mal partie, Paris : Seuil, 1962.
[5] Population estimée au 1er janvier 2008. Source : Konstantinos GIANNAKOURIS, Ageing characterises the demographic perspectives of the European societies, Statistics in focus, Population and social conditions, 72/2008, p. 5. Population de l’UE-27 estimée à cette date : 495,394 millions.
[6] Cf. Pierre VERLUISE, Fondamentaux de l’Union européenne. Démographie, économie, géopolitique. Paris : Ellipses, décembre 2008. Voir les chapitres 4, 5 e 6.
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