Précédemment responsable de l’informatique scientifique de l’Institut Pasteur, Directeur du Système d’Information de l’Université Paris-Dauphine. Il est auteur de plusieurs ouvrages sur les systèmes d’information et leur sécurité. Il se consacre à la recherche en cyberstratégie. Auteur de « Internet, vecteur de puissance des Etats-Unis », éd. Diploweb 2017.
Laurent Bloch présente dans ce deuxième chapitre un nouvel espace stratégique : le cyberespace. Il explique le principe des espaces publics, le modèle en couche du cyberespace, et les facteurs de puissance dans le cyberespace.
Diploweb.com, publie cet ouvrage de Laurent Bloch, L’Internet, vecteur de puissance des Etats-Unis ? pour proposer à chacun les éléments nécessaires à une juste appréciation de la situation. Ce livre est déjà disponible sur Amazon au format numérique Kindle et au format broché imprimé sur papier. Il sera publié ici sous forme de feuilleton, chapitre par chapitre, au rythme d’environ un tous les trois mois.
La révolution cyberindustrielle produit un nouvel espace public, le cyberespace, où se déroulent de nouveaux conflits, et qui deviendra le premier espace des affrontements du XXIe siècle. Aujourd’hui les États-Unis y occupent une place comparable à celle que l’Angleterre occupait au XIXe siècle sur les mers et les océans. Nous tenterons de voir si une nouvelle Cyber Navy est en mesure de leur disputer le pompon rouge de l’hégémonie cybernavale.
À l’issue d’un processus entamé par les traités de Westphalie (1648) et achevé par le traité de Berlin (1885), les terres émergées (à l’exception de l’Antarctique) sont découpées en polygones qu’il est possible, sur une carte, de colorier afin d’identifier la puissance étatique qui y exerce la souveraineté politique, et par conséquent militaire. Cette souveraineté s’étend, mais la chose est déjà moins solidement établie, aux eaux territoriales, objets de controverses et de conflits. Au-delà s’étend la haute mer, qui n’appartient à personne : c’est un Global Common, terme que l’on peut sans doute traduire par « espace public mondial ».
Depuis le vingtième siècle, d’autres espaces publics mondiaux sont devenus des enjeux : l’espace aérien, l’espace interplanétaire, et maintenant le cyberespace. L’accès libre aux espaces publics mondiaux est un problème stratégique de notre temps, ainsi que leur contrôle.
Le XXIe siècle est l’âge du cyberespace, qui sera, comme les autres espaces publics mondiaux, l’enjeu et le lieu de conflits.
Nous pouvons définir le cyberespace comme l’ensemble des données numérisées (logiciels et documents textuels, sonores, graphiques ou visuels) disponibles sur l’Internet et des infrastructures matérielles et logicielles qui leur confèrent l’ubiquité.
Pour décrire un système aussi complexe et hétérogène il peut être utile de recourir à un modèle en couches, qui consiste à en séparer les différents éléments pour regrouper ceux qui relèvent du même niveau d’abstraction en ensembles plus petits et plus homogènes, qui se prêteront ainsi mieux à l’analyse. Le modèle en couches est surtout utile pour comprendre des systèmes complexes.
Pour concevoir le cyberespace on peut d’abord penser à deux couches, physique (les infrastructures) et logique (les données). Mais, assez vite, il faut penser aux routeurs, à leurs tables de routage et au logiciel de commande, au DNS, c’est-à-dire à toutes ces choses qui sont des données mais dans l’infrastructure, ce qui mène à l’idée d’une couche « commande et contrôle ».
Enfin, on ne peut négliger la dimension cognitive, qui intervient soit par l’intellection consciente de l’internaute en pleine navigation, soit par l’analyse des événements en cours par des logiciels, ce qu’il est à la mode d’appeler Deep Learning, qui n’est pas de l’intelligence artificielle comme on le croit parfois, mais de l’intelligence, en quelque sorte, emmagasinée dans le logiciel, qui a bien été créé par un être intelligent, humain en l’occurrence.
Nous proposons ici pour le cyberespace un modèle en quatre couches :
. couche physique : les infrastructures, fibres optiques transocéaniques, IXP…
. couche commande et contrôle (C&C) : le DNS, les tables et les protocoles de routage, les logiciels qui les implémentent ;
. couche logique : les données publiées, les logiciels qui permettent d’y accéder et de les transformer ; serveurs Web, moteurs de recherche, navigateurs, Contents Delivery Networks (CDN), systèmes de chiffrement…
. couche cognitive : l’esprit et l’intellection des internautes, organisés par la sémantique et la syntaxe des interfaces d’accès à la couche logique.
Peut-on établir une échelle de puissance dans le cyberespace ? Pour y parvenir nous nous inspirerons du Professeur Wang Yukai, conseiller du gouvernement chinois, qui a énuméré (dans un article publié fin juin 2014 dans un supplément au Quotidien du Peuple) six indicateurs de la cyberpuissance que nous classerons selon trois axes et auxquels nous ajouterons un septième, implicite dans l’article :
. l’infrastructure, la taille du réseau et la pénétration du haut débit ;
. des capacités technologiques indépendantes, particulièrement dans les domaines des systèmes d’exploitation et des unités centrales (microprocesseurs) ;
. une stratégie internationale qui mentionne clairement les priorités et défende la voix au chapitre du pays sur les questions cyber ;
. l’aptitude à protéger les réseaux, que ce soit pour la sûreté nationale, pour la protection de l’économie, pour la protection de la vie privée, ou pour la stabilité et l’harmonie sociale.
. la compétitivité dans le développement de logiciels, du commerce électronique et des marchés en ligne ;
. la présence aux postes de commandement du cyberespace (nous imaginons que cela fait référence à la participation à des instances telles que l’IETF et le W3C, où s’élaborent les normes de fonctionnement de l’Internet, et bien sûr à l’ICANN, décisive pour les enjeux proprement politiques) ;
. pas de position éminente durable dans le cyberespace sans un effort important et significatif dans le champ de l’éducation, de la formation et de la recherche.
La révolution cyberindustrielle met au premier plan des facteurs de production la créativité intellectuelle.
Toute nation qui voudra tenir un rang dans l’économie de la révolution cyberindustrielle devra produire des efforts constants pour miantenir ces sept facteurs à un bon niveau. Les autres seront condamnées au déclin. Inutile de dire que jusqu’à ce jour la position des États-Unis est bonne (mais pas inexpugnable).
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Lire le chapitre 3 : Contrôle politique et technique de l’Internet
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Ce livre de Laurent Bloch, L’Internet, vecteur de puissance des Etats-Unis ?, est déjà disponible sur Amazon au format numérique Kindle et au format broché imprimé sur papier. Il sera publié ici sous forme de feuilleton, chapitre par chapitre, au rythme d’environ un par trimestre.
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