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et Histoire de l'Europe J. Bainville et J.M. Keynes : deux analyses du traité de Versailles (1919), par Edouard Husson, spécialiste de l'Allemagne
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Dans une Europe sortie en 1989 du cycle destructeur de la guerre des peuples et des passions idéologiques, la relecture des deux textes de Keynes et Bainville sur le Traité de Versailles est riche denseignements. |
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Mots clés
- Key words: édouard husson, première guerre mondiale
1914-1918, traité de versailles 1919, keynes les
conséquences économiques de la paix, bainville les
conséquences politiques de la paix, ordre européen, w.
wilson, g. clemenceau, l. george, sénat américain.
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J.M.
Keynes, "Les Conséquences économiques de la
paix"; Jacques Bainville, "Les Conséquences
politiques de la paix", collection Tel, éd.
Gallimard, 2002, 504 p. Le directeur de la collection Tel, chez Gallimard, a eu lexcellente idée de republier ensemble deux textes célèbres, qui lavaient toujours été séparément alors quils portent sur le même objet : le traité de Versailles et lordre européen qui a suivi la Première Guerre mondiale. Il sagit des "Conséquences économiques de la Paix" de John Maynard Keynes et des "Conséquences politiques de la paix" de Jacques Bainville. Vu limportance des décisions qui furent prises à cette époque et qui pèsent encore sur lEurope daujourdhui, il est particulièrement intéressant de relire deux analyses qui comptent parmi les plus critiques et les plus lucides qui furent jamais écrites sur luvre des négociateurs européens de la Conférence de Paris. Une politique à courte vue ? Paru le premier, "Les Conséquences économiques de la paix" est aussi le plus connu des deux textes. Il valut à celui qui nétait pas encore devenu le plus grand économiste du XX è siècle une célébrité instantanée en Europe et aux Etats-Unis. On a même affirmé, en exagérant, que sa critique sans concessions de la politique à courte vue de G. Clemenceau, Lloyd George et W. Wilson était à lorigine du refus du Sénat américain de ratifier le traité de Versailles. Il est certain en tout cas que Keynes força les pays occidentaux vainqueurs de la Première Guerre mondiale à mettre en cause un certain nombre des postulats qui avaient présidé aux relations avec lAllemagne après la Première Guerre mondiale. La réintégration intelligente de lAllemagne (de lOuest) à la communauté des nations après la Seconde Guerre mondiale doit beaucoup à linfluence de Keynes. Le rôle clé de l'Allemagne en Europe La thèse principale de lauteur est la suivante : lAllemagne était, avant 1914 le moteur de la croissance économique sur le continent européen. Et elle est appelée à le redevenir sans quoi elle-même et tous ses voisins risquent de sombrer dans la misère et de ne plus disposer que dune alternative politique : Réaction ou Bolchevisme. Keynes, qui était membre de la délégation britannique à la Conférence de paris et qui en démissionna en avril 1919 pour rédiger son pamphlet, explique aux Européens quun comportement généreux serait le calcul le plus réaliste. Réintégrer lAllemagne au flux normal des relations économiques en un mot renoncer aux réparations signifierait assurer sa propre prospérité et panser rapidement les plaies de la Grande Guerre. "Trop doux pour ce qu'il a de dur" ? Un tel langage était-il audible par une opinion française qui connaissait les dévastations causées par lAllemagne au nord et à lest de son territoire et qui avait perdu plus dun million dhommes en soutenant lessentiel de la poussée allemande à louest jusquau printemps 1918 ? Les hommes politiques français ne devaient-ils pas tenir compte du désir profond des anciens combattants que la paix marque labaissement définitif de la puissance allemande ? Mais précisément : les négociateurs français, G. Clemenceau en tête, nont-ils pas, du point de vue national trop cédé aux exigences de Wilson darriver à une paix de compromis ? Le traité de Versailles nest-il pas " trop doux pour ce quil a de dur " ? Telle est la question posée par lhistorien Jacques Bainville dans "Les conséquences politiques de la paix", paru quelques mois après louvrage de Keynes et dont le titre fait bien évidemment écho à celui de l'économiste britannique. Un chef duvre d'analyse géopolitique... Le texte de Bainville na jamais atteint, hors des frontières de lHexagone, une notoriété équivalente à celle du texte de Keynes. Cela vient sans doute quil parle très peu déconomie. Or le point de vue économique intéressait au premier chef lopinion britannique ou américaine. En France en revanche, "Les Conséquences politiques de la paix" passe pour ce quil est : un chef duvre de lanalyse géopolitique. Lauteur y montre en particulier quen démantelant lAutriche-Hongrie sans démanteler de manière similaire lEmpire allemand, les négociateurs de la Conférence de Paris ont détruit, au centre de lEurope, les conditions de léquilibre européen. Il décrit, en 1920, avec une précision étourdissante, la manière dont une Allemagne révisionniste sy prendra pour reconstituer sa puissance : annexion de lAutriche ; conquête de la Pologne ; éclatement de la Tchécoslovaquie. Il ny manque rien, même pas la durée de vie de lordre de Versailles : une vingtaine dannées. ... mais des postulats erronés Comment ne pas être fasciné, à première vue par le texte de Bainville ? Cependant, comme souvent les produits de lintelligence française, le charme se dissipe partiellement lors de la relecture. Les analyses de lhistorien français reposent sur quelques postulats erronés : par exemple le fait quil aurait été possible pour la diplomatie française de mettre à profit des tendances séparatistes en Bavière ou en Rhénanie. Ou bien lidée selon laquelle la nouvelle démocratie allemande serait au fond aussi militariste que lEmpire wilhelmien. Surtout, lorsquil envisage lensemble de lordre européen Bainville se trouve devant la même contradiction que Clemenceau et les républicains français un paradoxe pour ce monarchiste ! Vouloir abaisser définitivement la puissance allemande impliquait de faire contribuer la Russie soviétique à l'ordre de paix européen. Or J. Bainville ne veut pas en entendre parler. A linverse, il imagine une coalition des puissances conservatrices, mais dont il exclut lAllemagne, alors quune Europe conservatrice ne pouvait se passer dune Allemagne forte et stable. De l'erreur d'avoir raison trop tôt Au bout du compte, le plus réaliste des deux est J.M. Keynes, qui avertit sur le danger quil y a à exclure Berlin et Moscou de la paix européenne, contre toute la tradition diplomatique du continent. Mais Keynes venait trop tôt : il faudra une deuxième catastrophe européenne pour que lon réintègre dabord lAllemagne, à partir des années 1950, puis lUnion Soviétique, à partir des années 1960, aux négociations européennes sécuritaires globales. Cependant, la lucidité de Keynes est avant tout ancrée dans sa fidélité au libéralisme britannique. Ce membre distingué de la upper class britannique vit encore dans la vieille tradition diplomatique européenne, où la paix ne devait en aucun cas humilier ni exclure aucun des belligérants sous peine de saper lordre du continent. Bainville au contraire, tout monarchiste quil se dise, est très dépendant des postulats diplomatiques issus de la Révolution française : la guerre aux tyrans ne cesse jamais et elle ne connaît aucune modération. Dans une Europe sortie en 1989 du cycle destructeur de la guerre des peuples et des passions idéologiques, la relecture des deux textes de Keynes et Bainville sur le Traité de Versailles est riche denseignements. (Voir des cartes de l'OTAN et de l'UE25 au 1er mai 2004) Spécialiste de l'Allemagne, auteur de la préface : "Keynes et Bainville à la recherche de l'équilibre européen perdu" (65 pages inédites). Copyright 20 janvier 2003-Husson/www.diploweb.com L'adresse url de cette page est http://www.diploweb.com/ue/husson.htm |
Date de la mise en ligne: février 2003 | ||
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