Directeur du site géopolitique Diploweb.com. Enseigne la géopolitique au MRIAE de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Distinguished Professor de géopolitique à GEM. Directeur de recherche à l’IRIS. Directeur de séminaire à l’Ecole de guerre (Paris). Chercheur associé à l’Observatoire géopolitique de la Chaire Raoul Dandurand (Montréal, Canada). Auteur ou co-auteur en 8 langues de nombreux articles et ouvrages.
Géopolitique de l’UE et d’un pays émergent, le Brésil. L’UE est volontiers présentée comme une puissance commerciale… et le Brésil comme un pays émergent. Leurs relations économiques se développent-elles à la hauteur de ces représentations ? (1 tableau, 7 graphiques)
LA Communauté économique européenne et la République fédérative du Brésil entretiennent des relations diplomatiques à compter de 1960. Depuis la CEE est devenue l’Union européenne et s’est élargie jusqu’à compter 27 pays depuis 2007.
Le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) présente ainsi les relations entre l’Union européenne et la République fédérative du Brésil : « L’UE et le Brésil ont établi des relations diplomatiques en 1960. Les deux parties sont unies par des liens historiques, culturels, économiques et politiques étroits. Leurs relations actuelles sont régies par l’accord-cadre de coopération CE-Brésil (1992), l’accord-cadre de coopération UE-Mercosur (1995) et l’accord de coopération scientifique et technologique (2004).
En mai 2007, l’UE a recommandé le lancement d’un partenariat stratégique en vue de renforcer ses liens avec le Brésil ("UE-Brésil : la Commission propose un partenariat stratégique"). Le tout premier sommet UE-Brésil s’est tenu à Lisbonne en juillet 2007. Parmi les thèmes centraux du nouveau partenariat figurent un multilatéralisme effectif, le changement climatique, l’énergie durable, la lutte contre la pauvreté, le processus d’intégration du Mercosur, ainsi que la stabilité et la prospérité de l’Amérique latine. Ces nouvelles relations font du Brésil, de la région du Mercosur et de l’Amérique latine des pièces importantes sur l’échiquier politique de l’UE.
Un montant total de 61 millions d’euros a été alloué au Brésil dans le cadre du document de stratégie pays 2007-2013. Celui-ci s’articule autour de deux priorités : intensifier les relations bilatérales (par la mise en place de dialogues sectoriels, la création de programmes de bourses d’études et l’établissement d’un Institut d’études européennes) et promouvoir l’environnement. Le commerce est un autre sujet crucial puisque, de tous les pays d’Amérique latine, le Brésil est le marché le plus important pour l’Union européenne. » [1]
61 millions d’euros pour un aide étalée de 2007 à 2013, à l’échelle d’un pays comme le Brésil, cela semble modeste.
Pour évaluer les dynamiques, considérons [2] successivement les échanges de biens (A), puis la composition par produit (B), enfin les services et les Investissements directs étrangers (C).
Considérons le premier graphique : Echanges de biens de l’UE-27 avec le Brésil, de 2000 à 2010, en millions d’euros.
Ce premier graphique montre d’abord que les échanges de biens entre l’UE-27 et le Brésil exprimées en millions d’euros s’orientent globalement à la hausse. En une décennie, la valeur des exportations comme des importations passe de moins de 20 000 millions d’euros à plus de 30 000 millions d’euros. L’augmentation des échanges de biens se marque davantage à partir de 2003-2004 mais la crise économique mondiale se traduit en 2009 par une baisse significative des exportations de l’UE vers le Brésil et plus encore de ses importations du Brésil. L’année 2010 marque une reprise. Cette année là, les exportations de biens de l’UE-27 vers le Brésil ont atteint 31 272 millions d’euros. Les importations de l’UE-27 de biens en provenance du Brésil ont été d’une valeur supérieure, 32 420 millions d’euros. Il en résulte pour l’UE un déficit de 1 147 millions d’euros.
Ce graphique attire également l’attention sur une caractéristique majeure des flux UE-Brésil : l’UE affiche avec le Brésil un déficit régulier pour les échanges de biens. Sur la décennie, pas une année ne fait exception : l’UE que l’on présente souvent comme une puissance commerciale affiche ici comme souvent une balance commerciale systématiquement déficitaire…
Étudions maintenant sur le deuxième graphique les échanges de biens entre l’UE et le Brésil non plus en valeur mais en pourcentage du total des échanges de biens de l’UE-27 avec le reste du monde (extra-UE-27).
Présentée non plus en valeur mais en pourcentage du total des échanges de biens de l’UE-27 avec le reste du monde, la part du Brésil apparaît finalement assez modeste. De 2000 à 2010, le Brésil représente bon an mal an de 1,4 à 2,1% des exportations de l’UE et 1,9 à 2,3% de ses importations. Certes, la tendance est légèrement à la hausse si l’on compare 2000 et 2010 mais ce graphique laisse entendre que le commerce UE-Brésil peine à émerger.
Quelle est la composition par produit pour la période janvier à juin 2011 ? Ce troisième graphique permet de répondre.
Les échanges de biens de l’UE-27 avec le Brésil pour la période janvier-juin 2011 font apparaître un déficit qui n’étonnera pas. Certes, les échanges commerciaux de l’UE-27 ont continué à augmenter. Les exportations sont passées de 14 847 millions d’euros au premier semestre 2010 à 16 902 au premier semestre 2011. Les importations ont cependant augmenté davantage, de 14 912 millions d’euros au premier semestre 2010 elles sont montées à 18 540 au premier semestre 2011. En conséquence, le déficit commercial de l’UE-27 avec le Brésil est passé de 64 millions d’euros à 1 638. Soit une multiplication par 25.
Notons que le Brésil a représenté un peu plus de 2% du commerce extérieur total de l’UE-27 au premier semestre 2011 et a été le neuvième plus important partenaire commercial de l’UE-27.
La répartition est instructive. L’UE affiche avec le Brésil un déficit pour les matières premières et un excédent pour les articles manufacturés. Autrement dit, nous restons ici dans une distribution classique d’échanges Nord-Sud. Considérons sur ce quatrième graphique les flux de matières premières puis d’articles manufacturés.
Il appert que l’Union européenne exporte très peu de matières premières au Brésil et en importe principalement des produits de base et des produits alimentaires mais très peu d’énergie.
Considérons maintenant sur le cinquième graphique les échanges d’articles manufacturés.
L’UE exporte au Brésil des valeurs significatives d’articles manufacturés. Au premier rang viennent les machines et véhicules automobiles, au deuxième rang les produits chimiques dont des médicaments. Les autres produits manufacturés – dont des pièces détachées - viennent en troisième rang. L’Allemagne marque des points dans les deux premières catégories, à savoir machines et véhicules, produits chimiques.
Rappelons que l’Allemagne est la seule véritable puissance exportatrice de l’UE, régulièrement excédentaire. Le cas du Brésil l’illustre. En effet, au premier semestre 2011, l’Allemagne a réalisé à elle seule 32% des exportations de biens de l’UE vers le Brésil, pour une valeur de 5 402 millions d’euros. Le deuxième pays de l’UE pour les exportations vers le Brésil est l’Italie (14%, 2 307 millions d’euros). La France vient en troisième position (11%, soit 1 914 millions d’euros).
Les Pays-Bas ont été sur cette même période le premier pays européen importateur de biens du Brésil, avec 24% des importations de l’UE, soit 4 490 millions d’euros. Rappelons, cependant, que les importations néerlandaises de biens sont surestimées à cause de « l’effet Rotterdam » : compte tenu de l’importance de ce port, une forte proportion des importations enregistrées à Rotterdam est ensuite distribuée dans d’autres pays membres. Les principales importations de l’UE ont été le minerai de fer, le café, les tourteaux, les fèves de soja, la pâte à papier et le pétrole brut. Une partie de ces produits transitent par Rotterdam.
Le deuxième pays membre de l’UE importateur du Brésil est l’Italie (11% du total de l’UE, 2 057 millions d’euros). Deux pays montent sur la troisième marche des pays de l’UE importateurs du Brésil : l’Espagne (9%, avec 1 712 millions d’euros) et la France (1 686).
Cela n’étonnera pas : l’Allemagne est le pays membre de l’UE qui a enregistré le plus important excédent commercial avec le Brésil au premier semestre 2011, avec 1 852 millions d’euros. Loin derrière se trouvent la Suède (433) et l’Autriche (340). Les déficits les plus importants ont été observé pour les Pays-Bas (-3562 millions d’euros) mais cela reste à manier avec les précautions déjà indiquées, suivis du Portugal (-408) et de l’Espagne (-347).
Considérons maintenant le sixième graphique pour les échanges de services.
Les échanges de services entre l’UE-27 et le Brésil sont excédentaires pour l’UE en 2010, à hauteur de 4 343 millions d’euros. La situation est favorable aussi bien pour les transports que pour les voyages et la plupart des autres services (services de communication, construction, assurance, services financiers, informatiques et information, redevance et droits de licence).
Là encore, nous sommes dans une configuration Nord-Sud, à l’avantage de l’UE. Cependant, il ne faut pas surévaluer l’importance du Brésil pour ce poste, puisque ce pays n’a représenté en 2010 que 1,6% du total du commerce de services de l’UE-27 avec les pays tiers.
Enfin, observons sur le septième graphique les flux d’Investissements directs étrangers (IDE).
Les flux d’Investissements directs étrangers entre l’UE-27 et le Brésil ont été très variables depuis 2007. En 2007 et 2008, les IDE du Brésil dans l’UE-27 sont franchement puis légèrement plus importants que les IDE de l’UE-27 au Brésil. En 2009, les IDE du Brésil dans l’UE-27 s’écroulent, probablement sous l’effet de la crise économique. En 2010, les données provisoires indiquent une reprise des IDE du Brésil dans l’UE-27 mais ils n’auraient pas encore retrouvé le niveau de 2008 et encore moins celui de 2007.
La baisse des IDE de l’UE-27 au Brésil a été moins marquée. Avec 14 734 millions d’euros l’année 2010 afficherait presque le niveau de 2007 (15 005 millions d’euros).
Ainsi, les échanges économiques UE-Brésil restent inférieurs à ce que l’on pourrait attendre entre un pôle volontiers présenté comme une puissance commerciale et un pays identifié comme émergent. [3]
Cela s’explique en partie par les ambiguïtés qui pèsent sur leurs relations. D’un côté, l’Union européenne entend préserver sa Politique agricole commune (PAC). De l’autre, le Brésil se sert surtout des négociations UE-Mercosur pour justifier l’existence… du Mercosur afin de contrer l’influence des États-Unis sur le continent américain [4]. Enfin, les négociations UE-Mercosur achoppent parce que l’offre de l’UE ne semble pas jugée assez équilibrée, notamment à cause du protectionnisme induit par la PAC. Des deux côtés, le manque de volonté politique semble l’emporter. [5] Plus récemment, il faut bien admettre que les deux pays européens les plus moteurs depuis les années 1990 pour promouvoir les relations avec l’Amérique latine - le Portugal et l’Espagne - sont fragilisés par la crise économique engagée en 2008. Ce qui peut affaiblir leur poids politique auprès de leurs partenaires européens lorsqu’ils tentent une énième fois de relancer le partenariat annoncé comme « stratégique » entre l’UE et l’Amérique latine. Pendant ce temps, d’autres puissances émergentes – comme la Chine – marquent des points au Brésil.
Copyright Septembre 2012-Verluise
Plus
. Voir un article d’Axelle Degans, "Le Brésil émergent, un géant du XXIe siècle ?"
. Voir un article de Jérémie None, "UE-MERCOSUR : vers un accord d’association subrégional ? Bilan, enjeux et perspectives"
. Voir un article d’Alain Nonjon, "Brésil : nouvel acteur global" (1 carte)
. Voir un article de Hervé Théry, "Brésil dans la mondialisation : commerce extérieur, flux aériens et exportations de joueurs de football" (4 cartes)
[1] Source : Site du Service européen pour l’action extérieure, page présentant la République fédérative du Brésil eeas.europa.eu/brazil/index_fr.htm , consultation février 2012.
[2] Source : EUROSTAT, communiqué de presse 141/2011, 29 septembre 2011, « Sommet UE-Brésil. Le commerce extérieur de l’UE27 avec le Brésil a atteint un pic au premier semestre 2011 ».
[3] Cf. Sylvia DELANNOY, Géopolitique des pays émergents. Ils changent le monde, Paris, P.U.F., 2012.
[4] Cf. Thèse de Rodolphe ROBIN, « Genèse du projet d’association interrégionale sui generis entre le Mercosud et l’Union européenne, 1999-2011 », Université Rennes II – Institut des Amériques, soutenue le 29 novembre 2011.
[5] Cf. Jérémie NONE, « UE-MERCOSUR : vers un accord d’association subrégional ? Bilan, enjeux et perspectives » publié sur le site géopolitique Diploweb.com le 22 janvier 2012 à l’adresse http://www.diploweb.com/UE-MERCOSUR-vers-un-accord-d.html
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