LA TENTATIVE d’attentat déjouée sur le vol transatlantique 253, visant les Etats-Unis, est venu rappeler, s’il en était besoin, que le terrorisme islamique radicaldemeure une des menaces majeures pour la sécurité européenne et internationale. A cette menace transnationale se surajoute la permanence des formes de terrorisme plus « traditionnelles » (régionaliste/indépendantiste, politique, catégorielle, etc.).
La Fondation pour la recherche stratégique, avec le soutien de la Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de la défense, a réuni a réuni à Paris les 11 et 12 février 2010, plus d’une trentaine de spécialistes européens et les représentants de diverses administrations françaises, européennes et internationales pour les premières journées européennes sur la menace terroriste et la lutte contre le terrorisme. Placées sous la présidence d’honneur de M. Gilles de Kerchove, coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme, ces journées étaient introduites par M. Michel Miraillet, directeur en charge de la Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de la défense et conclues par le Général de corps aérien Pierre Bourlot, Secrétaire général-adjoint de la défense et de la sécurité nationale. Elles accueillirent entre autres : M. Jean-Paul Laborde, directeur de la Task Force contre le terrorisme des Nations Unies, M. Frédéric Veaux, Directeur-adjoint central du renseignement intérieur ; M. jean-Baptiste Carpentier, Directeur de TRACFIN ; Mme Marie-Ange Balbinot, Chef d’unité de la lutte contre le terrorisme à la Commission européenne (direction JLS) ; M. Michel Quillé, Directeur-adjoint d’Europol ; M. Guillaume Schlumberger, Directeur de la prospective et de la stratégie au Ministère de l’intérieur ; M. Le général Marc Watin-Augouard, Inspecteur général de la gendarmerie et le général de brigade Denis Favier, commandant le GIGN.
L’objectif était d’analyser l’état de la menace et de la réponse (tant au plan national, qu’européen et international) et d’initier la mise en place d’un réseau d’experts non gouvernementaux qui devrait devenir, à terme, un important relai global d’information et d’échange sur ce domaine majeur.
Il est impossible de résumer la richesse de ces deux jours pleins de colloque mais on peut tirer quelques grandes lignes de ces travaux.
Tous les experts se sont accordés pour certes considérer la centralité de la menace d’Al Qaida mais aussi pour en modérer l’importance. La première raison tient à l’affaiblissement notable du réseau, la seconde à l’existence ou à la progression d’autres menaces terroristes qui ne peuvent être sous-estimées.
Sur la situation d’Al Qaida : tous les experts s’accordent sur l’affaiblissement du noyau central : désormais plus producteur de mots d’ordre que de directives et sur l’autonomisation des groupes régionaux ou locaux.
Sur la nature d’Al Qaida : on est généralement convenu de considérer que ce mouvement se situe à la charnière du politique et du sectaire. Rapporté à son éclatement, là il est pur produit de la mondialisation.
Sur sa sociologie et sa structure : le mouvement est davantage vu comme un système éclaté et flexible mais qui n’interdit pas une interface avec le noyau central même si elle est bien plus limitée que par le passé. Toutefois, l’autonomie des groupes régionaux tendrait à se marquer davantage.
Les phénomènes de radicalisation notamment en Europe peuvent être difficilement modélisés : pas de profil univoque de terroristes ; pas de cause unique de radicalisation. Les diasporas peuvent jouer un rôle dans l’environnement du terrorisme, mais les différences de situation de chaque communautés, voire individus, rendent difficile de dégager des enseignements systématiques de ce rapport. La notion de « fraternité » autour de lieux de cultes communs ou de liens familiaux est particulièrement à prendre en compte.
Terrorisme et communication : La propagande d’Al Qaida utilise la toile internet comme mode de communication, de recrutement et, le cas échéant, de formation. Toutefois, le processus de prosélytisme se heurte à la difficulté d’afficher des victoires « réelles » pour valoriser leur contenu. Cependant, « Al Qaida virtuel », le « Cyberjihad » sont désormais un champ de bataille comme un autre et une réalité incontournable. C’est pourquoi il est essentiel d’apporter au « contre-message » des démocraties une soin tout particulier car une mauvaise utilisation ou formulation des messages contre-terroristes de la part des autorités peut avoir un effet contre-productif (ex : « la guerre contre la terreur »).
Sur les autres formes de terrorisme : le terrorisme régional de type indépendantiste demeure fortement présent. Cependant il faut envisager la montée d’autres formes de contestation violente comme les mouvements anti-mondialisation (Black Front) ; les groupes catégoriels (anti-vivissection, de défense d’une cause comme le Front antiradar, etc.) et la progression de mouvements sectaires apocalyptiques.
L’avenir de la menace
Pour demain les experts imaginent des petits (voire micro) groupes ; des acteurs solitaires (plus rares) ; des motifs multiples ; des actions solitaires ou solidaires (autoproclamation) ; la recherche d’un grand impact voire d’un grand nombre de victimes ; mais la tendance serait plus dans la désorganisation de masse en agissant sur les systèmes publics. L’attentat suicide, en raison de son efficacité, demeurera une constante tactique sur le long terme. Les actions terroristes continueront d’être conduites par l’usage de moyens classiques (bombe, armes de tous modèles) mais la pente technologique (toujours suivie par les plus audacieux) n’exclurait pas progressivement une ‘référence’ aux armes dites de destruction de masse (bombe radiologique, chimiques industriels, poisons) ; le cyberterrorisme semblant, pour l’instant hors d’atteinte des terroristes à la fois pour des raisons techniques et de coût/efficacité.
Le coordinateur de la lutte contre le terrorisme de l’Union européenne a posé la problématique de façon globale et lucide : la menace s’est affaiblie mais demeure. Dans les moyens globaux de lutte, Il a mis en exergue l’approche américaine d’une « guerre contre le terrorisme » comme une erreur sémantique majeure aux conséquences politiques négatives incalculables. La seule approche valable dans la lutte contre le terrorisme est celle de la lutte contre le crime. Le terrorisme doit demeurer une question de justice et de droit pénal. Reprenant, les résultats considérables obtenus au plan communautaire en moins de dix ans, il a ouvert aussi vers la poursuite d’importants chantiers qui sont développés dans la réponse européenne (voir supra).
La lutte au niveau des Nations Unies
L’ONU tente, avant tout, de définir un cadre juridique coopératif. Elle cherche à donner aux États les outils nécessaires pour qu’ils puissent agir. Ce cadre doit permettre aux opérateurs de travailler. Il peut être juridique mais également opérationnel.
Le centre traitant, aux Nations Unies, les menaces non militaires est basé à Vienne. Il essaie de donner aux États les capacités opérationnelles pour lutter contre le terrorisme. Son travail concerne également les problématiques de la drogue et du crime. A celui-ci s’est ajouté la Task-Force contre le terrorisme créée en 2006, installée à New York et regroupant 24 entités onusiennes.
L’impératif de ces différents services est la lutte contre le terrorisme à travers la coopération internationale en matière pénale. Il s’agit de fournir aussi une assistance technique.
Adoptée après le 11 septembre, La résolution 1373 constitue un nouvel instrument de droit pénal international au niveau général. Évidemment, elle est plus ou moins bien acceptée par les États. Mais, prise sous le chapitre 7 de la charte des Nations Unies, elle est contraignante.
Le bureau du Secrétaire général et les services ont ensuite déterminé une stratégie mondiale en 2006. Malgré certaines résistances, la stratégie a été définie. Elle comprend tous les éléments de la lutte contre le terrorisme. L’aide au développement, la capacité opérationnelle des États, la prévention et la préservation de l’état de droit (notamment les droits de l’Homme) en constituent les quatre grands volets. Un accord a été obtenu par consensus et non par vote de tous les États membres des Nations Unies.
Ce travail a concerné plus de 70 pays dans le monde. Des résultats ont été obtenus, notamment la mise en place de législations. Le UN Online Handbook on Counter-Terrorism est un de ces outils. L’enjeu est en effet que les différents pays puissent disposer de lois qui concordent. Il faut notamment éduquer les magistrats en fonction de leur propre code pénal, de leurs traditions juridiques… des méthodes d’évaluation de l’assistance technique ont été aussi mises en place. La lutte contre le terrorisme au niveau de la communauté internationale est un challenge fondé sur l’espoir. Si la communauté internationale n’arrive pas à développer cette coopération et cette forme de lutte par le Droit, elle ne respectera pas ses propres valeurs, celles développées par les Nations Unies à travers le Pacte des droits civils et politiques, la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la Charte des Nations Unies....
La lutte dans l’Union européenne
Au niveau européen, la lutte contre le terrorisme ne relevait pas jusqu’au 11 septembre 2001 des prérogatives de l’Union et restait confinée à la sphère exclusive de souveraineté nationale. A partir des sommets de Laeken et de Séville de 2002, le terrorisme a été considérée par les Etats membres comme une véritable menace stratégique et une harmonisation de la notion d’actes de terrorisme et des peines plancher y afférant ont été mise en place ainsi qu’un mandat d’arrêt européen pour ce type de crimes et délits – véritable outil opérationnel de poursuite. Un coordinateur européen a également été nommé. En 2004, après les attentats de Madrid, la clause de solidarité est venue renforcer les appareils de coopération disponibles. Depuis cette date, l’Union européenne a mis en œuvre des politiques de prévention et de protection, notamment dans lutte contre la radicalisation et la protection des infrastructures critiques en Europe. Europol, Agence de l’UE depuis 2010, a vu sa compétence opérationnelle élargie aux questions de terrorisme en matière de soutien à la coopération, information et bases de données, et formation. Parmi les préoccupations européennes, l’adéquation de la réponse sécuritaire doit prioritairement s’exercer dans le strict cadre des droits de l’homme et du respect des libertés publiques.
La grande difficulté demeure de lutter contre les effets de la désaffection des gouvernements passés les premiers chocs des attentats (mais cela vaut également au niveau national). Beaucoup reste à faire pour renforcer et harmoniser les dispositifs juridiques nationaux et européen. La question de l’incrimination du jihad à l’étranger (qui n’existe que dans deux pays, France et Allemagne) est posé, comme celui de suivre ou conduire un enseignement prônant le jihad et l’action directe. Le travail sur les meilleures pratiques en matière de déradicalisation doit être poursuivi (car tous les pays membres ne vont pas à la même vitesse) ; la coopération transatlantique peut encore être amélioré surtout dans le domaine des pratiques et des principes acceptables des deux côtés. Mettre l’accent sur sécurité et développement est également un des objectifs à terme dans la coopération avec les pays tiers et/ou les pays du voisinage. L’amélioration de la relation public-privé doit être accélérée à la fois par le développement des programmes européens de sécurité pour favoriser l’émergence de nouvelles technologies mais aussi dans la protection des infrastructures sensibles. Enfin, les deux gros chantiers de demain sont la sécurité du « cyberspace » et celle des frontières extérieures de l’Union avec la nécessité de doter les agences de l’Union de compétences en matière de sécurité contre le terrorisme.
La lutte en France
La réponse française de lutte contre le terrorisme est parmi les plus structurée en Europe et dans le monde. Cette compétence particulière est hélas liée au fait que la France a été touchée avant d’autres pays par différentes formes de terrorisme (régional, national, moyen-oriental, islamique) et que progressivement la réponse nationale s’est structurée dans le sens d’une réactivité et d’une efficacité accrues. Le modèle de gouvernement centralisé français est dans ce domaine un atout par rapport aux Etats fédéraux ou quasi-fédéraux. Mais c’est sans doute dans l’articulation étroite justice-police (parquet de Paris/SDNAT, juges professionnels) que le modèle trouve sa cohérence et sa capacité de prévention. Le code pénal français étant pour cela un outil irremplaçable car il permet d’agir avant la manifestation tangible de l’infraction ou du crime – ce qui n’est pas le cas dans de nombreux pays et le suivi des signaux faibles. De ce point de vue, le renseignement joue à tous les niveaux un rôle central. Le maillage territorial opéré notamment par la gendarmerie nationale (à relier au maritime et à l’aérien) rejoignant le renseignement opérationnel humain ou technique (DCRI) ainsi que l’action inlassable des services à l’étranger (DGSE) et les actions de coopérations internationales dans les zones en crise ou en guerre (ex : Afghanistan). L’action judiciaire trouve aussi sa place dans le travail sur les connexions crime organisé-terrorisme (via les divers modes de financement criminels). Enfin, dans l’hypothèse de la réduction par vive force d’un groupe terroriste ou d’une prise d’otages – (la grande préoccupation étant désormais la prise d’otages massive) – la France, dispose avec le GIGN désormais fort de près de 400 hommes, le nouveau Groupe d’intervention de la police nationale auquel est rattaché le DCI en charge de l’intervention sur les engins NRBC d’outils très adaptés aux menaces futures y compris NRBC. Bien sûr, comme tout système, celui-ci est perfectible, et il est nécessaire de travailler encore sur le renseignement (la notion de « communauté de renseignement » est essentielle), les concepts d’action et les capacités (notamment dans le domaine de l’intervention : maritime, immeubles, dépiégeage, etc.).
Enfin un des buts majeurs de ces journées était de lancer un réseau d’experts non institutionnels afin de développer un forum d’analyse et d’information sur internet. Ce forum partagera articles commentaires et réactions des experts sur l’actualité et dans une perspective prospective ; annoncera colloques et séminaires et fera circuler l’information ouverte disponible. Cet outil permettra de poursuivre l’analyse du terrorisme à travers ses causes (processus de radicalisation, jihadisme, sociologie de l’acteur, des groupes), ses méthodes (développement de l’attentat suicide, des engins explosifs improvisés, des formes « non conventionnelles) et, bien sûr, de ses moyens de lutte (prévention, protection, renseignement, intervention, droit, coopération. Le mouvement est d’ores et déjà lancé.
Le site est déjà opérationnel. On pourra se connecter sur l’adresse :
http://www.reet-neet.eu Voir
Liste des experts non institutionnels participants :
Allemagne
Guido Steinberg, SWP, Berlin
Michael Bauer, Center for applied policy research, Université de Munich
Autriche
Alexander Klimburg, Austrian Institute of International Affairs (0IIP), Vienne
Alex Schmid, Terrorism Research Initiative, Vienne
Belgique
Hugo Brady, Centre for European Reform (CER), Bruxelles
Bulgarie
Lyubov Mincheva, Institute for regional and international studies, Sofia
Danemark
Lars Andersen, Danish institute for international studies, Copenhague
Espagne
Fernando Reinares, Real Instituto Elcano/Université Rey Juan Carlos, Madrid
Javier Jordan, Université de Grenade
Finlande
Toby Archer, Finnish Institute of International Affairs, Helsinki
France
Louis Caprioli, ancien sous directeur de la lutte contre le terrorisme DST, conseiller Geos
Pierre Conesa, CEIS
Barthélémy Courmont, IRIS – Université de Laval (Québec)
Jean-François Daguzan, FRS
Jean-Pierre Filiu, professeur associé Sciences-Po Paris
François Bernard Huyghe, Huyghe, Infostratégie – Chercheur associé IRIS
Marc Hecker, IFRI
Jean-Luc Marret, FRS
Elisande Nexon, FRS
Marc-Antoine Pérouse de Montclos, IRD
Michel Wievorka, président de l’EHESS
Grèce
Manos Karagiannis, University of Macedonia
Hongrie
Peter Wagner, Hungarian Institute of International Affairs (HIIA), Budapest
IrLande
Maura Conway, School Law & Government, City University, Dublin
Italie
Alessandro Politi, Expert Italia, Rome
Stefano Silvestri, Président IAI, Rome
Lorenzo Vidino, Belfer Center of Science and International affairs, Kennedy School of Government, Harvard University
Norvège
Tore Bjǿrgo, Norvegian Police University College/NUPI, Oslo
Pays Bas
Edwin Bakker, Netherland Institute for International Affairs, Clingendael, La Haye
Bibi Van Ginkel, Netherland Institute for International Affairs, Clingendael, La Haye
Beatrice de Graaf, Center for Terrorism & Counterterrorism, Den Hague/Leiden University
Pologne
Paulina Calinska, Terrorism Studies Center, Collegium Civitas, Varsovie
Paulina Piasecka, Terrorism Studies Center, Collegium Civitas, Varsovie
Portugal
Diogo Noivo, IPRIS, Lisbonne
Royaume Uni
Lindsay Clutterbuck, Rand Europe, London
Bill Durodié, Nanyang Technological University, S. Rajaratram - Singapour
Alison Pargeter, University of Cambridge
Suède
Roger Roffey, FOI, Stockholm
Suisse
Mathieu Guidère, Université de Genève
Béatrice Giroux, ETHZ, Zurich
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