En une semaine, la Russie de V. Poutine a réalisé un tour de force en s’imposant à la table de discussion au sujet de l’avenir de la Syrie, sous couvert de lutte contre le terrorisme. Une autre raison de s’intéresser à la Russie, Platform-M, le robot combattant. De quoi s’agit-il ?
LES autorités russes viennent d’annoncer très officiellement que l’unité de robots de combat Platform-M a été intégrée pour la toute première fois à un dispositif opérationnel déployé à l’occasion d’une campagne d’exercices militaires. Cette unité composée exclusivement de robots a participé à l’ensemble des exercices qui ont eu lieu mi-juin 2015 dans la région de Kaliningrad et a donné entière satisfaction. Platform-M est une plate-forme robotisée « télécommandée » de combat dédiée au renseignement, à la détection et à la neutralisation de cibles fixes et mobiles. Très polyvalente, elle peut être utilisée en soutien, en appui feu, en défense d’une base militaire, ou dans une mission plus offensive de prise de contrôle d’une zone urbaine tenue par l’ennemi. Ces robots sont apparus publiquement le 9 mai 2015 à Kaliningrad lors des défilés de la grande parade militaire célébrant la victoire russe de 1945.
Les exercices de la flotte de la Baltique de juin 2015 interviennent en réponse aux exercices Saber Strike 2014 et Baltops 2014 organisés par l’OTAN dans la même zone quelques mois plus tôt. Les exercices occidentaux répondaient eux-mêmes déjà à des manœuvres russes plus anciennes. Depuis deux ans environ, on assiste à une multiplication et à une intensification de ce type d’exercices en nombre d’hommes engagés et en moyens déployés.
Cette dernière campagne russe a permis de mesurer l’efficacité réelle d’un groupe de combat robotisé engagé aux côtés de forces russes conventionnelles. Chaque robot Platform-M peut être doté de fusils d’assauts de type Kalachnikov, de quatre lance-grenades ou de missiles antichar en fonction de la nature de la mission. Selon le scénario retenu pour l’exercice, des commandos parachutistes russes, appuyés par des troupes de marine, des avions de combat SU34, SU24 et des hélicoptères MI-24, devaient reprendre au plus vite le contrôle d’une zone géographique tombée aux mains d’insurgés disposant eux aussi d’armements lourds. A l’issue de l’exercice, le bureau de communication de la région militaire ouest précisait que l’unité de robots Platform-M avait reçu comme objectif principal la neutralisation des groupes armés insurgés engagés en contexte urbain et qu’elle avait procédé au traitement des cibles fixes et mobiles. Le groupe de Platform-M a également construit un passage sécurisé dans un champ de mines laissé par l’ennemi. .
Durant sa mission, l’unité de robots a été accompagnée et a collaboré avec une escadrille de petits drones de reconnaissance de type Grusha BPLA déployés à proximité de la zone d’intervention. Au niveau fonctionnel, ce dispositif s’avère très cohérent : des drones de petit format apportent de l’agilité en milieu urbain puis fournissent des renseignements et de la reconnaissance aérienne en temps réel. Des algorithmes de traitement d’images détectent et localisent les cibles fixes et mobiles puis transmettent leurs positions aux Platform-M pour traitement.
Coûteux en vies humaines, le combat urbain peut tirer grand avantage d’un tel dispositif. Les gains sont potentiellement importants et variés : baisse de la létalité, économie d’effectifs engagés, optimisation des munitions, vitesse de déplacements accrues, agilité en milieu encombré ou en environnement dégradé (nucléaire, bactériologique, chimique), résilience du dispositif (la panne d’un des robots ne stoppe pas l’intervention des autres), baisse du stress des personnels, effet psychologique sur un adversaire équipé d’armes conventionnelles et affrontant une unité robotisée. Dotés d’outils de vision nocturne (infrarouge, thermique), les robots Platform-M sont utilisables de jour comme de nuit sans perte des capacités opérationnelles. Téléguidés par un opérateur humain depuis un poste de contrôle distant, ils possèdent toutefois une forme d’autonomie durant la phase de combat lors de l’acquisition des cibles. On peut supposer qu’il existe, en marge de l’exploitation de l’unité, une intense activité de R&D algorithmique afin de créer une coopération de type multi-agents (peu supervisée) entre les robots du groupe. D’une façon générale, les progrès de l’intelligence artificielle orientent les dispositifs vers plus d’autonomie et de coopération non supervisée.
Comme toute grande puissance militaire,la Russie oriente les évolutions de son armée vers une technologisation globale avec le développement de drones de combat et d’observation. Cette orientation stratégique ne fait d’ailleurs que répondre à l’hyperactivité américaine dans le domaine de la robotique militaire. La course au robot combattant est bel et bien lancée.
La Russie possède un savoir-faire important dans le domaine de la robotique civile et militaire. La guerre froide et la conquête spatiale ont contribué à forger cette expertise nationale mise en sommeil durant presque deux décennies mais réactivée aujourd’hui par des tensions internationales que certains considèrent comme une guerre froide 2.0. Les premiers rovers lunaires soviétiques contenaient déjà les racines technologiques des actuels robots russes. Dès 1964, les forces aériennes russes disposaient d’un appareil de reconnaissance longue portée DBP-1 sans pilote capable de mener des missions d’observation en Europe occidentale. En 1973, l’Union Soviétique lançait un vaste programme de recherche et développement de robotique industrielle. Douze ans plus tard, en 1985, l’URSS possédait plus de 40 % des robots industriels mondiaux dépassant le score du leader américain. On peut donc parler d’une véritable tradition de robotique russe qui s’est transmise aujourd’hui malgré les turbulences géopolitiques et budgétaires. Les transferts de technologies du secteur spatial russe vers celui de la robotique militaire ont permis de limiter le retard de développement par rapport aux concurrents américains, japonais et coréens. Selon l’Amiral Aleksandr Vitko, commandant la flotte de la Mer Noire, il est question de diminuer fortement le volume de soldats issus de la conscription pour les remplacer par des soldats professionnels hautement qualifiés, capables de superviser des unités robotisées. La « technologisation » de l’armée russe est bien en marche et elle induit une course à l’intelligence artificielle dans les systèmes d’armes.
A l’heure actuelle, Platform-M est un système d’armes télécommandé par des superviseurs humains donc doté de très peu d’autonomie. Ses concepteurs (les chercheurs du Progress Scientific ResarchTechnological Institute of Izhevsk) souhaitent que les robots évoluent vers d’avantage de capacités d’adaptation au terrain et au contexte de combat. Les machines devront pouvoir coopérer entre elles et savoir se réorganiser de manière autonome en cas de neutralisation d’une partie de l’unité. L’objectif est de rendre l’unité de combat adaptative et résiliente. L’optimisation globale en temps réel des actions de chaque robot sous-entend un système de calcul centralisé puissant embarquant un haut niveau d’intelligence artificielle (IA). L’évolution d’un système d’arme vers plus d’autonomie requiert plus d’IA. Il est aujourd’hui évident que ce principe simple va provoquer une course au développement de l’IA au sein de tous les grands laboratoires engagés dans des programmes de robotique militaire. C’est déjà le cas aux États-Unis avec l’hyperactivité de la Darpa et des sociétés avec lesquelles elle travaille comme par exemple la célèbre Boston Dynamics, filiale de Google.
L’augmentation de l’autonomie et de l’IA dans les systèmes d’armes suscite également quelques oppositions. L’Institut américain Futur of Life Institute (FLI) a publié une lettre ouverte [1] en date du 28 juillet 2015 dénonçant les dangers que représentent les armes autonomes et demandant leur interdiction immédiate à l’échelle mondiale [2]. A l’origine de cette pétition, on retrouve l’astrophysicien britannique Stephen Hawking, le Directeur de Tesla et Space X, Elon Musk, le cofondateur d’Apple, Steve Wozniak et le linguiste Noam Chomsky. Tous s’accordent pour dénoncer l’avènement des robots tueurs dont l’autonomie est rendue aujourd’hui possible par les récents progrès de l’intelligence artificielle. La pétition qui a recueilli à ce jour plus de 10 000 signatures dénonce le risque potentiel de détournement des armes autonomes par des groupes terroristes ou des armées irrégulières et souligne les dangers inhérents à l’autonomie des systèmes.
Pour autant, la course à l’IA d’armement ne sera pas ralentie par ce type d’initiative [3]. Si une réflexion éthique globale sur l’autonomie des armes semble aujourd’hui nécessaire, les enjeux stratégiques, militaires, politiques et économiques portés par ces technologies de rupture demeurent hautement prioritaires pour les États.
Septembre 2015-Berthier/Diploweb.com
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