Obama, Trump, Clinton : quelle géopolitique des Etats-Unis ?
Un bilan des deux mandats de B. Obama, une analyse des positions des candidats

Par Alexandre ANDORRA, Pierre VERLUISE, le 9 novembre 2016  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Ancien élève à l’Ecole Nationale d’Administration (Mastère Prévention des risques et Gestion des crises), Alexandre Andorra est diplômé d’HEC Paris et du département de Sciences Politiques de la Freie Universität Berlin. Alexandre Andorra cosigne avec Thomas Snegaroff, « Géopolitique des Etats-Unis », coll. Major, Presses Universitaires de France, 2016. Pierre Verluise est Directeur du Diploweb.com

Que nous disent les partisans de Donald Trump des Etats-Unis ? Quelles ont été les grandes prises de position de D. Trump en matière de politique étrangère ? Les réponses d’A. Andorra à ces deux questions posées par le Diploweb dans cet entretien initialement publié le 18 septembre 2016 prennent un singulier relief au vu de la victoire de D. Trump le 8 novembre 2016.

Après deux mandats de B. Obama à la Maison-Blanche, quel bilan peut-on faire de sa politique étrangère ? Que nous disent les partisans de D. Trump des Etats-Unis ? Que nous disent les partisans d’H. Clinton des Etats-Unis ?

Alexandre Andorra répond de façon argumentée et nuancée aux questions de P. Verluise, Directeur du Diploweb. A. Andorra vient de cosigner avec Thomas Snegaroff une « Géopolitique des Etats-Unis », coll. Major, Presses Universitaires de France, 2016.

Pierre Verluise (P.V.) : Quel bilan faites-vous des deux mandats de B. Obama en matière de politique étrangère ? Restera-t-il comme le président des drones ? Quid de la puissance des Etats-Unis à l’automne 2016 comparativement à la situation en 2008 ?

Alexandre Andorra (A. A.) : Quand on étudie la puissance des États-Unis, il faut toujours faire attention à ne pas tomber dans le sentimentalisme dont font preuve les Américains. S’ils dégagent souvent une image optimiste et, parfois, arrogante, ils ont aussi le déclinisme facile. Souvenons-nous qu’en 1961, au cœur de ce que Henry Luce avait nommé « le siècle américain », Henry Kissinger estimait que « l’Amérique ne peut pas se permettre un déclin similaire à celui qu’elle a connu depuis 1945. Encore quinze ans à voir notre position mondiale se détériorer comme cela […] et nous serons devenus largement insignifiants » [1]. On sait aujourd’hui que ces alarmes étaient largement exagérées. Mais le déclinisme reste très commode, surtout quand on est dans l’opposition : dépeindre un président sortant comme faible et mou permet d’incarner, en creux, le retour de la force et de la vigueur. Il est donc prévisible que les Républicains usent et abusent de ce discours dans cette campagne 2016, d’autant que Donald Trump n’a pas grand-chose de sérieux à proposer. Et réciproquement, il est normal que les Démocrates et l’administration sortante mettent en valeur, et parfois embellissent, le bilan de Barack Obama. Pour éviter cette exagération politique, il convient donc de se demander ce qu’on mettre à l’actif et au passif de Barack Obama. Dans quelle mesure aurait-il pu agir différemment ? John McCain ou Mitt Romney auraient-ils fait mieux, et si oui, comment ?

A l’actif, il y a évidemment le retour de 190 000 hommes d’Irak et d’Afghanistan (sur 200 000 au plus fort des conflits) ; l’absence d’une nouvelle attaque terroriste de grande ampleur sur le territoire américain ; l’accord sur le nucléaire iranien ; la signature du Trans Pacific Partnership et d’une manière générale l’approfondissement des relations économiques et militaires avec l’Inde et l’Asie du Sud-Est ; la normalisation avec Cuba et, plus largement, le réchauffement des relations avec l’Amérique latine ; une capacité à interroger la pertinence de certaines alliances historiques (Arabie Saoudite, Pakistan, Israël) etc.

Au passif, même si les États-Unis n’en sont pas les seuls responsables, on retiendra notamment l’échec du reset avec la Russie, l’absence d’avancée sur la menace nord-coréenne, le retrait prématuré d’Irak, l’impossibilité de se retirer d’Afghanistan, l’incapacité à responsabiliser des alliés européens et moyen-orientaux en manque d’Amérique. Cette incapacité des Européens à prendre leurs responsabilités stratégiques est d’ailleurs en grande partie responsable de l’échec post-intervention en Libye, où Français et Britanniques ont beaucoup parlé mais peu agi et investi, fournissant sur un plateau un nouveau sanctuaire aux terroristes. L’épisode de la ligne rouge syrienne en 2013 mériterait une interview à lui tout seul, mais soulignons que le discours dominant nous semble un peu simpliste : il est peu probable qu’une nouvelle intervention américaine dans la même région que les précédentes, avec les mêmes dynamiques de conflits ethno-confessionnels ait pu avoir un résultat diffèrent. Et puis, qu’auriez-vous frappé ? Vous n’allez pas bombarder des dépôts d’armes chimiques ! Donc il aurait fallu taper des hangars de l’aviation syrienne – qui auraient été probablement vidés avant – mais ça n’aurait pas réglé le problème de la présence des armes chimiques sur le territoire syrien… Le seul moyen d’en sortir par le haut était donc un accord diplomatique pour détruire les armes chimiques syriennes dans le cadre onusien. La manière dont l’administration Obama est arrivée à ce résultat était certes improvisée (et en cela a donné une impression d’amateurisme), mais le but final n’était pas si absurde qu’on le dit aujourd’hui. La ligne rouge en cela ressemble à de la diplomatie coercitive : menacer de l’usage de la force pour ne pas avoir à l’utiliser.

Plus globalement, il y a une réelle compression du rôle des États-Unis dans le monde. Une compression qui s’explique en partie par le rattrapage économique (pas encore militaire) des pays émergents – en commençant par la Chine – et par la perte d’influence, de crédibilité et de volonté des États-Unis dans des régions marquées par leur imprudence militaire (Irak, Afghanistan, Libye). Cette compression est donc moins un choix conscient des Etats-Unis qu’une fatalité – la causalité directe entre cette compression du rôle américain et un affaiblissement de la puissance américaine reste cependant à démontrer. Obama l’avait bien compris, et il a essayé d’adapter les buts de la puissance américaine à des moyens plus limités qu’auparavant. Confronté dès sa prise de fonction à la Grande Récession et aux deux guerres héritées de George W. Bush, Barack Obama n’a pas été épargné par les convulsions du monde. Entre un choc migratoire sans précédent depuis 1945, une Corée du Nord agressive, les différends territoriaux en mer de Chine, la propagation de la mouvance radicale salafiste dans tout le Moyen-Orient et au Sahel, les révolutions arabes, l’invasion d’une partie de l’Ukraine par la Russie et l’impuissance des Européens, il a souvent choisi la moins mauvaise des options. Et malgré les restrictions budgétaires, l’incertitude économique et la nécessité de réaligner engagements et capacités, les alliés européens, moyen-orientaux et asiatiques demandaient toujours plus d’Amérique.

Dans cet environnement très complexe, la politique étrangère de Barack Obama ne pouvait être que complexe. Surtout quand on connait sa préférence pour l’analyse rationnelle, le long terme et le pragmatisme. En cela, on ne peut pas le réduire aux drones. Il est aussi le président des sanctions et des négociations ; celui des écoutes de la NSA ; celui du raid des forces spéciales contre Ben Laden ; celui du leading from behind  ; celui de la retenue stratégique (mais, après une décennie de sur-expansion irréfléchie et unilatérale, en aurait-il été autrement avec John McCain ?). Bref, sa politique étrangère a combiné actions contre-terroristes flexibles et ciblées (surveillance électronique, drones, frappes aériennes, forces spéciales), formation et équipement d’acteurs locaux fiables, partenariats de sécurité et de défense, engagement diplomatique, sanctions économiques, accords de libre-échange, aide au développement, lutte contre le recrutement et l’idéologie extrémistes domestiques… Comme toute politique multidimensionnelle, elle est difficile à résumer en un slogan. Mais elle n’en est pas moins ancrée dans une pensée stratégique cohérente : 1/ le terrorisme n’est pas le seul défi stratégique des États-Unis, d’où une « déterrorisation » de la politique étrangère ; 2/ la politique étrangère ne se réduit pas au militaire, d’où la fin de la sur-militarisation de la politique étrangère ; 3/ si les États-Unis ne sont pas toujours le meilleur acteur pour intervenir militairement, ils sont souvent le meilleur acteur pour catalyser une solution diplomatique.

Après huit ans de présidence Obama, les États-Unis ne sont pas le paradis que l’hystérie « obamaniaque » espérait naïvement en 2008, mais ils ne sont pas non plus l’enfer décrit par Donald Trump. Le budget de défense américain équivaut au budget combiné des sept pays qui le suivent dans le classement, pendant que les États-Unis et leurs alliés représentent 75 % des dépenses militaires mondiales. Leurs capacités de projection de puissance et de renseignement restent inégalées. L’économie américaine possède la monnaie de réserve mondiale et le taux de croissance le plus élevé de tous les pays développés ; le chômage est passé de 10 % en 2009 à 5 % aujourd’hui ; à 10% en 2009, le déficit public atteint 2,5 % en 2015 ; cerise sur le gâteau, 2014 et 2015 ont été les années les plus créatrices d’emplois depuis le début du siècle – preuve que ce n’est pas qu’un effet de rattrapage. La démographie est dynamique, la dette mesurée par rapport à la taille de l’économie, et les entreprises novatrices et disruptives. De manière plus intangible, les mains tendues à l’Iran, Cuba, le reste de l’Amérique latine, le Vietnam, le Laos, l’Indonésie, ou encorel’Inde contribuent à renforcer l’influence des États-Unis dans le monde. De même, refuser d’engager les États-Unis dans des conflits sectaires lointains et ne menaçant pas leurs intérêts vitaux a évité de nouveaux enlisements militaires et de nouvelles distractions stratégiques. Tous ces éléments tendent à prouver que la puissance américaine est en bien meilleur état en 2016 qu’en 2008.

P. V. : La campagne pour la présidentielle est dans la dernière ligne droite. Que nous disent les partisans de Donald Trump des Etats-Unis ? Quelles ont été les grandes prises de position de D. Trump en matière de politique étrangère, notamment à l’égard de la Russie ?

A. A. : Trump est très fluctuant. Il est toujours dans des propositions certes chocs mais toujours très vagues, très évasives. Il utilise beaucoup l’insinuation : pendant la campagne des primaires il avait insinué que Ted Cruz était inéligible au poste de président car il est né au Canada. C’était faux [2], il n’avait aucune preuve pour étayer son affirmation et il disait lui-même qu’il ne savait pas, mais il continuait de le marteler. Ses prises de position sont souvent sur le même modèle : outrancière et chancelante au gré des sondages. On connait bien sûr sa proposition de mur à la frontière mexicaine, celle d’expulser les 11 millions d’immigrés sans papiers présents sur le territoire, celle d’interdire aux Musulmans de pénétrer le territoire américain. Même sur ces propositions phares, il recule ou renchérit, en fonction des enquêtes d’opinion ou de la composition de la foule à laquelle il s’adresse. C’est la définition même d’un populiste.

En politique étrangère, à divers moments, il a préconisé de tuer les familles des terroristes et exprimé son admiration pour Kim Jong Un, Saddam Hussein et Vladimir Poutine. En ce qui concerne ce dernier, c’est évidemment le côté autoritaire qui l’attire, le côté « le monde est dangereux, moi seul peut vous sauver ». Sur la Russie en particulier, il n’a jamais vraiment précisé ce que la politique américaine devrait être selon lui. Sur l’Ukraine cependant, il a appelé les Européens à accentuer la pression diplomatique sur Moscou ainsi que leur aide à l’Ukraine. Début 2016 il a remis en question l’intérêt de l’OTAN et son attachement à l’article 5, estimant que les États-Unis n’en avaient par pour leur argent. Mais il est ensuite revenu sur ses déclarations en affirmant qu’en tant que président il honorerait les engagements américains dans le cadre de l’OTAN, y compris la défense des Etats baltes en cas d’agression russe. On voit donc qu’il n’y a pas de ligne directrice (hormis celle de choquer), et d’ailleurs il dit lui-même qu’il sera totalement imprévisible. Une continuité qu’on peut toutefois extraire, c’est sa remise en cause de l’interventionnisme traditionnel du parti républicain. Il est souvent sur un mode « on dépense trop pour eux » ; « laissons-les se débrouiller tous seuls, qu’ils se fassent une bombe atomique et nous laissent tranquilles ! » Pendant la campagne des primaires, il a notamment préconisé que la Corée du Sud et le Japon développent l’arme nucléaire…

Cela dit ça serait une erreur de considérer que Trump est apparu ex nihilo. Il représente l’évolution logique d’un parti républicain qui n’est plus le parti centriste et réformateur d’Eisenhower, Nixon et Bush Senior. A bien des égards, il s’est nourri d’un terreau fertile, articulé autour d’un extrémisme idéologique, d’un mépris pour le compromis, d’une insensibilité à l’interprétation conventionnelle des preuves et des données de la science, et d’un mépris pour la légitimité de ses opposants politiques. Il y a eu l’arrivée de Newt Gingrich à la présidence de la chambre des Représentants en 1994, puis l’accession au pouvoir des néo-conservateurs dans les années 2000, la candidature de Sarah Palin à la vice-présidence en 2008, l’émergence du Tea Party pendant le premier mandat de Barack Obama, et enfin Trump, Carson, Cruz. Autant de figures de plus en plus démagogues, qui revendiquent leur manque de compétences politiques, voire leur ignorance, comme un gage d’authenticité. Dans ces conditions, ce n’était plus qu’une question de temps avant que quelqu’un de plus diffamatoire et de plus outrancier n’émerge.

C’est pourquoi la direction du GOP est très embarrassée par le candidat Trump : elle le soutient sans l’appuyer. Souvenons-nous que John McCain, très critique à l’égard de Trump, avait choisi comme colistière en 2008 Sarah Palin, qui soutient vigoureusement… Donald Trump. Mitt Romney a dénoncé la misogynie de Trump, mais en 2012 il avait chaleureusement accueilli son soutien et loué sa compréhension « extraordinaire » de l’économie… D’une certaine manière, le GOP récolte ce qu’il a semé.

Il n’empêche qu’il y a une demande d’une partie de l’électorat américain pour ce genre de politique. Les ouvriers blancs sans diplôme du supérieur, qui constituent le gros de la base électorale de Trump, représentent encore 45% de l’électorat américain. Et il semble que cet électorat soit très sensible, du moins pendant cette élection, à une insistance sur les sentiments plutôt que sur les faits. C’était frappant pendant la convention républicaine en juillet 2016, où les orateurs insistaient sur le sentiment d’insécurité dû au terrorisme et à l’immigration. Ces sentiments sont pourtant contredits par les faits : pour n’en prendre qu’un parmi d’autres, depuis l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche, l’immigration illégale et le taux de criminalité ont diminué. Mieux : le taux de criminalité fédéral est en baisse depuis 25 ans, loin de l’image de chaos et de violence dépeinte par les Républicains. Et pourtant, les Républicains, et pas seulement Trump, tiennent toujours ce discours xénophobe, anxiogène, et mensonger donc. Il est intéressant de souligner que, depuis le début de la campagne présidentielle, 53% des déclarations de Donald Trump analysées par PolitiFact étaient classées « fausses » ou « mensongères », contre 13% pour Hillary Clinton [3].

Finalement tout se passe comme si les partisans de Donald Trump voulaient plus entendre ce qu’ils croient être vrai que ce qui l’est réellement. Et en flattant leurs préjugés, Trump et le GOP laissent entendre que quelque chose que l’on croit vrai, est vrai ; qu’un sentiment est un fait. Ce qui est assez dangereux, parce qu’à partir de là vous pouvez véritablement créer votre propre réalité.

Enfin, il y a un autre élément à retenir quand on étudie la composition des partisans de Donald Trump : il est ouvertement soutenu par un mouvement appelé « la droite alternative  » (the alt-right). Son nouveau directeur de campagne, Stephen Bannon, connu pour ses provocations, en est une bonne illustration puisqu’il dirige un site d’actualité qu’il décrit lui-même comme une plateforme pour la droite alternative. C’est un mouvement particulièrement inquiétant, qui clame son anti-féminisme, qui estime que les États-Unis sont une nation blanche et qui considère qu’il y a des différences biologiques entre les races. La droite alternative s’est d’abord faite connaître par des campagnes de memes agressives contre les minorités, et notamment contre les Juifs. D’ailleurs, beaucoup de membres de ce mouvement s’identifient ouvertement comme néo-nazis. Certes cette frange xénophobe a toujours existé aux États-Unis, mais cela fait froid dans le dos de voir un tel mouvement soutenir ouvertement un candidat à la présidence de la première puissance mondiale ; et en retour de voir ce candidat accepter de facto ce soutien, donnant ainsi à ce courant une plus grande légitimité dans le débat public. A court terme, cette radicalisation du parti républicain risque de faire perdre les minorités au GOP (Trump est d’ailleurs à 1% des intentions de vote chez les Afro-Américains) et de faciliter la tâche au mouvement progressiste en novembre 2016. A plus long terme, l’alt-right, si elle continue d’être le réceptacle de l’ambition politique des avatars de Trump, a le potentiel pour transformer le conservatisme historique du GOP en un nationalisme véritablement raciste.

P. V. : Que nous disent les partisans d’Hillary Clinton des Etats-Unis ? Quelles ont été les grandes prises de position de la candidate en matière de politique étrangère, notamment à l’égard de la Russie ?

A. A. : Si l’on en croit le programme et les déclarations de la candidate H. Clinton, le changement avec Barack Obama serait de degré, pas de nature. Certes, elle a un penchant interventionniste. Elle avait voté pour la guerre en Irak en 2003, elle est un des architectes de l’intervention en Libye en 2011, et elle était plutôt pour intervenir en Syrie. Ce tropisme a d’ailleurs entrainé des frictions avec Obama quand elle était son Secrétaire d’Etat. Mais ses prises de position dans cette campagne sont plus modérées et s’inscrivent dans le prolongement de la doctrine Obama. Schématiquement, pour Obama le rôle des États-Unis est plus de catalyser que de gendarmer le monde. Clinton devrait remettre en valeur le côté gendarme, avec une politique plus musclée, tout en conservant le côté catalyseur. En clair, la pondération des deux dimensions passera probablement de 70/30 à 50/50 mais il ne faut pas s’attendre à des révolutions doctrinales – Clinton et Obama ont au moins en commun d’être particulièrement pragmatiques.

Sur la Chine, elle souhaite améliorer la coopération entre les deux pays sur les intérêts communs tout en renforçant les alliances avec les autres pays de l’Asie Pacifique et la dissuasion américaine envers les cyberattaques. Rien de bien différent de la politique actuelle donc. Sa volonté d’être plus exigente avec la Chine sur les droits de l’Homme est de nature à la distinguer mais elle est difficile à tenir une fois installé à la Maison Blanche. Son approche de l’EI est plus musclée – frappes aériennes plus nombreuses, établissement d’une zone d’exclusion aérienne sur certaines parties de la Syrie – mais repose sur les mêmes lignes de force que celle d’Obama (coalition occidentale et arabe, pas de troupes au sol, soutien et armement des combattants kurdes et arabes sunnites). De même, concernant l’Iran et l’immigration, elle s’inscrit dans la continuité.

Reste à savoir si ces déclarations de campagne sont crédibles. C’est l’un des problèmes de Clinton : elle est depuis tellement longtemps en politique qu’il est très facile de trouver des sujets sur lesquels son avis a changé, ce qui nuit à la lisibilité de sa politique. Sur le libre-échange par exemple, il faut prendre son opposition au Trans Pacific Partnership avec des pincettes. D’une part parce que cette opposition est venue sur le tard, probablement dans le but d’appâter les supporters de Bernie Sanders, farouches sceptiques du libre-échange. D’autre part parce que ses états de service en la matière suggère plutôt un soutien au libre-échangisme ; elle a d’ailleurs négocié le TPP quand elle était à Foggy Bottom. Sur ce dossier, tout porte donc à croire que ses déclarations de campagne ne sont pas alignées sur ses convictions réelles, et rien ne garantit qu’elle s’opposera au TPP une fois élue.

Sur la Russie en particulier, souvenons que Hillary Clinton fut l’une des architectes du reset pendant le premier mandat Obama. Cette approche diplomatique a connu quelques succès avant le retour à la présidence de Vladimir Poutine. Cela a permis notamment de renforcer les sanctions contre la Corée du Nord et l’Iran après leur refus de négocier un arrêt de leur programme nucléaire militaire. Le reset a également favorisé l’entrée de la Russie à l’OMC, le vote de la résolution permettant l’intervention de l’OTAN en Libye, et une plus grande coopération russo-américaine dans l’anti-terrorisme. Cela dit, H. Clinton devrait avoir une attitude plus dure que Barack Obama. Elle a déjà dit qu’elle voulait renforcer les sanctions ainsi que les défenses anti-missiles américaines en Europe de l’Est. Elle insiste également pour que les Européens améliorent leur indépendance énergétique. En dernière analyse, Barack Obama considère que la Russie est loin d’être l’égal des États-Unis et que donc il faut négocier avec elle sur les points d’intérêt communs mais la laisser gesticuler sur les dossiers non vitaux pour Washington, car, au bout du compte, cette gesticulation lui coûtera plus qu’elle ne lui rapporte. Clinton aura elle plus tendance à rentrer dans le jeu des Russes et à répondre à leurs provocations.

Plus globalement, les partisans d’Hillary Clinton et plus encore le manque d’enthousiasme autour de sa candidature nous parlent d’un profond sentiment de déclassement de la part des classes moyennes et pauvres, et pas seulement les classes blanches même si ces dernières sont les plus bruyantes par leur soutien à Donald Trump. Gardons en tête que sur les 25 dernières années, le revenu du salarié médian – celui au milieu de l’échelle des revenus – n’a pas bougé. Pendant ce temps, le top 1% a capté 55% de la croissance, forçant les 99% restants à se partager moins de la moitié de la croissance. Si bien que le taux de pauvreté [4] est au même niveau que dans les années 1980 (18%, contre 11% dans le reste de l’OCDE) et ne cesse d’augmenter depuis 2001. Le problème est que cette dispersion croissante des richesses n’est pas contrebalancée par une hausse de la mobilité sociale. Au contraire, les États-Unis présentent depuis des décennies l’une des mobilités sociales les plus faibles de l’OCDE ! Autrement dit, le rêve américain est un mythe.

Plus d’inégalités, plus de pauvreté, moins de mobilité : Trump et Sanders doivent leur succès en grande partie à ce contexte. Ces évolutions ont nourri une perte de confiance dans les institutions et leurs représentants (80% des Américains désapprouvent l’action du Congrès, chiffre assez constant [5]), une exacerbation des tensions sociales et une confiscation des opportunités en contradiction avec le rêve d’equal opportunity. Quel que soit le vainqueur en novembre 2016, il aura du mal à réconcilier le pays durablement s’il ne s’attaque pas aux causes sous-jacentes de cette division. Nous ne rappellerons jamais assez que les deux nominés en 2016 sont plus impopulaires que tous les nominés qui les ont précédés depuis au moins 1980. En clair, les électeurs ont pour l’instant l’impression de devoir choisir le moindre de deux maux.

Initialement publié le 18 septembre 2016

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. Alexandre Andorra, Thomas Snegaroff, « Géopolitique des Etats-Unis », coll. Major, Presses Universitaires de France, 2016.

Obama, Trump, Clinton : quelle géopolitique des Etats-Unis ?

4e de couverture

Richesse et pauvreté, prédation et sanctuarisation, sécheresse et blizzard, interventionnisme et isolationnisme : l’Amérique est le pays des contraires, le pays du « tout ou rien », qu’on a souvent tendance à peindre à grands traits, ou même à dédaigner pour sa jeunesse et son absence supposée d’histoire. Dans un style accessible et engageant, les deux auteurs nous entraînent dans l’histoire des États-Unis sous toutes leurs facettes : géographie, sociologie, culture, politique, économie, diplomatie, sécurité, armée… À l’encontre des idées reçues, ils expliquent de manière pédagogique la diversité et la complexité de la première puissance mondiale. Les élections présidentielles de 2016 et la fin de la présidence de Barack Obama, dont la politique étrangère fut l’une des plus fines et des plus complexes de l’histoire américaine, incitent à dresser un bilan de la position américaine dans le monde. Un monde à la fois plus pacifique et plus conflictuel, avec moins de pauvreté extrême et plus d’inégalités, oscillant entre internationalisme et populismes. Cet ouvrage permet de s’extraire du bruit médiatique et des slogans, et de réfléchir aux enjeux de long terme qui occupent et préoccupent les États-Unis.

Voir le livre d’Alexandre Andorra et Thomas Snegaroff, « Géopolitique des Etats-Unis », sur le site des Presses Universitaires de France


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[1Henry Kissinger, cité par Gideon Rose, « What Obama Gets Right », dans Foreign Affairs, septembre/octobre 2015

[2Ted Cruz est bien né au Canada, mais sa mère était américaine au moment de sa naissance, ce qui fait de lui un « natural born citizen »

[4Défini par 50 % du revenu médian national

[5Source : RealClear Politics, septembre 2016

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