Islamologue et arabisant, Mathieu Guidère est Directeur de la collection "Monde arabe – Monde musulman", éd. De Boeck qui vient de publier cinq premiers titres. Pierre Verluise est Directeur du Diploweb.com
P. Verluise : La création de cette collection « Monde arabe - Monde musulman » fait-elle écho à ce qui a été communément appelé le « Printemps arabe » ? Quelle est votre intention éditoriale ?
Mathieu Guidère : Le Printemps arabe a été un élément déclencheur et une source d’inspiration. Déclencheur, car il a mis en évidence, par sa soudaineté et son imprévisibilité, une méconnaissance préjudiciable des pays arabes et, plus largement, une certaine ignorance du public occidental concernant le monde musulman. Inspirateur, par les bouleversements politiques et géopolitiques qu’il a entraînés, modifiant à la fois les rapports de forces à l’intérieur et à l’extérieur d’un espace méditerranéen qu’on pensait des plus stables. L’idée de la collection est née de ce double constat qu’on avait besoin d’un outil de connaissance, actuel et accessible au plus grand nombre, pour pourvoir appréhender la complexité de la situation nouvelle de ces pays.
Un état des lieux éloigné des entreprises de promotion officieuses ou bien des commandes publiques indigestes.
Il existait bien évidemment des ouvrages consacrés à chacun de ces pays avant le Printemps arabe, mais il s’agissait la plupart du temps d’études extrêmement spécialisées ou d’ouvrages de complaisance commandités et payés par les régimes en place eux-mêmes. On se souvient tous du scandale tunisien où le régime de Ben Ali (1987-2011) avait mis en place, jusqu’à la révolution, un véritable système de propagande, organisé à l’échelle internationale à travers une agence gouvernementale, qui veillait à contrôler l’image de la Tunisie et les informations qui étaient diffusées sur le pays et sur le régime, notamment dans la presse et les livres. Dans le cas d’autres pays, comme la Libye, c’est la fermeture du régime qui empêchait d’avoir une information précise et objective sur ce qui s’y passait, faute de données et de possibilité de mener librement des études sur place. C’est donc pour pallier ces grosses lacunes dans le domaine de la connaissance que nous avons décidé, avec la maison De Boeck, de lancer une collection grand public qui remettre à plat tout cela et qui offre au public un état des lieux éloigné des entreprises de promotion officieuses ou bien des commandes publiques indigestes.
P. V. : Est-on passé du « printemps arabe » à « l’hiver islamiste » ? Pourriez-vous définir ce qu’est l’islamisme et quelles sont les confusions à éviter au sujet de ce mot ?
M. G. : Cette idée de « passage » fait partie de la mode médiatique qui change au fil des saisons. D’abord, les soulèvements arabes ne sont pas intervenus au « printemps » mais en « hiver » (entre décembre 2010 et février 2011), ce qui signifie que l’appellation « printemps arabe » est en soi une appellation eurocentrique qui veut inscrire ce qui s’est passé dans le sillage du « printemps des peuples » (1848). Ensuite, les islamistes n’ont pas accédé au pouvoir en « hiver » mais en automne (au moins pour ce qui est de la Tunisie et du Maroc), ce qui rend l’expression « hiver islamiste » quelque peu abusive, d’autant plus que sur le fond, aucun parti islamiste n’a jamais été vraiment en mesure de prendre le pouvoir durablement et de faire ce qu’il voulait (changement de la société, application de la charia, finance islamique, relations internationale, etc.).
« L’islamisme » n’est pas l’islam. L’islam est une religion, l’islamisme est une idéologie qui prône la non-séparation du religieux et du politique.
La collection vise justement à clarifier ce type de confusions et à définir des termes et des expressions qui sont passés dans le langage commun sans que l’on sache exactement ce qu’ils signifient précisément. Ainsi par exemple, « l’islamisme » n’est pas l’islam. L’islam est une religion, l’islamisme est une idéologie qui prône la non-séparation du religieux et du politique. Il est vrai que les islamistes, en tant que force d’opposition ancrée socialement contre les anciens régimes, ont d’abord tiré profit du « printemps arabe » en emportant les élections post-révolutionnaires. Mais après une courte période d’exercice du pouvoir, ils ont été partout rattrapés par la réalité sociale et économique, très difficile. En Egypte, l’armée a destitué le président Morsi et elle a mis au pas la quasi-totalité des dirigeants islamistes qu’elle a accusés de terrorisme. En Tunisie, les islamistes du parti Ennahda ont été obligés, sous la pression de la rue, de composer avec d’autres forces politiques et même de céder les rênes du pouvoir malgré leur victoire aux élections en 2011. Au Maroc, les islamistes du parti « Justice et développement » ont été rapidement absorbés par la monarchie et intégrés à l’establishment politique. Aujourd’hui, il est difficile de parler d’hiver islamiste, tant les rapports des forces évoluent rapidement et, souvent, en défaveur des islamistes justement.
P. V. : Quels publics visez-vous ? Quel format avez vous choisi et quelles thématiques reviennent d’un livre à l’autre ?
M. G. : La collection vise clairement le grand public, qu’il soit étudiant ou non, à la fois par son petit format (14x21 cm) et par sa taille (de 128 à 136 pages) que par son écriture et son style. Elle possède une charte graphique aérée et une structure commune qui traite des aspects suivants : histoire, géographie, société, politique, économie, finance, éducation, arts, culture, sport. Tout ce qu’il faut savoir sur un pays est synthétisé par des spécialistes et référencés en s’appuyant sur les enquêtes et les travaux les plus récents pour éviter les clichés et les perceptions faussées. L’objectif est de donner une idée claire et précise à quiconque recherche une introduction à un pays en particulier.
P. V. : Quels choix président à la réalisation des illustrations (graphiques et cartes) ? Qui est le cartographe ? Pourquoi son nom n’apparaît-il pas ?
M. G. : Nous avons fait le choix d’illustrer chaque chapitre par une seule carte qui exprime un aspect de la thématique abordée (population, économie, etc.), soit pour le préciser lorsque l’aspect est complexe, soit pour le compléter lorsque le développement écrit ne le permettait pas. Ces cartes sont réalisées par un atelier parisien de création cartographique (AFDEC), spécialisé dans la réalisation de cartes thématiques (historiques, géographiques, touristiques, pédagogiques...), de graphiques, diagrammes, croquis et schémas illustrés, ainsi que dans le traitement de données (avec ou sans SIG, Système d’Information Géographique).
Mais la collection n’a pas vocation à devenir un « atlas », et c’est pourquoi l’accent n’a pas été mis sur les cartes ni sur les cartographes. C’est l’analyse et la synthèse qui sont mises à l’honneur. La collection peut être utilement complétée par l’Atlas des pays arabes (Editions Autrement), richement illustré par des cartographes et régulièrement mis à jour.
P. V. : La maquette fait une large place aux encadrés, pourquoi ? Quels types d’informations vous semblent le mieux valorisées ainsi ?
M. G. : Les encadrés ont pour fonction de mettre en valeur un événement historique, un aspect culturel, un personnage clé ou une notion centrale. C’est une manière d’attirer visuellement l’œil du lecteur sur les éléments les plus importants du développement ou du chapitre. Ils font ressortir également les données les plus instructives sur le sujet ou sur la thématique abordée.
P. V. : Pour l’heure, les livres publiés ou annoncés sont tous centrés sur un pays. Envisagez-vous à moyen terme des ouvrages transversaux, par exemple sur des thèmes (La jeunesse, Les femmes, Les villes, ...). ?
M. G. : La collection n’est qu’à ses débuts et la tâche est considérable : traiter l’ensemble des pays arabes (22 pays) et, si possible, musulmans (57 pays). Mais il est également prévu, pour certaines thématiques transversales, de publier des synthèses pertinentes. Mais autant il est possible de trouver des spécialistes d’un pays, autant il est difficile de trouver des études transversales sur la situation des femmes, par exemple, dans tous les pays arabes ou sur l’ensemble des pays musulmans. C’est pourquoi, ce type de thème est, pour l’instant, intégré à chaque volume par pays mais il bénéficie d’un développement plus important en fonction de la situation spécifique à ce pays.
P. V. : Pouvez-vous présenter quelques-uns des auteurs et livres déjà publiés ? Quels sont les titres à paraître au cours du premier semestre 2014 ?
M. G. : Notre démarche est inédite pour une collection grand public. Avec la maison De Boeck, nous avons lancé un « appel à contribution » sur les principaux réseaux universitaires et listes de diffusion de chercheurs, pour avoir le maximum de candidatures pour un même pays. Mais étant donné le nombre de pays à couvrir, cet appel à contribution est permanent et nous accueillons toujours toutes les propositions sérieuses. Celles-ci sont ensuite examinées anonymement à partir d’un chapitre rédigé et, si le test est concluant, un contrat d’édition est signé avec l’auteur.
Jusqu’ici, nous avons publié cinq ouvrages portant sur des pays d’actualité brûlante, tant des pays arabes que des pays musulmans. Parmi les pays arabes, la Tunisie d’abord, que l’on doit à Mme Wafa TAMZINI, Docteur en droit public de la Sorbonne et Maître de conférences à l’Université de Paris XIII, spécialiste du partenariat euro-méditerranéen. La Syrie, ensuite, que l’on doit à M. Zakaria TAHA, Docteur en études politiques de l’EHESS (Paris) et spécialiste de la Syrie (Société, Religion, Laïcité). Le Qatar, enfin, que l’on doit à Nabil ENNASRI, qui avait déjà commis un ouvrage remarqué sur ce pays L’énigme du Qatar (Editions Iris).
Parmi les pays musulmans, nous avons choisi de commencer par deux pays qui ont beaucoup fait parler d’eux en 2013 : l’Iran d’abord, que l’on doit à Mme Firouzeh NAHAVANDI, Professeure à l’ULB (Belgique) et directrice du Centre d’études de la coopération internationale et du développement (CECID), membre de l’Académie royale des sciences d’outre-mer de Belgique. Ensuite, le Nigéria, que l’on doit à M. Amzat BOUKARI-YABARA, Docteur en histoire et chercheur postdoctoral associé au Centre d’études africaines de l’EHESS (Paris).
En 2014, sont déjà programmés des pays majeurs tels que l’Egypte, par Mme Yasmina TOUAIBIA, Docteure en sciences politiques et chercheuse associée au laboratoire ERMES de l’Université de Nice-Sophia Antipolis. Il y aura aussi au premier semestre un volume sur le Mali, par M. Amzat BOUKARI-YABARA, un volume sur l’Afghanistan, par Mme Firouzeh NAHAVANDI, un volume sur le Pakistan par Mme Tasnim BUTT, chercheuse et chargée de cours à l’ULB (Belgique). Enfin, un volume sur la Palestine, par Mme Chloé BERGER, Docteur en sciences politiques de l’Université Panthéon-Assas (Paris II) et consultante spécialisée en analyses militaro-stratégiques sur le Proche-Orient.
Au second semestre 2014, paraîtra au moins un volume (en cours de rédaction) sur le Liban, par M. Etienne AUGÉ, Maître de conférences (Senior lecturer) à l’Université Erasmus de Rotterdam et enseignant invité à l’Université Saint Joseph de Beyrouth. Il y aura également un volume sur la République de Djibouti par Mme Roukiya OSMAN, spécialiste de la sécurité dans la Corne de l’Afrique.
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