Pour lutter contre l’Etat islamique, des pays rivaux seront-ils capables de coopérer ? Pierre Razoux présente ici une grille de lecture et une stratégie régionale d’endiguement.
Avec en pied de page une carte inédite : "Expansion et hypothèse d’endiguement de l’Etat Islamique (été 2014)", réalisée par Charlotte Bezamat-Mantes (IFG).
LES ATROCITÉS récemment commises par les djihadistes de l’Etat Islamique (en Irak et au Levant) autoproclamé par Abou Bakr al-Baghdadi offrent l’opportunité aux pays touchés ou menacés d’unir leurs efforts et de s’entendre sur une stratégie régionale d’endiguement, qui pourrait déboucher dans un deuxième temps sur une vaste offensive militaire de leur part destinée à éradiquer cette mouvance djihadiste qualifiée par Chuck Hagel, Secrétaire d’Etat américain à la Défense, de « groupe terroriste le plus sophistiqué et le mieux financé que tous ceux que nous ayons connu jusque là ; Il va au-delà de tout autre groupe terroriste » [1].
Rebattre les cartes au Moyen-Orient.
Une telle entente, appuyée par les Etats occidentaux prêts à s’impliquer dans la lutte contre l’Etat Islamique, mais aussi pourquoi pas par la Russie, pourrait rebattre les cartes au Moyen-Orient, débouchant sur une nouvelle donne géopolitique comme il n’y en avait plus eu depuis la fin de la Guerre froide et l’intervention internationale destinée à libérer le Koweït envahi par Saddam Hussein, à l’été 1990. Une telle évolution, que certains jugeront sans doute naïve ou irréaliste, présenterait de nombreux avantages, même si elle se heurte aujourd’hui à quelques ambiguïtés et à de multiples réticences.
Pierre Razoux, Directeur de recherche à l’IRSEM
La déclaration est passé presque inaperçue, mais le 20 août 2014, le Pape François a déclaré que « ce que fait l’Etat islamique constitue une agression contre l’humanité ; Dans les cas où il y a agression injuste, il est licite d’arrêter l’agresseur injuste […] en évaluant tous les moyens nécessaires pour y parvenir » [2]. Une telle occurrence est suffisamment rare dans l’histoire pour être notée. Bien qu’il ait nuancé son propos en affirmant que lutter contre une agression injuste ne devait pas aboutir à l’occupation de territoires, il a indubitablement encouragé certains Etats occidentaux (mais aussi de nombreux Européens), jusque là réticents, à s’engager d’une manière ou d’une autre dans la lutte contre les djihadistes de l’Etat Islamique. Ce faisant, il a ressuscité le concept de « guerre juste » instrumentalisé au Moyen-âge pour justifier les croisades. Le Grand Mufti de la Mecque, Abdul Aziz Al-Asheikh, ne s’y est pas trompé, déclarant dans la foulée que « l’extrémisme et l’idéologie de groupes tel que l’Etat Islamique sont contraires à l’Islam, sont le plus grand ennemi de l’Islam et les musulmans en sont les premières victimes » [3]. Cette déclaration visait bien évidemment à déminer les discours populistes toujours prompts à surgir de part et d’autre de la Méditerranée et de l’océan Atlantique, afin de couper court à toute idée même de croisade ou de Djihad. Il ne faudrait pas en effet que l’appui des Etats-Unis, de certains Etats européens, voire d’autres Etats choqués par l’ignominie des djihadistes, puisse être présentée comme une croisade contre le monde musulman. Il ne faudrait pas non plus qu’une éventuelle action concertée de l’Iran, de l’Irak et de la Syrie soit présentée par les monarchies du Golfe comme une revanche de la minorité chiite sur la majorité sunnite. Les gouvernements impliqués, quels qu’ils soient, devront donc prendre grand soin de communiquer intelligemment et de manière proactive pour éviter de tels écueils.
La solution de long terme ne saurait être strictement sécuritaire et militaire. Elle devra être forcément politique.
Le caractère même de la lutte contre l’Etat islamique constitue une seconde ambiguïté de taille. Car s’il est indéniable que le recours à la force armée apparaît inéluctable pour lutter efficacement contre les djihadistes, du moins dans un premier temps, la solution de long terme ne saurait être strictement sécuritaire et militaire. Elle devra être forcément politique. Les Syriens qui soutiennent l’Etat islamique le font car ils sont terrorisés par la violence des djihadistes, mais aussi parce qu’ils n’ont plus aucun espoir dans l’avenir politique de leur pays. Que le régime syrien accepte des compromis et promeuve une politique sincère d’amnistie, et une frange conséquente de cette population tournera le dos aux djihadistes. Parmi ces derniers, nombreux ne sont ni Syriens, ni Irakiens, mais viennent de pays arabes dont les dirigeants se sont engagés dans une lutte radicale contre la mouvance des Frères musulmans. Plus ces gouvernements élimineront d’individus proches de cette mouvance, plus les survivants et leurs descendants se radicaliseront. Qu’au contraire ils acceptent de dialoguer avec eux et de les insérer dans le jeu institutionnel, et les filières de recrutement de djihadistes se rétréciront. Suivant cette même logique, une solution politique au conflit israélo-palestinien, acceptable par les deux parties, permettrait d’effondrer l’un des piliers de l’Etat islamique.
Privilégier l’option politique apparaît tout aussi indispensable dans les rangs de ceux qui luttent en première ligne contre l’Etat Islamique. Les peshmergas de Massoud Barzani, aidés par les combattants kurdes syriens et iraniens, mais aussi par Téhéran, constituent pour l’instant la seule force de frappe capable de repousser les djihadistes. Pour qu’ils le restent, il convient de leur donner à la fois des garanties politiques sur leur autonomie future, tout en leur faisant comprendre qu’ils ne gagneront rien à revendiquer leur indépendance formelle.
Un vaste Kurdistan indépendant qui profiterait du chaos régional pour s’imposer face à Bagdad et Damas ne pourrait qu’accroître les risques de conflagration régionale.
Ils devront comprendre aussi qu’il leur faudra rendre la région de Kirkouk qu’ils ont conquise sur l’armée irakienne en profitant du vide créé par la progression fulgurante de l’Etat islamique. Car l’idée même d’un vaste Kurdistan indépendant qui profiterait du chaos régional pour s’imposer face à Bagdad et Damas ne pourrait qu’accroître les risques de conflagration régionale, pour le plus grand bénéfice de tous ceux qui rêvent d’instaurer un califat radical. De même, les tribus sunnites irakiennes qui ont rallié l’Etat Islamique – tout particulièrement celles des régions de Tikrit et Faloudja – l’ont fait non par idéologie, mais parce qu’elles n’avaient plus d’autre espoir pour tenter de changer le rapport de force en leur faveur, face à un gouvernement chiite sectaire qui n’a eu de cesse de les marginaliser et de leur dénier toute influence au sein de l’Etat. Que le nouveau gouvernement d’Aïdar al-Abadi prenne la décision courageuse de les associer effectivement au pouvoir et aux prébendes qui en découlent, et il est probable que celles-ci tourneront casaque, voire retourneront leurs armes contre leur allié actuel.
Toutes ces décisions politiques contribueraient à réduire considérablement le nombre de combattants de l’Etat islamique, à siphonner son réservoir de forces et à lui couper idéologiquement l’herbe sous les pieds.
Enfin, et c’est une troisième ambiguïté, il convient de constater qu’en Occident, l’idée même d’une coopération impliquant un dialogue politique avec l’Iran et la Syrie – et par là-même l’acceptation de leur rôle régional – heurte les milieux néoconservateurs qui ont fait de la stigmatisation de ces deux pays leur cheval de bataille. Or, l’Iran est aujourd’hui le seul interlocuteur en mesure d’influencer favorablement trois des acteurs principaux (Syrie, Irak et Kurdistan irakien autonome) de ce que pourrait être une coalition régionale destinée à faire refluer l’Etat Islamique.
Si l’Irak et l’Iran ont un intérêt évident à combattre sans réserve l’Etat Islamique, d’autres Etats de la région se montrent plus réservés. La Turquie de Recep Tayip Erdoğan se sent certes menacée par le message idéologique véhiculé par les djihadistes qui télescope la politique « néo-ottomane » promue par l’AKP et qui menace les alliés kurdes irakiens d’Ankara, et par là même une importante source de ravitaillement en pétrole bon marché pour l’économie turque. Les exactions des djihadistes multiplient également le nombre de réfugiés en Turquie et imposent une plus grande mobilisation de l’armée à la frontière syrienne, deux conséquences qui ont un coût économique certain. Mais en même temps, la présence de l’Etat Islamique permet d’occuper le rival iranien et de fragiliser un peu plus les pouvoirs irakien et syrien avec lesquels le gouvernement turc entretient des relations difficiles. La progression spectaculaire des djihadistes en direction de Bagdad, en juillet 2014, n’a-t-elle pas permis de mettre à l’écart Nouri al-Maliki, l’ancien Premier ministre irakien qui concentrait sur sa personne l’hostilité des communautés sunnites et kurdes irakiennes, mais aussi celle des Occidentaux et de l’ensemble des voisins de l’Irak. Même Téhéran, qui avait jusque là soutenu Nouri al-Maliki, l’a lâché comprenant qu’il était devenu beaucoup plus un handicap qu’un atout pour la stratégie d’influence iranienne dans la région.
Cette présence limitrophe de l’Etat Islamique permet également à de nombreux réseaux informels turcs de prospérer, grâce à l’importante contrebande qui s’est développée des deux côtés de la frontière. L’Etat Islamique est géographiquement enclavé, sans débouchés naturels autres que l’Anatolie turque. Il est en même temps riche (contrôle des puits de pétrole syriens, rançons, rackets, financements étrangers) et peut ainsi aisément trafiquer avec de nombreux intermédiaires. Rappelons que pendant la guerre Iran-Irak, la Turquie s’était considérablement enrichie en fermant les yeux sur les trafics de tous acabits – y compris d’armes et de pétrole – à destination de l’Irak et de l’Iran. Dernier point, le gouvernement islamo-conservateur d’Ahmet Davutoğlu est gêné par la présence de djihadistes turcs dans les rangs de l’Etat Islamique, qui trouble son message et rend plus délicate une éventuelle intervention militaire.
De son côté, le régime syrien aurait de bonnes raisons de vouloir se débarrasser de l’Etat Islamique qui occupe une part conséquente de son territoire, notamment la ville de Raqqa dont il a fait sa « capitale ». Mais la présence même de ce corps hostile lui permet de diviser et d’affaiblir ses adversaires et de justifier sa lutte sans merci contre l’opposition en mettant tous les djihadistes et les opposants dans le même sac. Force est de constater que la stratégie de Bachar el-Assad, qui consiste à véhiculer l’idée que la révolution syrienne s’est transformée en une lutte de survie d’un pouvoir séculier face à un terrorisme islamiste radical menaçant l’ensemble du Levant, semble recueillir un écho grandissant. Le président syrien n’est donc pas pressé d’éradiquer l’Etat Islamique, tant que celui-ci ne s’en prend ni à Bagdad, ni à la partie « utile » de la Syrie. L’idéal serait pour lui que d’autres se chargent de l’affaiblir pour qu’il puisse ensuite porter l’estocade et réintégrer par ce fait même la communauté internationale.
La Jordanie est un cas plus complexe. Le roi Abdallah II sait pertinemment que son royaume, déjà fragilisé par un afflux massif de réfugiés arabes (notamment irakiens et syriens), par une situation socio-économique difficile et par l’épineux dossier israélo-palestinien, constitue une cible de choix pour les dirigeants de l’Etat Islamique. Ces derniers sont conscients du soutien d’une partie de la population qui conteste les choix du monarque, qui est acquise aux thèses islamistes et qui abriterait même des cellules djihadistes « dormantes ». Ils savent surtout que le territoire jordanien présente de nombreux atouts : un axe routier stratégique vers le port d’Aqaba qui leur permettrait de se désenclaver et de se ravitailler plus aisément ; une connexion routière directe avec l’Arabie saoudite ; une tête de pont permettant d’attaquer Israël ; un réservoir potentiellement important de combattants. Logiquement, le monarque jordanien devrait donc être le premier à sonner l’hallali contre les djihadistes de l’Etat Islamique, d’autant qu’il peut se prévaloir de son statut de gardien des lieux saints musulmans de Jérusalem. Mais il est conscient de n’être pas assez fort en son royaume et d’être soumis aux fortes pressions des Saoudiens, des Américains et des Israéliens qui se satisfont pour l’instant du statu quo et qui ne veulent pas risquer de voir la Jordanie basculer dans l’insurrection. Pour l’instant, il fait donc preuve de la plus extrême prudence, se contentant de déployer d’importants effectifs militaire face à la frontière irakienne désormais tenue par les djihadistes.
De leur côté, l’Egypte et les pays d’Afrique du Nord se satisfont plutôt bien de ce pôle de fixation qui attire leurs propres terroristes en mal de djihad. Leur problème consiste en fait à tout faire pour que ceux-ci ne puissent pas revenir semer le désordre chez eux.
Aujourd’hui, les dirigeants d’Arabie saoudite semblent divisés sur la ligne à adopter, bien conscients qu’un certain nombre de fondations privées saoudiennes ont financé les djihadistes combattant en Irak et en Syrie [...]
C’est également ce qui préoccupe les monarchies du Golfe, et tout particulièrement l’Arabie Saoudite qui redoute l’effet boomerang que pourrait entraîner le retour massif de djihadistes dans le royaume, même si les autorités saoudiennes ont pu voir initialement quelque avantage à l’irruption de l’Etat Islamique. Celle-ci contribuait en effet à affaiblir leur ennemi iranien, leurs adversaires irakiens et syriens et leur rival turc. Il est indéniable que l’expansion spectaculaire de l’Etat Islamique – au moment même où Washington reconnaissait négocier directement et bilatéralement avec Téhéran – a servi dans un premier temps les intérêts de Riyad, en montrant aux Américains et à tous ceux qui auraient pu être tentés d’écarter les Saoudiens des discussions en cours avec le pouvoir iranien qu’ils n’étaient pas à l’abri d’une « surprise stratégique » susceptible de torpiller leurs projets. Aujourd’hui, les dirigeants du royaume semblent divisés sur la ligne à adopter, bien conscients qu’un certain nombre de fondations privées saoudiennes ont financé les djihadistes combattant en Irak et en Syrie, que ces fondations restent très influentes dans le royaume et que la priorité stratégique de la famille régnante reste d’assurer la pérennité de la monarchie – inconciliable avec l’idée de Califat – et la stabilité de la péninsule arabique. Tout comme les Jordaniens, ils ont donc déployé des troupes à l’extrême nord de leur territoire, face à la portion de frontière irakienne contrôlée par l’Etat Islamique.
Le Liban, fidèle à sa posture de neutralité accrue par les délicats équilibres imposés par la guerre civile syrienne, préfère ne pas se mêler d’une lutte qui ne présente pour elle que des inconvénients. Reste Israël, qui s’interroge. D’un côté, l’enracinement d’un havre pour djihadistes à proximité de ses frontières constitue une menace certaine sur le long terme, d’autant qu’elle ne peut que renforcer la motivation de combattants palestiniens proches de la mouvance du Hamas et du Djihad islamique. Mais à court et moyen termes, la présence de l’Etat Islamique présente de nombreux avantages pour les dirigeants israéliens : un pôle de fixation qui affaiblit tous leurs adversaires potentiels, à commencer par l’Iran et la Syrie ; un repoussoir qui légitime plus facilement, aux yeux de la communauté internationale, leur stratégie consistant à ostraciser, puis éradiquer le Hamas ; la garantie d’une coopération militaire durable avec la Jordanie et l’Egypte ; l’assurance du maintien de l’assistance militaire américaine, voire même son renforcement.
Enfin, en Europe et en Amérique du Nord, la perspective d’une nouvelle intervention militaire au Moyen-Orient ne suscite pas l’enthousiasme des foules après l’échec de l’Afghanistan, de l’Irak et le bilan pour le moins mitigé de l’intervention en Libye. L’assassinat médiatisé du journaliste américain James Foley (août 2014) pourrait toutefois faire tomber de nombreuses barrières psychologiques et convaincre l’administration Obama de s’impliquer plus ouvertement sur le terrain.
Si l’Etat Islamique dispose d’atouts réels (sources importantes de financement, détermination de ses combattants, capacité importante de mobilisation grâce à une stratégie médiatique efficace bien qu’éminemment contestable, logistique simple puisque basée sur l’exploitation systématique des populations civiles), il n’en reste pas moins l’otage de cinq faiblesses majeures : son enclavement, l’éparpillement de ses troupes, la multiplicité des axes d’efforts majeurs, l’absence d’aviation et la conviction profonde de ses ennemis de la nécessité absolue de l’éradiquer.
Cette carte est disponible au format pdf en pied de page.
Même s’il revendique plusieurs dizaines de milliers de djihadistes (quelques milliers plus probablement), ceux-ci doivent être éparpillés de manière à tenir l’ensemble des territoires conquis qui ne sont pas forcément reliés entre eux par des axes de communication.
L’essentiel des forces l’Etat Islamique semble au mois d’août 2014 réparti le long du Tigre et de l’Euphrate qui constituent en pratique les deux axes principaux de manœuvre de ses troupes légères mobiles.
L’essentiel des forces semble pour l’instant réparti le long du Tigre et de l’Euphrate qui constituent en pratique les deux axes principaux de manœuvre des troupes légères mobiles de l’Etat Islamique. Cela signifie que ce dernier ne peut mobiliser que peu de troupes sur un même front (face à Bagdad, Erbil ou Alep par exemple) s’il ne veut pas perdre les territoires conquis ailleurs. Cela signifie aussi qu’il ne peut pas, pour l’instant du moins, masser rapidement de troupes pour menacer sérieusement la Jordanie. D’autant qu’en concentrant ses forces, celles-ci seraient exposées à des frappes aériennes dévastatrices, d’où qu’elles viennent.
La conclusion évidente de ces considérations opérationnelles, c’est qu’il est parfaitement concevable d’infliger des revers cinglants à l’Etat Islamique, à condition d’agir de manière coordonnée et simultanée sur l’ensemble des fronts (syrien, kurde et irakien) avec des moyens militaires suffisants, de manière à l’encercler et l’asphyxier progressivement. Mais cela impose que l’Irak, l’Iran, la Syrie, la Turquie et le gouvernement autonome du Kurdistan irakien s’entendent préalablement pour agir ensemble, appuyés par les Occidentaux qui le souhaitent.
Une telle action concertée constituerait une percée diplomatique majeure qui présenterait de nombreux avantages. Tout d’abord, elle marquerait un changement de dynamique en démontrant que la raison peut parfois triompher des égoïsmes étatiques, et que la communauté internationale reste encore capable de se mobiliser pour intervenir au Moyen-Orient lorsque les circonstances l’exigent. Elle permettrait ensuite de nouer un dialogue constructif avec l’Iran, instillant un état d’esprit positif qui faciliterait les négociations en cours sur le dossier nucléaire qui, si celles-ci aboutissaient, permettraient de réinsérer rapidement l’Iran au sein de la communauté internationale. Elle stabiliserait l’Irak post-Maliki, tout en renforçant le poids et la place de la communauté kurde au Moyen-Orient. Elle rassurerait la Jordanie et l’Autorité palestinienne, toutes deux très inquiètes de l’effet que l’enracinement de l’Etat Islamique pourrait avoir sur la population palestinienne. Par là même, elle pourrait convaincre Israël de l’opportunité de conclure un accord décisif avec l’Autorité palestinienne. Elle montrerait à la Turquie qu’elle a tout à gagner à coopérer étroitement avec ses voisins, qu’ils soient occidentaux, arabes ou persans. Elle créerait les conditions – ou le prétexte – permettant de renouer un dialogue de plus en plus inéluctable avec le régime syrien. Elle permettrait, en outre, à la Russie de saisir l’occasion de jouer un rôle plus constructif dans la région, le Kremlin ne cessant de répéter qu’il est favorable à toute politique visant l’élimination des djihadistes. Elle mettrait enfin les monarchies du Golfe face à leurs responsabilités, les contraignant à de vrais choix décisifs pour l’avenir de leurs relations avec leurs partenaires.
Même si elle balbutie parfois, l’Histoire est une lanterne qui éclaire le passé pour mieux comprendre le présent et tenter ainsi d’éviter de reproduire les erreurs d’hier ou d’avant-hier. Par bien des aspects, la situation qui prévaut à l’été 2014 au Moyen-Orient n’est pas sans rappeler celle qui prévalait à la veille de la Seconde Guerre mondiale, lorsque la communauté internationale, tout en intervenant en Espagne, s’était lassée et ne s’était ressaisie que lorsque une menace existentielle était venue perturber l’ordre établi. Des Etats rivaux – y compris idéologiquement – n’avaient pas eu alors d’autre choix que de coopérer et consentir de nombreux sacrifices pour éradiquer cette menace. Les Etats du Moyen-Orient ne se retrouveraient-ils pas aujourd’hui face à un défi similaire ?
Mise en ligne initiale le 27 août 2014
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Pierre Razoux, La guerre Iran-Irak.
Première guerre du Golfe 1980-1988, Paris, éd. Perrin, 2013, 608 p. ISBN : 978-2-262-04195-3. 27€
4e de couverture
La guerre Iran-Irak aura marqué un tournant dans l’histoire du Moyen-Orient. On ne peut pas comprendre la situation qui prévaut aujourd’hui dans le Golfe, le dossier nucléaire iranien ou les crises politiques à Bagdad et Téhéran, sans saisir les frustrations et craintes persistantes qui découlent directement de cette guerre. Terriblement meurtrière, elle a frappé à jamais l’imaginaire des protagonistes mais aussi des Occidentaux : en mémoire, les images dramatiques d’enfants envoyés au combat, les villageois gazés, les villes en ruines, les pétroliers en feu ou les tranchées ensanglantées.
Pour retracer cette histoire à la fois militaire et diplomatique, aux enjeux économiques certains, Pierre Razoux a eu accès à des sources inédites de première main, dont les fameuses bandes audio de Saddam Hussein. Il détaille ici les nombreuses affaires ? Irangate, Luchaire, Gordji, attentats en France, enlèvements au Liban ? toutes étroitement liées à ce conflit. Une histoire faite de rebondissements permanents au gré de l’attitude des pétromonarchies, de la Russie, de la Chine et des Etats-Unis, mais aussi caractérisée par la compromission de nombreuses nations, parmi lesquelles la France...
Voir sur le livre de Pierre Razoux sur le site des éditions Perrin
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