Les "murs" en l’an 2009, 20 ans après l’ouverture du mur de Berlin

Par Stéphane ROSIERE, le 9 novembre 2009  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Directeur du département de géographie, Université de Reims Champagne-Ardenne, France. Directeur de la revue Espace Politique

Comme l’a démontré le colloque organisé récemment à Montréal par la Chaire Raoul Dandurand, le vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin ne signifie pas la fin des "murs", bien au contraire. Carte inédite à l’appui, le Professeur Stéphane Rosière le démontre clairement.

Pour information, le 7e Festival de géopolitique - en mars 2015 - aura pour thème "Les frontières". Les appels à contribution seront lancés en mai 2014.

LES FRONTIERES fermées sur la carte jointe ci-après sont constituées de trois catégories distinctes :
. Les « Marches » (frontières dénuées de points de franchissement en raison d’un obstacle naturel, mais surtout d’une volonté politique de ne pas relier les territoires adjacents) ;
. Les Clôtures ou murs (métalliques ou en béton, et généralement dotés de check points pour filtrer les entrées) ;
. Les lignes de front, plus classiques et généralement infranchissables (pour plus de détails sur la typologie, voir Ballif et Rosière, 2009).

Les "murs" en l'an 2009, 20 ans après l'ouverture du mur de Berlin
Planisphère des frontières fermées en 2009
Les "Marches", les clôtures ou murs, les lignes de front

Au total, et selon nos calculs (Ballif et Rosière, 2009), nous recensons 39 692 km de frontières effectivement « fermées » ou dont la fermeture est prévue (exemple : Inde-Bangladesh ou Etats-Unis-Mexique). Ce chiffre important représente environ 16% du linéaire mondiale de frontières et près du double du chiffre proposé par M. Foucher (2007).

La localisation de ces frontières résulte de plusieurs phénomènes : globaux (essentiellement corrélés à la mondialisation) ou régionaux (tensions régionales spécifiques).

Lignes de fronts

La localisation des lignes de front met naturellement en exergue les zones de tension militaire. Les lignes de front sont souvent des lignes de cessez-le-feu, autant de frontières « provisoires » mais fonctionnant comme tel de facto. Les revendications territoriales ou la volonté hégémonique d’un des deux acteurs, empêchent la résolution du conflit et pérennise l’édifice (en 2010, Cachemire : 62 ans, Corée : 56 ans, Chypre : 36 ans, Sahara occidental : 30 ans)

Parmi ces lignes de front, certaines sont des reliquats de la « Guerre froide », la plus emblématique étant sans contexte la Demilitarized Zone (DMZ) séparant hermétiquement les deux Corée depuis 1953. Le mur de défense marocain, ou « mur des sables » est partiellement explicable dans ce contexte (avec le royaume du Maroc comme allié des États-Unis et la république algérienne dans le camp socialiste), mais il résulte surtout d’un contexte spécifique né de revendications territoriales antagonistes. Le mur chérifien a, comme le mur israélien, pour but de pérenniser une occupation. Il ne s’agit pas d’une simple levée de terre mais d’une succession d’obstacles alignés en profondeur sur plusieurs kilomètres et soutenus sur toute sa longueur (soit 2 720 km), et à intervalles réguliers, par des points d’appui dotés d’artillerie, de moyens de détections et d’intervention rapide. La ligne de séparation entre l’Inde et le Pakistan au Cachemire est encore plus ancienne et relève plus nettement du contexte local (partition de l’empire des Inde en 1947).

Des conflits plus récents expliquent aussi l’existence de lignes de front (invasion chinoise du Cachemire, invasion turque de Chypre en 1974). Dans le cas de l’Irak, l’invasion américaine (2003) et la guerre civile corrélative a engendré la construction de murs sur au moins deux dyades (Arabie saoudite par les voisins de cet État inquiets de son évolution. Il y a donc un lien avec un conflit sans que celui-ci soit la cause directe. Signalons aussi l’existence du mur thaïlandais sur la frontière malaysienne ou du mur iranien sur la frontière pakistanaise dont le but est d’empêcher des infiltrations déstabilisatrices depuis l’autre côté de la frontière. Les lignes de front qui représentent presque un quart du total du linéaire de « murs » frontaliers (environ 9 000 km).

Les barrières migratoires

Néanmoins, les plus nombreuses séparent des États dépourvus de contentieux majeurs sur des frontières caractérisées par des flux migratoires causés par de fortes discontinuités de niveau de vie. On peut les appeler des « barrières migratoires ». Les migrations étant essentiellement le produit de déplacement de personnes pauvres en quête d’emploi (migrations dites économiques) la position des barrières est relativement corrélée aux ruptures de niveau de vie, aux discontinuités du bien-être à l’échelle planétaire et donc si l’on veut aux frontières Nord-Sud (même si parfois la mer, comme en Méditerranée, fait office de murs, néanmoins les détroits fermés forment bien une catégorie de murs).

Les barrières séparant pays riches et pauvres fondent l’originalité des barrières frontalières contemporaines. Les discontinuités de niveau de vie les plus fortes sont bien soulignées par des murs (différentiels de PIB de 1 à 16 entre le Maroc et les Presidios espagnols et de 1 à 6 entre le Mexique et les Etats-Unis), la fracture Nord/Sud est donc de plus en plus soulignée par un mur qui tend à devenir global... Soulignons que des différentiels moins élevés peuvent générer des « murs ». Ainsi, le gouvernement du Botswana a érigé, lui aussi, une « clôture de sécurité » à sa frontière avec le Zimbabwe. La dégradation de la situation économique et politique au Zimbabwe, les habitants de ce pays beaucoup plus peuplé (environ 13 millions d’habitants contre 1,8 au Botswana) se réfugient en masse au Botswana, même illégalement (plus de 100 000 immigrants zimbabwéens seraient installés dans ce pays). Le gouvernement du Botswana a décidé, en 2004, de fermer sa frontière avec son voisin septentrional et a édifié une clôture électrifiée haute de 2,4 m sur les 810 km de frontière commune.

Ainsi, même au Sud, la lutte contre l’immigration illégale est une préoccupation importante. Le cas de l’Inde et du Bangladesh est intéressant. Dans ce cas aussi, le paramètre migratoire a été avancé par l’Inde (forte immigration bengalie et nombreuses expulsions), mais, et surtout depuis le 9 septembre 2001, la dimension terroriste a été souvent mise en avant (ainsi que la contrebande). Les attentats de Bombay en novembre 2008 ont aussi eu pour effet d’accélérer la mise en place de cette frontière fermée (une clôture en fait) qui est le plus longue du monde (4050 km).

Un des points communs les plus évidents entre ces barrières migratoires est la lutte contre l’immigration clandestine, ou plus globalement le « risque migratoire ». On est là au cœur du paradoxe de la mondialisation. En effet, si « société ouverte » il y a, l’ouverture concerne les capitaux et les flux financiers ou de marchandises, mais certainement pas les individus.

Dans le cas de l’Amérique du Nord, une des conséquences les plus immédiates des attentats du 11 septembre 2001 a été « un renforcement spectaculaire des inspections frontalières et le durcissement des politiques concernant les frontières et les flux transfrontaliers » (Andreas, 2003, p.1-2). Matthew Sparke (2006) a souligné comment, dans le contexte « post 11 septembre », une contradiction s’est imposée : à savoir garantir la fluidité des passages aux frontières, au moins pour les flux commerciaux, et relever le niveau de sécurité et de contrôle sur ces mêmes lignes ? M. Sparke montre comment, dans ce contexte contradictoire, une business class civil citizenship s’est formée, jouissant d’une grande liberté de mouvement alors que se restreignent au contraire les possibilités de franchissement des frontières pour les autres citoyens du monde — et pour être clair : pour les plus pauvres d’entre eux. D’évidence, les citoyens du « centre » et ceux de la « périphérie » ne sont pas placés sur un pied d’égalité. Les contrôles exercés par les Etats et les structures officielles induisent une liberté de circulation « différentielle », variable suivant le côté des barrières selon lequel on réside. La barrière est ouverte aux flux dans un sens, pas dans un autre.

Cette situation est en contradiction à la fois avec l’intégration économique régionale des pays cités (Etats-Unis et Mexique sont tous deux membres de l’ALENA ; Zimbabwe et Botswana sont membres de la Southern Africa Development Community), mais aussi avec les valeurs affichées par la communauté internationale (dont la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948).

Copyright novembre 2009-Rosière/diploweb.com


Références :
BALLIF Florine, ROSIÈRE Stéphane, (2009), « Le défi des teichopolitiques. Analyser la fermeture contemporaine des territoires », L’Espace Géographique, vol. 38, n°3/2009, pp.193-206.
FOUCHER Michel, (2007). L’obsession des frontières, Paris, Perrin, 248 p.


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