Professeur associé à l’Université Paris-Dauphine, Président de l’Association des juristes européens. Auteur de nombreux articles et ouvrages, dont "Comprendre le Traité de Lisbonne, explications et commentaires", Gualino éditeur, 2008 et "Le Parlement européen, tout savoir en 30 questions", Lextenso éditions, 2009."
Quel sera le calendrier de montée en charge du traité de Lisbonne ? Bien peu sont capables de répondre à cette question.
Maître des Requêtes au Conseil d’Etat, Jean-Luc Sauron a accepté de mettre sa connaissance du traité au service d’une large compréhension.
DEPUIS la signature du Président Vaclav Klaus, il est courant de lire que le traité de Lisbonne [1] entre en vigueur le 1er décembre 2009. En réalité, la situation est beaucoup plus compliquée. Le traité de Lisbonne est le premier traité signé par les Etats membres de l’Union européenne dont la pleine mise en œuvre demandera une dizaine d’années. Ce traité connaîtra une longue phase intermédiaire au niveau institutionnel avant de prendre sa forme définitive (I) et un développement de ses compétences très incertain avant d’atteindre à leur stabilisation (II).
Nous allons examiner plusieurs institutions dont le fonctionnement ne sera totalement défini que plusieurs années après le 1er décembre 2009.
Le président du Conseil européen
Avec le traité de Lisbonne, le Conseil européen devient une institution à part entière (articles 13 et 15 du TUE) qui adopte des décisions, peut voter et dont les actes sont susceptibles d’un contrôle par la Cour de justice. Il est doté, comme le Parlement européen et comme la Commission, d’un président à plein temps (il ne peut exercer de mandat national), élu à la majorité qualifiée par le Conseil européen pour deux ans et demi renouvelables une fois.
Le président du Conseil européen (article 15 §5 et 6 du TUE) assure à son niveau et dans sa qualité la représentation extérieure de l’Union pour les matières relevant de la politique étrangère et de sécurité commune, sans préjudice des compétences du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Il préside et anime les travaux du Conseil européen, comme le fait actuellement le chef d’Etat ou de gouvernement qui assure la présidence semestrielle de l’Union. Il oeuvre en faveur de la recherche du consensus entre les Etats membres et assure le dialogue avec les autres institutions : il est chargé de remettre le rapport du Conseil européen devant le Parlement européen après chacune de ses réunions.
Même si M. Herman Van Rompuy a été politiquement élu par les membres du Conseil européen le 19 novembre 2009, il devra attendre le 1er décembre 2009 pour voir son élection être juridiquement confirmée. De plus il faudra attendre sans doute encore un trimestre pour le voir réellement prendre son poste. En effet, les conclusions du Conseil européen des 11 et 12 décembre 2008 avaient précisé que "la présidence semestrielle suivante du Conseil [la présidence espagnole du 1er janvier 2010] sera chargée de prendre les mesures concrètes nécessaires relatives aux aspects organisationnels et matériels de l’exercice de la présidence du Conseil européen" (Déclaration du Conseil européen, Traité de Lisbonne- mesures transitoires concernant la présidence du Conseil européen et la présidence du Conseil des affaires étrangères).
Le Conseil [des ministres] de l’Union (article 16 du TUE)
Le traité de Lisbonne mentionne directement deux formations du Conseil (article 16 § 6 du TUE) :
. le Conseil des affaires générales, qui « assure la cohérence des travaux des différentes formations du Conseil. Il prépare les réunions du Conseil européen et en assure le suivi en liaison avec le Président du Conseil européen et la Commission » ;
. le Conseil des affaires étrangères, présidé par le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui « élabore l’action extérieure de l’Union selon les lignes stratégiques fixées par le Conseil européen et assure la cohérence de l’action de l’Union ».
S’agissant des autres formations sectorielles du Conseil, elles doivent faire l’objet d’une décision adoptée par le Conseil européen à la majorité qualifiée (article 236 a) du TFUE). Les règles relatives à l’exercice de la présidence des différentes formations du Conseil des ministres sont fixées par une décision du Conseil européen, adoptée à la majorité qualifiée (article 236 b) du TFUE) selon un système de rotation égale entre les Etats membres.
Le traité de Lisbonne (Déclaration n°3 « ad article 16 paragraphe 9, concernant la décision du Conseil européen relative à l’exercice de la présidence du Conseil ») a prévu que des groupes prédéterminés de trois Etats membres assument la présidence pour une période de 18 mois. Ces groupes sont composés par rotation égale des Etats membres, en tenant compte de leur diversité et des équilibres géographiques au sein de l’Union. Chaque membre du groupe assure à tour de rôle la présidence de toutes les formations du Conseil (y compris la présidence du Conseil « affaires générales », avec l’assistance des autres membres du groupe, sur la base d’un programme commun). Ainsi la présidence semestrielle qui est supprimée au niveau du Conseil européen est donc maintenue au niveau du Conseil des ministres (à l’exception du Conseil « Affaires étrangères ») . Toutefois la déclaration n°3 prévoit également que « les membres du groupe [de trois Etats] peuvent convenir entre eux d’autres arrangements » : par exemple celui de se répartir les conseils sectoriels et de faire assurer à l’un des trois Etats membres du groupe une présidence continue de 18 mois, par exemple du conseil des ministres de l’agriculture.
Ainsi, il conviendra d’attendre le premier trimestre 2010 au mieux pour avoir une idée du mode d’organisation des présidences tournantes du Conseil des ministres (par matière ou par semestre).
La Commission (article 17 du TUE)
La Commission doit comprendre aux termes du traité de Lisbonne un commissaire par Etat membre jusqu’en 2014 (ce qui correspond aux deux prochaines législatures du Parlement européen). En revanche, le traité de Lisbonne avait prévu qu’à partir du 1er novembre 2014, la composition de la Commission devait correspondre aux deux tiers du nombre des Etats membres. Ainsi, dans une Union à 27, la Commission aurait pu être composée de 18 membres ; cela signifie qu’un pays serait représenté dans deux collèges sur trois, sur la base d’une rotation égalitaire. Le traité modificatif garantissait donc le principe d’un collège resserré en contrepartie d’une entrée en vigueur des nouvelles règles repoussée à 2014.
Mais suite au rejet de la ratification du traité de Lisbonne lors du premier référendum irlandais [2], le Conseil européen des 11 et 12 décembre 2008 a décidé "Qu’en ce qui concerne la composition de la Commission, le Conseil européen rappelle que les traités en vigueur exigent la réduction du nombre des membres de la Commission en 2009. Le Conseil européen convient que, à condition que le traité de Lisbonne entre en vigueur, une décision sera prise, conformément aux procédures juridiques nécessaires, pour que la Commission puisse continuer de comprendre un national de chaque Etat membre." (§2)
L’article 17 §5 du TUE prévoit ainsi que le nombre de membres de la Commission peut être modifié sans qu’il soit nécessaire de procéder à une révision du TUE, puisqu’il suffit d’une décision du Conseil européen, statuant à l’unanimité.
La diversité européenne se traduit aussi par une complexification accrue du système de décision européen, subtil ensemble de poids et contre-poids.
Les dispositions relatives à la prise de décision au sein du Conseil des ministres connaitront trois formulations en moins de dix années :
De la date d’entrée en vigueur du traité de Lisbonne jusqu’au 1er novembre 2014 [3].
Il s’agit en réalité de maintenir le système tel qu’il a été adopté à Nice. Pour les délibérations du Conseil européen et du Conseil qui requièrent une majorité qualifiée, les voix des membres sont affectées de la pondération suivante : Belgique (12), Bulgarie (10), République tchèque (12), Danemark (7), Allemagne (29), Estonie (4), Irlande (7), Grèce (12), Espagne (27), France (29), Italie (29), Chypre (4), Lettonie (4), Lituanie (7), Luxembourg (4), Hongrie (12), Malte (3), Pays-Bas (13), Autriche (10), Pologne (27), Portugal (12), Roumanie (14), Slovénie (4), Slovaquie (7), Finlande (7), Suède (10), Royaume-Uni (29).
Les délibérations sont acquises si elles ont recueilli au moins 255 voix exprimant le vote favorable de la majorité des membres, lorsque, en vertu des traités, elles doivent être prises sur proposition de la Commission. Dans les autres cas, les délibérations sont acquises si elles ont recueilli au moins 255 voix exprimant le vote favorable d’au moins deux tiers des membres.
Un membre du Conseil européen ou du Conseil peut demander que, lorsqu’un acte est adopté par le Conseil européen ou par le Conseil à la majorité qualifiée, il soit vérifié que les Etats membres constituant cette majorité qualifiée représentent au moins 62 % de la population totale de l’Union.
S’il s’avère que cette condition n’est pas remplie, l’acte en cause n’est pas adopté.
Jusqu’au 31 octobre 2014, dans les cas où tous les membres du Conseil ne prennent pas part au vote, à savoir dans les cas où il est fait renvoi à la majorité qualifiée définie conformément à l’article 205, paragraphe 3, du TFUE, la majorité qualifiée se définit comme étant la même proportion des voix pondérées et la même proportion du nombre des membres du Conseil, ainsi que, le cas échéant, le même pourcentage de la population des Etats membres concernés que ceux fixés ci-dessus.
A partir du 1er novembre 2014 jusqu’au 31 mars 2017
Les décisions devraient être prises par au moins 55 % des Etats, représentant au moins 65 % de la population de l’UE (article 16 du TUE). Pourquoi 55 % et 65 % ? Pour concilier les intérêts et les possibilités de blocage des uns et des autres. Mais, avec la combinaison 55-65, il suffisait de trois grands Etats réunissant plus de 35% de la population pour bloquer une décision.
Pour éviter cet écueil, six clauses ont été ajoutées.
Première clause, il faut au moins quatre pays pour constituer une minorité de blocage. Cette disposition a été ajoutée à la demande des « petits » pays afin d’éviter que trois Etats membres parmi les plus peuplés, représentant plus de 35 % de la population, puissent empêcher une décision. Il s’agit là d’une traduction juridique de la prise en compte de l’égalité des Etats, de sorte que le critère démographique n’ait pas pour effet de neutraliser le critère des Etats.
Deuxième clause : il faut un minimum de quinze pays pour adopter une décision. On peut s’interroger sur la pertinence de cette disposition dans la mesure où le mécanisme de double majorité n’est prévu pour entrer en vigueur qu’au 1er novembre 2014, date à laquelle l’Union européenne comptera probablement plus de 27 Etats membres avec l’adhésion de la Croatie. Or, à partir de 26 Etats membres, le seuil de 55 % correspondra arithmétiquement à un minimum de quinze Etats membres. Cette condition supplémentaire sera donc vraisemblablement caduque avant même son entrée en vigueur.
Troisième clause : il ne sera pas tenu compte des abstentions lorsque l’on comptabilisera Etats et population : les pourcentages sont calculés par rapport au nombre d’Etats et non par rapport aux votes positifs exprimés.
Quatrième clause (article 238 §2 du TFUE) : quand le Conseil aura à se prononcer sur une proposition n’émanant pas de la Commission ou du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, la majorité qualifiée sera portée à 72 % des Etats, représentant au moins 65 % de la population. Il s’agit notamment des initiatives des Etats membres dans le domaine de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, des initiatives du Conseil en matière de PESC, des actes pris dans le cadre de la politique économique et monétaire sur recommandation de la Commission ou de la Banque Centrale Européenne, des propositions qui émanent du Parlement européen, de la suspension ou du retrait d’un Etat membre, ou encore de diverses nominations.
Cinquième clause : si une décision est rejetée par un groupe de pays représentant plus de 30 % de la population ou plus de 40 % de ses Etats membres (c’est-à-dire représentant au moins les ¾ de la population ou des Etats membres nécessaires à la constitution de la minorité de blocage), le Conseil mettra tout en oeuvre pour parvenir à un accord avant le vote. Cette disposition (dite clause Ioannina) [4] a été introduite pour que la Pologne accepte l’ensemble du dispositif [5]. Cette clause figure à la déclaration n°7 « Déclaration ad articles 16, paragraphe 4, du traité sur l’Union européenne et 238, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne », et prévoit qu’elle entre en vigueur le 1er novembre 2009 et restera en vigueur au moins jusqu’en 2017 avec des modalités différentes :
(1) Entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017, si des membres du Conseil, représentant : a) au moins trois-quarts de la population, ou b) au moins trois-quarts du nombre des Etats membres, nécessaires pour constituer une minorité de blocage résultant de l’application des articles 16, paragraphe 4, premier alinéa, du traité sur l’Union européenne ou 238, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, indiquent leur opposition à l’adoption d’un acte par le Conseil à la majorité qualifiée, le Conseil en délibère. Le Conseil, au cours de cette délibération, fait tout ce qui est en son pouvoir pour aboutir, dans un délai raisonnable et sans porter préjudice aux limites obligatoires de temps fixées par le droit de l’Union, à une solution satisfaisante pour répondre aux préoccupations soulevées par les membres du Conseil « minoritaires ».
(2) A partir du 1er avril 2017, si des membres du Conseil, représentant : a) au moins 55% de la population, ou b) au moins 55% du nombre des Etats membres, nécessaires pour constituer une minorité de blocage résultant de l’application des articles 16, paragraphe 4, premier alinéa, du traité sur l’Union européenne ou 238, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, indiquent leur opposition à l’adoption d’un acte par le Conseil à la majorité qualifiée, le Conseil en délibère.
Le protocole « Sur la décision du Conseil relative la mise en œuvre des articles 16, paragraphe 4, du traité sur l’Union européenne et 238, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017, d’une part, et à partir du 1er avril 2017, d’autre part » prévoit « [qu’] Avant l’examen par le Conseil de tout projet qui tendrait soit à modifier ou à abroger la décision ou l’une de ses dispositions, soit à en modifier indirectement la portée ou le sens par la modification d’un autre acte juridique de l’Union, le Conseil européen délibère préalablement dudit projet, statuant par consensus conformément à l’article 15, paragraphe 4, du traité sur l’Union européenne », c’est-à-dire que la clause du compromis de Ioannina ne pourra être en cause qu’avec l’accord de tous les Etats membres.
Sixième clause : lors de réunions du Conseil où tous les Etats n’ont pas le droit de vote (notamment les Conseils des ministres de la zone euro), les combinaisons 55-65 et 72-65 seront adaptées (article 238 §3 du TFUE), c’est-à-dire que la majorité qualifiée se définit comme étant la même proportion des voix pondérées et la même proportion des Etats membres concernés que ceux prévus au deuxième paragraphe de l’article 17 du TUE.
Ces dispositions s’appliquent au Conseil européen lorsqu’il statue à la majorité qualifiée (article 235 §1 du TFUE), son président et le président de la Commission ne prenant pas part au vote.
La première clause citée (au moins quatre pays pour bloquer une décision) permet de conférer à l’Espagne un poids proche de celui de la France, de l’Italie et du Royaume-Uni. Sans cette clause, ces trois pays ensemble pouvaient bloquer les décisions, de même que n’importe quelle combinaison de deux d’entre eux avec l’Allemagne - alors que deux Etats parmi la France, l’Italie et le Royaume-Uni avec l’Espagne ne l’auraient pu. L’Allemagne est le pays le plus avantagé par le système de double majorité. Pour la première fois de l’histoire de l’UE, qui a été créée sur la parité de pouvoir entre l’Allemagne et la France, Berlin pèsera désormais davantage que Paris, ainsi que n’importe laquelle des autres capitales européennes du fait de sa différence de population.
Du 1er novembre 2014 au 31 mars 2017, tout Etat membre pourra demander qu’une décision soit prise selon le système de la majorité qualifiée tel que défini par le traité de Nice (voir ci-dessus système s’appliquant jusqu’au 1er novembre 2014.
A partir du 31 mars 2017
Le système de la majorité qualifiée tel que défini par le traité de Nice ne trouvera plus à s’appliquer, au bénéfice des seules dispositions rappelées ci-dessus (moins 55 % des Etats, représentant au moins 65 % de la population de l’UE, avec jeu possible de la clause de Ioannina).
Ce système très complexe et par étapes vise, sans doute, à rassurer certains Etats membres sur la prise de nombreuses décisions dont le traité de Lisbonne prévoit l’adoption, décisions qui peuvent modifier voire bouleverser son équilibre et sa cohérence globale.
Toute une série de processus décisionnels ou de politiques novatrices vont devoir être mise en œuvre dans les premières années de l’Europe de Lisbonne. Cette situation traduit l’absence de choix réel effectué lors de l’adoption du traité entre les partisans d’une Europe intégrée et ceux d’une "Europe marché".
Ces décisions de mise en place gouverneront bien sûr le plus ou moins grand dynamisme desdites politiques. Prenons-en quelques exemples.
Ainsi d’après l’article 21 § 1 du TFUE, le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, arrêtent les dispositions relatives aux procédures et conditions requises pour la présentation par les citoyens d’une initiative citoyenne au sens de l’article 11 du TUE, y compris le nombre minimum d’États membres dont les citoyens qui la présentent doivent provenir. Il s’agit d’éviter que de telles initiatives soient détournées au profit de groupes d’intérêt nationaux émanant d’Etats fortement peuplés et pour lesquels la réunion d’un million de signatures pourrait intervenir essentiellement dans le cadre national. La Commission européenne vient de publier le 17 novembre 2009 un "livre vert sur une initiative européenne" qui fixe au 31 janvier 2010 la date limite pour envoyer les contributions [6]. Il serait peu vraisemblable que ce mécanisme ne soit véritablement mis en œuvre avant la fin du 1er semestre 2010.
Le Parlement obtient une égalité de droit avec le Conseil sur l’adoption de l’ensemble du budget communautaire, dans le cadre de la procédure législative spéciale (article 272 du TFUE). Mais les modalités d’exercice de cette égalité vont devoir faire l’objet de règlements adoptés conformément à la procédure législative ordinaire (ex-codécision) (article 322 du TFUE)
L’article 312 du TFUE prévoit la fixation du cadre financier pluriannuel par le Conseil statuant à l’unanimité après approbation du Parlement européen. Toutefois, l’adoption du cadre financier pluriannuel pourra passer à la majorité qualifiée si le Conseil européen en décide ainsi à l’unanimité (article 312 §2 deuxième alinéa).
S’agissant des menaces telles le terrorisme, les catastrophes d’origine humaine ou naturelle, la « clause de solidarité » (article 222 du TFUE) impose également à l’Union et à chaque Etat membre l’obligation de porter assistance, par tous les moyens, à un Etat membre touché par une catastrophe ou un acte terroriste. La majorité qualifiée s’applique pour la définition des modalités de mise en œuvre de cette clause de l’article 222 du TFUE, réserve étant faite du cas où cette décision aurait des implications dans le domaine de la défense. Les attentats qui ont frappé l’Espagne le 11 mars 2004 ont entraîné une mise en œuvre anticipée de cette clause par le Conseil européen, à travers la déclaration sur la lutte contre le terrorisme adoptée le 25 mars 2004.
Les compétences d’Eurojust, organe de coopération et de coordination judiciaire, pourront être renforcées (article 85 du TFUE). Le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, pourront lui conférer le pouvoir de déclencher et de coordonner des poursuites (alors qu’Eurojust ne peut actuellement que demander aux autorités nationales de le faire).
Un parquet européen pourra être créé, à partir d’Eurojust (article 86 du TFUE). Le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, peut instituer un Parquet européen à partir d’Eurojust. Le Conseil statue à l’unanimité, après approbation du Parlement européen. En l’absence d’unanimité, un groupe composé d’au moins neuf États membres peut demander que le Conseil européen soit saisi du projet de règlement. Dans ce cas, la procédure au Conseil est suspendue. Après discussion, et en cas de consensus, le Conseil européen, dans un délai de quatre mois à compter de cette suspension, renvoie le projet au Conseil pour adoption.
Mais au-delà de ces possibilités ponctuelles d’évolution, le traité a prévu un mécanisme de "révision continue" de ces modes de décision par l’extension prévisible de la procédure législative ordinaire.
La « clause passerelle » : extension de la majorité qualifiée ou de la procédure législative ordinaire
Sur des domaines qui restent en dehors du champ de la codécision, le Parlement obtient un renforcement de ses pouvoirs : la procédure d’approbation sur de nouvelles bases ou dans de nouveaux domaines d’action de l’Union, par exemple, en cas de décision du Conseil d’utiliser la clause dite de passerelle (article 48 §7 du TUE).
L’article 48 §7 premier alinéa du TUE prévoit, lorsque le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou le titre V du TUE dispose que le Conseil statue à l’unanimité dans un domaine ou dans un cas déterminé, que le Conseil européen peut adopter une décision autorisant le Conseil à statuer à la majorité qualifiée dans ce domaine ou dans ce cas. Cette disposition ne s’applique pas aux décisions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense.
L’article 48 §7 deuxième alinéa du TUE prévoit lorsque le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit que des actes législatifs sont adoptés par le Conseil conformément à une procédure législative spéciale, que le Conseil européen peut adopter une décision autorisant l’adoption desdits actes conformément à la procédure législative ordinaire (c’est-à-dire majorité qualifié au sein du Conseil+ deux lectures au Parlement européen ex-codécision) .
L’article 48 §7 troisième alinéa du TUE prévoit la transmission obligatoire aux Parlements nationaux de la décision du Conseil européen qui, ayant statué à l’unanimité après approbation du Parlement européen, autorise le Conseil à statuer à la majorité qualifiée dans un domaine jusqu’alors régi par l’unanimité (ou à se prononcer dans le cadre d’une procédure législative ordinaire dans un domaine jusqu’alors régi par une procédure législative spéciale). Cette décision européenne entre en vigueur sans qu’une ratification ou une approbation des Etats membres soit nécessaire. Toutefois, en cas d’opposition d’un parlement national notifiée dans un délai de six mois après cette transmission, la décision européenne n’est pas adoptée. En d’autres termes, chaque Parlement national dispose d’un droit de veto lui permettant d’empêcher l’activation de la clause passerelle.
Plusieurs articles des traités organisent en outre une procédure spécifique et simplifiée par rapport à la procédure prévue à l’article 48 §7 du TUE de passage à la majorité qualifiée ou d’adoption de la procédure législative ordinaire dans des domaines déterminés.
Tel est le cas :
. Article 153 §2 b du TFUE sur la politique sociale ;
. Article 192 §2 du TFUE sur l’environnement ;
. Article 312 §2 du TFUE : pour la fixation du cadre financier pluriannuel ;
. Article 81 §3 du TFUE relatif à la coopération en matière civile, s’agissant des aspects du droit de la famille ayant une incidence transfrontière ;
. Article 31 §3 du TUE pour toutes matières régies par l’unanimité dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune : il revient au Conseil européen de statuer à l’unanimité, sachant en outre que les décisions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense échappent à cette procédure ;
. Articles 20 du TUE et 333 du TFUE pour tout domaine régi par l’unanimité et/ou par une procédure législative spéciale (sauf la défense) dans le cadre d’une coopération renforcée.
Mais au-delà de toutes ces dispositions juridiques, les rédacteurs du traité de Lisbonne se sont bien gardés de trancher toutes les difficultés d’articulation entre certaines institutions, laissant au temps, aux hommes et aux évènements le soin de le faire.
Ainsi rien de très satisfaisant ne figure dans le TUE ou le TFUE sur les délimitations précises des compétences du Président du Conseil européen, celles du Haut-Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et les présidences tournantes (organisées au sein du trio depuis septembre 2006). Qui ira siéger au G20 et avec quel pouvoir (ou quel mandat) : le président de la Commission européenne, le Haut Représentant ou/et le Président du Conseil européen. ?
Quelle va être la place du Haut-Représentant par rapport au Président de la Commission, dont l’accord fut nécessaire pour sa désignation et dont il est le Vice-président (parmi d’autres mais pas avec le même poids) et alors qu’il ira en sa compagnie au Conseil européen ? Il ne ressort pas très clairement des différents articles le concernant, ce que deviendrait le Haut-représentant en cas de motion de censure à l’encontre de la Commission dont il est un des Vice-président et alors même qu’il a fait partie de la Commission lors du vote du Parlement européen d’approbation du collège. Le TUE affirme qu’il "doit démissionner des fonctions qu’il exerce au sein de la Commission" (article 17 §8 du TUE). Mais qu’elle sera alors sa marge de manœuvre ? Est-il pensable qu’il se représente avec les nouveaux membres de la nouvelle Commission ? Tout ceci est baroque et respire l’absence d’arbitrage politique finalisé au sein de la Conférence intergouvernementale de 2007 qui a abouti au traité de Lisbonne.
Le Service européen pour les affaires extérieures (SEAE) a déjà fait courant novembre 2009 de difficiles négociations entre le Conseil des ministres et le Parlement européen. Ce service créé par le traité de Lisbonne pour épauler le Haut Représentant fait l’objet des attentions contradictoires de beaucoup de monde.
Il serait loisible de souligner ici ou là d’autres procédures inachevées ou d’autres équilibres qui n’en sont pas et dont une crise politique européenne ou internationale soulignera les insuffisances. Il est très étonnant de constater qu’après un débat institutionnel quasi-permanent au mieux depuis 2004 (Convention ayant adopté la Constitution européenne) voire depuis 2001 (traité de Nice), il reste encore dans le mode d’emploi de l’Union européenne autant de pièges, et d’imprécisions. Aucun de ceux qui se sont battus pour ou contre les deux derniers textes (Constitution européenne et traité de Lisbonne) n’ont vraiment souligné les approximations qu’ils conservaient. Les derniers commentaires sur le manque de transparence et l’absence de caractère démocratique de la procédure d’élection du Président du Conseil européen n’ont jamais été mentionnés durant les négociations ou lors des procédures de ratification.
La lecture des obligations ou des contraintes acceptées par chacun des Etats membres dans les textes de droit communautaire dérivé, dans les conventions du Conseil de l’Europe ou dans d’autres cadres internationaux et sans ceci sans beaucoup de débats parlementaires ou de campagne de presse laisse perplexe sur "l’hystérie myope" (puisqu’elle, nous venons de le voir, n’a pas compris les difficultés encore présentes dans le traité) que continue de susciter la construction institutionnelle européenne.
Cette construction "à l’usure ou en cachette" que révèle la mise en œuvre retardée du traité de Lisbonne (finalement pour quel traité de Lisbonne avons-nous voté aux travers de nos représentants ?) ne laisse rien augurer de bon quant à l’adhésion, tant attendue (mais peut-être pas tant que cela), des peuples. Nos concitoyens devraient suivre avec attention la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Sans doute, la participation accrue des parlements nationaux au processus de décision européen donnera aux citoyens européens la possibilité d’agir sur la vie institutionnelle européenne au quotidien.
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[1] Sur le traité de Lisbonne, voir "Comprendre le traité de Lisbonne", par Jean-Luc Sauron, Gualino éditeur, 2008.
[2] Référendum du 12 juin 2008 : 46,6% des votes pour et 53,4% des votes contre.
[3] Protocole sur les dispositions transitoires.
[4] Si une décision est rejetée par un groupe de pays représentant plus de 30 % de la population ou plus de 40 % de ses Etats membres (c’est-à-dire représentant au moins les ¾ de la population ou des Etats membres nécessaires à la constitution de la minorité de blocage), le Conseil mettra tout en oeuvre pour parvenir à un accord avant le vote.
[5] Mais cette clause pourra jouer à la demande de n’importe lequel des 27 Etats membres.
[6] COM (2009) 622 final du 17 novembre 2009.
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