Illustré d’une carte. Le Maroc l’occupe et le colonise, laissant le temps jouer pour lui. Le Polisario le revendique, avec le soutien de l’Algérie. Le Sahara Occidental est depuis quarante ans l’objet d’un interminable bras de fer auxquelles les Nations Unies n’ont pu mettre fin par la négociation. Au risque que ce conflit gelé profite demain à des groupes jihadistes.
Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le Diploweb.com est heureux de vous présenter une carte commentée d’Alternatives Internationales, juin 2015.
C’EST LE prototype du conflit gelé. Sans dénouement imaginable à vue humaine. Au Sahara Occidental, le Maroc, qui contrôle l’essentiel du terrain, joue la montre, le bâton et le fait accompli de la colonisation. Face à lui, le Polisario vieillissant, soutenu à bout de bras par l’Algérie, invoque depuis son exil de Tindouf le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Pourtant, l’expérience (Mali, Nigeria…) montre que des groupes jihadistes savent investir de tels conflits oubliés et tirer profit du désespoir de jeunes générations sans perspectives d’avenir. Faudra-t-il que des Sahraouis s’engagent en masse dans leurs rangs pour que le territoire sorte de l’oubli ? Le Sahara Occidental, dans ses frontières actuelles, est une création coloniale. C’est l’Espagne qui, en établissant son protectorat à partir de 1884 sur le Rio de Oro (autour de l’actuelle Dakhla) et Saguia al Hamra (autour de Laâyoune), va progressivement tracer ses limites sur la carte. Avant que les troupes de Madrid s’y installent, ces territoires sont des confins parcourus par des tribus nomades. Des marches entre deux entités aux contours instables : la monarchie alaouite au nord représentée par le sultan qui ne contrôle vraiment que le cœur de son territoire théorique ; le Bilad Shinqiti (dans l’actuelle Mauritanie) au sud où le pouvoir est émietté entre des émirats et des tribus indépendantes. Aucune de ces entités n’exerce une souveraineté effective sur l’actuel Sahara Occidental actuel, en faisant régulièrement payer l’impôt ou en stationnant des troupes de manière permanente. Les liens sont renégociés au gré des époques, des rapports de force et des déplacements des nomades. Lorsque les Espagnols établissent leur protectorat sur la côte en 1884, leur but est surtout de protéger leurs intérêts économiques aux îles Canaries voisines. En 1912, le Maghreb est l’enjeu d’un découpage entre la France et l’Espagne. Outre le Rio de Oro et Saguia al Hamra, Madrid établit un protectorat sur le Rif au nord, le long de la côte méditerranéenne, tandis que la France qui a déjà conquis l’Algérie, établit le sien sur le reste du Maroc actuel (la Mauritanie sera déclarée colonie française en 1920). Dans les années trente, l’Espagne accroît son contrôle sur l’intérieur de son territoire saharien et instrumentalise pour ce faire les structures tribales.
En 1956, la France renonce à son protectorat sur le Maroc. L’Espagne en fait autant pour le Rif qui rejoint le Royaume, mais Madrid garde l’essentiel de ses possessions du sud que Rabat réclame. Le FLN (Front de Libération Nationale) qui se bat contre la France pour l’indépendance de l’Algérie utilise le sol du Maroc pour son combat et parvient à son but en 1962. Mais le torchon brûle vite entre les deux voisins. Le Maroc revendique les territoires de Tindouf et de Béchar comme ayant dépendu dans le passé du sultan. Certains nationalistes exigent même que Rabat règne sur les Canaries, la Mauritanie et jusqu’au Mali… La « guerre des sables » de 1963, qui oppose le Maroc et l’Algérie, voit Tindouf et Béchar rester algériens. Le seul territoire du Sahara que Rabat peut encore espérer voir tomber dans son escarcelle est la partie espagnole, dont l’Assemblée Générale de l’ONU réclame la décolonisation et pour lequel elle souhaite un référendum d’autodétermination. Le Maroc y encourage l’agitation et des actions armées. Des jeunes gens, originaires du Sahara Occidental mais qui ont grandi en exil au Maroc, veulent également que l’Espagne quitte le territoire. Proches des mouvements de gauche réprimés par Rabat, ils quittent le pays et en 1973, fondent en Algérie le Polisario (forme abrégée de l’espagnol Frente de Liberación de Saguia El Hamra y Rio de Oro). Puis lancent des raids contre la présence espagnole.
En 1974, Madrid annonce la tenue d’un référendum d’autodétermination dans sa colonie et effectue pour cela un recensement. Le Maroc et la Mauritanie (indépendante depuis 1960 malgré l’opposition de Rabat) demandent que la Cour Internationale de Justice examine leurs droits historiques sur le Sahara Occidental. L’avis réaffirme le droit de la population à l’autodétermination en ne reconnaissant pas aux deux pays de souveraineté clairement établie dans le passé sur le territoire, même s’il existe des liens historiques, et notamment d’allégeance religieuse de certaines tribus au sultan alaouite. Cela suffit pour Hassan II, le roi du Maroc, qui le 6 novembre 1975 lance une Marche Verte : pas moins de 350 000 personnes, appuyées par des milliers de soldats, envahissent le Sahara espagnol. Le 14, alors que le dictateur espagnol Francisco Franco n’en finit pas d’agoniser, l’Espagne signe le traité de Madrid qui accorde un contrôle administratif des deux tiers nord de la colonie au Maroc et du tiers sud à la Mauritanie, tout en réaffirmant que l’opinion de la population sera respectée. Puis Madrid se retire en février 1976. Des milliers de Sahraouis qui ont fui l’avancée des troupes marocaines et mauritaniennes se réfugient dans la région de Tindouf (Algérie) où des camps sont installés qui vont devenir la base du Polisario. Celui-ci proclame la RASD (République Arabe Sahraouie Démocratique), dotée d’un gouvernement en exil. Militairement, le mouvement se trouve confronté à deux pays de calibre différent. Après plusieurs actions militaires du Polisario, Nouakchott renonce en 1979 à ses prétentions sur le sud du Sahara Occidental. Celui-ci est aussitôt occupé par les troupes marocaines qui continuent de faire face à la guérilla du Polisario. Et l’Algérie utilise le mouvement sahraoui comme un instrument dans sa rivalité avec Rabat. En difficulté, le Maroc décide en 1981 de construire un ensemble de mur et de barrières long de 2 700 kilomètres en plein Sahara Occidental pour conserver 85 % de sa surface, soit le territoire utile : les principales villes, les mines de phosphate, toute la côte et ses ressources halieutiques. Le front militaire va se figer. Mais le Polisario se bat aussi sur le front diplomatique alors que les Nations Unies maintiennent le principe d’auto-détermination. De nombreux États soutiennent sa position, à commencer par les pays africains qui depuis la charte de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) de 1963, défendent l’intangibilité des frontières coloniales. L’organisation admet la RASD en son sein en 1984. Le Maroc claque la porte. Mais c’est bien Rabat qui contrôle le terrain et favorise l’installation au Sahara Occidental de colons venus du centre du Maroc. Les autorités répriment avec brutalité les manifestations nationalistes dans la zone qu’elles contrôlent. En 1981, Hassan II a accepté le principe d’un référendum au Sahara Occidental, mais vite précisé qu’à ses yeux, il ne pourrait servir qu’à confirmer la souveraineté de son pays.
Un cessez-le-feu avec le Polisario est négocié sous l’égide des Nations Unies et devient effectif en 1991. La MINURSO (Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental) est chargée de le surveiller et d’identifier les potentiels électeurs à une consultation. Le Polisario veut restreindre le corps électoral aux 74 000 personnes recensées par l’Espagne en 1974 et à leurs descendants. Le Maroc veut y intégrer les membres de tribus sahraouies résidant de longue date au sud du Maroc et les colons du centre du pays installés depuis 1975. L’ONU parvient en 2000 à un chiffre de 86 000 personnes. Immédiatement, 130 000 plaintes sont déposées avec l’encouragement du Maroc. La définition du corps électoral d’un éventuel référendum va devenir l’une des principaux points de blocage de tout règlement. En 1997, le secrétaire général de l’ONU a pourtant désigné une personnalité de poids pour suivre le dossier du Sahara Occidental : James Baker, ancien secrétaire d’État des États-Unis (1989-1992). Il va élaborer deux plans successifs qui à chaque fois proposent une forme d’autonomie provisoire, suivie d’un référendum avec une définition précise du corps électoral. Le premier (2001) est rejeté par Polisario, soutenu par l’Algérie, parce que le projet de référendum ne prévoit pas explicitement l’option de l’indépendance. Le deuxième, qui la prévoit est refusé par le Maroc, dont le jeune roi Mohammed VI, qui a succédé en 1999 à Hassan II, estime que toute idée de référendum est désormais caduque. Baker démissionne. Les positions apparaissent inconciliables : le Maroc, dont le régime a fait du Sahara Occidental une cause sacrée pour le pays, n’envisage qu’une autonomie pour le Sahara Occidental qu’il qualifie de « provinces du Sud ». Le Polisario refuse une consultation qui ne prévoirait explicitement pas l’option de l’indépendance, tout en proposant au Maroc des garanties pour certains de ses intérêts si ce choix se concrétisait. Aucune puissance majeure sur la scène internationale ne souhaite faire pression ni sur Rabat, ni sur l’Algérie, et à travers elle sur le Polisario, pour infléchir ces positions. Faute de pouvoir obtenir l’assentiment des parties à ses plans prévoyant l’autodétermination, l’ONU suggère que les parties négocient elles-mêmes, sans préalable. Ce qu’elles continuent de faire jusqu’à aujourd’hui, sans résultat… Estimant que les Sahraouis finiront par se résigner, Mohammed VI a proposé en 2007 un projet d’autonomie aux contours flous. Ces promesses ne dépassent guère le stade des paroles. Et en 2014, le roi appelle à une « révision radicale du mode de gouvernance de nos provinces du Sud ». Mais en pratique, la monarchie s’appuie surtout sur des notables sahraouis, d’autant plus acquis à sa cause qu’ils se voient accorder des avantages économiques.
Pendant que les diplomates font du sur place, des mouvements de contestation éclatent au sein des populations sahraouies, des deux côtés du long mur. En octobre 2010, au Sahara Occidental, des manifestants érigent un village de tentes pour réclamer travail et logement. Des affrontements éclatent avec les forces de l’ordre. Des protestataires mais aussi des policiers trouvent la mort ce qui provoque une répression brutale. Ces événements révèlent aussi les tensions entre Sahraouis et Dakhilis (colons venus du centre du Maroc). La répression continue aujourd’hui dans le territoire, comme Amnesty International l’a dénoncé dans un rapport récent [1]. La France pourtant s’oppose à ce que la MINURSO soit dotée d’un mandat de surveillance des droits de l’homme. À Tindouf cette fois, les révolutions arabes ont fait des émules. En 2011, de jeunes réfugiés sahraouis contestent la mainmise autoritaire de la vieille garde du Polisario et sa corruption. Si le mouvement a toujours vu des individus faire dissidence (et pour certains, se rallier au Maroc), des groupes plus organisés voient désormais le jour comme Khat al-Chadid. Plus inquiétant, trois travailleurs humanitaires occidentaux ont été enlevés en 2011 à Tindouf par le MUJAO (Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest), alors allié d’al-Qaida au Maghreb Islamique. Pour l’instant, rien ne prouve que des Sahraouis aient rejoint en nombre des mouvements jihadistes. Mais demain, si vraiment rien ne bouge ?
Par Yann Mens
Rédacteur en chef d’Alternatives Internationales
Copyright pour le texte et la carte : Alternatives Internationales, juin 2015
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[1] L’ombre de l’impunité. La torture au Maroc et au Sahara occidental, 2015
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