"La politique étrangère de la France depuis 1945", F. Bozo

Par Vincent SATGE, le 25 juillet 2013  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Co-président du site Les Yeux du Monde.fr, site de géopolitique pour les étudiants, Vincent Satgé est en Master 2 de Sciences Politiques à l’Institut d’études politiques de Bordeaux.

Présentation d’un classique de géopolitique : Frédéric Bozo, "La politique étrangère de la France depuis 1945", Paris, Flammarion, février 2012.

Le Diploweb.com inaugure une nouvelle rubrique, en synergie avec Les Yeux du Monde.fr : offrir une fiche de lecture synthétique d’un ouvrage classique qu’il faut savoir situer dans son contexte et dont il importe de connaître les grandes lignes... avant de le lire par soi même.

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La politique étrangère de la France depuis 1945 : un titre ambitieux pour un sujet immense. Voilà assurément un pari audacieux auquel se livre Frédéric Bozo, actuellement professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne nouvelle. En effet, résumer en un seul ouvrage tous les changements d’orientation de la diplomatie française depuis 1945 apparaît comme un effort de synthèse prodigieux. Frédéric Bozo, ancien élève de l’Ecole Normale supérieure et de Sciences Po Paris, agrégé d’histoire de surcroît en est conscient et l’écrit dans son introduction : "Ce petit livre, qui ne se veut qu’une introduction à l’histoire de la politique étrangère française, n’a d’autres objectif que d’en cerner les grands traits, d’en repérer les principes et d’en mettre en évidence la logique propre".

Il n’est pas le seul à avoir tenté l’expérience : Frédéric Charillon, professeur de Science Politique à l’Université d’Auvergne et directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM), a lui aussi écrit son ouvrage La politique étrangère de la France (2011) tout comme Marie-Christine Kessler, directrice de recherche CNRS au Centre d’études et de recherches de science administrative (CERSA), avec La politique étrangère de la France, Acteurs et processus (1999). Voyons ainsi comment l’exercice a été réalisé par F. Bozo.

La France dans l’UE : pourquoi un tel malaise ?

Frédéric Bozo distingue cinq grandes phases dans l’histoire diplomatique française.

Vient tout d’abord le temps des frustrations, de 1945 à 1958.

Au moment où la France ressortit dévastée de la Seconde Guerre mondiale, le Général de Gaulle, comme le dit Frédéric Bozo en pastichant Clausewitz, utilisa "la politique pour continuer la guerre par d’autres moyens" [1]. En découla la reconnaissance du GPRF par les Alliés, l’obtention d’une place au Conseil de Sécurité de l’ONU ainsi que le droit d’être une puissance tutélaire de l’Allemagne. C’est malgré tout au sujet de cette dernière que la voix de la France ne fut pas entendue. Cela l’amena, avec la crise de Suez de 1956, à se lancer d’autant plus énergiquement dans la construction européenne (Traité de Rome du 25 mars 1957). Certes celle-ci fut initiée sous l’égide des Etats-Unis, qui demandèrent aux Européens de s’allier militairement comme condition sine qua non à une aide financière. Les résultats en furent les suivants : une alliance militaire via le traité de Bruxelles en 1948 ainsi qu’économique via la CECA le 18 avril 1951. Néanmoins, l’Europe devint très vite pour la France le moyen de dépasser la logique des deux blocs.

Une fois sa place trouvée, la France s’attela à contester le statu quo (1958-1969)

Une réorganisation du pouvoir en interne (nouvelle République) et externe (Françafrique avec Jacques Foccart à la tête du Secrétariat aux affaires africaines et malgaches à l’Elysée) permit à de Gaulle de prétendre à une réorganisation des rapports mondiaux. C’est l’objet de son mémorandum de 1958 adressé aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne : le Général y exprima son souhait d’un rééquilibrage des relations entre France, Grande-Bretagne et Etats-Unis, sur la gestion des crises internationales et du nucléaire. Du fait du peu de réactions des alliés occidentaux, de Gaulle reprit le contrôle de la flotte méditerranéenne dès 1959. Ceci préfigura la fin de l’intégration des forces françaises encore sous commandement de l’OTAN au 1er juillet 1966. Les relations avec les Etats-Unis furent dès lors moins courtoises qu’auparavant, même si la France soutint Washington dans la plupart des épreuves que les Etats-Unis traversèrent (seconde crise de Berlin, crise des missiles à Cuba).

Enfin, autre grande orientation de la politique étrangère française, la politique pro-arabe : elle débuta avec la guerre des six jours en 1967, alors que la France était auparavant un des grands soutiens d’Israël (premier fournisseur d’armes à l’état hébreu alors).

Le fondateur de la V eme République disparu, que reste-t-il de son héritage (1969-1981) ?

Que ce soient Georges Pompidou ou Valéry Giscard d’Estaing, l’héritage fut dans l’ensemble plutôt bien respecté. Certes Pompidou sembla organiser une franche rupture en politique européenne. Mais son geste peut être justifié du fait que la France était est en perte de vitesse en terme de dynamisme économique, laissant la RFA gagner une influence considérable : un rapprochement dans ces conditions avec l’Angleterre n’aurait pas déplu à de Gaulle, qui en aurait même formulé l’hypothèse ! [2]

La continuité fut moins discutable en politique arabe : si les relations avec Israël furent soignées (via l’envoi de pièces détachées de Mirage malgré l’embargo officiel), les coups d’éclats furent surtout en faveur des pays arabes. En témoigna la sortie du ministre des Affaires étrangères lors de la guerre du Kippour, Michel Jobert."Est-ce que tenter de remettre les pieds chez soi constitue une agression imprévue ?" demanda-t-il le surlendemain de l’attaque égypto-syrienne contre Israël.

Quant au président le plus jeune de la Ve République, il accentua nettement la politique moyen-orientale de la France. La rencontre entre le ministre des Affaires étrangères, Jean Sauvagnargues, et le chef de l’Organisation de libération de la Palestine, Yasser Arafat, le 21 octobre 1974 à Beyrouth, le montra bien.

Réputé plus atlantiste mais relançant sûrement la construction européenne via la création du Conseil européen en 1974, Valéry Giscard d’Estaing apparut aussi interventionniste que ses prédécesseurs sur la politique africaine. Après avoir remplacé Foccart par Journiac, il n’hésita pas à y intervenir. Ce fut indirectement au Zaïre par la mise à disposition de moyens de transports au profit d’une intervention marocaine en 1977 ou directement en Centrafrique avec l’opération Barracuda en 1979.

La fin de la Guerre froide et le début de l’alternance (1981-1995) n’atteint pas la continuité de la politique étrangère française.

On aurait pu craindre de François Mitterrand un rapprochement dangereux avec l’URSS. Néanmoins, le premier président socialiste de la Ve République dissipa ces craintes en soutenant Helmut Kohl et l’OTAN dans son discours au Bundestag le 20 janvier 1983. De même, au printemps 1983, la France accueillit à Paris, pour la première fois depuis 1966, une réunion ministérielle. Même constat pour la politique africaine : l’opération Manta arrêta le colonel Kadhafi au sud du 15eme parallèle et, pour le reste, le sommet franco-africain de La Baule promit beaucoup même si "les choses ne changent guère dans la pratique" [3]. Le Moyen-Orient ne dérogea pas à la règle : si F. Mitterrand visita Israël en mars 1982, ce fut pour prononcer son discours à la Knesset et exposer une certaine continuité de la doctrine française. Il y affirma ainsi la nécessité pour Israël de reconnaître le droit des Palestiniens à disposer "le moment venu" d’un Etat. Il persista et signa avec les évacuations de Yasser Arafat en 1982 et 1983 respectivement de Beyrouth et Tripoli.

La mondialisation enfin n’entame que superficiellement les "fondamentaux" de la diplomatie française (1995-2011).

Annoncer la rupture et poursuivre dans la continuité : loin de l’appel de Cochin de 1978, Jacques Chirac défendit le "oui" pour Maastricht et, sous ses mandats, l’Union européenne passa de 15 à 27 membres. C’est encore Jacques Chirac qui permit, via la déclaration de Saint-Malo en 1998, d’ouvrir la voie à une avancée importante ; pour la première fois, Londres souscrivit à l’objectif d’une défense autonome dans le cadre de l’Union européenne.

Lui qui dénonçait l’atlantisme giscardien, il déclara pourtant en décembre 1995 que la France reprendrait sa place au sein des organes non intégrés de l’alliance atlantique (comité militaire, réunion des ministres de la défense). De même il apporta son soutien aux Etats-Unis dans l’opération Enduring Freedom. Il marqua cependant sa différence avec les Anglo-Saxons sur le dossier irakien au moment de l’opération Desert Fox. Il se posa même en challenger de "l’hyperpuissance" lors du discours de Dominique de Villepin du 14 février 2003 au Conseil de sécurité de l’ONU. En résulta l’une de crises les plus graves entre ces deux pays depuis les années 1960 : rupture momentanée des contacts au plus haut niveau et vague de francophobie avec le célèbre épisode des "freedom fries".

Enfin, Jacques Chirac suivit fidèlement l’orientation qu’il donne en 1996 dans son discours à l’université du Caire : faire de la politique arabe une "dimension essentielle" de la diplomatie française, voire de ses relations personnelles avec les dirigeants du monde arabe (Hosni Moubarak, Rafiq Hariri...).

La rupture, thème phare du candidat Sarkozy en 2007, lui fut souvent reprochée, du moins tout autant que son rapprochement brusque des Etats-Unis. Est souvent mobilisé à cet effet le sommet du soixantième anniversaire de l’alliance à Strasbourg/Kehl, en 2009, lors duquel Paris obtient pour un général français l’un des deux commandements suprêmes de l’OTAN. Pour autant, cette orientation politique ne doit pas être considérée comme du "suivisme atlantisme" En témoigna la décision du président de la République en 2008 de renforcer le contingent en Afghanistan plus faiblement que souhaité par les Etats-Unis ou encore en refusant ostensiblement l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Enfin, lui qui avait placé sa politique étrangère sous le signe des droits de l’Homme (auxquels il avait consacré un secrétariat d’Etat aux droits de l’Homme) fut obligé très vite de s’en accommoder. Ainsi nous le rappela l’évolution des relations avec la Russie et la Chine, ou encore les rapports très Françafrique entretenus avec Omar Bongo.

C’est un travail assurément utile que nous offre Frédéric Bozo avec La politique étrangère de la France depuis 1945. Il permet en effet d’en considérer les grandes orientations sans y sacrifier à la précision. L’ouvrage offre dès lors peu de prises aux critiques sur le fond, vu qu’il se présente comme une synthèse factuelle : les remarques ne peuvent dès lors porter sur la véracité du propos mais sur la manière de l’amener et sur les éclairages privilégiés. Certains tels Frédéric Charillon lui reconnaissent une tendance peu condamnable à "comprendre plutôt qu’à accuser" les différents présidents et à s’attaquer quasi-systématiquement aux reproches qu’on leur a présentés : "Il voit davantage de limites au volontarisme chiraquien" ; "il voit – entre autres choses – plus de continuité que de rupture dans la politique étrangère menée par Nicolas Sarkozy". Pour autant, domine surtout à la lecture de cet ouvrage l’impression que l’évolution de la politique étrangère française ne fut pas véritablement différente d’un président à l’autre, sauf en termes de nuances. Ainsi Pompidou qui, faisant entrer la Grande-Bretagne dans la CEE, n’accomplissait en fait qu’une stratégie purement gaullienne. Ou Valéry Giscard d’Estaing : "de son propre aveu en tout cas, la présidence de Valéry Giscard d’Estaing s’apparentera dans le domaine de la politique étrangère, à une sorte d’apprentissage, démontrant du même coup la pérennité de l’héritage." [4], ou enfin François Mitterrand, qui "entend "assumer l’héritage" même s’il souhaite "le faire évoluer en douceur"" [5]. Voici "un panorama synthétique fort utile qui peut servir de manuel, d’analyse rétrospective stimulante, et d’outil de recherche, notamment à travers sa bibliographie en fin de texte" nous dit Frédéric Charillon.

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A. Beaufre, "Introduction à la stratégie", A. Colin, 1963, rééd . Fayard/Pluriel, 2012

Z. Brzezinski, "Le vrai choix", Ed. O. Jacob

J. Vaïsse, « Barack Obama et sa politique étrangère (2008-2012) », Éd. O. Jacob

P. Moreau Defarges, « Introduction à la géopolitique »

R. Kagan, « La puissance et la faiblesse », Hachette Littératures, 2006

G. Chaliand, « Le nouvel art de la guerre », L’Archipel, 2008

M. Foucher, "L’Europe et l’avenir du monde", Ed. Odile Jacob, 2009

Hubert Védrine, « Continuer l’Histoire », Flammarion, 2008


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[1Frédéric Bozo, La politique étrangère de la France depuis 1945, Paris, Flammarion, février 2012, p. 13.

[2Idem, p.122.

[3Idem, p.202.

[4Idem p.144.

[5Idem p.170, Frédéric Bozo citant Hubert Védrine, Les mondes de François Mitterrand. A l’Elysée (1981-1995), Fayard, 1996, p.89.

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