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La Chine en Arctique ?

Par Frédéric LASSERRE , Olga V. ALEXEEVA, le 3 octobre 2013  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Olga V. Alexeeva est Professeur d’histoire de la Chine, Département d’histoire, Université de Québec à Montréal (UQÀM). Frédéric Lasserre est Directeur de projet, ArcticNet et Professeur au Département de géographie, Université Laval, Québec.

Malgré la présence croissante de la Chine en Arctique et l’ancienneté des programmes de recherche, l’affirmation d’une volonté politique est un fait très récent, dont de nombreux éléments restent encore à découvrir et à étudier, car Pékin n’a pas encore articulé de doctrine officielle en la matière. L’analyse de l’évolution de la politique de Pékin envers l’Arctique durant ces quinze dernières années permet cependant de souligner l’existence d’une stratégie que la Chine met progressivement en place afin de défendre ses intérêts dans cette partie du monde.

Le Diploweb.com est heureux de vous présenter cet article inédit dans le cadre de son partenariat avec le 24ème Festival International de Géographie : "La Chine, une puissance mondiale", 3 au 6 octobre 2013, Saint-Dié-des-Vosges.

DEPUIS QUELQUES années, la région de l’Arctique est devenue un sujet d’actualité internationale. Cet intérêt grandissant est reflété par les discours des médias sur l’abondance présumée de ses ressources naturelles, sur les enjeux de souveraineté et sur l’ouverture possible de nouvelles routes maritimes. La région de l’Arctique concerne huit pays, dont cinq, le Canada, la Russie, les États-Unis, la Norvège et le Danemark (via le Groenland) [1], sont directement riverains de l’océan du même nom. Les changements climatiques causant la fonte rapide du pergélisol, le recul des glaciers et la fonte de la banquise créent d’importantes opportunités géostratégiques et géoéconomiques qui n’ont pas échappé aux pays avoisinants en quête, d’une part, de ressources naturelles pour soutenir leur croissance économique et, d’autre part, de profits commerciaux que pourrait induire la mise en service de routes maritimes. Selon les experts, celles-ci, plus courtes mais pas nécessairement plus rapides, pourraient offrir des gains significatifs par rapport aux itinéraires via Suez ou Panama.

Toutefois, l’intérêt pour la région ne se limite pas aux pays directement concernés. D’autres pays y voient également un enjeu géostratégique et sont parfois décrits comme nourrissant des convoitises à l’endroit de l’Arctique. Par exemple, le Japon, qui n’est pas un État riverain de l’Arctique, a récemment déclaré être concerné par les problèmes et les mutations de cette région du monde, surtout en ce qui concerne le développement du transport maritime et des activités de pêche dans les eaux arctiques.

La Chine, qui n’a pas non plus d’accès direct à l’Arctique, a adopté une attitude officielle très prudente par rapport à cette région du monde, une attitude que semblerait démentir la multiplication des missions commerciales gouvernementales et des projets d’investissement chinois. La Chine a fait un effort considérable pour tisser des liens politiques et économiques avec les petits pays arctiques, et pour inclure la problématique arctique dans l’agenda de discussions diplomatiques avec la Russie et le Canada. De plus, en quelques années, Pékin a réussi à mettre en place et à conduire avec succès un vaste programme de recherches scientifiques indépendantes tout en ayant très peu d’expérience préalable de recherches en cette zone géographique.

Ces efforts chinois, depuis 2009 environ, suscitent des réactions négatives de la part des médias ou de certains analystes occidentaux. Ils dressent souvent un portrait d’une Chine ambitieuse et arrogante prête à bousculer la souveraineté des pays arctiques pour défendre ses intérêts dans cette région.

Dans cette optique, il paraît pertinent d’analyser la politique de la RPC envers l’Arctique, dont les ressources naturelles et les routes maritimes potentielles suscitent tant de spéculations médiatiques et de convoitises des puissances régionales et mondiales. L’objectif de cet article est de donner un aperçu des activités de la Chine en Arctique, et de tenter d’identifier quelle est la stratégie de Pékin dans cette zone polaire.

La Chine en Arctique ?
Carte de l’Arctique. L’Année polaire internationale - ipy-api.gc.ca
Les territoires situés au voisinage de l’Arctique : Canada, Etats-Unis, Russie, Finlande, Suède, Norvège, Islande, Groenland (Danemark)


1. Des activités chinoises en Arctique marquées par la recherche fondamentale

L’intérêt de la Chine pour l’Arctique est souvent présenté comme un phénomène récent. L’une de premières publications de recherches qui a attiré l’attention de la communauté internationale envers la présence croissante de la Chine fut le rapport de l’Institut international de recherche pour la paix de Stockholm (SIPRI). Intitulé « China prepares for an ice-free Arctic », ce rapport analyse les activités chinoises en Arctique ainsi que l’évolution du discours officiel de Pékin concernant les enjeux énergétiques et commerciaux de cette région. Depuis, la Chine a fait objet d’un nombre croissant d’articles et de reportages de mass medias, ainsi que de publications académiques analysant les aspirations de Pékin à devenir l’un des principaux acteurs en Arctique et à participer de manière active à la gestion des ressources et au débat sur la gouvernance de cette zone géographique.

A. Quelle production scientifique chinoise au sujet de l’Arctique ?

L’étude détaillée des activités de la Chine en Arctique montre que l’intérêt de Pékin envers cette région n’est pas aussi récent et remonte aux années 1980. Le programme officiel chinois de recherches arctiques a formellement débuté en 1989 avec la fondation de l’Institut Chinois de recherches polaires à Shanghai (Centre de recherches polaires de Chine 2007). Selon la plus grande base de données chinoise - Wanfang Data [wanfang shuju] - les premiers travaux de recherche consacrés aux problématiques arctiques ont commencé à être réalisés à partir la fin des années 1980. En 1988, l’Académie des Sciences chinoise a aussi commencé à publier une nouvelle revue trimestrielle entièrement consacrée aux problématiques liées à l’Arctique et l’Antarctique, Beiji yanjiu ou Chinese Journal of Polar Research.

Depuis la fin des années 1980, les différentes revues académiques chinoises ont publié plusieurs centaines d’articles sur l’Arctique, toutes disciplines confondues. La plupart d’entre eux étudient essentiellement de sujets relevant de sciences exactes – les problèmes liés au réchauffement climatique en Arctique, l’impact de ces changements sur les variations de température et le volume de précipitation en Chine etc. Ainsi, en faisant une recherche dans la Wanfang Data, nous avons identifié 1303 articles publiés par une vingtaine des différents journaux chinois entre 1988 et 2012 qui comportaient le mot « Arctique » (Beiji) dans leur titre. La majorité de ces publications (39% nombre total) traite des problèmes climatologiques, les autres analysent des questions de biodiversité (17 %), d’histoire et des langues des peuples autochtones d’Arctique (13 %), d’environnement (9 %), de technologie (8 %), de transport (4 %), de politique et de droit (6%), de santé (4%).

Depuis les cinq dernières années, on voit apparaître de plus en plus de publications davantage consacrées aux différentes questions propres au domaine des sciences humaines – problèmes de souveraineté en Arctique, analyse de la politique arctique des pays circumpolaires, rôle de l’Arctique dans le futur développement économique et géostratégique de la Chine, etc. On relève ainsi 78 textes parus entre 2006 et 2012, l’essentiel ayant été publié entre 2010 et 2012, et portant sur la gouvernance de la région ou sur des enjeux politiques ou économiques. À notre connaissance, ces questions apparaissent pour la première fois en 2006 avec un article portant sur la stratégie arctique du Canada. En 2007, Wang se penche sur les rivalités politiques et les enjeux de souveraineté en Arctique. En 2008, Liu analyse la stratégie russe en Arctique tandis que Ren et Li évoquent à nouveau les questions de souveraineté. À partir de 2009 paraissent de très nombreux articles qui étudient les enjeux politiques en Arctique ou qui soulignent les intérêts de la Chine dans cette région.

Les intérêts de la Chine en Arctique sont ainsi au cœur de discussions académiques où ce sujet est traité avec beaucoup moins de réserve et de prudence que depuis les tribunes officielles. Certains scientifiques chinois invitent leur gouvernement à changer sa position de neutralité en s’engageant davantage dans le processus de délimitation des zones de souveraineté en Arctique et du partage des ressources de cette région du monde. D’autres mettent de l’avant l’idée que les ressources arctiques doivent relever du patrimoine de l’humanité, positions dont la presse se fait aussi l’écho, sans préciser sur quelle base juridique cette politique pourrait être menée. Jia Yu (2010), de la State Oceanic Administration (SOA), soutient ainsi que l’extension des plateaux continentaux au-delà des limites des zones économiques exclusives devrait être limitée, et que l’espace maritime au-delà de ces limites devrait relever du patrimoine mondial : c’est la notion de plateau continental étendu que ces auteurs contestent sotto vocce dans son application dans l’Arctique.

Ces opinions, parfois très différentes de celles du Pékin officiel, sont publiées non seulement par les revues académiques conventionnelles mais aussi par les périodiques officiels chinois qui ne publient jamais de matériaux ou d’opinions non-autorisés au préalable. L’existence de ce genre de publications, qui s’inscrit dans la tendance générale de la montée de nationalisme en Chine, est délicate à interpréter. Elle pourrait être un signe de la volonté de Pékin de former l’opinion publique chinoise sur l’importance des enjeux arctiques pour l’avenir socio-économique du pays et sur la nécessité pour la Chine de devenir un acteur plus actif dans cette partie du monde. Cela pourrait être aussi une tentative de simplement laisser un champ d’expression à ce nationalisme chinois croissant, afin de détourner l’attention de l’opinion publique, sans pour autant que le gouvernement n’ait l’intention d’intervenir. Par ailleurs, il faut aussi se garder de croire que tous les articles scientifiques chinois font la promotion des intérêts politiques de la Chine dans l’Arctique : ainsi, Liu et Yang (2010) ou Mei et Wang (2010) demeurent-ils très modérés dans leurs propos. En réponse à la publication d’articles occidentaux alarmistes au sujet des intentions chinoises en Arctique, souvent dépeintes comme agressives, de nombreux chercheurs chinois soulignent dans leurs travaux que la Chine respecte et respectera la souveraineté et la juridiction des pays arctiques dans cette région. Cependant, cela ne veut pas dire que la Chine ne souhaite pas profiter des occasions commerciales et du potentiel en ressources de l’Arctique. Si de telles occasions se présentaient, la Chine doit être prête à les saisir tout en respectant des lois internationales et en construisant un partenariat pragmatique. L’intérêt de la Chine pour l’Arctique, selon plusieurs publications récentes, est donc logique ; les inquiétudes de l’Occident sont sans fondement et ne serviraient qu’à alimenter la vielle théorie de la menace chinoise.

B. Le déploiement d’outils de recherche sur le terrain

L’intérêt de la Chine pour l’Arctique ne s’est pas manifesté uniquement sur les pages des articles académiques, mais aussi sur le terrain. En 1992, donc avant que l’on ne parle abondamment de l’ouverture possible des routes arctiques, Pékin a organisé son premier programme de recherches scientifiques de cinq ans dans l’océan Arctique en partenariat avec les universités allemandes de Kiel et de Brême. Ce projet a été suivi par l’admission de la Chine aux différents organismes internationaux ayant pour mission de favoriser la coopération dans tous les aspects de la recherche arctique, tels le Comité International des Sciences arctiques (CISA), Ny-Ålesund Science Managers Committee (NySMAC), Pacific Arctic Group (PAG).

L’achat d’un brise-glace (Classe polaire 5) en Ukraine en 1994, baptisé Xuelong ou Dragon des neiges, a permis aux Chinois de monter un programme de recherches polaires indépendant et de réaliser plusieurs expéditions scientifiques en Arctique et en Antarctique. Coordonnés par l’agence nationale - Chinese Arctic and Antarctic Administration (CAA), ces travaux de recherches ont pris une envergure impressionnante. Ainsi, outre 28 expéditions dans l’Antarctique, la Chine a préparé et conduit cinq expéditions en Arctique (1999, 2003, 2008, 2010 et 2012) et a fondé sa première station, « Fleuve Jaune » [Huanghe], à Ny-Alesund, sur l’île de Spitzberg, archipel du Svalbard, en Norvège (2004), qui vient compléter un réseau de stations polaires qui comprend aussi trois stations en Antarctique (Grande Muraille, fondée en 1985 ; Zhongshan, fondée en 1989 ; Kunlun, ouverte en 2009). En Chine, c’est la recherche en Antarctique, et non en Arctique, qui perçoit la part du lion des budgets de recherche polaire, ne serait-ce que parce qu’en vertu du traité de l’Antarctique (1959), Pékin n’a besoin d’aucune autorisation pour y développer bases et programmes de recherche. Il serait cependant inexact de penser que dès le lancement en 1981 des programmes polaires, les agences de recherche chinoises considéraient l’Antarctique comme une étape vers l’Arctique : rien ne l’atteste dans la littérature. Le programme de recherches chinois en Arctique est en grande partie consacré à l’étude des interactions entre l’Océan glacial arctique, les glaces maritimes et l’atmosphère, afin d’en apprendre davantage sur l’influence des changements climatiques anormaux du pôle Nord sur le climat chinois.

Récemment, le gouvernement chinois a annoncé la construction d’un second brise-glace qui devrait permettre aux scientifiques chinois d’approfondir leurs recherches polaires. Le nouveau navire devrait entrer en service en 2014.

2. Le déploiement d’une stratégie chinoise agressive en Arctique ?

A. Un certain mutisme quant à la position officielle de la Chine

Malgré l’intérêt croissant de la Chine pour l’Arctique, en particulier dans le domaine scientifique mais aussi, de plus en plus, sur les plans diplomatique et économique, aucune stratégie officielle guidant les actions et les déclarations du gouvernement chinois à propos de cette région et de son potentiel (énergétique, maritime, économique, scientifique, militaire, etc.) n’a été publiée jusqu’à maintenant. Pékin dément fermement l’existence d’une telle stratégie et souligne le caractère avant tout scientifique de son intérêt pour l’Arctique. Le vice-ministre des affaires étrangères, Hu Zhengyue, a ainsi souligné que la « Chine n’a[vait] pas de politique arctique » au cours d’une conférence tenue au Svalbard en juin 2009.

Les déclarations des représentants officiels sont très prudentes et traitent principalement des questions de changement climatique et environnementales. Les changements dans la circulation atmosphérique en provenance de l’Arctique semblent être la cause principale des changements météorologiques importants observés en Chine depuis ces dernières années, notamment la baisse des précipitations en Chine du nord. Ainsi, la région de l’Arctique serait directement liée à la sécurité du développement socio-économique de la Chine, d’où découle l’intérêt du gouvernement chinois envers une meilleure compréhension des mécanismes climatiques de cette région.

Quant aux questions de souveraineté en Arctique et à l’exploitation de ressources naturelles de la région, les déclarations de Pékin sont rares et restent assez vagues. Le gouvernement chinois souligne qu’il respecte les droits souverains des pays arctiques fondés sur la Convention des Nations unies sur le Droit de la Mer (CNUDM, 1982, entrée en vigueur en 1994), selon laquelle les zones de haute mer de l’océan Arctique sont situées au-delà de 200 miles marins (320 km) des côtes des pays l’entourant. Ces 200 miles marins représentent les zones économiques exclusives (ZEE) de chaque pays riverain, dans lesquelles les États côtiers détiennent des droits souverains sur les richesses de la colonne d’eau, des fonds marins et du sous-sol. Des droits souverains s’établissent aussi pour les ressources du sous-sol sur le plateau continental étendu, au-delà de la limite des 200 miles marins, mais seulement s’il est une extension géologique naturelle du plateau continental physique. Les États arctiques revendiquent tous l’extension de leur zone de juridiction, d’où les litiges potentiels entre Russie, Danemark, Canada et États-Unis lorsque les revendications de ces trois derniers seront connues.

Ces disputes ont été analysées par nombre d’auteurs chinois qui concluent que la communauté internationale doit respecter les recommandations de la CNUDM, bien que certaines zones revendiquées par les pays avoisinant l’Arctique semblent plutôt relever de la juridiction internationale et devraient demeurer ainsi ouvertes à tous - bref relever de ce que la CNUDM appelle la « Zone ». En particulier, l’amiral Zhuo Yin est souvent cité depuis qu’il a affirmé en mars 2010 que « l’Arctique appartient à tous les peuples du monde et aucun État n’y a de souveraineté », sans pourtant que l’on sache trop à quels espaces maritimes l’amiral pensait, ni si ses propos radicaux, certes relayés par l’agence China News Service, sont endossés par le gouvernement.

Toutefois, cette position, si elle devenait la politique officielle de la Chine, serait surprenante, car elle pourrait nuire aux intérêts chinois dans les mers de Chine du Sud et de l’Est. Il serait difficile pour Pékin, qui depuis des années cherche à faire reconnaitre ses revendications maritimes, de justifier l’extension des espaces maritimes chinois mais de nier ce droit aux États arctiques. De même, plusieurs analystes redoutent que la Chine ne conteste la souveraineté revendiquée par le Canada sur le passage du Nord-ouest ; or, si Pékin conteste le statut d’eaux intérieures affirmé par Ottawa sur ce passage, il sera difficile pour la Chine de défendre une revendication très semblable sur le détroit de Qiongzhou. De fait, en mars 2013, lors d’une rencontre entre chercheurs canadiens (dont F. Lasserre), représentants de l’ambassade du Canada, chercheurs chinois et responsables du Polar Research Institute of China (PRIC), les responsables scientifiques officiels chinois ont souligné que la Chine avait l’intention, à court terme, de demander la permission de transit par le Passage du Nord-ouest pour son brise-glace de recherche, reconnaissant ainsi implicitement la position canadienne.

B. Une diplomatie chinoise active

En parallèle aux activités scientifiques chinoises, le gouvernement chinois a aussi développé de nombreux partenariats politiques et économiques avec les pays arctiques, notamment avec le Danemark, l’Islande, la Suède et la Finlande. Ainsi, en Islande, depuis la crise financière qui a frappé l’île en 2008, profitant des préoccupations financières d’un gouvernement aux abois [2], la Chine occupe une place importante dans la vie économique du pays. L’aide financière de Pékin est jugée inestimable par le président islandais, Ólafur Ragnar Grímsson, qui a visité la Chine cinq fois au cours des sept dernières années et qui y fait la promotion de l’Islande en tant que centre logistique potentiel en Arctique.

Lors de visite officielle du premier ministre chinois de l’époque, Wen Jiabao, à Reykjavik, en avril 2012, la Chine a signé six accords de coopération avec l’Islande dans les domaines de l’énergie et des sciences et technologies, confirmant ainsi le partenariat ébauché dès 2010. En même temps, l’Islande a confirmé son appui à la candidature de la Chine en tant qu’observateur permanent au sein du Conseil de l’Arctique. En avril 2013, l’Islande et la Chine ont paraphé un accord de libre-échange.

Le gouvernement chinois a aussi développé de nombreux partenariats politiques et économiques avec les pays arctiques, notamment avec la Norvège (2001), le Danemark (2010). Ainsi, en mai 2010, le Danemark a accueilli la première délégation de commerçants et d’investisseurs chinois qui ont signé des contrats et des lettres d’intentions dans les domaines de l’énergie, de l’économie verte, de l’agriculture et de la sécurité alimentaire dont la valeur totale est estimée à plus de 740 millions d’US$.

Les accords signés portent principalement sur le développement de la coopération dans le domaine des recherches sur la navigation en Arctique, de l’exploitation des ressources naturelles, des échanges académiques et des recherches conjointes, mais aussi sur l’appui de la candidature de la Chine auprès du Conseil de l’Arctique. En effet, la Chine était candidate depuis 2008 comme observateur permanent au Conseil, un titre qui ne lui donnerait guère de levier décisionnel, mais lui permettrait de faire entendre sa voix dans ce forum intergouvernemental régional qui promeut la coopération et la concertation entre les pays arctiques. Ce statut lui permettrait de prendre part aux discussions et de faire valoir sa position sur les questions d’ordre général, mais il ne lui donnerait pas le droit de participer au vote des recommandations, droit réservé aux seuls huit pays membres. Après avoir échoué à obtenir ce statut en 2009, la Chine a renouvelé sa demande et a été admise en mai 2013 par les huit pays membres du Conseil. Le 15 mai 2013, le ministère des Affaires étrangères chinois s’est empressé d’affirmer alors qu’il reconnaissait la souveraineté des États riverains en Arctique, levant du même coup nombre de soupçons quant aux intentions chinoises à long terme.

La question de la participation de la Chine comme observateur permanent semble un enjeu majeur pour la diplomatie chinoise dans l’Arctique, non pas pour y infléchir la gouvernance de la région – le Conseil de l’Arctique prend très peu de décisions contraignantes pour les membres, et les observateurs n’y ont pas droit de vote – mais bien simplement pour y faire entendre la voix de Pékin au sujet de l’exploitation des ressources, du régime de navigation et de l’application de la Convention sur le droit de la mer.

C. Des intérêts d’ordre économique pour la Chine ?

Un intérêt pour l’extraction minière qui prend forme

La Chine ne s’intéresse pas qu’au Conseil de l’Arctique : au Danemark, Pékin a souligné le potentiel minier conséquent du Groenland. Des capitaux chinois importants ont été investis dans l’entreprise britannique London Mining, qui doit entamer l’exploitation d’une très importante mine de fer à Isua en 2015. Au Canada, Wisco envisage l’exploitation d’un gisement de fer majeur au lac Otelnuk (Nunavik). En janvier 2010, Jilin Jien Nickel, l’une des plus importantes productrices chinoises de nickel, a fait l’acquisition de Canadian Royalties Inc. afin d’exploiter un gisement de nickel situé près de la communauté inuite de Kangiqsujuaq, toujours au Nunavik. MMG envisage d’ouvrir deux mines majeures de zinc et de cuivre près du golfe du Couronnement, dans le Nunavut continental (Izok Lake et High Lake).

L’exploitation des hydrocarbures

La problématique arctique est aussi au cœur des relations sino-russes, abordée dans le cadre de discussions plus générales sur le partenariat stratégique et énergétique entre les deux pays. Il apparaît que, malgré la méfiance qui peut émailler les relations bilatérales malgré la signature des récents traités frontaliers, la Russie entend tirer parti de l’intérêt économique de la Chine pour l’Arctique. Moscou, qui contrôle le passage du Nord-Est et souhaiterait débuter prochainement l’exploitation massive des ressources naturelles dans sa zone arctique, voit en Chine un client potentiel pour la Route maritime du Nord (RMN) et un pourvoyeur possible des capitaux nécessaires pour mettre en place ce projet. Toutefois, l’exploitation de ces ressources en milieu arctique nécessite une expertise technologique très avancée ainsi que de l’équipement spécifique (plateformes de forage adaptées) dont la Chine ne dispose pas et que la Russie maîtrise mal, en témoigne les retards fréquents et les dépassements de coûts pour la mise en exploitation du gisement de gaz de Shtokman, en mer de Barents. Pour Pékin, y accéder suppose des investissements en recherche, développement et maîtrise des savoir-faire de l’ordre de plusieurs milliards de dollars. La Chine et la Russie conduisent également un programme de recherches scientifiques conjoint qui portent entre autres sur les problèmes techniques et technologiques de la construction de gazoducs et oléoducs dans les conditions arctiques et subarctiques.

Ces difficultés techniques dans l’exploitation des hydrocarbures et les coûts élevés des activités en Arctique ont poussé la Russie à chercher des partenaires à l’étranger, notamment en Chine, afin de faciliter l’exploitation, pour les gisements terrestres pour le moment. Trois compagnies chinoises ont proposé de fournir les capitaux ainsi que la main-d’œuvre nécessaires, China National Petroleum Corporation (CNPC), China National Offshore Oil Corporation et China Petroleum & Chemical Corporation Limited. Selon la presse russe, les discussions bilatérales russo-chinoises sont actuellement en cours afin de déterminer le niveau et le volume de la participation chinoise dans ce projet. Un accord majeur a été signé en juin 2013, CNPC acquérant 20% des projets de gaz auprès de Novatek. La plus grande partie du pétrole et du gaz que la Russie pense extraire des gisements arctiques est destinée au marché asiatique, et à la Chine en particulier. Face à ces développements et aux difficultés d’acquisition de la technologie de forage dans l’Arctique, la Chine sera sans doute davantage intéressée à acheter le pétrole extrait dans le cadre de contrats d’achat ou de sociétés mixtes, plutôt que de tenter d’acheter elle-même des sites d’exploitation. Plus récemment, à partir de 2011, la découverte d’importants gisements de pétrole de schiste en Chine a considérablement accru les réserves locales en pétrole : ces découvertes remettront-elles en cause l’intérêt de la Chine pour les hydrocarbures arctiques ?

La navigation dans l’Arctique

Ainsi, la première tentative de transporter les hydrocarbures russes vers la Chine en utilisant la RMN a été entreprise en août 2010. Le tanker Baltica, accompagné d’un brise-glace russe, a livré du condensat de gaz naturel de Mourmansk à Ningbo, au nord-est de la province chinoise de Zhejiang.

Ce premier essai a été suivi par la signature d’un accord sur la coopération à long terme dans le domaine de la navigation arctique et pour le développement de la Route maritime du Nord (RMN, nom commercial du segment du passage du Nord-est entre les détroits de Kara et de Béring) entre la société russe de transport maritime Sovcomflot et China National Petroleum Corporation (CNPC), en novembre 2010. Cet accord, déclaré officiellement partie intégrante de la stratégie de coopération énergétique sino-russe, a été signé en présence de Igor Setchine, vice-premier ministre de la Fédération de Russie et accessoirement président du conseil d’administration de la compagnie Rosneft, le deuxième plus grand producteur du pétrole russe, et de Wang Qishan, vice-Premier ministre du Conseil des Affaires d’État de la RPC. Cet accord souligne que la Chine ne conteste pas la souveraineté revendiquée par Moscou sur les eaux intérieures des archipels arctiques russes, et qu’il lui serait par conséquent difficile de contester par la suite la position canadienne, très semblable à la position russe.

En plus des conventions déjà existantes, cet accord détermine les modalités de l’utilisation conjointe du potentiel passage du Nord-Est, qu’il s’agisse de transit ou de transport des hydrocarbures en provenance des gisements pétrogaziers arctiques, soulignant l’intérêt mutuel de cette route : Moscou y voit le développement potentiel d’un lucratif partenariat, et Pékin une route rapide pour acheminer les matières premières dont la Chine a besoin. Moscou s’efforce de promouvoir la RMN comme route maritime internationale depuis 1991. En 2011, puis en 2012, plusieurs vraquiers ont transporté du minerai de fer chargé à Mourmansk ou à Kirkenes (Norvège) vers des ports chinois, en transitant par la RMN, et plusieurs pétroliers et méthaniers ont fait de même entre Vitino et la Chine.

Ainsi, les efforts russes pour développer le trafic maritime international le long de la RMN commencent-ils à porter leurs fruits. De 5 transits en 2010, on est passé à 34 en 2011, puis 47 en 2012 : des chiffres loin du trafic de Suez ou de Malacca, mais en croissance et essentiellement alimentés par l’exportation des ressources naturelles arctiques vers les marchés ultimes, Europe et Asie. Cependant, les entreprises de navigation commerciale chinoises ne se bousculent guère dans l’Arctique : tout le trafic est entre les mains de sociétés russes ou européennes, ce qui confirme le faible intérêt pour la navigation arctique des armateurs chinois.

De fait, la Chine semble davantage s’intéresser aux routes arctiques en ce qu’elles permettent d’accéder aux ressources naturelles, ressources qu’elle envisage d’acquérir selon les mécanismes du marché, qu’aux possibilités de transit, lequel globalement semble finalement peu intéresser les transporteurs maritimes. Toutefois, la presse chinoise a récemment annoncé la conclusion d’un accord entre les autorités russes et COSCO, un géant chinois de transport maritime, sur le passage de navires commerciaux avec des conteneurs dans la zone arctique russe. Le premier bateau, d’un tonnage de 19 461 tonnes, a quitté le port de Dalian, dans la province de Liaoning au nord-est de la Chine, le 8 août 2013. Signe du début de l’exploitation commerciale du passage du Nord-est par les Chinois, ou expérience politique avant tout, COSCO étant une entreprise d’État ?

Conclusion

Malgré la présence croissante de la Chine en Arctique et l’ancienneté des programmes de recherche, l’affirmation d’une volonté politique est un fait très récent, dont de nombreux éléments restent encore à découvrir et à étudier, car Pékin n’a pas encore articulé de doctrine officielle en la matière. L’analyse de l’évolution de la politique de Pékin envers l’Arctique durant ces quinze dernières années permet cependant de souligner l’existence d’une stratégie que la Chine met progressivement en place afin de défendre ses intérêts dans cette partie du monde.

D’une part, la Chine a réalisé un vaste programme de recherches polaires et a mis en place une vraie structure de gestion des activités chinoises en Arctique en renforçant ainsi sa présence dans cette région. D’autre part, en développant des relations avec les pays entourant l’océan Arctique et en participant de manière active aux débats internationaux au sujet de l’avenir de l’Arctique et du rôle de cette région dans le développement mondial, la Chine a réussi à se faire reconnaître comme l’un des acteurs principaux sur la scène arctique tout en n’ayant aucun accès géographique à cette région. Bien qu’il reste encore beaucoup d’inconnues dans l’équation Chine-Arctique, il semble que la Chine soit parvenue à atteindre un premier objectif dans ce dossier international : faire entendre sa voix dans la gouvernance régionale et disposer d’options sur le développement des ressources du marché via les mécanismes du marché. Enfin, il est certain que la Chine s’intéresse aux ressources naturelles et au potentiel en matière de transport maritime que présente l’Arctique : une intense activité diplomatique de la Chine et un fort dynamisme de ses entreprises dans la région s’efforcent de matérialiser les intérêts chinois, mais en cela, la Chine ne manifeste pas de comportement ni menaçant, ni différent de nombreux autres acteurs internationaux.

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[1L’Islande, au nord de l’Atlantique nord, n’est pas considérée par les pays du Conseil de l’Arctique comme étant riveraine de l’océan Arctique.

[2La Russie avait aussi tenté de tirer parti des tourments financiers islandais, lorsque Moscou a envisagé de débloquer un prêt de 4 milliards € en octobre 2008, prêt réduit par la suite à 500 millions $ puis finalement refusé par Moscou en octobre 2009 lorsqu’il devint clair que l’Islande avait obtenu un accord séparé avec le FMI et les pays scandinaves. En janvier 2012, la Chine a promis de soutenir la stabilité financière de l’Islande et sa croissance économique.

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