Géopolitique de l’Inde. Un long chemin reste à parcourir pour que l’Inde rejoigne les grands mais elle en a l’ambition et s’en donne les moyens. Elle devrait se hisser à la troisième place des puissances économiques mondiales en 2020, loin derrière les Etats-Unis et la Chine, mais son revenu par habitant restera faible. L’Inde veut que le monde reconnaisse son importance. Une admission comme membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU reste un objectif majeur de sa diplomatie. Quoiqu’il arrive, l’Inde comptera de plus en plus dans le monde, surtout si elle trouve un terrain d’entente avec la Chine.
Expert reconnu de l’Inde, le général (CR) Alain Lamballe livre ici en un langage clair une remarquable fresque de ce pays : histoire, géographie, économie, influence, relations avec la Chine, intérêts réciproques et rivalités entre l’Inde et les pays occidentaux, force militaire... Une invitation à la connaissance d’un pays qui comptera de plus en plus. Initialement publié en 2008, ce texte a été entièrement revu et actualisé par l’auteur en juillet 2016. Il s’agit donc ici d’une deuxième version, inédite.
Une publication du www.diploweb.com en synergie avec International Focus et l’IPSE.
AVEC près d’un milliard trois cents millions d’habitants, l’Inde ne peut plus être ignorée du monde. Elle ne l’ignore pas non plus et tourne son regard vers le large. Certes son auréole et sa puissance d’aujourd’hui paraissent faibles si l’on se réfère à la Chine voisine. Mais, elle aussi, s’éveille, son potentiel s’affirme et son rôle s’accroît dans les affaires du monde, aussi bien dans les domaines politiques qu’économiques et même militaires.
Analyser la montée en puissance indienne dans ces différents domaines est une nécessité afin de voir comment elle se décline par rapport à la superpuissance américaine et aux grandes puissances d’aujourd’hui et par rapport à la superpuissance de demain, la Chine. Le monde change et l’Inde contribuera à ce changement.
On ne peut comprendre l’Inde d’aujourd’hui sans se référer à son passé prestigieux qui imprègne l’élite du pays. Elle sera une grande nation parce qu’elle l’a déjà été. C’est écrit dans son destin. Ainsi raisonnent ses dirigeants depuis l’indépendance, quelle que soit leur couleur politique. La plupart des penseurs politiques contemporains qui effectuent des recherches dans les nombreux laboratoires d’idées du pays en témoignent. L’enthousiasme les porte. Tous les observateurs le constatent.
Par ses richesses, l’Inde a toujours attiré les convoitises étrangères. Alexandre le Grand a tenté sa conquête mais n’a pu atteindre que l’Indus avant de rebrousser chemin. Plus tard les Arabes l’ont abordée mais sans la conquérir. Des chefs afghans islamisés entreprirent sa conquête, réussirent en partie et momentanément. Ce furent les Moghols, musulmans eux aussi, venus d’Asie centrale qui s’installèrent durablement en Inde. Ils la contrôlèrent, presque entièrement, jusqu’à l’arrivée des Anglais. L’Inde s’est enrichie de cultures extérieures, plus ou moins absorbées, alors qu’elle avait été elle-même le foyer de grandes civilisations, dites de l’Indus et aryenne.
Cette diversité qui la caractérise est à l’origine de la laïcité de la plupart des régimes politiques indiens qui acceptent toutes les croyances et toutes les formes de pensée. Cette laïcité à l’indienne ne conduit pas à la recherche d’une société areligieuse, elle ne signifie pas une mise à l’écart de la religion car la sensibilité religieuse est présente à fleur de peau chez la quasi-totalité des Indiens, quelle que soit leur confession. Elle préconise au contraire une coexistence voulue et acceptée de toutes les religions. La diversité indienne se fond dans les échanges d’idées et d’opinions, favorisés désormais par les traductions automatiques entre les principales langues de l’Inde (hindi, ourdou, bengali, tamoul...).
Au sommet de l’État et de l’administration coexistent des personnalités de toutes origines et confessions. Ainsi, la fonction de Président de la République a été plusieurs fois tenue par un musulman. Le vice-président actuel est musulman. Le Premier ministre précédent était sikh et le Ministre de la Défense était chrétien. Le président du Parti du Congrès, principal parti d’opposition, est une chrétienne et de surcroît d’origine italienne. Les hauts fonctionnaires civils appartiennent à toutes les communautés, y compris tribales.
Certains généraux sont sikhs, musulmans ou chrétiens. Un ancien chef d’état-major de l’armée de l’air, musulman, devint par la suite ambassadeur en France. Le chef d’état-major précédent de l’armée de terre était sikh. Le poste de directeur du personnel de l’armée de terre a été un moment détenu par un général de corps d’armée chrétien. Incidemment, il avait été attaché militaire à Paris et avait exercé un commandement opérationnel au Bengale occidental, celui du corps d’armée de Bagdogra, en charge notamment du corridor appelé communément « cou de poulet » reliant le Nord-Est au reste de l’Inde, entre la Chine et le Bangladesh. On pourrait multiplier les exemples. Dans l’armée, les musulmans représentent cependant un pourcentage plus faible que dans la population.
Plus avec Diploweb. Vidéo de la conférence d’Alain Lamballe : L’Inde, pays émergent ou puissance mondiale ?
Dans les administrations civiles et militaires, la plupart des postes clés sont tenus par des hindous, ce qui est normal puisqu’ils sont majoritaires dans la population, mais le mérite reste, en général, le critère principal de sélection. La commission Sachar a toutefois établi dans un rapport rendu en 2006 que la communauté musulmane était globalement désavantagée. La responsabilité n’est pas seulement imputable aux hindous, les élites musulmanes ayant trop souvent délaissé leurs coreligionnaires. Parmi les hommes d’affaires qui ont le mieux réussi, se trouvent des musulmans, même si ceux-ci globalement paraissent en retrait dans le secteur privé.
Depuis son indépendance acquise en 1947, l’Inde n’a cessé de s’affirmer sur la scène internationale. Progressivement, d’État-objet, elle est devenue État-sujet. En fait, elle le fut déjà dans l’histoire grâce à ses sciences (les chiffres dits arabes, dont le zéro, sont en fait d’origine indienne, leur invention au VIe siècle de notre ère est généralement attribuée à un mathématicien cachemiri), sa médecine et sa littérature. Elle le fut grâce à ses théoriciens, mal connus, de la pensée politique (l’œuvre de Chanakya, qui vécut vers le IIIe siècle avant Jésus-Christ, évoque celle bien postérieure de Machiavel ; elle est complétée par les écrits de Tirouvallouvar, un Tamoul qui vécut sans doute au VIe siècle de notre ère donc lui aussi bien avant l’auteur du Prince). Elle le fut par son expansion, pacifique, en Asie du Sud-Est (notamment en Indonésie et au Cambodge) où son influence rencontra celle de la Chine (d’où le terme expressif d’Indochine pour désigner notre ancienne colonie). Son intérêt actuel pour l’Asie du Sud-Est a donc des antécédents historiques.
La situation de l’Inde, au sud du continent asiatique et au nord de l’Océan qui porte son nom dans lequel elle s’enfonce, la prédestine à jouer un rôle majeur. Elle en est consciente et les grandes puissances ont commencé à prendre en compte son importance grandissante.
Des problèmes internes retardent cependant la montée en puissance de ce vaste pays de quelque 3 200 000 km2, rassemblant près de 1 300 000 000 habitants et riche non seulement par la qualité de ses hommes et femmes mais aussi grâce à ses ressources naturelles. Diverses insurrections le déchirent. En plus du Cachemire, des mouvements autonomistes et séparatistes mènent une véritable guérilla en recourant à des actes terroristes en Assam et dans les autres États du Nord-Est. De plus, une rébellion maoïste sévit dans le centre et l’est du pays ; elle fut en liaison avec celle aujourd’hui terminée du Népal. L’Inde fait face avec des succès inégaux à toutes ces insurrections simultanées mais cela lui coûte cher en hommes et en moyens financiers. La lutte contre les organisations extrémistes mobilise de nombreuses forces paramilitaires et même militaires [1]. Les inévitables pertes collatérales et bavures nuisent à l’image de l’Inde dans le monde bien qu’elle continue d’être considérée comme une véritable démocratie dans un monde de plus en plus soumis au désordre, à l’arbitraire et à la force.
Les 900 millions d’hindous et les 160 millions de musulmans de l’Inde vivent le plus souvent en bonne intelligence mais les tensions « communalistes » (terme couramment utilisé) restent sous-jacentes. De véritables émeutes éclatent de temps à autre, parfois sous les prétextes les plus futiles. La fracture culturelle et religieuse entre les deux communautés existe et ne disparaîtra pas. Elle s’accentuera même par la simple arithmétique, la croissance démographique étant beaucoup plus grande chez les musulmans que chez les hindous. De plus, on se convertit à l’islam mais pas à l’hindouisme. On naît hindou, on ne le devient pas ou rarement. En revanche, des hindous de basses castes et des intouchables se convertissent au bouddhisme et aussi à l’islam. L’islam se veut égalitaire mais ne l’est guère car on y retrouve, transposés, les signes inégalitaires de la société hindoue.
Le monde change, tous les jours, peut-être plus vite que jamais, mais la puissance reste. La puissance reste, mais elle change elle aussi, tous les jours, dans ses modalités. Pourtant, il y a des fondamentaux. Lesquels ? C’est ce que vous allez découvrir et comprendre. Ainsi, vous marquerez des points. Des points décisifs à un moment clé.
Dans l’ensemble, le fédéralisme indien permet de prendre en compte les diversités ethniques, religieuses et linguistiques et d’atténuer les rivalités interprovinciales avec plus ou moins de bonheur. Les effets néfastes du système des castes s’estompent avec leur politisation. Les intérêts des basses castes et des intouchables sont pris en compte par des formations politiques qui arrivent parfois au pouvoir dans les provinces comme au centre, souvent au sein de coalitions. Cependant la démocratie fonctionne de manière imparfaite. La justice ne remplit pas son rôle, les criminels puissants échappant aux sentences qu’ils mériteraient. Certains entrent en politique et occupent même des fonctions parlementaires et ministérielles. Les systèmes d’enseignement primaire et secondaire connaissent de sérieuses défaillances compensées par une expansion des établissements privés, inaccessibles aux classes pauvres mais fréquentés par les élèves des classes moyennes et élevées. L’absentéisme des enseignants dans les établissements publics est courant. 400 000 ingénieurs sortent chaque année des universités et autres établissements d’enseignement supérieur, c’est-à-dire autant qu’aux États-Unis et plus que dans l’ensemble de l’Europe. Toutefois, les employeurs se plaignent parfois de leur niveau insuffisant. C’est notamment l’avis exprimé par la National Association of Software and Service Companies (NASSCOM). Des déficiences existent aussi dans le domaine de la santé. Des hôpitaux et cliniques privés, souvent de haut niveau, prennent le relais des établissements publics défaillants mais les couches défavorisées de la population n’y ont pas accès. Plus du tiers de l’électricité est volé ; ces pertes empêchent les investissements nécessaires et expliquent les fréquentes coupures dans la fourniture du courant. De manière générale, les administrations font preuve d’inefficacité et souffrent de corruption, un véritable fléau national.
L’économie indienne a amorcé une politique de privatisation à partir de 1990, soit bien après la Chine. Le Produit Intérieur Brut, actuellement de plus de 1 000 milliards de dollars, s’accroît à un rythme certes inférieur à celui de la Chine mais le pourcentage d’augmentation reste élevé, de l’ordre de 8 %, ce qui est considéré toutefois insuffisant compte tenu de l’accroissement démographique. La croissance est forte traditionnellement dans les services mais se constate aussi désormais dans le secteur manufacturier. L’Inde ne devient pas seulement le laboratoire du monde comme on l’a dit mais aussi un atelier du monde, au même titre que la Chine bien qu’à un rythme plus lent. Ses réserves de change s’élèvent à plus de 200 milliards de dollars.
L’Inde est désormais la quatrième puissance économique du monde, après les États-Unis, l’Allemagne et le Japon. Vers 2020, elle pourrait passer à la troisième place devant le Japon mais loin derrière les États-Unis et la Chine. Son essor est dû au développement du secteur privé où dominent des sociétés très compétitives, bien gérées et à un secteur bancaire moderne et efficace. Le nombre d’industries protégées a diminué. Toutefois, la privatisation marque le pas à cause de l’opposition des communistes qui même en perte de vitesse conservent de l’influence. Pour la même raison, la législation du travail, actuellement trop contraignante, ne peut être modifiée. Très rigide, elle rend difficile les licenciements et dissuade les investisseurs nationaux et étrangers. Bien que pouvant gouverner sans alliance, la formation au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien), n’arrive pas à faire voter une loi imposant une taxe à la valeur ajoutée ; de ce fait la fiscalité reste disparate, différente d’un Etat à l’autre et obsolète. De plus, l’assiette fiscale est faible, les revenus agricoles échappant à l’imposition.
La moitié de la population a moins de 25 ans. Cette jeunesse constitue un atout qui durera pendant plusieurs décennies, sans que l’Inde ait à soucier des problèmes de gens âgés. Elle est donc dans ce domaine avantagée par rapport à la Chine qui, elle, vieillit vite. Son potentiel scientifique s’affirme. A deux reprises la présidence du Conseil international des sciences a été assumée par un Indien.
L’Inde possède des pôles d’excellence bien connus, comme les biotechnologies, l’industrie pharmaceutique, la production de logiciels, l’industrie spatiale (un satellite d’observation avec une définition d’un mètre est en cours de réalisation)… Des revers graves ponctuent cependant son programme spatial, comme le montre l’essai manqué d’un lancement de satellite le 10 juillet 2006. Mais dans ce domaine aussi l’Inde a retrouvé le succès avec les lancements réussis de quatre satellites par une même fusée le 10 janvier 2007 et de vingt satellites le 22 juin 2016 et avec la récupération d’un vaisseau spatial le 22 janvier 2007.
L’Inde met en valeur ses points forts, notamment dans les zones économiques spéciales aménagées pour attirer les investissements étrangers, créer des emplois et dynamiser les exportations, par des incitations financières et des équipements de niveau international. La première, véritable oasis ultramoderne, est située à proximité de Chennai (nouveau nom de Madras). Mais cette politique connaît quelques déboires. La réquisition de terres agricoles, parfois riches, pour créer les zones économiques spéciales suscite de vives protestations. De même, les critiques fusent à l’égard des avantages fiscaux qui engendrent des pertes colossales pour l’État.
L’Inde excelle dans la construction de barrages (environ 4 000 ont été construits sur les grands fleuves et leurs affluents depuis l’indépendance), ... Un projet grandiose de relier tous les cours d’eau majeurs est à l’étude. S’il se réalisait, il permettrait de mieux répartir les ressources en eau, c’est-à-dire d’effectuer un transfert du nord, généralement bien doté, vers le sud aride. Le projet se heurte, en plus des implications financières, à une opposition des écologistes. De plus, la fonte des glaciers de l’Himalaya, provoquée par le réchauffement climatique, pourrait le remettre en cause. Dans l’état actuel des choses, les réseaux de distribution de l’eau dans les villes sont déficients, provoquant de fortes déperditions. De même, les campagnes utilisent l’eau pour l’irrigation de manière trop irrationnelle, ce qui engendre un énorme gaspillage. Pour assurer les besoins grandissants de sa population urbaine, permettre une nouvelle révolution agricole et satisfaire les demandes industrielles, l’Inde devra mieux gérer l’eau. Sinon, son développement sera compromis.
Le développement économique suppose une consommation d’énergie de plus en plus grande. À l’heure actuelle, la production d’électricité, surtout d’origine thermique, est insuffisante. Les délestages dans la distribution du courant électrique pénalisent les industries. L’énergie nucléaire constituera un appoint indispensable. L’énergie d’origine hydroélectrique devra de même être développée. L’Inde importe 70 % de son pétrole et sa dépendance en hydrocarbures grandira. Ses besoins devront être pris en compte dans la répartition mondiale du pétrole et du gaz. La construction de gazoducs à partir de l’Iran, par le Pakistan et à partir de l’Asie Centrale, par l’Afghanistan et le Pakistan paraît la meilleure solution, mais l’instabilité des régions traversées empêchent toute réalisation. Les capacités de raffinage de pétrole sont encore limitées. Les 18 raffineries indiennes sont de taille modeste. Mais celle de Jamnagar au Gujarat, dans le golfe de Kutch, est la plus grande du monde. Achevée fin 2008, elle exporte aux États-Unis près de la moitié de sa production.
L’agriculture traîne quelque peu et reste très soumise aux aléas de la mousson, souvent fort capricieuse. La production agricole stagne, les paysans souffrent de surendettement. Le nombre de suicides, parmi ceux du sud notamment, traduit le profond malaise des campagnes. L’autosuffisance alimentaire n’est plus garantie à cause de la raréfaction des terres agricoles, du manque d’eau et de l’augmentation de la population. En 2006, l’Inde a importé du blé comme elle l’avait déjà fait en 2000. La demande indienne pourrait bien devenir une donnée permanente, les États-Unis et l’Australie seront les fournisseurs de blé. La pollution généralisée des cours d’eau pose par ailleurs de graves problèmes de santé. Le 11e plan quinquennal (1er avril 2007-31 mars 2012) avait accordé la priorité au développement de l’agriculture mais les résultats n’ont pas été probants.
Les infrastructures routières, ferroviaires, aériennes et portuaires restent très insuffisantes. Un programme de construction de routes à grande circulation existe pour relier les quatre métropoles de Delhi, Kolkata (nouveau nom de Calcutta), Chennai et Mumbai (nouveau nom de Bombay) mais sa réalisation progresse lentement. Le port de Nava Sheva, près de Mumbai, se compare presque aux ports américains pour le traitement des conteneurs mais demeure l’exception. Globalement, la montée en puissance génère des inégalités entre les villes et les campagnes et entre les provinces, celles de l’ouest et du sud étant souvent les mieux loties. La place de l’Inde dans le commerce international reste faible mais s’accroît. Depuis fin 2006, une firme indienne, Infosys Technologies, est désormais cotée au marché américain du Nasdaq.
Des relations difficiles avec le Pakistan
Le Pakistan constitue pour l’Inde une gêne permanente qui l’empêche de réaliser pleinement ses projets régionaux et dans une moindre mesure mondiaux. À défaut de pouvoir la menacer, il maintient son pouvoir de nuisance au Cachemire en aidant les mouvements séparatistes et même dans le reste de l’Inde, affirment de nombreux commentateurs, notamment dans le Nord-Est, par l’intermédiaire du Bangladesh où l’extrémisme islamiste progresse. En fait, l’Inde accuse le Pakistan de laisser des mouvements extrémistes islamiques fomenter des attentats sur l’ensemble de son territoire ou de les organiser lui-même par l’intermédiaire de son principal service de renseignement, le Directorate of Inter-Services Intelligence (DISI), plus connu sous le simple signe ISI. De son côté, le Pakistan affirme dans les instances internationales que l’Inde viole les droits de l’Homme, au Cachemire tout particulièrement. Il dénonce aussi l’aide qu’elle apporterait aux mouvements de rébellion, notamment au Balouchistan. Les deux pays continuent de s’accuser mutuellement.
La coordination des secours pour venir en aide aux populations victimes du séisme du 8 octobre 2005 dans la partie du Cachemire administrée par le Pakistan a montré les limites d’un rapprochement. Certes, le cessez-le-feu, déclaré le 25 novembre 2003, est maintenu sur la ligne de contrôle que l’Inde considère comme sacro-sainte. En réalité des accrochages se produisent de temps à autre de part et d’autre de cette ligne et les deux belligérants s’accusent mutuellement. Aucun progrès n’apparaît dans le règlement du conflit du Cachemire où des attentats se produisent encore régulièrement dans la partie indienne. Aucun progrès non plus n’est enregistré en ce qui concerne la question spécifique du glacier du Siachen.
La circulation des personnes entre Srinagar, la capitale d’été du Cachemire indien, et Muzaffarabad, la capitale du Cachemire pakistanais, avait été autorisée au début de l’année 2005. Interrompue par le tremblement de terre, elle a été rétablie mais elle est insignifiante. D’autres points de franchissement, par exemple entre Rawalakot et Ponch, ont été ouverts le long de la ligne de contrôle pour faciliter le passage des secours après le tremblement de terre mais rien ne prouve qu’ils le resteront. Le transport de marchandises entre les deux Cachemire reste à l’état de projet.
En dehors du Cachemire, une voie ferrée a été ouverte entre Mirpurkhas au Sind et Munabao au Rajasthan. Elle s’ajoute aux lignes de bus reliant, par le poste frontière de Wagah/Attari, Lahore à Delhi et Lahore à Amritsar. Sur une frontière longue d’environ 2 400 km, il n’existe que ces deux points de passage routier et ferroviaire. Ces diverses facilités revêtent une importance relative du fait des sévères contraintes administratives (notamment l’absence de consulats en dehors des ambassades et les délais de délivrance des visas), nécessaires avant d’entreprendre les voyages entre les deux pays.
Par ailleurs, aucune solution n’apparaît pour régler le différend au large du Rann de Kuch, la présence possible d’hydrocarbures sous les fonds marins rendant difficile la définition de la frontière maritime.
Néanmoins des mesures de confiance subsistent. En plus des liaisons téléphoniques régulières entre états-majors des deux armées de terre et des rencontres, entre les commandants locaux des forces paramilitaires qui existent depuis longtemps, les organismes de sécurité maritime et garde-côtes échangent des informations. Les deux pays respectent leurs engagements, pris en 1988 et ratifiés en 1991, de communiquer chaque année la liste de leurs installations nucléaires, qu’ils s’engagent à ne pas attaquer. Dorénavant, ils s’informent aussi avant tout essai de missiles balistiques (l’accord exclut les missiles de croisière). Un mécanisme de lutte commune contre le terrorisme a été défini. Mais il ne fonctionne pas de manière satisfaisante.
Les échanges commerciaux entre l’Inde et le Pakistan restent limités. Ils se font en général par mer et par l’intermédiaire de pays tiers. Il n’existe pas de lignes maritimes directes entre les deux pays, par exemple entre Mumbai et Karachi et les promesses de les rétablir n’ont jamais été tenues. New Delhi accorde depuis 1995 la clause de la nation la plus favorisée, mais Islamabad refuse la réciprocité, craignant la concurrence.
Une prédominance régionale
Malgré la résistance et l’obstruction du Pakistan, l’Inde s’est d’abord affirmée comme une puissance régionale en Asie du Sud. Par sa taille, sa population et l’importance de son économie, elle domine ses partenaires régionaux qui subissent bon gré mal gré son hégémonie. En plus du Pakistan, le Bangladesh la conteste dans une moindre mesure et le Népal en souffre.
L’Inde privilégie la négociation bilatérale avec ses voisins plutôt que de recourir à une diplomatie multinationale au sein de la South Asian Association for Regional Cooperation (SAARC) qui regroupe les sept pays de la région (Inde, Pakistan, Bangladesh, Népal, Bhoutan, Sri Lanka et Maldives). C’est le seul pays à avoir une frontière avec tous les autres pays de l’association. Son Produit Intérieur Brut représente 80 % de celui de l’ensemble des pays membres de l’association et sa balance commerciale est positive avec chacun d’entre eux, ce qui suscite de vifs ressentiments. Elle ne trouve aucun intérêt à renforcer le rôle de l’association au sein de laquelle les six autres membres ont tendance à faire front uni face à New Delhi. Des problèmes majeurs comme celui de l’énergie et celui de la gestion des cours d’eau, qui souvent traversent plusieurs territoires nationaux, ne trouvent pas de solutions régionales mais seulement, et pas toujours, des arrangements bilatéraux [2] . L’adhésion de l’Afghanistan, décidée lors de la réunion de l’association en novembre 2005, porte le nombre de pays membres à huit. Elle ne peut qu’être favorable à l’Inde bien que la partie du Cachemire administrée par le Pakistan l’empêche d’avoir une frontière commune avec l’Afghanistan. Le Pakistan laisse passer les exportations afghanes, fort limitées, vers l’Inde mais interdit le transit par son territoire de produits indiens vers l’Afghanistan, pays charnière entre l’Asie du Sud et l’Asie centrale, et aussi vers l’Iran, pour des raisons politiques mais aussi par crainte d’être envahi, de manière détournée et clandestine, de produits indiens qui pourraient être bradés. New Delhi entretient avec Kaboul des rapports très cordiaux en lui accordant une aide dans divers domaines, notamment dans celui de la police. Cependant, il s’abstient d’intervenir dans la reconstruction de l’armée afghane pour ne pas susciter le mécontentement d’Islamabad ; quelques fournitures ont cependant été faites.
Malgré sa propension à une diplomatie bilatérale, l’Inde ne s’est pas opposée à l’établissement d’un accord de libre-échange au sein de la South Asian Association for Regional Cooperation, peut-être parce qu’elle y voit un moyen d’accéder plus facilement à des pays au-delà des limites occidentales de l’Asie du Sud, laquelle inclut désormais politiquement l’Afghanistan. Cet accord, connu sous le nom de South Asian Free Trade Agreement (SAFTA) est en vigueur depuis le 1er juillet 2006 mais en réalité ne fonctionne pas, en partie parce que le Pakistan refuse de l’appliquer à l’Inde car il craint une inondation de produits indiens, même si, simultanément, il se laisse envahir d’articles chinois. Les produits indiens ne sont admis qu’avec parcimonie, souvent par nécessité pour faire baisser les prix locaux.
Ouverture vers le Moyen-Orient et l’Asie centrale
Vers l’ouest, l’Inde s’apprête à conclure un accord de libre-échange avec le Conseil de Coopération du Golfe (CCG), réunissant l’Arabie saoudite, Oman, Koweit, Bahrain, Qatar et les Émirats arabes unis. De plus, le Conseil pourrait participer financièrement à la réalisation du vaste programme indien d’infrastructure. De son côté, l’Inde pourrait construire des établissements d’enseignement supérieur dans les pays du CCG. Elle s’intéresse en particulier aux Émirats arabes unis avec lesquels elle envisage de créer des entreprises conjointes dans des pays tiers, notamment arabes. La technologie indienne s’allierait à la finance arabe.
L’Inde développe aussi ses relations avec l’Iran qui répond favorablement pour rompre son isolement. L’opposition de New Delhi au programme nucléaire iranien n’a pas constitué un obstacle rédhibitoire pour l’application des accords déjà conclus. Un accord a été signé en 2003 sur la fourniture par l’Iran de pétrole et de gaz. Un autre accord a été conclu en 2005 pour la livraison de gaz liquéfié. L’Inde participe à la modernisation du port de Bander Abbas et à l’aménagement du port de Chabahar, stratégiquement bien situé à l’entrée du golfe d’Oman et de la mer d’Arabie. Elle contribue aussi à la construction, à partir de ce dernier port, de routes et voies ferrées, dans l’intention d’obtenir un accès à l’Asie centrale, en s’affranchissant du Pakistan. Les produits indiens destinés à l’Afghanistan ne pouvant traverser le Pakistan, le recours au transport maritime est nécessaire pour l’Inde. De plus, le Pakistan, bientôt le pays musulman le plus peuplé à cause d’un accroissement démographique totalement incontrôlé mais encouragé par les mouvements islamistes radicaux, deviendra de plus en plus instable, ce qui rendrait aléatoires tous les transports terrestres, même s’ils devenaient autorisés. L’Iran présente donc pour l’Inde un intérêt majeur d’autant plus qu’il lui permet de constituer un genre d’alliance à revers pour contenir le Pakistan. Le cas échéant, il lui offre aussi la possibilité de s’affranchir de l’Afghanistan, pays qui lui aussi restera instable longtemps, pour accéder à l’Asie centrale.
Ouverture vers l’Asie du Sud-Est et l’Extrême-Orient
L’Inde a aussi mis en œuvre une politique d’ouverture vers l’est. Elle a développé ses relations avec l’Asie du sud-est dont elle proche géographiquement grâce à ses archipels Andaman et Nicobar. Des réunions entre l’Inde et l’Association of South-East Asia Nations (ASEAN) ont désormais lieu régulièrement. Néanmoins, la réticence dont l’Inde fait preuve pour ouvrir son marché retarde la conclusion d’un accord commercial.
L’Inde participe, comme d’ailleurs le Bangladesh et le Pakistan, aux travaux de l’ASEAN Regional Forum (ARF), qui concentre son activité sur les problèmes de sécurité au sens le plus large. Des colloques ont lieu sur la sécurité maritime, l’un d’entre eux s’est déroulé en octobre 2005 à Cochin, au Kérala. Avec quatre autres pays d’Asie du Sud (Népal, Bhoutan, Bangladesh et Sri Lanka), elle est également membre de la Bay of Bengal Initiative for Multi-Sectoral Technical and Economic Cooperation (BIMSTEC), une association qui inclut par ailleurs la Birmanie [3] et la Thaïlande mais dont le Pakistan est exclu. Les relations bilatérales avec tous les pays de l’Asie du Sud-Est connaissent un développement rapide malgré la rigide législation indienne. Avec l’Indonésie, un dialogue stratégique a été établi et fonctionne sur la base de réunions annuelles. Les relations s’intensifieront pour inclure une coopération dans le domaine spatial avec l’installation dans la province indonésienne d’Irian Jaya d’une station indienne de poursuite de satellites.
Grâce à l’appui du Japon, l’Inde participe aux réunions de l’Association de l’Asie orientale. Elle est désormais le premier bénéficiaire de l’aide japonaise au développement. Mais, compte tenu des potentialités, les échanges commerciaux bilatéraux demeurent relativement faibles.
Ouverture vers le reste du monde
La communauté musulmane de l’Inde qui rassemble environ 160 000 000 personnes, soit autant que la population du Bangladesh mais moins que celle du Pakistan, lui procure quelques avantages pour diversifier ses relations internationales mais elle peut aussi réduire sa liberté de manœuvre. Elle constitue à la fois un atout et un obstacle. L’Inde voudrait être admise à l’Organisation de la coopération islamique mais le Pakistan s’y oppose.
L’Inde s’est dotée d’un programme de coopération, encore modeste, mais elle a déjà acquis une bonne réputation dans la reconstruction de certains pays en crise dont l’Afghanistan. Par ailleurs, elle développe ses relations avec les pays africains, notamment mais pas seulement ceux de la côte orientale dont l’Afrique du Sud. De même, les relations se multiplient avec les pays sud-américains, notamment le Brésil et le Chili avec lequel est négocié un accord de libre-échange.
La Russie a invité l’Inde et l’Iran à se joindre à titre d’observateurs à l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) qui réunit la Russie, la Chine et quatre pays d’Asie centrale, issus de l’Union soviétique (Ouzbékistan, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan). La Chine ne s’y est pas opposée mais a exigé un statut identique pour le Pakistan. En 2017, l’Inde et le Pakistan devraient devenir membres à part entière de l’OCS. New Delhi renforcera ainsi sa présence en Asie centrale. Cette organisation concentre son attention sur les problèmes sécuritaires, y compris le terrorisme, mais s’intéresse de plus en plus aux questions économiques, y compris les approvisionnements énergétiques.
L’influence indienne se fait donc sentir bien au-delà de l’Asie du Sud. L’Inde contribue à revitaliser le mouvement des pays non-alignés, bien qu’il n’ait plus guère d’utilité. Même si elle n’est pas membre permanent du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies, ses avis de grande puissance économique et militaire, dotée de l’arme nucléaire, ne peuvent être ignorés. Comme la Chine, elle n’appartient pas à l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) ni à l’Agence Internationale de l’Énergie. Cependant, au même titre que la Chine, elle est associée à la résolution des grands problèmes auxquels est confrontée l’humanité, comme par exemple la crise de l’énergie et le réchauffement climatique. Son rôle au sein du G 20, aux côtés de la Chine et du Brésil, s’affirme pour défendre les intérêts des pays en voie de développement. Elle figure parmi les pays qui dénoncent avec le plus de vigueur les subventions accordées par les pays développés aux produits agricoles et demandent un accès facilité aux marchés européen et américain. Son influence au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) grandit, grâce à une coopération étroite avec non seulement la Chine et le Brésil mais aussi l’Afrique du Sud.
Une forte présence dans le domaine de la culture conforte la place prééminente de l’Inde dans le monde. On assiste à une véritable renaissance de son influence culturelle. Son cinéma, sa musique, ses arts, ses danses connaissent de francs succès sur tous les continents. Désormais, une journée internationale est consacrée au yoga, le 21 juin de chaque année. La mode indienne suscite un certain engouement. On pourrait même ajouter que l’Inde est une grande puissance gastronomique, sa cuisine étant connue dans le monde entier. Un économiste indien Amartya Sen a reçu en 1998 le prix Nobel d’économie pour ses travaux sur l’origine des famines. La littérature indienne est reconnue. Pour la seconde fois en vingt ans, l’Inde a été en 2006 l’invité d’honneur de la Foire aux livres de Francfort sur le Main, la plus ancienne et la plus vaste du monde. Elle a été également à l’honneur au printemps 2007 au Salon du livre à Paris. C’est une jeune romancière de père indien et de mère à moitié allemande qui a reçu en 2006 le prix Man Booker, la plus haute récompense littéraire au Royaume Uni pour son livre The inheritance of loss. Elle devient ainsi le troisième Indien à le remporter après Salman Rushdie, l’auteur des très controversés Versets sataniques et Arundhati Roy, le défenseur bien connu des opprimés. La puissance douce (soft power) s’affirme.
De sérieux différends opposent toujours l’Inde et la Chine, dont la délimitation de la frontière, le litige portant sur quelque 130 000 km² dans l’Himalaya. La construction, envisagée mais non encore décidée, d’un énorme barrage sur le Brahmapoutre avant qu’il ne pénètre en Assam provoquerait de vives tensions entre les deux pays mais aussi entre la Chine et le Bangladesh. Il est possible que la Chine y renonce mais elle édifie néanmoins divers ouvrages sur le fleuve et ses affluents. Par ailleurs, Pékin s’oppose à l’entrée de l’Inde au Conseil de Sécurité de l’ONU comme membre permanent et à son admission au sein du Nuclear Suppliers Group ((NSG).
Les deux pays se livrent à une certaine compétition en Asie. L’Inde perçoit des desseins inamicaux dans des initiatives chinoises au Pakistan et en Birmanie. Celles-ci se manifestent par la construction de routes, la participation à la construction au Pakistan du port en eau profonde de Gwadar (qui pourrait servir de base pour les navires de guerre, en plus de la base navale d’Ormara, également sur la côte de Makran), l’utilisation des ports de Mergui, Dawei, Thandwe et Sittwé en Birmanie et l’installation d’une station d’écoute à Hanggyi dans une île birmane, au large de l’Arakan. La création d’un couloir de coopération économique reliant le Xinjiang chinois au Pakistan, plus précisément Kashgar à Gwadar, en traversant le territoire contesté du Cachemire, mécontente vivement l’Inde.
Par ailleurs, la Chine a modernisé le port de Hambantota, dans le sud du Sri Lanka et va accroître la capacité du port, déjà important, de Colombo, la capitale. Sa vaine tentative, encouragée par le Pakistan, mais démentie par Pékin, de créer une base de sous-marins sur l’île de Marao aux Maldives, a encore renforcé les craintes indiennes.
Pour contrer l’emprise chinoise en Birmanie, l’Inde estime désormais nécessaire de développer ses relations avec ce pays. La libéralisation du régime politique birman, concomitamment avec le relatif retrait de la vie publique des militaires, facilite le rapprochement entre les deux pays. L’Inde envisage en particulier d’importer du gaz mais le Bangladesh pose trois conditions pour la construction d’un gazoduc qui traverserait son territoire : possibilité d’importer de l’électricité d’origine hydraulique du Bhoutan et du Népal, droit de transit vers le Népal et le Bhoutan et rééquilibrage des échanges commerciaux. Initialement, l’Inde semblait très réticente pour les deux premiers points car elle ne voulait pas de contacts trop étroits entre le Bangladesh, le Népal et le Bhoutan. Mais le rapprochement entre New Delhi et Dacca a fait disparaître ces réticences. L’Inde a obtenu du Bangladesh la possibilité de faire transiter par voies terrestre et ferroviaire, et pas seulement fluviale comme c’était le cas actuellement, hommes et marchandises entre le Bengale occidental et les États du Nord-Est, qui sont quasiment enclavés. Une autorisation d’accès pour l’Assam et les autres États du Nord-Est au port de Chittagong serait considérée comme un geste positif par New Delhi. Elle devrait se concrétiser. Pour les Indiens, le Bangladesh contribuerait à faciliter l’ouverture vers l’Asie du Sud-Est. Il constituerait un lien entre l’Inde et la Birmanie. En cas d’impossibilité politique de construire à travers le Bangladesh un gazoduc reliant les gisements birmans aux utilisateurs indiens, New Delhi envisage un nouveau tracé qui rejoindrait l’État du Mizoram par la vallée du fleuve Kaladan puis l’Assam et le Bengale occidental. Par ailleurs, pour ne pas laisser le champ libre à la Chine, l’Inde accorde une aide militaire à la Birmanie. Ce faisant, elle espère obtenir en plus la coopération de ce pays pour mener des opérations conjointes contre les insurgés du nord-est indien.
La Chine, par l’intermédiaire de sa province du Xinjiang, commence aussi à manifester son intérêt pour l’Afghanistan où l’Inde a accru son influence depuis la chute du régime taliban.
L’appui chinois naguère accordé au roi du Népal dans sa lutte contre les insurgés maoïstes, qui incluait la fourniture d’armes, chagrinait l’Inde qui avait suspendu son aide militaire dont elle avait l’exclusivité, pour exprimer son mécontentement au sujet de la suppression de la démocratie. Profitant du refroidissement des relations entre l’Inde et le Népal en 2016, la Chine développe ses relations avec ce dernier. Une voie ferrée reliera bientôt Lhassa à la frontière népalaise avant de rejoindre ultérieurement Katmandou.
Les tentatives chinoises de trouver une entente avec le Bhoutan sur la définition des frontières la préoccupent car elle craint que Thimphu ne fasse des concessions trop importantes, notamment dans la vallée de la Chumbi, d’une importance stratégique pour les Indiens car elle commande l’accès au corridor reliant le Bengale occidental à l’Assam. La Chine cherche à s’incruster de plus en plus dans l’Himalaya à partir du Tibet.
Malgré la présence grandissante de la Chine en Asie du Sud et sur ses franges, les points de convergence entre l’Inde et la Chine se précisent. L’admission de la Chine en 2009 comme membre observateur au sein de la South Asian Association for Regional Cooperation, celle de l’Inde en 2017 comme membre à part entière de l’Organisation de Coopération de Shanghai rapprochent les deux pays. La reconnaissance quasi-officielle de l’appartenance du Sikkim à l’Inde, a favorisé le rapprochement avec New Delhi. Les deux pays coopèrent dans de nombreux domaines et trouvent de plus en plus des terrains d’entente. Ils refusent un monde unipolaire dominé par les États-Unis et prônent un monde multipolaire. Ils en seraient des pôles au même titre que les États-Unis, le Japon, la Russie, l’Union européenne, le Brésil et l’Afrique du Sud. L’Inde et la Chine ont établi un partenariat stratégique le 11 avril 2005 dont le contenu reste cependant vague. Elles se rapprochent toutes les deux de l’Iran.
Un trinôme Inde-Chine-Russie se forme, concrétisé par des réunions régulières des ministres des Affaires étrangères des trois pays. Moscou et Pékin veulent éviter que l’Inde tombe dans l’orbite américaine.
Comme le Pakistan, l’Inde envisage, dans l’état actuel des choses, de ne pas tenir compte de l’opposition des États-Unis à la construction d’un gazoduc à partir de l’Iran, par le territoire pakistanais. La Chine pourrait en profiter si ce gazoduc était prolongé jusqu’à la province du Yunnan via l’Inde. Des attentats terroristes majeurs répétés en Inde, comme ceux de New Delhi le 29 octobre 2005 et de Mumbai le 11 juillet 2006, pourraient suffire pour que l’idée soit abandonnée dans le sillage du refroidissement des relations qui ne manquerait pas de suivre entre le Pakistan et l’Inde. Un gazoduc traversant le Pakistan pour rejoindre le Xinjiang semble une alternative plus sûre pour la Chine malgré les difficultés techniques dues à la traversée du Karakoram. Un tel tracé serait aussi plus attrayant pour le Pakistan puisqu’il éliminerait l’Inde au profit de la Chine. Dans les deux cas, l’Iran serait assuré d’avoir des clients de taille respectable, l’Inde ou la Chine. Une combinaison des deux options n’est pas, non plus, à éliminer.
L’Inde et la Chine entrent parfois en concurrence sur les marchés mondiaux avec un très net avantage pour la seconde (par exemple les échanges commerciaux de la Chine avec l’Amérique latine sont dix fois supérieurs à ceux de l’Inde). Mais elles constituent l’une pour l’autre de grands marchés potentiels, bien que les productions puissent être semblables. Elles sont prêtes à développer leurs échanges commerciaux par voie maritime surtout mais aussi par voie terrestre. À cette fin, elles améliorent le réseau routier de part et d’autre de l’Himalaya, franchissable au moins à certaines périodes de l’année par de nombreux cols et des vallées. Mais l’Inde avec une grande prudence car l’armée a toujours exprimé des réserves, ne voulant pas faciliter les mouvements de troupes chinoises en cas de conflit armé. Le col de Nathu (Nathu La, La signifiant col en tibétain), réouvert en 2006, constitue le troisième point de passage après ceux de Shipki La en Himachal Pradesh et de Lipulekh en Uttaranchal. La Chine et l’Inde pourraient aussi réhabiliter la route historique, à laquelle le général américain Stilwell a donné son nom, qui fut construite pour aider la Chine à faire face aux Japonais au cours de la Seconde Guerre mondiale, à partir de l’Assam à travers la Birmanie.
En développant les liaisons terrestres transhimalayennes, l’Inde reste consciente du risque d’être submergée de produits chinois comme le sont ses voisins. Déjà les importations par voies maritimes sont considérables et déséquilibrent les échanges. New Delhi prend des mesures de protection tout en respectant, dans la mesure du possible, les règles internationales. Les échanges commerciaux ont atteint 75 milliards de dollars en 2015, ce qui constitue une progression considérable, et pourraient atteindre 100 milliards de dollars en 2020. Ils s’assimilent en fait à des relations entre un pays développé, la Chine, exportant des produits élaborés et un pays en voie de développement, l’Inde, fournissant des matières premières.
La Chine devance nettement l’Inde dans le domaine de la recherche scientifique, même si elle a du retard dans certains domaines comme celui des logiciels. À titre d’exemple, le nombre des publications scientifiques chinoises, en pleine progression, atteint annuellement 55 000, à comparer au chiffre de 19 000 pour l’Inde. Ces deux pays représentent désormais une part importante des contributions mondiales à la recherche. Ils développent leur complémentarité en créant des entreprises conjointes, concernant l’électronique, l’industrie automobile et l’industrie textile. Des entreprises indiennes s’installent en Chine et des entreprises chinoises en Inde. C’est dire l’importance que la Chine accorde désormais à l’Inde, bien que celle-ci fasse quelquefois preuve de réticence pour des raisons de sécurité et par crainte d’une trop forte concurrence.
Bien qu’étant concurrents dans la recherche de sources d’énergie, en Asie centrale notamment, ils se sont mis d’accord pour prospecter en commun des gisements de pétrole et de gaz en Iran et au Soudan, au détriment des pays occidentaux. Des coopérations semblables en Afrique, en Asie et en Amérique latine sont à l’étude.
Des relations se sont également nouées dans le domaine militaire avec des visites réciproques et même quelques manœuvres navales communes.
Au sein des enceintes internationales, les deux pays adoptent des positions communes qui revêtent souvent une nette connotation anti-occidentale. Le développement des relations sino-indiennes pourrait toutefois être compromis par un rapprochement indo-américain qui se renforce. En voulant améliorer simultanément ses relations avec les deux pays, New Delhi se livre à un exercice difficile.
Les États-Unis prennent l’évolution des relations sino-indiennes au sérieux. Une entente étroite entre l’Inde et la Chine aurait des effets néfastes pour eux et l’ensemble du monde occidental. Washington s’efforce non seulement de contrer tout rapprochement entre New Delhi et Pékin mais de convaincre New Delhi d’adopter une stratégie commune à l’égard de la Chine.
L’Inde apparaît pour les États-Unis comme un allié de poids potentiel, à long terme, pour pallier la montée en puissance de la Chine. Des valeurs démocratiques communes les unissent, de même que la lutte contre le terrorisme islamique. Le Pakistan, au régime militaire à caractère semi-dictatorial, n’est qu’un pays provisoirement ami, utile à court terme, pour agir en Afghanistan et lutter contre le terrorisme. Mais les Américains sont conscients qu’il joue parfois un double jeu et s’en méfient. Au bon vouloir de Washington, il peut aussi servir de contrepoids à l’Inde si celle-ci se montre trop récalcitrante. Les autorités américaines se ménagent la possibilité d’utiliser le pays le plus faible pour soumettre le plus fort et le cas échéant l’amener à résipiscence.
L’Inde constitue un élément essentiel dans la politique américaine d’encerclement ou tout au moins de neutralisation de la Chine sur son flanc sud, politique qui connaît de sérieux déboires par ailleurs, en Asie centrale ex-soviétique et même en Afghanistan. À défaut d’être un véritable allié, l’Inde peut à long terme servir les intérêts américains. Son expertise dans les opérations de maintien de la paix, dans l’assistance humanitaire et la reconstruction de pays dévastés par des catastrophes ou des conflits ainsi que sa capacité à surveiller des zones maritimes intéressent Washington. Des navires de guerre indiens accompagnent déjà des bâtiments de la marine marchande américaine vers le détroit de Malacca, infesté de pirates. De telles tâches, accomplies par l’Inde, déchargent l’Amérique et lui permettent de remplir des missions plus importantes, demandant davantage de moyens, en Asie et ailleurs. Autrement dit, l’Inde pourrait assumer des opérations sécuritaires de basse intensité et les États-Unis se réserver les actions de plus grande envergure. Ainsi, l’Inde aurait le sentiment, tout à fait justifié, de ne pas faire partie d’une alliance militaire et de préserver son autonomie de décision, tout en apportant un concours appréciable à l’Amérique.
Pour des raisons aussi bien politiques qu’économiques, les États-Unis ont créé un partenariat stratégique avec l’Inde qu’ils ne regardent plus avec condescendance. L’Inde devient un acteur économique majeur. Le marché mondial du pétrole devra tenir de ses besoins grandissants pour alimenter une industrie en plein essor. Les États-Unis ont proposé dans l’accord du 18 juillet 2005 une aide dans le domaine nucléaire civil sous réserve d’une séparation claire et nette des programmes civil et militaire et d’un engagement de non-prolifération. Après ratification par le Sénat américain, l’accord est entré en application le 8 octobre 2008. L’Inde a, jusqu’à présent, fait figure de modèle d’État non-proliférant, à l’opposé du Pakistan voisin. Malgré les contraintes imposées, les Indiens seront gagnants car ils auront accès à des technologies nucléaires de pointe. En définitive, les mêmes avantages sont offerts à l’Inde qu’aux États signataires du Traité de Non-Prolifération. Le 27 juin 2016, l’Inde a été admise, grâce à l’appui américain, au sein du Missile Technology Control Regime (MTCR) qu’elle voulait depuis longtemps rejoindre. Désormais reconnue sur le plan mondial comme un pays responsable et non proliférateur, elle dispose ainsi d’un moyen de convaincre la communauté internationale qu’elle pourrait aussi être admise au Nuclear Suppliers Group (NSG). Le soutien américain et de manière générale des puissances occidentales est acquis.
Les Indiens ne sont pas dupes du spectaculaire revirement américain, de l’abandon de toutes les sanctions imposées après les essais nucléaires de mai 1998. En fins diplomates, en négociateurs habiles et intransigeants, ils en tireront tous les avantages possibles, sans renier leurs convictions et en faisant le minimum de concessions, en sauvegardant en particulier leur approvisionnement énergétique et leur programme nucléaire militaire et en poursuivant une politique de rapprochement avec la Chine et la Russie, y compris avec ce dernier pays dans les domaines nucléaire et spatial (système de navigation satellitaire Glonass à usage civil et militaire). Ils n’accepteront pas un durcissement des conditions que pourraient exiger les législateurs américains. Certains opposants au gouvernement actuel estiment cependant qu’il sera impossible de faire la séparation entre programmes civils et militaires et que les Américains auront en fait un droit de regard sur les armes nucléaires. Ils jugent qu’à terme, avec les amendements imposés par Washington au texte initial, New Delhi perdra son indépendance de jugement et la possibilité de moderniser son arsenal. En votant contre l’Iran lors d’une consultation au sein de l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’Inde a cédé aux pressions américaines, voulant à tout prix obtenir une aide pour moderniser ses centrales nucléaires et de manière générale son programme nucléaire civil. Ce faisant, elle a compliqué, mais sans doute pas compromis, la réalisation du gazoduc en provenance d’Iran et transitant par le Pakistan, dont elle a aussi grandement besoin. Par son vote, l’Inde veut aussi montrer qu’après avoir rejoint le club des nations nucléaires déclarées, elle entend fermer la porte après elle, obligée d’admettre cependant que le Pakistan s’y est engouffré au tout dernier moment. Le rapprochement entre les Etats-Unis et l’Iran facilite l’établissement de relations plus étroites entre l’Inde et l’Iran.
L’Inde a besoin des technologies américaines et européennes, jugées supérieures à celles de la Russie, notamment et prioritairement dans les domaines nucléaire et spatial, considérés comme d’importance stratégique. La communauté internationale reconnaît l’intérêt d’une participation indienne au projet de réacteur expérimental thermonucléaire international (International Thermonuclear Experimental Reactor - ITER). De même, la collaboration indienne à la réalisation du système européen de navigation satellitaire Galileo est acquise. L’Inde recherche également la coopération des pays occidentaux pour moderniser ses infrastructures aéroportuaires, portuaires et ferroviaires.
De leur côté, les pays industrialisés et les sociétés multinationales prennent conscience de l’importance du marché indien dans les domaines civil et militaire qu’ils ne peuvent plus négliger. Les États-Unis estiment que les avantages consentis dans le domaine nucléaire favoriseront l’accroissement des contacts politiques, concrétisant ainsi le partenariat stratégique et qu’ils seront également profitables à leurs firmes dans tous les secteurs de l’activité économique et même pour la vente de systèmes d’armes. L’expression des demandes d’équipements les plus divers suscite la plus vive attention en Europe comme en Amérique et les Indiens sauront jouer de la rivalité grandissante entre les deux continents. Sur le marché aéronautique en pleine expansion, le duel auquel se livrent Boeing et Airbus pour fournir les compagnies aériennes indiennes, nationales et privées, en constitue une illustration. Boeing a engrangé une commande de 68 avions commerciaux. Airbus envisage d’investir pour plus d’un milliard de dollars en Inde dans les dix prochaines années (2007-2016) dans la réalisation d’un centre d’entraînement pour les pilotes d’avions A 320 de l’ensemble de l’Asie, d’un centre de recherche et d’un centre d’entretien et de réparation. Une délocalisation en Inde plutôt qu’en Chine de certaines activités industrielles, en complément de celles qui existent déjà dans le domaine des services, peut paraître préférable à la Maison Blanche comme aux capitales européennes. C’est, peut-être, pour les gouvernements occidentaux un moindre mal. General Motors et Motorola envisagent de construire des usines dans les parties occidentale et méridionale de l’Inde. Posco, un fabricant d’acier sud-coréen et Mittal Steel, le conglomérat basé aux Pays-Bas, ont des plans pour ériger des usines géantes sur la côte orientale. La compagnie américaine de grande distribution Wal-Mart a conclu en novembre 2006 un accord avec la société indienne Bharti Enterprises pour installer des magasins. L’Allemagne investit très fortement dans de nombreux domaines, y compris dans le secteur automobile. Les compagnies françaises Lafarge, Saint-Gobain, Alstom et d’autres sont présentes en Inde depuis longtemps. Depuis 2006, Renault coopère avec une firme indienne.
Cependant, les investissements directs étrangers en Inde restent plus de dix fois inférieurs à ceux allant en Chine, qui possède pourtant un système bancaire beaucoup moins performant. L’imposition de pourcentages maxima aux investisseurs non nationaux ont longtemps découragé l’arrivée de fonds. New Delhi vient d’autoriser les investisseurs étrangers à détenir jusqu’à 100 % des capitaux (au lieu de 49 % précédemment) dans les entreprises de défense et dans certains autres secteurs clés. Les dirigeants indiens espèrent que cette libéralisation favorisera la modernisation de l’industrie de défense, la réduction des importations militaires, l’amélioration des infrastructures et la création d’emplois.
Des centres de recherche de grandes compagnies occidentales s’installent en Inde où existe la matière grise. La délocalisation ne porte plus que sur les emplois de base. Les emplois hautement qualifiés sont désormais concernés.
Des hommes d’affaires indiens du secteur privé investissent aux États-Unis, en Australie et en Europe, pas seulement dans les technologies de l’information où ils excellent mais aussi dans les secteurs les plus divers. Dans le domaine de l’énergie, l’Inde participe aux explorations de pétrole et de gaz dans les îles russes Sakhaline et s’apprête à coopérer avec la Turquie pour des prospections dans les pays tiers, au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique.
Par ailleurs, les industriels indiens rachètent des firmes occidentales et veulent s’étendre dans le monde, tout particulièrement en Asie du Sud-Est, en Afrique et en Amérique latine. Le rachat en juillet 2006 d’Arcelor par Mittal Steel, dirigé par un Indien, a été considéré comme une éclatante victoire, même si Mittal n’est pas installé en Inde mais aux Pays-Bas. En octobre 2006, Tata Steel Limited, l’une des nombreuses sociétés du conglomérat Tata, déclarait vouloir acquérir la société anglo-néerlandaise Corus, basée à Londres, après avoir racheté le Singapourien Natsteel Asia et 40 % du Thaï Millenium Steel. L’acquisition a été faite en janvier 2007. Elle devient ainsi la cinquième firme mondiale dans le secteur de l’acier. En 2004, Tata Motors s’est emparé de la firme coréenne Daewoo Truck. Avec l’acquisition en 2005 de la plus grande compagnie chilienne de services informatiques, Tata Consultancy Services a consolidé ses positions en Amérique latine où il est présent dans quatorze pays.
Le groupe Tata s’intéresse aussi à l’hôtellerie. Par l’intermédiaire de l’Indian Hotels Company Ltd (IHCL), il possède l’Hôtel Pierre à New York. Il s’était porté acquéreur du Ritz-Carlton à Boston, en Nouvelle-Angleterre, en 2006 mais s’en est séparé en 2016. Quatre projets luxueux ont vu le jour, trois en 2008 à Doha (Qatar), à Dubai (Émirats arabes unis) et à Cape Town (Afrique du Sud) et un en 2009 à Phuket (Thaïlande). La chaîne possède aujourd’hui près de 80 hôtels à travers le monde.
En mars 2006, Dr Reddy’s Laboratories, l’un des fleurons de l’industrie pharmaceutique indienne pour les médicaments génériques, a acquis la plus grande firme allemande productrice de génériques, Betapharma. Suzlon, le constructeur indien d’éoliennes, a acheté en mai 2006 la société belge Hansen. Dans un domaine plus inattendu, United Breweries de Bangalore, célèbre pour sa bière Kingfisher, a racheté un producteur de vin de la Loire, Bouvet-Ladubay après avoir échoué dans sa tentative de rachat du Champagne Taittinger. Tata Tea s’est approprié le groupe anglais Tetley et a acquis le tiers de la société sud-africaine Joekels et de la compagnie américaine Energy Brands.
Parfois, des sociétés indiennes s’associent à des établissements américains pour acquérir des firmes étrangères. Ainsi, en septembre 2006, Videocon s’est associé au fonds américain Ripplewood pour prendre possession de la compagnie sud-coréenne Daewoo Electronics.
Par ses initiatives multiples résultant d’un dynamisme conquérant, l’Inde est devenue un acteur majeur du capitalisme mondial. L’emprise de ses sociétés privées est en général mieux acceptée que celle de la Chine dont les entreprises appartiennent souvent à l’État ou se trouvent sous son contrôle.
La diaspora indienne, nettement moins nombreuse que la chinoise mais tout de même évaluée à plus de 25 millions de personnes, donne à New-Delhi une ouverture sur le monde, tout particulièrement vers le Moyen-Orient, l’Europe et les États-Unis mais aussi autour de l’océan Indien et dans l’océan Pacifique. Elle contribue à développer les relations commerciales et effectue des versements d’argent significatifs vers le pays d’origine. Un ministère a été spécialement créé pour les Indiens résidant à l’étranger dont l’importance est désormais reconnue par New Delhi.
Des cadres indiens travaillent dans de nombreuses sociétés américaines et européennes. Certains en prennent même les commandes, comme cela a été le cas en 2006 pour PepsiCo aux Etats-Unis. C’est un Américain d’origine indienne qui est le co-fondateur de Hotmail (web-based email system), Une Indienne de naissance, émigrée aux États-Unis, est la vice-présidente et la directrice mondiale de la recherche du groupe américain Motorola, dirigeant ainsi 26 000 ingénieurs et chercheurs répartis dans le monde. Le directeur de la recherche chez Yahoo est aussi d’origine indienne. Beaucoup de dirigeants des sociétés de haute technologie de la Silicon valley sont des Indiens. Les Indiens sont présents au sein de l’Agence Spatiale Européenne. En Europe, le Royaume-Uni, l’ancienne puissance coloniale mais aussi l’Allemagne et à moins titre la France possèdent de fortes communautés indiennes, souvent d’excellente valeur. Au Royaume-Uni, c’est un ingénieur originaire du Madhya Pradesh, une province du centre de l’Inde, qui dirige la société Vodafone.
Les expatriés jouent un grand rôle dans la défense des intérêts indiens. Certains rapatrient des fonds et investissent dans leur pays d’origine. Les Indiens vivant aux États-Unis constituent de puissants groupes de pression qui favorisent les échanges commerciaux. Ils donnent une excellente image de leur pays d’origine. Des ingénieurs et étudiants occidentaux trouvent désormais un intérêt à venir travailler ou étudier en Inde. Réciproquement, les étudiants indiens sont très demandés par certaines universités occidentales, dans toutes les disciplines y compris scientifiques et médicales, surtout aux États-Unis (où ils sont 80 000 soit plus que les Chinois). Profitant de bourses de l’Union européenne ou non, les étudiants indiens sont également nombreux en Europe, notamment au Royaume-Uni (10 000), en Allemagne (5 000) et en France (1 500). Plus de 10 % des étudiants de l’Institut Européen d’Administration des affaires (INSEAD), à Fontainebleau sont des Indiens. Certains étudiants s’installent ensuite dans les pays d’accueil, parfois pour promouvoir les échanges commerciaux. Goa constitue une fenêtre vers le monde lusophone, en Afrique (Angola, Mozambique) et surtout en Amérique (Brésil). En comparaison, Puducherry (nouveau nom de Pondichéry) joue un rôle insignifiant à l’égard du monde francophone. Pour compléter l’enseignement dispensé dans les universités et instituts, les grandes firmes industrielles indiennes ont créé leurs propres centres de formation où peuvent aussi se retrouver des Indiens ayant effectué leurs études à l’étranger, c’est-à-dire essentiellement aux États-Unis, au Canada et en Australie. Ironie de l’histoire, certains expatriés reviennent dans leur pays d’origine à la faveur des délocalisations. Ainsi, des ingénieurs d’origine indienne travaillant dans la Silicon valley la quittent avec leurs entreprises.
Une force militaire significative
En complément de son rôle accru dans le domaine international politique et économique et de son affirmation comme puissance nucléaire, l’Inde se dote d’une panoplie complète de moyens de défense, selon ses disponibilités financières et technologiques. Consacrant environ 3 % de son Produit Intérieur Brut à sa défense, pourcentage fort raisonnable compte tenu de l’instabilité régionale, elle dispose de forces armées parmi les plus puissantes du monde, par ses effectifs, le bon niveau de ses officiers, la bravoure de ses cadres subalternes et soldats. Néanmoins, la quantité et la qualité de ses équipements et armements font défaut.
L’industrie de défense repose sur un ensemble d’entreprises publiques et d’arsenaux fabriquant des matériels pour les trois armées. Certains programmes de fabrication se sont soldés par des échecs ou par des retards importants. Les principaux chantiers navals se trouvent à Mumbai et Kolkata. 35 navires de guerre sont actuellement en cours de construction. Bien que son industrie de défense se développe, en faisant notamment appel au secteur privé, l’Inde doit encore importer beaucoup de ses équipements et armements. La Russie reste un pays fournisseur important et accorde assez facilement des licences de fabrication pour certains systèmes d’armes, y compris des avions. Des fabrications communes se font, même dans le domaine de la haute technologie, par exemple le missile de croisière supersonique Brahmos (appellation qui évoque le Brahmapoutre et la Moskova). Mais, comme dans le domaine civil, la technologie occidentale est vivement recherchée. Israël et les pays occidentaux accroissent leur part dans le marché de l’armement. Les Américains ont accepté, dans le cadre de l’accord de défense valable dix ans signé le 27 juin 2005 et renouvelé en 2015 pour une période identique, la vente d’armements modernes, incluant des appareils F 16 et F 18 qui auront des concurrents européens, notamment français (un contrat est en cours de négociation pour l’achat de 36 Rafales), des avions de transport gros porteurs, des avions de reconnaissance maritime Poséidon 8 et un navire de débarquement. Ils proposent aussi une collaboration pour la construction de porte-avions et dans le domaine de la défense anti-missiles. De plus, un accord de coopération spatiale a été signé.
L’armée de terre aligne plus de 1 200 000 hommes et des matériels et armements parfois relativement modernes mais parfois aussi obsolètes. La participation, par rotation, de nombreuses unités à des opérations contre des insurgés séparatistes au Cachemire, indépendantistes ou autonomistes dans les États du Nord-Est aguerrit les troupes mais les use également et les détourne de leur mission première. Le renforcement des troupes déployées dans l’Himalaya face à la Chine, par création d’un nouveau corps d’armée, prend du retard. La frontière est de ce fait mal défendue. Par ailleurs l’armée de terre souffre d’un manque d’officiers, le déficit étant évalué à 11 000. Ce sous-encadrement explique peut-être le stress de certains militaires du rang affectés au Cachemire qui sont parfois conduits, au sein des casernements, à des bagarres violentes et à des suicides.
L’armée de l’air dispose de chasseurs performants comme les Mig 29 et Su 30, acquis auprès de la Russie et déployés sur de nombreuses bases dispersées à travers le pays. Mais dans l’attente d’autres avions de chasse, elle ne peut aligner que 33 escadrons alors qu’il lui en faudrait 42. L’acquisition d’avions russes équipés de systèmes de détection AWACS israéliens constitue un multiplicateur de puissance.
La marine s’est renforcée avec l’acquisition d’un porte-avions d’origine russe. Le premier d’une série de six sous-marins Scorpène de conception française fabriqués sous licence dans les chantiers navals de Mumbai, Mazagon Docks Limited, a été lancé en 2016. Un sous-marin nucléaire lance-engins construit dans les chantiers navals de Vishakapatnam a également pris la mer en 2016 mais, ne disposant pas de son armement, ne sera pas opérationnel avant plusieurs années.
L’achèvement récent d’une très grande base à Karwar, à 100 km au sud de Goa, dans l’État du Karnataka donne à la marine indienne des moyens d’action nouveaux. Dans les bases navales existantes, à Mumbai, Vishakapatnam et Cochin, la marine doit partager les installations avec des navires de commerce. Il n’en est pas de même à Karwar qui forme un complexe exclusivement militaire, à vocation interarmées avec non seulement une base navale capable d’accueillir dans des conditions optimales de sécurité des navires de surface et des sous-marins mais aussi une base aérienne et diverses autres infrastructures. C’est en fait la plus grande base d’Asie du Sud, sans aucune commune mesure avec la base navale d’Ormara et le port de Gwadar, à double vocation civile et militaire, sur la côte de Makran, au Pakistan. Karwar devrait permettre à la marine indienne d’assurer la protection de la navigation maritime bien au large de ses côtes occidentales, en mer d’Arabie et de surveiller les navires chinois, qui pourraient multiplier leurs escales en Birmanie, au Bangladesh, à Sri Lanka et au Pakistan. La base intéresse les États-Unis ainsi que la Russie (le porte-avions de la marine indienne, d’origine russe y est basé). Il est fort possible que les navires américains puissent y faire escale puisqu’un accord est en cours de négociation entre New Delhi et Washington, le Logistics Exchange Memorandum of Agreement (LEMOA) qui devrait permettre un usage réciproque des bases navales et aériennes. Par ailleurs, l’infrastructure de la marine dans l’archipel des Laquedives et Minicoy se renforce. Il sera ainsi plus facile pour la marine indienne de contrer une éventuelle menace de la flotte chinoise dans l’océan Indien, avec l’aide d’alliés de circonstance. Le jeu se ferait à quatre, Chine et Pakistan d’un côté, Inde et États-Unis de l’autre, la Russie adoptant une attitude neutre ou apportant son concours aux deux derniers pays. La marine indienne verra également ses infrastructures s’améliorer sur la côte orientale avec la construction envisagée de nouvelles bases navales près de Vishakapatnam et à 40 km au sud de Chennai. Elles s’ajouteront à la base interarmées de Port Blair dans l’archipel des Andamans et Nicobar qui contrôle l’accès au détroit de Malacca.
La composante nucléaire se développe surtout dans les armées de terre et de l’air et s’étendra à la marine. L’Inde, comme d’ailleurs le Pakistan, a décidé d’appliquer un moratoire sur les essais nucléaires mais le programme de missiles balistiques à longue portée se poursuit. Des tirs réussis de l’Agni 5 ont été effectués le 12 avril 2007 à 3 500 km et le 19 avril 2012 à 5 000 km. Des missiles de croisière sont également testés ; le Nirbhay a été lancé à plus 1 000 km le 17 octobre 2014.
Des satellites civils d’observation peuvent avoir des applications militaires. Le premier satellite d’observation spécifiquement militaire a été lancé en août 2007. L’Inde est donc désormais une puissance spatiale militaire. Un système de défense anti-missiles commence à être mis au point.
L’Inde souffre d’une inadéquation de ses moyens de commandement. Il existe un embryon d’état-major interarmées mais sans véritable pouvoir. Il n’y a pas de chef d’état-major des armées et les trois armées, terre, air et mer, semblent avoir du mal à coordonner leurs planifications et leurs entraînements. Une grande rigidité du commandement, peut-être un héritage des étroites relations entretenues dans le domaine de la défense avec l’Union soviétique, nuit par ailleurs à l’efficacité opérationnelle en bridant quelque peu l’esprit d’initiative. Le commandement stratégique qui met en œuvre les armes nucléaires ne semble pas totalement opérationnel. C’est une situation préoccupante dans la mesure où les temps de réaction en cas d’échanges nucléaires par missiles entre l’Inde et le Pakistan sont extrêmement courts du fait des faibles distances.
Malgré quelques progrès, les militaires restent mal intégrés dans les structures décisionnelles gouvernementales, les fonctionnaires du puissant Indian Administrative Service désirant conserver leurs prérogatives, même si leurs compétences en matière de sécurité et de défense sont faibles [4]. Les scientifiques de la défense paraissent davantage participer aux processus décisionnels qu’auparavant. L’ancien Président de la République, le musulman Abdul Kalam, qui fut un ingénieur de l’armement, spécialiste des missiles, était issu de leur rang.
Pas plus qu’elle n’accepte de bases étrangères chez elle, l’Inde ne dispose de points d’appui à l’étranger. Toutefois, elle dispose de certaines facilités dans l’île Maurice et dans l’archipel des Seychelles, relativement proche de Djibouti où la Chine a établi une base navale. Elle n’effectue aucun déploiement stratégique de ses forces armées, se contentant d’envoyer des contingents importants dans des opérations de maintien de la paix conduites à travers le monde par l’ONU, notamment et surtout en Afrique. Il existe dans ce domaine une certaine émulation avec le Pakistan et le Bangladesh, autres pourvoyeurs conséquents de casques bleus. La marine indienne a envoyé des navires pour rapatrier ses ressortissants menacés au Liban et au Yémen. Elle sera en mesure à l’avenir de protéger sa diaspora, nombreuse sur les pourtours de l’océan Indien. Les membres de l’Organisation de Coopération de Shanghai ont clairement fait entendre que les bases américaines en Asie centrale devraient fermer. Dans ce contexte, la réhabilitation de la base aérienne de Farkhor, au Tadjikistan par des personnels de l’armée de terre et de l’armée de l’air indiennes n’en prend que plus de relief en démontrant la volonté de l’Inde d’assurer une certaine présence militaire, au moins temporaire et marginale, en Asie centrale, ce qui a suscité quelques émois à Islamabad.
L’Inde reste floue sur l’emploi des armes nucléaires, admettant qu’elle n’en fera pas usage en premier, ce qui peut se comprendre face au Pakistan mais moins face à la Chine. Elle modernise ses concepts d’emploi des forces terrestres, aériennes et maritimes. Elle met sur pied des groupements tactiques destinés à agir vite dans la profondeur du champ de bataille, avec un appui aérien. Leur action viserait à détruire des forces adverses bien localisées et non pas à occuper un territoire. L’Inde a acquis, par ailleurs, une certaine capacité de projection de forces grâce à son aviation qui possède des bombardiers à long rayon d’action, des avions de ravitaillement en vol et des avions de détection lointaine et grâce à sa marine dotée d’un porte-avions. De plus, le port iranien de Chabahar pourrait être mis à la disposition des navires de guerre indiens en cas de nécessité, selon un accord qui aurait été signé entre Téhéran et New Delhi mais qui n’a pas été confirmé. L’Inde sera donc en mesure d’intervenir militairement en océan Indien et même sur les franges de l’océan Pacifique, notamment en Asie du Sud-Est, en liaison ou non avec les marines des pays riverains et américaine.
Des exercices communs impliquant des unités des trois armées se déroulent, selon une fréquence de plus en plus grande, sur le territoire indien et à l’étranger, avec des Américains, des Britanniques, des Français, des Russes, des Sud-Africains et des Iraniens. D’autres sont planifiés avec Singapour, la Mongolie et l’Ouzbékistan. Des manœuvres navales ont lieu régulièrement avec les marines japonaise et australienne. Les forces spéciales sont parfois parties prenantes de ces exercices.
L’Inde dispose depuis 2016 d’un système de navigation national (Global Positioning System – GPS), opérationnel sur l’ensemble de l’Asie du Sud et sur ses franges jusqu’à une distance de 1 500 km. Bien que ne disposant pas d’une couverture mondiale, cet ensemble de sept satellites constitue un multiplicateur de puissance.
Les forces paramilitaires, dépendant pour la plupart du ministère de l’intérieur, complètent le système sécuritaire. Fortes d’environ 1,3 million de personnes, soit un effectif supérieur à celui de l’armée de terre, elles participent non seulement à la lutte contre les insurgés internes, adeptes d’une idéologie islamiste ou maoïste ou militants de causes nationalistes, mais aussi à la surveillance des longues frontières terrestres (15 000 km) et maritimes (7 500 km). En cas de conflit international, elles pourraient, tout au moins certaines d’entre elles, constituer une force d’appoint non négligeable.
Sur le plan militaire, l’Inde élargit donc sa vision. Elle pourrait, ce faisant, épuiser financièrement le Pakistan dans une course aux armements, à l’instar de celle qu’avaient conduite avec succès les États-Unis à l’égard de l’Union soviétique. Elle ne serait pas mécontente d’aboutir à ce résultat tout en poursuivant son but principal d’acquérir une capacité militaire significative dont une partie pourrait être projetée au-delà même de l’Asie du Sud.
L’Inde dispose donc de certains attributs de la puissance, une population importante, jeune, dynamique et partiellement bien instruite, une richesse agricole et minière, une technologie développée dans certains secteurs, y compris ceux du nucléaire et de l’espace, une capacité de s’ouvrir sur le monde, qui se traduit par des échanges commerciaux en augmentation et, pour assurer sa sécurité, des forces militaires nombreuses, dotées de l’arme nucléaire et des unités paramilitaires significatives.
Mais des faiblesses structurelles subsistent. Sa dépendance énergétique demeure. L’Inde devra importer du pétrole et du gaz en quantité de plus en plus grande. La compétition mondiale sera vive et les coûts, sans doute en constante augmentation, pèseront lourd dans sa balance commerciale. Son accroissement démographique devra être maîtrisé, sinon l’équilibre entre ressources et besoins ne sera plus assuré et la dégradation de l’environnement se poursuivra. La santé de la population est mise en péril par une pollution qui s’accroît. L’eau constituera un problème majeur que l’Inde cherche à résoudre sur les plans qualitatif et quantitatif. En ce qui concerne la qualité, elle s’efforce de réduire les pollutions des cours d’eau et des nappes phréatiques, dues aux engrais utilisés par l’agriculture et aux déchets industriels, dues aussi à l’insuffisance d’usines de traitement des eaux usées des grandes agglomérations. En ce qui concerne la quantité, elle vise à réduire les pertes, énormes, des réseaux de distribution et à assurer une meilleure répartition en connectant les principaux cours d’eau du pays mais la fonte des glaciers himalayens qui alimentent les grands fleuves constitue une préoccupation majeure. La faiblesse des infrastructures routières, ferroviaires, portuaires et aéroportuaires continue d’être pénalisante.
L’Inde devra enfin trouver des solutions pour mettre fin aux insurrections qui la déchirent et l’affaiblissent, au Cachemire où des musulmans extrémistes revendiquent le rattachement au Pakistan ou l’indépendance, dans les États du Nord-Est en proie à des militants indépendantistes ou autonomistes et dans les provinces du centre-est où la rébellion maoïste persiste. Ces défis qui s’étendent à l’ensemble du territoire sont considérables.
Sur le classement des indices de développement humain, établi par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) pour 2015, l’Inde reste encore mal placée : au 131e rang sur 190 pays, après Sri Lanka classé au 74e rang mais avant le Bangladesh classé 143e, le Népal 147e et le Pakistan 148e. De plus, la corruption sévit. Sur l’index établi pour 2015 par Transparency International, l’Inde se classe à la 76e place, sur 168. Elle fait mieux que tous les autres pays d’Asie du Sud, Sri Lanka étant classé 83e, le Pakistan 117e, le Népal 130e et le Bangladesh 139e. Ces classements peu enviables qui ne varient guère d’année en année nuisent aux investissements intérieurs et encore plus aux investissements extérieurs. L’Inde fait des efforts pour remédier aux déficiences. Ainsi, après avoir signé et ratifié la Convention des Nations Unies contre la Corruption de 2005, elle a fait voter une loi sur le droit à l’information, un outil capital dans la lutte contre ce fléau et qui déjà s’avère efficace. Aucune loi semblable n’a été votée dans les autres pays d’Asie du Sud.
Un long chemin reste donc à parcourir pour que l’Inde rejoigne les grands mais elle en a l’ambition et s’en donne les moyens. Elle devrait se hisser à la troisième place des puissances économiques mondiales en 2020, loin derrière les États-Unis et la Chine mais le revenu par habitant restera faible. Elle veut que le monde reconnaisse son importance. Une admission comme membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU reste un objectif majeur de sa diplomatie. Quoiqu’il arrive, l’Inde comptera de plus en plus dans le monde, surtout si elle trouve un terrain d’entente avec la Chine.
Manuscrit clos en juillet 2016
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Mise en ligne initiale sur le Diploweb.com de la 2e version entièrement revue et actualisée en décembre 2016 (1ère mise en ligne le 1er mars 2008)
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[1] Voir « Insurrections et terrorisme en Asie du Sud », Alain Lamballe, éditions es-stratégies, Fontainebleau, 2008.
[2] Voir « L’eau, source de conflits en Asie du Sud », Alain Lamballe dans Guerres mondiales et conflits contemporains , Paris, septembre 1999.
[3] Le Ministère français des Affaires étrangères conserve l’appellation de Birmanie, refusant le terme Myanmar, adopté officiellement par le régime militaire.
[4] Voir « Armée et politique en Inde », Alain Lamballe dans Défense nationale, Paris, mai 2000.
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