Géopolitique de l’Afrique. L’Ouganda est un pays fragile manquant d’unité et bien qu’il ait tous les attributs d’une puissance régionale, c’est un modèle à bout de souffle qui a et aura du mal à influencer son environnement dans son ensemble. Il possède beaucoup des atouts traditionnels de la puissance – espace stratégique, population dynamique, richesses naturelles. Il est doté d’un fort potentiel économique grâce à ses ressources naturelles (des réserves pétrolières notamment). Pourtant, il lui manque surtout ce qui, aujourd’hui comme hier, constitue le fondement essentiel de la puissance : la cohésion nationale, ce que Zaki Laïdi nomme la capacité de l’Etat à « faire sens » et la propension à la militarisation du régime et ce que Richard Banégas définit comme le « dédoublement croissant des structures de décision politique » ne laisse rien augurer de bon dans l’avenir. Le pays doit miser sur son unité pour ne pas jouer sa survie comme Etat.
L’OUGANDA est parfois mal connu du public francophone. Ancienne colonie anglaise, il ne fait pas partie du « pré-carré » français. Pourtant ce pays, situé à l’intersection de la Corne de l’Afrique, des Grands Lacs et de l’Afrique centrale est un espace géostratégique important. Il joue un rôle de plus en plus important dans les recompositions qui s’opèrent sur le continent africain. Il importe d’appréhender le rôle que joue l’Ouganda dans son environnement au regard de son histoire et de sa politique intérieure qui conditionnent plus qu’on ne l’imagine la mise en œuvre de sa politique extérieure, empreinte de beaucoup de réalisme. Le pays peut-il jouer un rôle dans la stabilisation de son environnement ? Nous proposons d’analyser les fragilités du pays au plan interne, puis de montrer quels sont les éléments contemporains qui font du pays une puissance régionale. Enfin, nous mettrons en évidence la réalité de ce pays et les perspectives qui s’offrent à lui.
Cette région d’Afrique a été marquée par le clivage entre protestants et catholiques. L’autre particularité de l’Ouganda est d’avoir été construit par le colonisateur britannique sur la base de la juxtaposition au sein d’un même territoire de deux aires géographiques : l’aire nilotique et soudanaise face à l’aire Bantu. Bien qu’associées, ces deux parties ont été maintenues dissociées au niveau géographique, politique et administratif jusqu’à l’indépendance du pays. Le problème récurrent est donc de maintenir l’unité entre ces deux parties régionales qui luttent pour le pouvoir.
La présence britannique : l’Ouganda, « la perle de l’Afrique »
Le territoire actuel est initialement composé de plusieurs royaumes et le pays tel qu’il est aujourd’hui a été construit par ajustements successifs. Afin de contrôler les sources du Nil, la Grande-Bretagne envahit ce territoire et instaure un protectorat en 1884. Le Buganda, le plus puissant de ces royaumes, carrefour commercial de la région, est le premier à être placé sous protectorat britannique, dès 1894. Ces derniers se servent de ce modèle pour mettre en place un pôle ougandais chrétien qui leur permettrait de conserver le contrôle des sources et repousser les avancées musulmanes et égyptiennes. La collaboration entre le colonisateur britannique et le royaume du Buganda est profitable à de puissants intérêts locaux. Tout au long de son histoire, l’Ouganda va lier trois grands paramètres : « alliance de grandes puissances, usage de la force et gestion des équilibres internes [1] ».
Pour gérer les affaires intérieures, le gouvernement britannique s’appuie sur les structures politiques locales, loyales envers la couronne. La présence anglaise et l’établissement des frontières se font sans grands égards pour les divers groupes ethniques, culturels ou linguistiques. Ce qui aura de nombreuses conséquences par la suite. Les Anglais appliquent la politique de l’Indirect Rule (également utilisée en Inde et au Nigeria), et s’appuient sur les structures du pouvoir local des Bagandas pour l’administration mais recrutent principalement les militaires parmi les populations nilotiques du Nord du pays (Acholi, Luo,…). C’est entre 1900 et 1914 que les fondations politiques, économiques et sociales de l’Ouganda contemporain s’établissent [2]. Le pays ne sera jamais une colonie de peuplement du fait de l’hostilité du milieu. Ainsi, l’installation de colons restant faible, les appels à l’indépendance sont tardifs.
Après la Seconde Guerre mondiale, on observe une montée du nationalisme baganda. Les royaumes sont si puissants dans le pays que la vie politique a du mal à s’organiser au niveau national. Les négociations qui mènent à l’indépendance du pays sont longues car elles posent le problème des structures politiques. Finalement, c’est le type fédéral qui est retenu, exprimé dans la première constitution. Cette fédération rassemble les quatre anciens royaumes. Malgré tout, le Buganda maintient sa position dominante (le nom Ouganda est swahili, la langue véhiculaire bantu, et signifie « pays ganda »). La période coloniale occupe 68 ans de l’histoire de l’Ouganda et permet la création d’un pays mais pas d’une nation.
De l’indépendance aux années 1990 : un quart de siècle d’instabilité chronique
L’hétérogénéité ethnique du pays explique l’instabilité qui règne, du milieu des années 1960 au début des années 1990. A cette opposition ethnique s’ajoute le contraste entre le Sud qui s’autogouvernait et le Nord régi par le pouvoir britannique. Cette division prend un caractère violent dans cette période avec des guerres civiles et des coups d’Etats et elle persiste encore aujourd’hui. Par ailleurs, il convient de relativiser ce modèle d’opposition géopolitique car au sein même des régions les divisions sont courantes. Dans le même temps, une autre opposition créée des tensions, celle-ci est religieuse et divise chrétiens (33%), protestants (33%) et musulmans (16%), qui comptent des croyants dans toutes les ethnies.
En 1962, le pays devient indépendant et Mutesa II, roi du Buganda soutenu par les catholiques, est déclaré président à vie. Il prend Milton Obote, originaire du Nord (Lango) et protestant, comme premier ministre. Les tensions entre le Nord et le Sud s’exacerbent. Obote prend le pouvoir en 1966, près de 2 000 Baganda favorables au roi sont massacrés. Le nouveau président instaure un régime présidentiel à parti unique, nationalise la moitié des entreprises privées et suspend en février 1966 la Constitution. En septembre 1967, la nouvelle constitution instaure la république, abolit les royaumes (intégrant ainsi de force Buganda à la vie politique nationale), et donne à l’armée des pouvoirs quasi illimités. La crise de 1966 a plusieurs conséquences, parmi lesquelles : la militarisation de la politique ougandaise (Obote avait besoin de l’armée pour se maintenir au pouvoir jusqu’à ce qu’elle le renverse), la centralisation excessive des ressources, le renforcement du phénomène tribal et la déliquescence des institutions politiques [3]. Par ailleurs, le panafricaniste, Obote, joue un rôle important dans la naissance en 1967 de la communauté est-africaine et participe également à la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en 1963 bien que les intégrations régionales soient en net recul à cette période.
En 1971, Idi Amin Dada, chef de l’armée, ancien soldat de l’armée britannique [4], prend le pouvoir, avec les soutiens américain et britannique. Le caractère marginal de son origine ethnique et religieuse, musulman et originaire de l’ethnie Kakwa qui vit entre le Soudan et la région du Nil occidental, le place au dessus des rivalités classiques [5]. Cependant, les espoirs de la population et des puissances occidentales sont vite déçus. Il se proclame président à vie, instaure rapidement un régime nationaliste de terreur, notamment en expulsant en 1972 plus de 40 000 Indo-pakistanais qui contrôlaient l’économie du pays. La mesure n’est pas impopulaire, mais les conséquences sur l’économie sont désastreuses. Pour aviver l’unité nationale face au chaos montant, Amin Dada déclare la guerre à la Tanzanie en 1978 et s’empare de la région tanzanienne du « saillant de la Kagera », située sur la rive occidentale du lac Victoria un morceau de terre qui fut par erreur apposé à la Tanzanie lors de l’indépendance. Une intervention de l’armée tanzanienne et de ses opposants réfugiés en Tanzanie le destitue en 1980. Il s’exile alors en Libye, principal soutien financier de son régime, puis en Arabie Saoudite où il décède en août 2003.
Du milieu des années 1960 au milieu des années 1980, le cycle des coups d’Etat et la guerre civile aurait fait 800 000 victimes. L’Ouganda est alors un pays ravagé.
1986, Museveni et l’arrivée au pouvoir des Sudistes
En 1980, face à des élections largement truquées qui voient la victoire d’Obote, Yoweri Museveni, (ancien ministre de la Défense), fonde le National Resistance Movement (NRM) et sa branche armée la National Resistance Army (NRA) composée de nombreux combattants exilés au Rwanda. Il parvient à prendre le pouvoir en 1986, grâce à cette dernière. Ancien officier des services de renseignement dans l’armée, protestant, d’ethnie Anchole et de caste hima (proche des Tutsis) il a su profiter d’une alliance avec les Baganda et écarter les officiers Acholi. Museveni, rétablit l’Etat de droit, libère la presse, autorise les Asiatiques à revenir, encourage les investissements étrangers et le tourisme. Il réduit même de 50% les effectifs militaires et met en place les réformes recommandées par le FMI. Avec lui, se sont les gens du Sud et du Centre (les Bantu) qui arrivent au pouvoir après la longue domination de ceux du Nord. Les royaumes sont à nouveaux reconnus en 1993. Museveni instaure une démocratie sans partis afin d’éviter les divisions tribales, ethniques et religieuses [6]. Les opposants s’expriment par voie de presse ou au sein du Parlement.
Museveni mène également une politique pragmatique sur le plan de la politique étrangère puisqu’il renoue des relations diplomatiques avec Israël et reconstruit les liens avec les pays occidentaux, notamment les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, mais aussi avec des pays comme Cuba, la Libye, la Corée du Nord et l’Iran [7]. La restauration de la sécurité dans une majeure partie du pays dit « Ouganda utile » lui offre les faveurs de la Maison Blanche qui le voit comme une figure du « new leadership » africain [8]. En intervenant dans la crise rwandaise en 1994 et en faisant tomber Mobutu (Président du Zaïre baptisé RDC en 1997) en 1997, le pays s’impose comme un acteur important de la région. Museveni a relevé son pays et en a fait une puissance militaire susceptible de peser dans les recompositions stratégiques du continent, « au point de faire évoluer le centre de gravité politique d’une partie de l’Afrique centrale » selon Richard Banégas [9].
L’histoire de l’Ouganda est marquée par une succession de coups d’Etat, de dictatures militaires sur fond de corruption et de détournement des fonds publics. Les divergences incessantes, entre nordistes et sudistes, voire entre les différentes religions, sont au cœur des problématiques ougandaises et impactent sur son développement économique et sur sa politique extérieure.
Un rôle important dans les crises régionales
La Corne de l’Afrique
Pour les Américains, la Corne de l’Afrique est la continuité géopolitique de la péninsule arabique. Elle est donc extrêmement stratégique [10] ! Selon le commissaire au Développement de l’Union européenne, Louis Michel, « les différents conflits de la région tendent à devenir le théâtre d’une polarisation entre une ligne « pro-occidentale chrétienne laïque » et une ligne « arabo-islamiste ». Une dérive qui représente « une menace sérieuse » pour les intérêts stratégiques occidentaux. Dans ce jeu d’influence dans la Corne de l’Afrique, l’Ouganda a décidé de jouer un rôle de premier plan. En octobre 2007, le pays a tenté une mission de médiation en Somalie et c’est le seul pays (avec le Burundi) à répondre à l’appel pour le maintien de la paix en déployant près de 1 700 hommes dans le cadre de l`AMISOM. Pour Kampala, le but est aussi de mettre un terme à la prolifération incontrôlée des armes et pour ramener la paix et la sécurité dans la région, guidé par l’idée qu’il était temps d’appliquer des “solutions africaines aux problèmes africains”.
Le Soudan
La tension entre l’Ouganda et le Soudan est latente. Kampala aide le Mouvement Populaire de Libération du Soudan (MPLS) rébellion sudiste en guerre contre le pouvoir central avant de disposer en 2005 d’une large autonomie et, en retour, Khartoum fournit une assistance à la Lord’s Resistance Army (LRA), rébellion qui sévit dans le Nord de l’Ouganda. La normalisation avec l’Ouganda, qui accueille 300 000 réfugiés soudanais, est timide mais l’armée ougandaise est autorisée à poursuivre les rebelles de la LRA sur le territoire soudanais. Bien que Kampala accuse toujours le Soudan de soutenir la rébellion.
Les Grands Lacs
L’Afrique des Grands Lacs subit encore aujourd’hui les conséquences déstabilisatrices du génocide rwandais. L’Est du territoire de la République démocratique du Congo, où les combats militaires et les déplacements de populations n’ont jamais cessé depuis 1994, demeure l’épicentre de cette crise [11]. L’attitude du Rwanda et de l’Ouganda est déterminante pour la stabilisation de la région. Pourtant Kampala continue de jouer la carte de la déstabilisation dans l’Est de la RDC : soutien aux milices qui entretiennent l’insécurité, obstruction au travail du groupe d’experts chargé de la surveillance de l’embargo sur les armes, maintien des réseaux de pillage des ressources naturelles. Kampala persiste à grossir la menace de la rébellion de la LRA de Joseph Kony et n’a pas renoncé à revendiquer un droit de poursuite sur le territoire congolais. Le rôle de l’Ouganda dans les affaires rwandaises et zaïroises des années 1990 est très controversé, même si celui de la communauté internationale n’est pas non plus exempt de reproches. Museveni a soutenu la rébellion du Front patriotique rwandais entre 1990 et 1994 et la rébellion des forces de Kabila contre Mobutu en 1996/97. Ces deux affaires ont marqué l’émergence du leadership régional du président Ougandais dont l’ambition est d’instaurer à terme une vaste zone d’échanges de l’Est à l’Ouest dont l’Ouganda serait le pivot. En voulant jouer un rôle dans l’avenir des Grands Lacs, l’Ouganda veut surtout « donner forme à son désir de se projeter vers l’Océan Atlantique, notamment par le port de Matadi auquel il accédera par le réseau fluvial zaïrois » [12]. Ce choix permet à l’Ouganda de se désenclaver et de ne pas être complètement dépendant du Kenya.
Le voisinage de l’Ouganda n’est donc pas unifié et le pays ne semble pas en mesure de le fédérer. L’Ouganda a imposé à ses voisins, plus faibles, son statut de puissance régionale.
Une puissance stabilisatrice ?
Un rôle de stabilisateur
L’Ouganda a une approche régionale et panafricaine de la sécurité. Effectivement, le pays est touché par l’instabilité régionale qui l’affecte en termes de flux de réfugiés, de déplacements internes, d’insécurité transfrontalière. Or, l’insécurité hypothèque ses objectifs de développement socio-économiques et d’intégration régionale. Ainsi les pays et zones d’intérêts stratégiques pour sa sécurité sont : les voisins immédiats, puis les pays des Grands Lacs, les autres pays africains (avec un accent particulier sur l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Égypte en raison de leurs positions géostratégiques) et le reste du monde.
La force militaire constitue un élément et un instrument essentiels de la puissance. Celle de l’Ouganda est remarquable avec 45 000 hommes pratiquement tous dans l’armée de terre (l’Ugandan People’s Defense Force), 1 800 paramilitaires (police) et près de 10 000 hommes dans des milices locales, pour une population totale de 31,3 millions. A titre de comparaison, le Nigeria, puissance d’Afrique de l’Ouest, possède 78 500 hommes pour une population de 131,5 millions d’habitants. Kampala ne joue pas un rôle majeur en matière de contribution aux opérations de paix car il n’a pas les ressources financières nécessaires pour s’engager comme le fait un pays tel que l’Afrique du Sud. Cependant depuis le milieu des années 1990, l’Ouganda a montré sa volonté de s’impliquer dans les initiatives de construction de la paix à travers la médiation et la prévention des conflits.
Une base stratégique anglo-américaine
L’Ouganda est devenu une puissance militaire d’importance en Afrique de l’Est et une base stratégique anglo-américaine. Ce petit pays africain « est parvenue à passer d’une position géopolitique de périphérie africaine de l’océan Indien à celle de périphérie de l’océan Atlantique jouant un rôle moteur dans le nouveau partage d’influence en Afrique » [13]. L’Ouganda, premier bénéficiaire de l’aide au développement britannique sur le continent, est aussi un intérêt pour les Etats-Unis du fait de ses potentialités pétrolières [14] et parce qu’il apparaît comme une base arrière d’observation du Soudan et peut offrir un point d’ancrage pour la stabilisation de la région des Grands Lacs (notamment la RDC qui bénéficie encore de l’intérêt américain du fait de son potentiel minier).
Un poids lourd de l’économie régionale
Le Mouvement de Museveni est arrivé au pouvoir avec une vision hostile du libéralisme mais il a rapidement opté pour la stratégie de la flexibilité. Le régime a intégré les évolutions géopolitiques en cours au début des années 1990 avec la chute de l’URSS. Dans ce contexte, les bailleurs de fonds cherchaient à promouvoir des modèles politiques de bonne gouvernance afin de réorienter l’aide économique, en appliquant les méthodes libérales. L’Ouganda devint cette vitrine. Depuis son arrivée au pouvoir, Museveni a donc engagé des réformes favorables au marché. Dans les années 1990, le pays a amorcé son redressement économique. Il a enregistré une forte croissance de presque 7% par an au cours des années 1990. Les réussites économiques et sociales du modèle ougandais ont permis à Museveni de s’assurer le soutien de la communauté internationale. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, principaux bailleurs du pays, ont fortement contribué à la réussite économique du pays.
Dans son environnement régional, l’Ouganda domine par son économie performante, conjuguant faible inflation et forte croissance. Le renforcement de l’intégration au sein de la Communauté de l’Afrique de l’Est représente un atout supplémentaire pour le pays. Kampala est un membre actif du Marché Commun d’Afrique Orientale et Australe (COMESA) puisqu’il est présent dans les bureaux de la conférence des chefs d’Etat et du conseil des ministres de cette organisation. Il est aussi membre fondateur de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC).
L’intérêt suscité par l’Ouganda n’a pas la même intensité qu’auparavant. C’est un acteur en perte de vitesse.
Un pays qui reste en développement
Si l’Ouganda a longtemps été un modèle pour les institutions monétaires internationales, il convient d’aller au-delà des indicateurs macroéconomiques (inflation maitrisée, taux de croissance...). On constate, tout d’abord, de grandes disparités géographiques. L’écart de niveau de vie entre les ruraux et les urbains s’élargit et la pauvreté dans le Nord s’aggrave du fait de la rébellion de la LRA. En dépit des progrès enregistrés, l’économie ougandaise demeure extrêmement dépendante de l’aide extérieure qui représente 50% du budget national, mais aussi du pillage des ressources de la RDC, et en particulier des richesses de la province de l’Ituri (or, diamant).
De plus, la réputation de bonne gouvernance du gouvernement ougandais est sérieusement remise en cause pour plusieurs raisons qui ont conduit les bailleurs de fonds à être plus vigilants : le niveau de corruption (126ème sur 180 d’après le classement de Transparency International 2008), la hausse récurrente des dépenses militaires. Selon l’Usaid, l’échec de l’Ouganda à atteindre certains objectifs du FMI tient à l’augmentation du budget de la défense (l’armée continue à jouer un rôle actif dans les affaires civiles de l’Etat), à la non résolution de la situation dans le Nord et au pillage en RDC. Ainsi, en décembre 2005, de nombreux bailleurs décident d’une réduction de l’aide budgétaire à l’Ouganda en raison des entorses à la démocratie pendant la campagne de l’élection présidentielle de février 2006. Le régime politique, a longtemps été verrouillé par le président Museveni. Un référendum organisé en juillet 2005 à son initiative entérine le multipartisme comme une promesse d’ouverture politique. En échange, le président a obtenu la possibilité de briguer un troisième mandat. Il doit désormais composer avec une opposition officielle, qui a des élus locaux et des relais dans la population même si elle reste minoritaire au parlement.
Un potentiel menacé par une rébellion sanglante
Après la victoire de la NRA et l’arrivée au pouvoir de Museveni, quelques mouvements armés d’opposition ont secoué le pays à l’échelle locale. L’Ouganda doit faire face à plusieurs mouvements de rébellion dans le pays. L’un des principaux mouvements, qui figure sur la liste américaine des groupes terroristes internationaux à combattre, est l’Armée de résistance du Seigneur (LRA). Cette guerre est la plus ancienne de la région et entrave les perspectives d’avenir. Dirigé par Joseph Kony, la LRA s’est formé à partir du mouvement millénariste d’Alice Auma, le Holy Spirit Movement (HSM). La prêtresse se disait possédée « par l’esprit Lakwena (« messager ») qui lui ordonne de constituer [des] forces armées [...] pour renverser le gouvernement » ainsi que pour « purger le monde du pêché et construire un monde nouveau où seront réconciliés l’homme et la nature [15] ». Le HSM prêche un syncrétisme mêlant christianisme, islam et religions traditionnelles. Les agressions de la LRA débordent largement sur la RDC, le Soudan et même le Kenya. Au départ, ce mouvement était un mouvement populaire d’autodéfense des populations Acholi du nord du pays, face à la prise de pouvoir de Museveni, et donc des ethnies du Sud-ouest. Son objectif est de remplacer le pouvoir de Museveni par un pouvoir basé sur la Bible. A l’origine l’armée, comptant près de 10 000 combattants (beaucoup d’anciens militaires attirés par le repentir et parce qu’ils craignent de connaître la marginalisation politique et la discrimination), rencontre de nombreux succès et entame une marche vers la capitale. Elle est défaite à 60 km de Kampala en 1987 et Alice Lakwena s’exile au Kenya. Les troupes rejoignent plusieurs mouvements qui succèdent aux HSM dont celui de Joseph Kony qui serait le neveu d’Alice Lakwena. Joseph Kony emprunte la plupart des idées, du discours et des méthodes du HSM cependant la LRA est moins messianiste.
Cette rébellion a peu de visibilité internationale, pourtant elle est très active et fait de nombreuses victimes. Qualifiée de « crise humanitaire la plus négligée du monde » par l’ancien secrétaire général adjoint des Nations unies en charge des Affaires humanitaires, Jan Egeland, la guerre civile ougandaise a provoqué des dizaines de milliers de morts (100 000) et environ 2 millions de déplacés dans le Nord de l’Ouganda et le sud du Soudan depuis 1986. Ses effectifs seraient aujourd’hui constitués à plus de 80% d’enfants soldats. Plus de 25 000 enfants ont été enlevés par la LRA depuis 1986 dont 30 % de filles et sont utilisés comme soldats, porteurs et esclaves sexuels.
Le conflit avec la LRA est dans l’impasse. Aussi bien les tentatives politiques de résolution du conflit (médiation Betty Bigombe, loi d’Amnistie) que les solutions militaires ont échouées. Les pressions internationales s’intensifient en faveur de la résolution du conflit. Une quarantaine de médiations n’ont pu venir à bout de cette guerre. La Cour Pénale Internationale a émis des mandats d’arrêts en septembre 2005 qui visent les 5 hauts responsables de la LRA dont Joseph Kony et son adjoint, Vincent Otti. L’intervention de la CPI suscite une vive controverse dans le pays [16]. Ces inculpations constitueraient un frein au processus de paix entamé en juillet 2006 entre les rebelles et le gouvernement. D’autant que cette cour pourrait aussi s’intéresser aux exactions commises par l’armée ougandaise.
Une militarisation croissante
L’Ouganda maintient son emprise sur la région frontalière d’Ituri, malgré le retrait de ses troupes en avril 2003. Les rapports Kassem (du Conseil de Sécurité), réalisés par un panel d’experts entre 2000 et 2003, accusent l’Ouganda de piller les ressources de l’Est de la RDC et dénoncent les liens entre ces pillages et le trafic d’armes. Une enquête interne (rapport Porter) dans l’armée ougandaise, à la demande de Museveni, amènera à l’éviction du chef d’état major, le général Kazini. Depuis 2004, les experts chargés de contrôler les violations de l’embargo sur les armes à destination des groupes armés Ituri et Kivu ont condamné vivement l’Ouganda montrant la collusion entre les milices ituriennes et des affairistes et militaires ougandais. La Cour Internationale de justice (CIJ) a condamné l’Ouganda, en décembre 2005, pour violation de la souveraineté territoriale de la RDC et violation des Droits de l’Homme. Museveni, prenant prétexte de la Lord Resistance Army (LRA), persiste à demander un droit de poursuite en RDC, auquel la communauté internationale s’oppose très vivement. Les spécialistes parlent d’« État trickster [17] », car le régime Museveni a su tirer parti de cette confiance des bailleurs et se jouer des conditionnalités de l’ajustement structurel pour consolider ses positions. Il joue également de l’instrumentalisation politique et diplomatique du désordre régional, s’assurant du soutien américain.
Outre le fait que le régime se militarise toujours autant, les circuits de décision deviennent de plus en plus informels. On assiste à une criminalisation rampante de l’Etat. A titre d’exemple l’exportation de l’or de la RDC est en partie intégrée aux comptes du commerce extérieur ougandais. Ainsi, Richard Banégas souligne qu’ « un nouveau palier semble avoir été franchi dans l’exploitation de ces zones, qui se traduit par l’organisation et la structuration d’une véritable économie de réexportation, dominée par les réseaux d’affaires de l’armée ougandaise ». Il qualifie même les officiers de l’UPDF, d’ « entrepreneurs de l’insécurité ». Dans le contexte de pression des bailleurs de fonds face aux augmentations régulières des budgets alloués à la Défense (9-10% budget global), ce pillage permet à l’armée de s’autofinancer, et surtout de s’occuper et de s’enrichir dans une période où le développement économique du pays montre des signes de faiblesse. Museveni se trouve donc dans l’impasse, face à la pression internationale il doit retirer ses troupes de la RDC mais ce retrait risque de provoquer la colère des officiers dont la manne congolaise représente une véritable affaire.
L’Ouganda est un pays fragile manquant d’unité et bien qu’il ait tous les attributs d’une puissance régionale, c’est un modèle à bout de souffle qui a et aura du mal à influencer son environnement dans son ensemble. Il possède beaucoup des atouts traditionnels de la puissance – espace stratégique, population dynamique, richesses naturelles. Il est doté d’un fort potentiel économique grâce à ses ressources naturelles (des réserves pétrolières notamment). Pourtant, il lui manque surtout ce qui, aujourd’hui comme hier, constitue le fondement essentiel de la puissance : la cohésion nationale, ce que Zaki Laïdi nomme la capacité de l’Etat à « faire sens » et la propension à la militarisation du régime et ce que Richard Banégas définit comme le « dédoublement croissant des structures de décision politique » ne laisse rien augurer de bon dans l’avenir. Le pays doit miser sur son unité pour ne pas jouer sa survie comme Etat.
Si l’Ouganda ne peut pas être le moteur de la construction d’un espace régional de sécurité, la sécurisation de l’Afrique centrale restera très fortement dépendante d’un engagement fort de la communauté internationale. Il est intéressant d’observer le jeu des puissances dans cette région instable. Après le 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont concentré leurs efforts sur des régions comme la Corne de l’Afrique ou les pays du Sahel au détriment d’autres régions comme les Grands Lacs qui étaient considérés comme stratégique sous Bill Clinton. Le risque de cette politique est que leur présence dans cette région soit supplantée à terme par la Chine convoitant les matières premières de la République démocratique du Congo et de l’Ouganda ou par la position géographique du Kenya. Il faudra suivre quelles seront les implications de cette présence dans la stabilisation de la zone.
[1] TAWA (Habib), « La Prusse de l’Afrique », in Le Nouvel Afrique Asie, n°6, mai 2006, p. 42
[2] CALAS (Bernard), PRUNIER (Gérard), L’Ouganda contemporain, Paris, 1994, Karthala, p.76.
[3] CALAS (Bernard), PRUNIER (Gérard), Op.Cit., p.110
[4] Il s’était engagé à 20 ans dans les King’s African Rifles (K.A.R.) qui étaient une troupe coloniale britannique de l’Afrique de l’Est.
[5] TAWA (Habib), Op. Cit., p. 44
[6] KASFIR (Nelson), « Démocratie de « mouvement », légitimité et pouvoir en Ouganda », in Politique Africaine, n°75, octobre 1999, p.20
[7] KLEN (Michel), « L’exception ougandaise », in Défense nationale, n°2, février 1997, p.135.
[8] OTTAWAY (M.), Africa’s new leaders. Democracy or State Reconstruction ?, Washington, 1999, Carnegie Endowment for International Peace/Brookings Institution Press, 138p.
[9] BANEGAS (Richard), « Les aléas d’une stratégie d’extraversion », in L’Ouganda, une puissance régionale ?, Politique africaine, n°75, octobre 1999.
[10] A. DULAIT, A. BOYER, D.BOULAUD, P.BRISEPIERRE, H.LUC, L.MOINARD, « La Corne de l’Afrique : Nouvel enjeu stratégique », in Les Rapports du Sénat, n°200, mars 2003, 60 p.
[11] Pour plus d’informations sur la crise des Grands Lacs, lire sur le site diploweb.com l’article de Jean-Pierre CHRETIEN, « Géopolitique de l’Afrique. La région des Grands Lacs », 1er janvier 2005.
[12] CHAUPRADE (Aymeric) & THUAL (François), Dictionnaire de géopolitique, Paris, 1998, Ellipses, 621p.
[13] CHAUPRADE (Aymeric) & THAL (François), Op.cit., p. 296.
[14] L’Ouganda et la RDC recèleraient de réserves pétrolières dans la région du lac Albert (2 milliards de barils). Un projet de pipeline vers l’Atlantique est même envisagé.
[15] BEHREND (H.), « War in Nothern Uganda-The Holy Spirit Movements of Alice Lakwena, Severino Lukoya and Joseph Kony (1986-97) », in CLAPHAM (C.), African Guerillas, Londres, 1998, James Currey Ltd.
[16] ESSOUNGOU (André-Michel), « Chantage à la paix en Ouganda », in Le Monde diplomatique, 2007.
[17] Pour reprendre une expression de J.-F. Bayart, « De l’État kleptocrate à l’État malfaiteur ? », in BAYART, ELLIS et HIBOU, La Criminalisation de l’État en Afrique, Bruxelles, Complexe, coll. « Espace international », 1997, pp. 17-54.
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