F. Nicoullaud analyse l’élection présidentielle en Iran. Il y voit un succès des sanctions, un succès pour le régime et un succès pour le peuple iranien. Il s’interroge ensuite sur les perspectives. Les uns et les autres sauront-ils saisir l’opportunité de rebattre les cartes pour sortir de l’impasse ?
L’ETONNANTE victoire de Hassan Rouhani à l’élection présidentielle du 14 juin 2013 met en lumière trois succès.
D’abord, pour les Occidentaux, le succès des sanctions. Leur effet sur la population a clairement ajouté à son mécontentement et à ses frustrations, et donc à son soutien à un candidat affichant sa volonté d’un changement de comportement de l’Iran à l’égard du monde extérieur. Beaucoup parmi les auteurs des sanctions, aux États-Unis ou en Europe, en attendaient un changement de régime. Il ne s’est pas produit mais l’élection de H. Rouhani représente certainement un changement d’époque pour la république islamique.
Cette élection est aussi un succès pour le régime. On le disait sclérosé, incapable d’évoluer et de prendre en compte les aspirations de sa population. Le Guide de la révolution et son entourage, comme les Pasdaran qui forment désormais l’ossature du système, ont démontré leur capacité à tirer les leçons du soulèvement de 2009, généré par des élections truquées. Une fois le processus électoral encadré au départ par la sélection de huit candidats loyaux au système, le cœur du régime a su laisser passer au bon moment une grande bouffée de démocratie. Il obtient de ce comportement un nouveau bail en termes de crédibilité, et peut-être même de légitimité, tant aux yeux de la population que du monde extérieur.
L’élection est enfin et surtout un succès pour le peuple iranien, qui a manifesté son irrépressible aspiration à la démocratie, à la modernité, et à la normalisation de la relation de l’Iran avec le monde. Cette aspiration a été en grande partie déçue par la présidence de Khatami, et écrasée sous la présidence d’Ahmadinejad. Elle est réapparue intacte avec l’élection de Hassan Rouhani. Elle ne fera que se développer.
Ces constats faits, où va-t-on ?
Beaucoup de commentateurs ont dit et disent encore qu’il n’y aura pas de grands changements, à la suite de cette élection, le guide suprême étant le seul décideur. Les choses ne sont pas si simples. Khamenei détermine certainement les grandes orientations, les limites à ne pas dépasser, mais dans le cadre ainsi fixé, laisse des marges de manœuvre, souvent importantes, au Président de la république et à son gouvernement, même en politique extérieure, même en matière nucléaire. Et il peut se laisser convaincre d’évoluer.
Dans le domaine nucléaire, précisément, rappelons que H. Rouhani a été le pilote de la négociation du côté iranien de 2003 à 2005. C’est lui qui a convaincu Ali Khamenei d’interrompre, fin 2003, le programme nucléaire militaire conduit de façon clandestine par les Pasdaran. Ceci parce que l’ennemi principal de l’Iran, Saddam Hussein, était éliminé et que l’on savait enfin qu’il n’y avait pas de programme irakien d’armes de destruction massive. Et aussi en réponse au geste de bonne volonté des Européens qui avaient décidé d’entrer en négociation avec l’Iran. L’interruption de ce programme clandestin, qu’il a conduite avec énergie, contre de redoutables obstacles, a depuis été attestée par la communauté américaine du renseignement, puis par l’Agence internationale de l’énergie atomique. L’on peut se dire qu’avec le même homme aujourd’hui à la tête du gouvernement iranien, les risques d’une relance d’un programme nucléaire militaire paraissent très faibles.
Encore faut-il que les négociateurs américains et européens aient pleinement conscience de la chance offerte par cette nouvelle donne à Téhéran. H. Rouhani a dit vouloir une résolution rapide de la crise nucléaire et une levée aussi rapide que possible des sanctions. Si les Occidentaux y voyaient un aveu de faiblesse et pensaient tenir désormais l’Iran à leur merci, ils ruineraient l’occasion d’une sortie de crise. Déjà, ils avaient refusé leur confiance au président réformateur Khatami, voulant ne voir en lui que la façade avenante d’un régime dissimulateur et hostile. Cette attitude l’avait beaucoup affaibli, et l’on a eu ensuite Ahmadinejad. Il serait dommage de répéter cette erreur.
Reste la question syrienne. H. Rouhani aura, en tous cas dans l’immédiat, moins d’emprise sur ce dossier que sur le dossier nucléaire, car l’affaire syrienne est entièrement tenue par les Pasdaran. Mais sa dimension diplomatique pourrait être récupérée par un gouvernement qui aurait, contrairement à celui d’Ahmadinejad, quelque crédibilité sur le plan international. Quel que soit le caractère apparemment irréconciliable des positions et des interventions de part et d’autre, entre Russie et Occidentaux, entre Iran et pays du Golfe, il y a au moins un élément de convergence dans la vision d’une sortie de crise : le cheminement ordonné vers des élections ouvertes, contrôlées par la communauté internationale. Mais pour espérer progresser, encore faut-il que l’Iran soit considéré comme un interlocuteur, et non plus comme un adversaire infréquentable. L’arrivée d’un nouveau président à Téhéran offre en particulier à la France l’occasion d’évoluer sur ce point en acceptant la participation de l’Iran aux négociations multilatérales en cours. C’est une occasion à ne pas laisser passer.
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