Hubert Védrine est ancien ministre des Affaires étrangères (1997-2002, France). Il vient de publier avec Pascal Boniface, l’Atlas de la France, éd. A. Colin. Propos recueillis par Olivier Pádraig de France, normalien, chercheur en politique étrangère, de sécurité et de défense de l’Union européenne. Il travaille actuellement au European Council on Foreign Relations (ECFR).
De son bureau parisien, juché sur les hauteurs du Cours Albert Ier, Hubert Védrine observe : la Tour Eiffel, le Grand Palais en enfilade, l’Elysée que l’on devine en contrebas, et puis les frasques de la petite cuisine politique parisienne, française et européenne.
Observateur averti, au verbe prodigue et à la parole plutôt incisive, il garde un œil attentif sur la politique étrangère de Nicolas Sarkozy. Il réserve une place particulière à la politique française en Afrique du Nord, région avec laquelle il entretient une relation ancienne et spéciale.
De son enfance au Maroc, Hubert Védrine retient le « bain biculturel » dans lequel il trempe à partir de l’âge de neuf ans. Son père, proche des milieux au pouvoir et du roi Mohammed V, a joué un rôle prépondérant dans la préparation des négociations pour l’indépendance du Maroc dans les années 1948-49. L’ancien ministre évoque ses années étudiantes à Sciences-Po, lorsqu’il suivait le Maroc, la Tunisie et l’Algérie à la rue Saint-Guillaume pour la revue Maghreb-Machrek. Puis les quatorze années passées aux cotés de François Mitterrand [1], dont il est nommé conseiller diplomatique à trente quatre ans. C’est au tamis de ces années passées au contact du monde arabe qu’Hubert Védrine passe pour nous la politique étrangère de Nicolas Sarkozy [2].
« Sarkozy, dès 2007, assure vouloir se démarquer des lignes générales de la Vè République », dit-il. Son accession au pouvoir marque une rupture nette vis-à-vis de ce que l’on a appelé le gaulo-mitterrandisme, « synthèse gaullienne que la gauche avait endossée tout en la transformant et la continuant, et qui, sous une forme modernisée, m’a inspiré lorsque j’étais ministre. »
Les années 2007-2010 du quinquennat Sarkozy ? « C’est assez compliqué, assez désordonné… ». Elles sont relativement difficiles à décrypter, parce qu’elles mêlent « opposition prononcée à la politique arabe de la France, préservation de la paix dans son voisinage proche, protection des intérêts de la France dans la région, et quasi-alignement sur la politique de George W. Bush [3] » – ce qui ne facilite pas la formulation d’une ligne claire lorsque arrive le Printemps arabe.
La diplomatie française est prise à contre-pied. « Il y a d’abord un temps d’observation avec plus ou moins de sympathie et d’inquiétude, parfois les deux en même temps ». Elle peine à dégager une stratégie plausible et cohérente. Mais, glisse H. Védrine, « toutes les autres sont dans le même cas : les voisins arabes, les islamistes tunisiens, les turcs, les israéliens et les américains ».
Le départ de Michèle Alliot-Marie du ministère des Affaires étrangères [4] et l’arrivée au gouvernement d’Alain Juppé [5] – « qui est une classe très au-dessus des autres ministres » – précipite les choses. Ce remaniement remet d’aplomb la diplomatie française, elle qui « marchait un peu sur la tête », et rassérène le Quai d’Orsay. Surtout, elle permet de formuler rapidement quelques principes élémentaires, que Védrine énonce de façon lapidaire : « le Printemps Arabe est un mouvement courageux, nous en approuvons l’orientation, l’on espère que tout va bien se passer, et l’on aimerait bien pouvoir l’y assister. »
Pour le reste, dit-il, c’est à une analyse différenciée des spécificités de l’évolution pays par pays qu’il convient de se livrer – de l’évaluation des forces en présence en Tunisie à la construction ou non d’un Etat de droit en Libye et à la chronologie des évènements en Algérie. Beaucoup dépendra des modalités précises de ce processus de reconstruction, et de la mesure dans laquelle l’Union européenne et la France auront voix au chapitre.
Selon Védrine, la priorité pour les pays de l’UE reste d’accepter la nécessité de l’accompagnement du Printemps arabe pour parer au désordre à court terme, avant de s’accorder sur le principe d’un soutien à long terme. Cette vision doit donner lieu à une définition politique, soumise aux 27, susceptible de faire émerger une ligne directrice claire.
L’UE se doit de formuler des propositions pragmatiques, fonction des demandes et des besoins les plus pressants des pays nord-africains concernés : « Il faut établir de quoi ils ont besoin exactement – de l’argent ? Du savoir faire ? ». Il faut une « feuille de route » et une répartition concrète des responsabilités des différents acteurs concernés : « ce qui relève de la Commission, de la Banque européenne d’investissement (BEI), de tel ou tel Etat membre en fonction de ses capacités, ses spécialités, son expertise, etc. ».
En pratique, les choses risquent d’être plus compliquées. « Certains acteurs feront des déclarations, dit-il. La compétition pour se placer dans la Libye de demain n’attendra pas ». Cependant, la France n’est pas la moins bien placée dans l’échiquier régional. Elle est susceptible de jouer un rôle majeur, « en définissant une politique pour l’Algérie et en s’accordant avec ses partenaires pour accompagner les transformations en Afrique du Nord. »
Et lorsqu’on lui demande ce qui, en dernier ressort, déterminera la politique de la France en Afrique du Nord dans les années à venir, il marque un temps d’arrêt, puis fait sienne la célèbre et laconique formule d’Harold MacMillan, ancien premier ministre britannique : « Events, dear boy, events » [6].
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