Géopolitique du Sénégal : une exception en Afrique

Par Gérard-François DUMONT, Seydou KANTE, le 15 janvier 2012  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Le Recteur Gérard-François Dumont est Professeur à l’Université de Paris IV-Sorbonne, Président de la revue Population et Avenir. Seydou Kanté est doctorant à l’Université de Paris IV-Sorbonne

L’année 2012 devrait être marquée au Sénégal par des élections présidentielles (1er tour le 26 février) puis législatives (juin). G-F Dumont et S. Kanté présentent à cette occasion une étude géopolitique de ce pays d’Afrique singulier à plus d’un titre. (5 graphiques, chronologie, bibliographie)

DEPUIS LONGTEMPS, le territoire correspondant au Sénégal actuel bénéficie, avec son ouverture sur l’océan Atlantique, d’une situation géographique remarquable. Cette dernière a permis au pays de jouer, très tôt, un rôle de plaque tournante dans les différents échanges entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique [1]. D’ailleurs, jusqu’en 1960, Dakar est la capitale de l’Afrique Occidentale française (AOF). Au nord, le Fleuve Sénégal, qui a donné son nom au pays est depuis toujours une zone de contact privilégiée avec les autres régions africaines. Toutefois, depuis l’indépendance acquise en 1960, ces incontestables atouts géographiques ont-ils été valorisés ?

Pour répondre à cette question, il convient d’abord d’examiner les aspects démographiques de la géopolitique du Sénégal, puis de s’interroger sur la nature de sa situation géopolitique interne. Enfin, la question des deux principales crises traversées par le Sénégal lors de son premier demi-siècle d’indépendance et la réalité de son rayonnement extérieur seront examinées, sans omettre le rôle de la diaspora sénégalaise dans le contexte de la mondialisation.

Les aspects démographiques de la géopolitique du Sénégal

Au regard de sa population et de sa densité, le Sénégal apparaît peu peuplé. Mais son importance relative apparaît clairement lorsque l’on considère son poids démographique et urbain dans sa région.

Un pays faiblement et inégalement peuplé…

Les différentes études démographiques réalisées au Sénégal s’appuient principalement sur les trois recensements de la population réalisés en 1976, 1988 et en 2002. En 2004, la Direction de la Prévision et de la Statistique (DPS) publie « les projections de populations du Sénégal » à l’horizon 2015. Selon cette source comme sur les autres sources disponibles sur le Sénégal, la population de ce pays, qui était de 3 millions d’habitants en 1960, année de l’accession du pays à la souveraineté internationale, s’élèverait à 12,8 millions d’habitants en 2011 [2], chiffre auquel il faut ajouter près de 3 millions [3] vivant hors des frontières du pays et pourrait atteindre près de 15 millions de personnes en 2015, puis près de 18 millions en 2025. Notons que la population du Sénégal se répartit entre quelques principaux groupes ethniques et linguistiques (Wolofs, Peuls, Serer, Mandingue, Diolas, Soninkés) et une multitude de groupes ethniques ne représentant qu’une faible proportion de la population totale (Manjack, Balant, Bassari, Bainouk…).

Géopolitique du Sénégal : une exception en Afrique

À la faiblesse de la population s’ajoute une modestie de la superficie du pays, 197 161 km², soit environ le tiers de la France. À l’échelle régionale, le Sénégal est moins étendu que le Mali, la Mauritanie et le Niger. En revanche, le pays est plus vaste que le Bénin ou le Togo. Compte tenu de la faible étendue du pays, la capitale sénégalaise, Dakar, à l’extrême ouest du pays, n’est séparée que de 600 km de Kidira, ville située à l’extrémité orientale du pays, à la frontière malienne. Et, du nord au sud, seulement 460 km sépare la ville de Saint-Louis et celle de Ziguinchor, en Casamance.

En 2011, la densité de la population du Sénégal est de 65 habitants/km2, mais elle est très différente selon les régions du pays. Déjà, en 1960, la population du Sénégal est inégalement répartie, la façade atlantique étant plus peuplée. Depuis l’indépendance, cette inégalité demeure et les régions septentrionale [4] et orientale du pays continuent de se singulariser par la faiblesse de leur densité qui ne dépasse guère les 16 habitants/km². Plusieurs facteurs expliquent cette situation, dont le premier d’ordre naturel. D’une part, le nord et le nord-est du Sénégal sont soumis au climat sahélien, ce qui a comme conséquence la raréfaction des pluies et l’aridité empêchant les personnes de se sédentariser. À cela s’ajoute la profondeur des nappes phréatiques qui ne favorise pas l’apprivoisement en eau durant la saison sèche qui dure neuf mois. D’autre part, à l’est du Sénégal, le caractère inculte des sols, lié à l’importance des cuirasses latérites et leur caractère pierreux, voire caillouteux, explique en partie le vide démographique. En outre, la présence de plusieurs endémies parasitaires [5], avant leur éradication dans les années 1990, rend inhospitalière une bonne partie des vallées de l’est du pays. À ces facteurs, s’ajoute un autre facteur, historique, lié à la faible importance accordée, lors de la mise en valeur coloniale, à l’est du pays, accentuant donc le déséquilibre de peuplement.

Aussi, les principales régions de fortes densités du pays se situent-elles dans le centre ouest, dont Dakar, en basse Casamance et dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal. Le poids relatif croissant de l’agglomération dakaroise accentue le déséquilibre de la répartition de la population.

Armature urbaine macrocéphalique et géopolitique interne

En effet, notamment en raison de l’émigration rurale [6], l’agglomération dakaroise, qui représente 0,03% de la superficie du Sénégal, concentre à elle seule 2,9 millions d’habitants [7] (contre 0,35 en 1960), soit plus de 22% de la population du pays. La densité de Dakar dépasse les 4 000 habitants/km². Sa région regroupe plus de 80% des services du pays et 75% des industries. Depuis 1960, la situation de macrocéphalie héritée de l’époque coloniale s’est accentuée. Dakar, en raison de l’importance de sa population et de son poids économique, joue un rôle géopolitique interne majeur et symbolise, à elle seule, le Sénégal. En 2000, lors de l’élection présidentielle, la défaite du parti au pouvoir (Parti socialiste) à Dakar a eu comme conséquence la défaite du président sortant. Ce rôle de la capitale sénégalaise dans la géopolitique interne s’est également confirmé lors des élections municipales et régionales du 22 mars 2009, remportées par la coalition des partis de l’opposition. Pour la première fois depuis 1960, Dakar n’est plus administrée par le parti au pouvoir et la perte de Dakar s’est accompagnée par la victoire de l’opposition dans plusieurs centres urbains de plus de 100 000 habitants [8].

Les autres principales villes, comme du nord au sud sur la frange occidentale, Saint-Louis, Thiès, Kaolack et Ziguinchor, dont la population s’accroît notamment en raison de l’émigration rurale, sont localisées sur la côte ou à proximité d’un littoral. Cela accentue les contrastes de peuplement entre les villes et les régions de l’intérieur du pays.

Jeunesse et géopolitique interne

La forme de la pyramide des âges du Sénégal est incontestablement celle d’un pays jeune, avec une large base et un sommet rétréci. La population du Sénégal croît assez rapidement avec un indice de fécondité, malgré une légère baisse [9], estimé à 4,7 enfants par femme en 2011 [10]. De 1960 à 2011, la population du Sénégal s’est accrue de 323% et le taux d’accroissement naturel de la population est estimé à 2,8% en 2011, chiffre correspondant quasiment à un doublement tous les quarts de siècle. Cette croissance rapide de la population sénégalaise s’explique par une forte natalité, dont le taux brut 2011 est de 36 naissances pour mille habitants. Le taux de mortalité a baissé de 26 décès pour mille habitants dans les années 1960 à 9 en 2011 d’autant que le Sénégal, contrairement au reste de l’Afrique subsaharienne, est peu touché par le sida [11].

Selon les données de la Direction des prévisions et de la statistique, la structure par âge montre une population jeune où les personnes âgées de 0-14 ans représentent plus de 40% de la population, les 15-64 ans 56% et les 65 ans ou plus moins de 4%. Le poids des jeunes adultes dans la population totale a une importance géopolitique ; il a par exemple été décisif lors de l’élection présidentielle de 2000, à l’occasion de laquelle le candidat de l’opposition, Abdoulaye Wade, a misé sur l’électorat des jeunes qui votait très peu lors des précédentes élections. Cette stratégie s’est avérée payante car, selon les enquêtes, plus de 65% des jeunes âgés de 18 à 30 ans ont voté pour Me Abdoulaye Wade. Le candidat sortant, Abdou Diouf, a bénéficié plutôt du vote de la tranche d’âge des personnes âgées de 45 ans ou plus.

Cependant, une décennie plus tard, au début des années 2010, le contexte socioéconomique et politique du Sénégal est caractérisé par du mécontentement dans sa population juvénile. Les jeunes du Sénégal sont aux avant-postes des principales manifestations contre le pouvoir en place. Leurs revendications demeurent toujours les mêmes : emplois, lutte contre la corruption et le népotisme, respect des institutions… C’est dans ce contexte qu’est né le mouvement de protestation « Y en a marre ». Lancé en février 2011, le mouvement « Y en a marre » est piloté par deux jeunes rappeurs assistés d’un jeune journaliste. Leur slogan est devenu un cri de ralliement dans tout le Sénégal. Le 19 mars 2011, date anniversaire de la onzième année de l’alternance, marquée par l’arrivée de Wade au pouvoir, le mouvement rassemble plus de 5 000 personnes, essentiellement des jeunes, à Dakar pour dire « non » au chômage, à la vie chère, aux coupures d’électricité, à la corruption... Le potentiel, l’ampleur et le maillage territorial du mouvement surprennent les autorités qui prennent des mesures restrictives contre les leaders : convocation à la police, garde-à-vue, intimidations etc. Ainsi, dans la perspective des élections de 2012, les jeunes, qui ont élu et réélu Wade en 2000 et 2007 vont-ils lui renouveler leur confiance ?

Population et géopolitique externe

Faiblement et inégalement peuplé, le Sénégal compte néanmoins une importance démographique régionale. Certes, la population du Mali est estimée à 15,4 millions en 2011, mais sur une superficie plus de six fois supérieure à celle du Sénégal, et donc une densité de seulement 12 habitants/km2. Au nord du Sénégal, la Mauritanie ne compte que 3,5 millions d’habitants. La Gambie en compte 1,8 et, au sud, la Guinée-Bissau et la Guinée respectivement 1,6 et 10,2 millions. Le Sénégal peut donc être considéré comme un pôle démographique régional d’autant que sa densité, bien que limitée, est la plus élevée que celle de ses cinq pays limitrophes.

Cette fonction régionale se trouve accrue au regard de l’armature urbaine régionale. En, effet, Dakar n’est pas seulement la grande ville nationale, mais la plus grande agglomération régionale. Bamako, au Mali, compte 1,7 million d’habitants (en 2010), comme Conakry, et Nouakchott en Mauritanie moins de 1 million. En considérant l’ensemble de l’Afrique occidentale [12], à l’exception des villes de Lagos et de Kano au Nigeria, seule Abidjan apparaît plus peuplée avec près de 4,8 millions d’habitants, sachant que son peuplement s’est accentué avec le conflit civil qui s’est aggravé en 2002.

Le Sénégal, malgré un peuplement relativement faible en Afrique comme dans le monde, bénéficie en partie de l’un des « lois de la géopolitique des populations » [13], la « loi du nombre », par un poids démographique significatif par rapport à ses pays voisins et plus encore par l’importance démographique de sa capitale politique et économique.

Les aspects démographiques de la géopolitique appellent également un examen de la composition humaine du Sénégal et du rôle de sa diaspora, aspects que nous examinerons plus loin, après avoir analysé la question de la stabilité politique.

Un modèle de stabilité géopolitique interne en Afrique ?

La description de la géopolitique interne du Sénégal appelle à souligner sa stabilité attestée par la capacité du pays à surmonter des crises politiques et par une alternance politique.

Un pays politiquement stable…

N’ayant jamais connu de coup d’Etat, le Sénégal demeure l’un des pays les plus stables du continent africain. Depuis 1960, le modèle sénégalais de stabilité et de démocratie est souvent cité en exemple, même si Amnesty International a dénoncé quelques arrestations et emprisonnement politiques jugés arbitraires, comme celui de l’ancien Premier Ministre Idrissa Seck en 2005.

En 1960, année de l’accession du pays à la souveraineté internationale, le Sénégal opte pour un modèle politique assez proche du modèle français antérieur à 1958, avec des pouvoirs très importants donnés au Président du Conseil un rôle limité au Président de la République. Cette répartition des pouvoirs va être au cœur d’une grave crise politique.

La crise politique initiale qui a failli déstabiliser le pays

Elle oppose le Président du Conseil Mamadou Dia et le Président de la république Léopold Sédar Senghor, les deux chefs du premier exécutif sénégalais, en réalité déjà en désaccord à la veille de l’indépendance du Sénégal. En effet, en 1958, lorsque le Général De Gaulle propose un référendum aux différentes colonies françaises débouchant sur une communauté franco-africaine, les deux hommes font état, à Gonneville-sur-Mer, en Normandie, de leurs divergences. M. Dia souhaite la « rupture », alors que le Senghor propose le maintien du Sénégal dans une communauté avec la France. La seconde option l’emporte sur la première, mais, après l’indépendance, les divergences entre les deux hommes s’accentuent en outre sur la manière de gouverner le pays. (Cf. Repères chronologiques en pied de page)

En effet, selon la constitution initiale, Mamadou Dia, en sa qualité du Président du Conseil, représente le Sénégal sur le plan international. Senghor, qui, initialement, ne souhaitait pas être en charge de l’exécutif, finit par trouver cette situation inconfortable, lui l’Homme de lettres mondialement connu, car elle le prive d’une tribune internationale. En décembre 1962, après la tenue à Dakar d’un colloque international où Mamadou Dia tient un discours en totale contradiction avec les visions de Senghor et des ministres, la crise entre les deux chefs du pays atteint son paroxysme. Une grande partie des députés dépose une motion de censure. Le Président du Conseil Dia s’y oppose en faisant évacuer l’Assemblée par l’armée. Le 17 décembre 1962 au soir, la motion est néanmoins votée au domicile d’un député. Le lendemain, Mamadou Dia est arrêté avec plusieurs de ses amis. Du 9 au 13 mai 1963, il est jugé pour haute trahison par la Haute Cour et condamné à la déportation perpétuelle à l’extrême sud-est du Sénégal (Kédougou), à plus de 750 km de la capitale. Cet éloignement de Mamadou Dia [14] le prive du soutien de ses partisans qui se rassemblaient préalablement devant l’endroit où il était détenu à Dakar.

Il résulte de cette crise politique une importante révision constitutionnelle en 1963 avec la suppression du poste de premier Ministre et l’instauration d’un régime présidentiel. Les révisions constitutionnelles suivantes sont nettement moins importantes : en 2001, suppression du Sénat et mandat présidentiel ramené de 7 ans à 5 ans (avec effet pour les futurs mandats, donc à compter de 2007) ; en 2007, rétablissement du Sénat ; en 2009, création d’un poste de vice-président du Sénégal. Mais elles suscitent diverses réactions au sein de la classe politique sénégalaise entre partisans et opposants d’une part, et entre les intellectuels et constitutionalistes du pays d’autre part.

Ensuite, en juin 2011, la tentative d’une nouvelle modification de la Constitution du pays irrite nombre de Sénégalais ainsi que la communauté internationale. Cette modification vise à instaurer un « ticket » (Président et Vice-président) à l’Américaine à l’élection présidentielle, avec une possibilité pour le couple qui obtiendrait 25% des suffrages d’être élu au premier tour. Le 23 juin 2011, jour du vote de ce projet, des milliers de Sénégalais prennent d’assaut l’Assemblée nationale. La manifestation se transforme très vite en une quasi-insurrection. La France, par l’intermédiaire du porte-parole du Quai d’Orsay indique sa « surprise qu’une réforme aussi importante, présentée à moins d’un an d’une échéance électorale majeure, n’ait pas été précédée d’une large concertation avec l’ensemble des acteurs politiques ». Et, quelques heures après, l’ambassade des États-Unis à Dakar indique que son pays se range aux « côtés du peuple ». Le pouvoir ne peut que retirer le projet.

L’instauration du multipartisme

L’autre changement majeur, intervenu bien avant les dernières péripéties constitutionnelles, concerne les partis politiques. De 1964 à 1974, il n’existe au Sénégal qu’un parti politique, le parti au pouvoir de Senghor, l’Union progressiste et socialiste (UPS) qui s’intitule ensuite Parti socialiste (PS). En 1974, le multipartisme commence à être établi. Me Abdoulaye Wade crée la même année le PDS (Parti Démocratique Sénégalais), parti de contribution aux débats politiques avant de devenir, après le départ de Senghor en 1981, un véritable parti d’opposition. En effet, en 1978, Senghor remporte les élections présidentielles, mais quitte le pouvoir deux ans plus tard et est remplacé par son Premier ministre d’alors, Abdou Diouf. Ce dernier est élu, en 1981, pour un nouveau mandat, de 5 ans désormais.

De 1981 à la première entrée de Me Abdoulaye Wade dans un gouvernement, en 1995, la géopolitique interne du Sénégal est marquée par quelques crises politiques. En particulier, le résultat des élections de 1993, remportées par le Président Abdou Diouf [15], est contesté par le principal opposant, Me Abdoulaye Wade, qui est alors arrêté et emprisonné en compagnie de plusieurs autres dirigeants de l’opposition. Ces élections sont également marquées par l’assassinat du premier vice-président du Conseil constitutionnel, Me Babacar Seye, en charge de la proclamation définitive des résultats. Et les deux camps s’accusent mutuellement du meurtre du vice-président du Conseil constitutionnel. Le motif de l’interpellation de Wade tient à sa déclaration suivante : « je ne donne aucun crédit aux décisions du Conseil constitutionnel qui se trouve sous l’influence des hommes d’Abdou Diouf, en particulier de son vice-président, Me Babacar Sèye, qui a été pendant longtemps un député socialiste. Ce n’est pas sérieux » [16].

Cependant, faute de preuves concrètes le reliant au meurtre, le 18 mai 1993, Me Wade est relâché. Deux ans plus tard, en 1995, la situation politique du pays s’apaise. Le président Diouf, forme un gouvernement d’union nationale où Me Wade occupe le poste de Ministre d’Etat auprès du Président de la république. Mais, à la veille des élections législatives de 1998, soit deux ans avant l’élection présidentielle, Me Wade démissionne, avec les ministres de son parti, de ce gouvernement.

Alternance démocratique

En 2000, le champ politique sénégalais connaît une évolution majeure et fort rare en Afrique, avec l’alternance dans une ambiance presque euphorique dans le tout le pays. Le 19 mars, lors du deuxième tour des présidentielles, Me Abdoulaye Wade, à la tête d’une coalition de partis politiques, met fin à 40 ans de règne socialiste. Avant même la proclamation des résultats définitifs, le Président sortant Abdou Diouf, très soucieux de la paix sociale, prend de court ses partisans et les membres de son directoire de campagne en téléphonant à Me Abdoulaye Wade pour le féliciter. Ce geste renforce l’image du Sénégal sur le plan international en tant que pays de référence en matière de démocratie en Afrique [17].

La défaite du Président sortant Diouf peut s’expliquer, d’une part, par la situation économique difficile que traverse le Sénégal et, d’autre part, par la défection dans son parti, le PS, de figures emblématiques, comme Djibo Kâ, ancien directeur de cabinet du Président Senghor, et Moustapha Niasse, ancien Premier ministre. Ces deux personnalités se sont présentées au premier tour de l’élection présidentielle, obtenant respectivement plus de 7% et près de 17% des voix, puisées essentiellement dans l’électorat du Parti Socialiste. Malgré le revirement de Djibo qui appelle à voter Diouf au second tour, l’alternance survient grâce au report des voix de Moustapha Niasse pour le candidat de l’opposition.

Les quatre années qui suivent l’alternance politique sont marquées par une situation politique calme. Le Président Wade dirige le pays sans grande difficulté et plusieurs ténors de l’ancien régime rejoignent le Parti au pouvoir. Mais cette transhumance politique crée des tensions dans la mouvance présidentielle. Et la coalition qui a porté Wade au pouvoir commence à s’effriter, notamment avec le limogeage du ministre Ahmet Dansokho, dirigeant du parti Marxiste Léniniste PIT (Parti de l’Indépendance et du Travail). D’autres membres de la coalition au pouvoir, dénonçant le non-respect du programme de campagne du Président Wade, ainsi que la corruption et le népotisme, s’éloignent du pouvoir.

En 2004, la situation politique du pays connaît un conflit ouvert au sommet de l’Etat entre le Président Wade et son sherpa, à l’occurrence Idrissa Seck, ancien directeur de campagne, ancien ministre d’Etat et directeur de cabinet du Président, et alors Premier ministre. Pour cause de dualité d’opinion au sommet de l’Etat, Idrissa Seck est limogé. Il est accusé de détournement de fonds dans les chantiers de la ville de Thiès, située au centre-ouest du pays, et d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Il fait ensuite 7 mois de prison avant de bénéficier d’un non-lieu partiel en 2006, puis d’un non-lieu total en 2009. Cet imbroglio politico-judiciaire, très suivi par l’opinion publique, a failli remettre en cause la stabilité du pays. Néanmoins, en 2007, le président Wade est réélu pour un deuxième mandat.

La nouvelle carte politique

Deux ans plus tard, le 22 mars 2009, une nouvelle carte politique du Sénégal se dessine, lors des élections municipales et régionales. En effet, ces élections se soldent par la perte des grandes villes du pays, dont la capitale Dakar, par le parti au pouvoir. Ce dernier connaît l’échec en face d’une coalition des partis d’opposition, renforcée par l’ancien numéro 2 du parti présidentiel et Premier ministre (2004-2007), Macky Sall. Plusieurs observateurs imputent cette défaite à l’incapacité du gouvernement en place de répondre à la demande sociale, ainsi qu’aux ambitions, officiellement cachées, du Président Wade de voir lui succéder son fils, Karim Wade. La liste sur laquelle ce dernier est candidat à la mairie de Dakar essuie une défaite. Ces résultats électoraux poussent depuis le Président Wade à reconsidérer sa stratégie politique. Son parti au pouvoir, le Parti Démocratique Sénégalais (PDS), cherche à se restructurer à la manière de l’UMP en France, et un rôle important en vue des élections présidentielles et législatives de 2012 semble assignée à l’ancien Premier ministre Idrissa Seck. Mais le retour de ce dernier dans le camp présidentiel ne s’est guère concrétisé et, dès début 2010, il conteste la validité de la candidature du Président sortant. Sa position lui a valu une nouvelle exclusion au sein du Parti Démocratique Sénégalais (PDS). Il a depuis reformé son ancien Parti, Rewmi (le Pays en français), créé en fin 2006 à l’occasion de l’élection présidentielle de 2007. Il est aujourd’hui, avec Macky Sall (ancien Premier Ministre de 2004-2007) l’un des principaux adversaires du Président Wade.

En dépit d’une grave crise politique dans les toutes premières années de l’indépendance et des tensions politiques périodiques dues au jeu des rapports de force, le Sénégal se caractérise par une remarquable continuité institutionnelle et par une stabilité politique qui méritent des explications. L’une d’entre elles tient au contexte religieux.

Le rôle et la place d’un Islam atypique

La population du Sénégal est pour l’essentiel musulmane, à 95% selon la Direction de la statistique et des prévisions (DSP), même si ce pays connaît deux minorités chrétienne et animiste, qui représentent respectivement environ 4% et 1% de la population. La religion dominante se caractérise par un Islam atypique et par d’importantes confréries religieuses.

La vie quotidienne des Sénégalais est fortement marquée par l’Islam dans toutes leurs activités sociales, culturelles, dans les arts, dans l’architecture, dans le langage, comme dans la vie politique. Cette forte influence de l’Islam tire ses origines d’une longue histoire, « plus de dix siècles de diffusion d’un Islam qui, tout en restant ancré dans les traditions sunnites les plus orthodoxes, emprunte ses traits caractéristiques aux cultures locales » [18]. En réalité, la population musulmane est répartie entre différentes confréries religieuses soufis : Quadiriya, Tidjanes, Mouride et Layenne.

Certaines confréries sont d’origine arabe (Quadiriya et la Tidjaniya) : d’autres, comme les Layennes et le Mouridisme, sont de création locale. Les confréries ont chacune leurs villes saintes, leurs dignitaires et disciples. Le Mouridisme est la seconde confrérie sur le plan numérique, après les Tidjanes, mais il est le plus dynamique sur le plan économique, culturel, politique. Le grand Magal de Touba, jour célébrant le retour de l’exil du fondateur en 1893, regroupe chaque année plus de 3 millions de personnes à Touba, la ville sainte du mouridisme.

Les confréries, « des régulateurs sociaux et politiques » ?

Les confréries musulmanes du pays apparaissent comme des « régulateurs sociaux » mais aussi politiques, et leur rôle dans la géopolitique interne du pays s’est accru depuis l’indépendance. Leurs dignitaires, très écoutés par les disciples, interviennent souvent dans le champ politique, soit pour apaiser les tensions entre les hommes politiques, soit pour donner un mot d’ordre en faveur d’un homme politique ou pour régler une situation critique. Du Président Senghor au Président Wade, en passant par le Président Diouf, les chefs d’Etat sénégalais ont tous joué la carte des confréries pour mieux asseoir leur légitimité ou pour bénéficier de leur soutien. Les confréries entretiennent et confortent des relations spécifiques avec l’Etat. « L’attachement des populations à leurs marabouts, qui détiennent un pouvoir de décision fort sur leurs fidèles, a favorisé cette situation. L’État sénégalais s’est consolidé en les utilisant pour renforcer sa légitimité et, en retour, leur octroie des avantages » [19].

Par exemple, en 2000, après sa première élection à la présidence de la République, le Président Wade accorde la primeur de sa première sortie au khalife général des Mourides à Touba. L’image du président s’agenouillant devant le marabout suscite alors beaucoup de débats au sein de la classe politique et parmi les observateurs du pays, puisque le Président Wade, contrairement à son prédécesseur, affirme ainsi ouvertement son appartenance à la confrérie des Mourides, ce qui crée un climat de malaise et frustration dans les autres confréries.

Notamment en raison du rôle des confréries, le Sénégal, depuis 1960, connaît, malgré les crises internes au sein des partis au pouvoir, une situation politique globalement stable. Néanmoins, cette stabilité du pays a traversé deux crises majeures, hormis la première de 1962.


Des deux principales crises à la géopolitique régionale et mondiale

Une première crise est interne. La seconde se situe à la frontière sénégalaise avec la Mauritanie.

Le conflit casamançais

La région de la Casamance, séparée d’une grande partie du reste du territoire du Sénégal par un État étranger, la Gambie, occupe la partie méridionale du Sénégal et couvre trois régions administratives : Ziguinchor, Kolda et Sédhiou. Sa situation géographique lui vaut d’être la région la plus verdoyante du Sénégal, avec le climat le plus humide du pays, la végétation la plus forestière et le réseau hydrographique le plus dense de tout le pays.

Dès 1960, année de l’indépendance du Sénégal, une partie de la population de la Casamance souhaite l’autonomie pour leur région, au nom de son identité spécifique. Ainsi, la Casamance, dans les siècles passées, a-t-elle rejeté aussi bien l’esclavage arabe qu’européen. Elle s’est aussi farouchement opposée aux ambitions de l’administration coloniale. En outre, l’enclave gambienne, sous forme de doigt de gan, à l’intérieur du territoire sénégalais, souligne sa marginalité géographique et explique son sentiment d’insuffisante considération par le pouvoir central. De plus, les Diolas qui habitent la Casamance n’apprécient pas d’y voir arriver des Wolofs souhaitant pouvoir venir y cultiver de l’arachide.

Dans ce contexte, le 26 décembre 1982, des manifestants séparatistes, avec à leur tête l’abbé Diamancoune Senghor, armés de coupe-coupe et autres armes blanches, pénètrent à Ziguinchor, la capitale régionale de la Casamance, pour réclamer l’indépendance. Les forces de l’ordre arrêtent leur dirigeant avec plusieurs de ses compagnons. Le Sénégal découvre alors l’existence de cet homme d’église qui prend la tête d’un mouvement séparatiste dénommé MFDC (Mouvement des forces démocratiques de Casamance). En 1987, l’abbé est libéré de sa prison. Trois ans plus tard, en 1990, d’importants affrontements, causant environ 150 morts, opposent l’armée sénégalaise et les séparatistes. Puis, le 31 mai 1991, un premier cessez-le-feu est signé entre le gouvernement sénégalais et les rebelles tandis que l’abbé Augustin Diamacoune Senghor, emprisonné une seconde fois en 1990, est libéré. Cependant, cet accord n’empêche pas les troubles de reprendre en 1993, causant environ mille morts. Le 8 juillet 1993, un deuxième cessez-le-feu intervient. Deux ans plus tard, l’année 1995 marque la disparition de quatre touristes français dans la région : les rebelles et les forces gouvernementales s’en rejettent la responsabilité.

De 1996 à 2009, des pourparlers de paix se déroulent périodiquement entre le MFDC et une commission nationale. Après différents nouveaux combats, un nouvel arrêt est décidé le 26 décembre 1999. Puis la maladie du dirigeant charismatique du MFDC crée des luttes de pouvoir au sein du mouvement. Elles aboutissent, en 2003, au meurtre de l’un de ses fidèles lieutenants, Sidy Badji. Toutefois, un accord de paix est signé le 20 décembre 2004. À la fin de l’année 2006, l’abbé Diamacoune Senghor, rongé par la maladie, est évacué à Paris par les autorités sénégalaises afin d’y subir des soins, et il meurt en janvier 2007 à Paris, à l’hôpital militaire du Val de Grâce.

Depuis, la situation géopolitique de cette partie méridionale du Sénégal semble apaisée. Cependant, les anciennes zones d’affrontement sont semées de mines antipersonnel et le conflit a poussé une partie des populations à migrer vers l’intérieur du pays ou dans les pays voisins où des rebelles se réfugiaient en temps de combats avec les militaires. Le conflit casamançais a donc eu des répercussions externes, car il a également touché des pays voisins comme la Guinée-Bissau et la Gambie. En outre, en France, en Espagne et même aux États-Unis, certains immigrés en provenance de la Casamance ont demandé et obtenu le statut de réfugiés politique.

Depuis 2004, la Casamance cherche à se reconstruire, même si la paix y reste fragile. Le gouvernement du Sénégal, les intellectuels et dignitaires religieux du pays œuvrent pour la consolidation de la paix. Toutefois, depuis 2010, des combats périodiques opposent les militaires sénégalais à quelques factions rebelles. Ces affrontements ont fait 5 morts parmi les militaires et plus d’une dizaine côté rebelles.

Au conflit casamançais, épisode marquant de la géopolitique du Sénégal indépendant, s’est ajoutée une crise avec un pays voisin, la Mauritanie.

La crise sénégalo-mauritanienne

De 1989 à 1991, ce conflit oppose, le long du fleuve Sénégal, les deux pays mitoyens. En avril 1989, à Diawara, localité frontalière avec la Mauritanie, située dans la région de Tambacounda (sud-est sénégalais), des affrontements opposent des bergers peuls mauritaniens et des paysans Soninkés sénégalais. L’armée mauritanienne intervient : deux Sénégalais sont tués et plusieurs blessés. En représailles à ces attaques, des centaines de boutiques détenues par des Mauritaniens au Sénégal sont pillées, et des Mauritaniens vivant au Sénégal sont même tués par des populations sénégalaises en colère. Fin avril, le bilan à Nouakchott indique des centaines de Sénégalais tués ou mutilés et près de 20 victimes mauritaniennes au Sénégal.

Face à cette situation, les deux pays décident de rapatrier leurs ressortissants grâce à l’appui de l’Algérie et le Maroc qui mettent en place un pont aérien pour évacuer de Mauritanie 70 000 Sénégalais et du Sénégal 170 000 Mauritaniens. Le 21 août 1989, le Sénégal rompt ses relations diplomatiques avec la Mauritanie.

Hormis le bilan humain, cette crise exerce des conséquences géopolitiques majeures dans la région de la vallée du fleuve Sénégal. Les déplacements et migrations forcées perturbent les modes de vie de gestion de la production de ressources des deux côtés. Par exemple, en Mauritanie, les secteurs du bâtiment de la pêche, largement exploités par les Sénégalais, souffrent de leur départ. Du côté sénégalais, l’arrivée de réfugiés accroît la population de certains villages, jusqu’à plus de 10% dans des villes comme Podor et Matam. Par ailleurs, cette crise favorise l’ascension du président actuel, Abdoulaye Wade, qui critique sa mauvaise gestion par le régime en place. Le pays se trouve également fragilisé vis-à-vis de ses voisins, comme la Gambie et la Guinée-Bissau.

En avril 1992, l’apaisement vient avec le rétablissement des relations diplomatiques. Cette normalisation explique que le Sénégal puisse jouer depuis un rôle majeur dans le dialogue politique en Mauritanie : négociations sur la transition après un coup d’État en 2008, rencontre entre putschistes et opposants, organisation des élections.

Malgré les deux crises géopolitiques, internes et externes, qu’il a traversées depuis son indépendance, le Sénégal a su surmonter les épreuves en faveur d’une cohésion sociale à l’intérieur et d’une paix durable avec ses pays voisins, ce qui est un des éléments qui lui vaut une forte présence dans la géopolitique régionale et mondiale. L’aura internationale du Sénégal se mesure par son ouverture internationale, à travers des réussites comme des tentatives sans suite, et par le rôle de sa diaspora.

Un pays actif dans les organisations régionales et internationales

Le Sénégal est intégré au sein des instances de plusieurs organisations internationales et d’intégration régionales et sous-régionales. Malgré une population et des moyens limités, le pays entend jouer un rôle important en s’appuyant sur sa position géographique stratégique, sur sa stabilité politique et sur la qualité de ses ressources humaines. Ainsi, le Sénégal est-il membre de l’ONU (adhésion du 28 septembre 1960), du groupe des 15 (G15 [20]), de l’Organisation internationale pour la francophonie (OIF), de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), etc. Il entretient des relations privilégiées avec l’Union européenne dans le cadre du Groupe Afrique Caraïbes Pacifique (ACP) [21].

Le Sénégal est également membre de l’Union Africaine, de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEOMA)… À l’échelle régionale, le pays joue un rôle significatif dans les différentes organisations dont il est membre fondateur. La diplomatie sénégalaise au sein de ces différentes organisations est souvent reconnue.

L’union faisant la force, le Sénégal souhaite, avant même son indépendance, la création d’organismes régionaux entre les pays africains. Dans ce dessein, en janvier 1959, la Fédération du Mali regroupant le Sénégal, le Soudan français (futur Mali), le Dahomey (futur Bénin) et la Haute-Volta (futur Burkina Faso) est créée, sous l’impulsion des fédéralistes Léopold Sédar Senghor et Modibo Keita, qui sera ensuite premier Président du Mali. Cependant, le Dahomey et la Haute-Volta se retirent de ladite fédération deux mois après. Le Gouvernement de la Fédération est alors présidé par Modibo Keita et l’Assemblée par Senghor. Puis, durant l’été 1960, les divergences sur les orientations politiques entre Sénégalais et Maliens entraînent l’éclatement de la Fédération du Mali et chaque pays déclare son indépendance, le Soudan français sous le nom de Mali.

Néanmoins, le souci d’ouverture géopolitique régional du Sénégal demeure. Par exemple, en 1974, il participe à la création de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CDEAO). Quelques années plus tard, le 17 décembre 1981, le Sénégal crée une confédération, dénommée la Sénégambie, avec un autre pays voisin, la Gambie. Cette confédération a pour objectif de resserrer les liens entre les deux pays, de promouvoir la coopération dans les domaines des affaires étrangères et de la communication interne. Pour le Sénégal, l’objectif est aussi de géopolitique interne : il s’agit aussi de désenclaver la Casamance, dont plus de la moitié de la superficie se trouve isolée du reste du Sénégal par la Gambie. Mais, d’une part, les intérêts trop divergeant entre le Sénégal et la Gambie et, d’autre part, l’éclatement de la crise avec la Mauritanie sonnent le glas de la Sénégambie qui est dissoute le 30 septembre 1989.

Depuis 2000, année de l’arrivée du Président Wade au pouvoir, le Sénégal continue de s’activer pour faire entendre sa voix dans les relations internationales. En 2003, la fusion du plan Omega [22] de Wade et du Millenium African Plan, de l’ancien Président Sud-africain Tabo Mbeki, est à l’origine de la création du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). Même si ce dernier tarde à atteindre ses objectifs, il est le premier véritable plan de développement économique du continent africain élaboré par et pour les Africains. Le Sénégal s’active également pour la réalisation effective d’une Union africaine qui posséderait une véritable gouvernance et des instances fonctionnelles.

Voulant valoriser ses fonctions internationales, en 2005, le Sénégal déclare sa candidature pour l’obtention d’un siège au Conseil de sécurité de l’Onu afin de porter la Voix de l’Afrique. Cette candidature est motivée par la stabilité politique du pays, son modèle démocratique, son armée républicaine, sa longue expérience dans le domaine du maintien de la paix (plus de trois généraux sénégalais ont commandé des forces onusiennes), sa diplomatie et son engagement en faveur des causes africaines.

Le rayonnement international du Sénégal et le dynamisme de sa diplomatie sont renforcés par le rôle majeur de sa diaspora.

La diaspora sénégalaise, acteur géopolitique externe et... interne

Comparé à nombre de pays du continent africain, le Sénégal est assez pauvre en ressources naturelles. Ses principales recettes d’exportation proviennent de la pêche et du tourisme. Mais, compte tenu de sa situation géographique et de sa stabilité politique, le Sénégal fait partie des pays africains les plus industrialisés, avec la présence de multinationales, majoritairement d’origine française et dans une moindre mesure américaine. Néanmoins, l’essentiel de la production se concentre dans les services et la construction et se localise à Dakar et dans sa périphérie.

Le secteur agricole emploie environ 70% de la population sénégalaise, mais la part du secteur primaire dans le Produit Intérieur Brut est en constante diminution. Dans les années 2000, la baisse de la pluviométrie et la crise du secteur de l’arachide, principale culture de rente du pays, ont réduit la contribution de l’agriculture à moins de 20% du PIB. La pêche, qui reste cependant un secteur-clé de l’économie familiale sénégalaise, subit également les conséquences de la dégradation des ressources halieutiques, due à la surexploitation qui peut provenir de flottes originaires de pays très éloignés, comme le coût de la facture énergétique.

Le développement économique [23] limité du Sénégal, malgré une aide internationale conséquente, pousse depuis l’indépendance du pays une frange importante de la population à émigrer. La volonté de partir répond aussi à des facteurs « de repoussement dus aux difficultés éprouvées dans les [régions] de départ » [24] marquées par une pauvreté endémique, un sous-développement chronique et une politique économique nationale insuffisamment efficace.

L’émigration internationale est considérée comme un moyen de lutte contre la pauvreté et un gage de sécurité sociale pour les populations demeurant au pays. Ces dernières bénéficient amplement des retombées économiques de l’émigration. En effet, les transferts financiers venus de la diaspora sénégalaise représentent une rente non négligeable, puisqu’on estime que le flux financier généré par l’émigration sénégalaise est au moins égal au volume d’aides de la coopération internationale, soit 37 dollars par habitant et par an. Néanmoins, quantifier le volume de l’émigration sénégalaise depuis l’indépendance est un exercice difficile en raison de la spontanéité de son caractère et de la suppression, depuis 1981, de l’autorisation préalable de sortie de territoire national. Au fil des années, la géographie de cette émigration s’est étendue sur l’ensemble du territoire national. En conséquence, son centre de gravité s’est déplacé de la vallée du fleuve Sénégal (région de Matam, Tambacounda et Saint-Louis) vers le bassin arachidier (région de Louga et Diourbel). Il faut noter, par ailleurs, la participation active de groupes qui, auparavant, émigraient peu, en l’occurrence les Mourides.

Auparavant orienté, pour des raisons historiques et linguistiques, vers la France et les anciennes colonies françaises d’Afrique, le champ migratoire sénégalais est devenu multipolaire et fluctuant. Si l’Afrique reste la principale destination des Sénégalais, devant la France, certains pays occidentaux, comme l’Italie, les Etats-Unis et l’Espagne, occupent depuis les années 2000 une place de choix dans le champ migratoire sénégalais.

Les statistiques estiment à près de 3 millions le nombre des Sénégalais installés hors des frontières du pays, dont environ la moitié en Afrique, 20 à 30% en Europe, 10% en Amérique et le reste dans les autres pays.

La diaspora sénégalaise reste fortement attachée à son pays d’origine et est souvent dynamique dans les pays d’accueil. Prenons l’exemple des États-Unis où l’émigration sénégalaise y est récente par comparaison à la France. Dans ce pays, la place économique et culturelle des Sénégalais a joué un rôle clé sur le choix porté sur le Sénégal lors du voyage du Président Bush en Afrique en 2003, visite qui avait suscité beaucoup d’interrogations auprès des autorités françaises, ces dernières considérant toujours le Sénégal comme étant le « pré-carré » de la France. Certes, cette visite répondait aux intérêts géostratégiques des Etats-Unis en Afrique, mais elle a également été motivée par l’émergence de la diaspora sénégalaise au pays de l’Oncle Sam. Par ailleurs, la communauté sénégalaise de nationalité américaine installée aux Etats-Unis a voté massivement pour les candidats du parti démocrate, donc pour Barak Obama, aux élections de novembre 2008. D’ailleurs, le président des Jeunes Démocrates est un Sénégalais, Thione Niang [25], qui a émigré au Etats-Unis seulement en 2000.

La diaspora sénégalaise constitue également un acteur majeur pour la géopolitique interne du Sénégal, car elle est un porteur de voix. Non seulement elle vote lors des élections sénégalaises dans son pays de résidence, mais elle donne également des consignes de vote aux parents restés au pays.

En outre, notamment en raison de l’importance de la communauté sénégalaise en France, une grande partie des décisions politiques du Sénégal qui concernent les Sénégalais est prise à Paris par le Président actuel, ce qui ne fait que perpétuer une habitude instituée par ses prédécesseurs depuis 1960.

*

Le Sénégal est un pays faiblement peuplé dans le monde, mais pouvant être considéré comme relativement peuplé dans son environnement régional proche et comme disposant de la plus grande ville de la sous-région. Il apparaît à plusieurs égards, depuis son indépendance en 1960, comme un pays à la géopolitique interne stable, ce qui contraste fortement avec celle de la plupart des pays du continent africain. Par exemple, en un demi-siècle d’indépendance, contrairement à la plupart des Etats africains, le pays n’a jamais connu ni de régime militaire, ni une domination de la vie politique par les militaires. Depuis l’accession à la souveraineté internationale, la situation politique et géopolitique du Sénégal est marquée, à l’exception de deux crises très localisées, par une paix civile quasi-totale, ce qui contraste là encore avec la plupart des autres pays africains. Cette situation peut s’expliquer, entre autres, par la maturité de sa classe politique et le rôle politico-social des confréries et de leurs chefs au sein de la société sénégalaise.

Au tournant des années 2010, le Sénégal apparaît sans menace extérieure, comme ce fut le cas pendant quelques années avec le conflit avec la Mauritanie. Il lui faut cependant continuer de gérer avec doigté la question de la Casamance. Peut s’ajouter le manque de bon sens de certains hommes politiques, de l’opposition ou du pouvoir, qui sont parfois prêts à prendre le pays en otage en créant des tensions pour satisfaire leurs intérêts personnels. Ainsi, en ces années 2009 et 2010, au moment où le Sénégal doit faire face à nombreuses difficultés financières, où le chômage touche trois jeunes sur quatre, certains hommes politiques et leurs proches affichent-ils une opulence injuste et injustifiée. Cette situation présente un risque d’attiser la tension sociale et d’entraîner des mouvements sociaux qui pourraient déstabiliser le pays, alors que le niveau de développement du Sénégal est encore très insatisfaisant, qu’il soit mesuré par le PIB par habitant ou par l’indice de développement humain.

Au plan géopolitique externe, le Sénégal diversifie ses soutiens en modérant ses liens avec l’ancienne métropole coloniale et en s’approchant davantage des pays du Golfe ou des Etats-Unis. Dans le contexte de la mondialisation [26], la diaspora sénégalaise, bien qu’encore très présente en France, se trouve de plus en plus dispersée à travers le monde. Aussi joue-t-elle un rôle important dans cette nouvelle stratégie du pays vis-à-vis d’autres pays que l’Hexagone.

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Repères chronologiques sur la géopolitique du Sénégal

1857
Fondation de Dakar, point de départ de la conquête coloniale.

1895
Création de l’Afrique Occidentale Française (AOF).

1895-1902
Exil de Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du Mouridisme, au Gabon.

1902
Dakar devient la capitale de l’AOF.

1903-1907
Exil de Cheikh Ahmadou Bamba en Mauritanie.

1906
Début de la construction du chemin de fer Dakar-Niger.

1914-1918
Première Guerre Mondiale : des milliers de Sénégalais sont enrôlés.

1923
Achèvement de la ligne de chemin de fer Dakar-Niger.

1927
Mort de Cheikh Ahmadou Bamba.

1939
Deuxième Guerre Mondiale : enrôlement de troupes sénégalaises dans l’armée française.

1944
Mutinerie au Camp Thiaroye, dans la ville du même nom, dans la banlieue de Dakar, le 1er décembre, de soldats sénégalais réprimée de manière sanglante.

1946
Léopold Sédar Senghor : « … En 1946, je proclamais, en France, notre volonté d’indépendance, au besoin « par la force », mais, en même temps, notre volonté d’entrer dans une communauté de langue française « . (Liberté 3, p. 80).

1948
Novembre : Léopold Sédar Senghor émet le vœu de voir se créer « un Commonwealth à la française ».

1958
Léopold Sédar Senghor qui, dès le mois de juin, est l’un de ses ministres-conseillers de De Gaulle, renouvelle son vœu de 1948 alors que le Général s’apprête à lancer son projet de Communauté franco-africaine. Ainsi s’impose, dès la fin des années 1950, l’idée d’une Francophonie, « fille de la liberté et sœur de l’indépendance », rassemblant, autour de la langue française, les pays libérés de la tutelle coloniale.

1958
Dissolution de l’AOF et transfert de la capitale du Sénégal de Saint-Louis à Dakar

1959
Assemblée fédérale du Mali (Soudan et Sénégal). Léopold Sédar Senghor en est le président.

1960
Le 4 avril, signature à Paris de l’accord d’indépendance du Sénégal et du Soudan Français (actuel Mali) au sein de la Fédération du Mali. Le 4 avril est la date officielle retenue par le Sénégal pour célébrer l’anniversaire de l’Indépendance du pays.
Le 20 juin 1960 marque l’indépendance effective de la Fédération du Mali avant son éclatement le 20 août 1960, en raison des divergences entre le Sénégal et le Mali. Le 31 août 1960, Léopold Sédar Senghor est élu Président de la République du Sénégal et Mamadou Dia devient le Premier Ministre.

1962
En décembre, une crise constitutionnelle entraîne l’arrestation et l’incarcération de Mamadou Dia.

1963
Création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) dont le Sénégal est un membre fondateur. Inauguration de la Grande mosquée de Touba, la ville sainte de la confrérie des Mourides. Le 3 mars 1963, approbation de la Seconde Constitution qui instaure un régime présidentiel.

1966
Premier festival mondial des arts nègres à Dakar.

1968
Réélection du Président Léopold Sédar Senghor ; à Dakar, mouvements lycéens et étudiants suivis par les syndicats.

1969
Le 25 septembre, création de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) dont le Sénégal est l’un des pays fondateurs.

1969
Janvier : intervenant sur le thème : « La Francophonie comme contribution à la Civilisation de l’Universel », Léopold Sédar Senghor affirme que la langue française, tout en aidant à « l’éclosion de la Négritude », a vocation à fonder un grand projet politique, « [à] édifier, entre nations majeures, une véritable communauté culturelle (…). L’heure est désormais à la coopération. La Francophonie n’est pas une idéologie ; c’est un idéal qui anime des peuples en marche vers une solidarité de l’esprit » (Liberté 3, p.193-194).
En vue de « donner un nouvel élan à [ce] grand dessein », se tient, du 17 au 20 février, la Conférence de Niamey. Sous l’impulsion notamment de Hamani Diori, Habib Bourguiba et Léopold Sédar Senghor, respectivement présidents du Niger, de la Tunisie et du Sénégal, les pays francophones affirment à cette occasion le besoin de se doter d’un instrument de coopération interne.

1970
Approbation par référendum de la troisième Constitution qui restaure le poste de Premier ministre auquel Abdou Diouf est nommé.
Le 20 mars 1970, le Sénégal participe à la création, à Niamey, de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT, future Organisation internationale de la Francophonie).

1971
Colloque sur la Négritude à Dakar sous l’initiative de Léopold Sédar Senghor.

1972
Réforme territoriale et création des communautés rurales ; sécheresse.

1974
1er janvier : naissance officielle de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CDEAO) ; libéralisation progressive du régime, amnistie des prisonniers politiques dont Mamadou Dia ; création du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) par Abdoulaye Wade ; transfert du siège de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) de Paris à Dakar.

1976
Le multipartisme politique est autorisé au Sénégal.

1978
Élections législatives et présidentielles : Léopold Sédar Senghor est réélu.

1980
Le 31 décembre, le Président Léopold Sédar Senghor quitte volontairement le pouvoir et Abdou Diouf lui succède.

1981
En juillet, tentative de coup d’Etat en Gambie ; intervention de l’armée sénégalaise et création par suite de la Confédération de Sénégambie.

1982
Création du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC).
26 décembre : manifestations pour l’indépendance de la Casamance.

1983
Élection d’Abdou Diouf à la présidence du Sénégal ; en décembre, début du conflit en Casamance.

1988
Réélection contestée d’Abdou Diouf, violents affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants.

1989
Conflit sénégalo-mauritanien le long de la frontière ; dissolution de la Confédération de la Sénégambie.

1991
Participation des militaires sénégalais à la Première guerre du Golfe, plus de 70 Sénégalais y perdent la vie ; le Sénégal organise le 6e sommet de l’OCI.
31 mai : premier cessez-le-feu en Casamance.

1994
Janvier : dévaluation du Franc CFA, qui perd 50% de sa valeur.

1996
Lois sur la régionalisation et le transfert des compétences vers les collectivités territoriales.

2000
Alternance politique, élection de Me Abdoulaye Wade à la présidence, mettant ainsi fin à 40 ans de règne des socialistes.

2001
Mort du Président Léopold Sédar Senghor, membre de l’Académie française, en France. Lors de son enterrement au Sénégal, la France est représentée seulement par un secrétaire d’Etat. Les Sénégalais condamnent et considèrent cette attitude comme du mépris.

2002
Création de l’Union africaine (UA) dont le Sénégal est l’un des pays fondateurs. Naufrage du bateau le Joola qui assurait la liaison entre Ziguinchor (en Casamance) et Dakar. À ce jour, ce naufrage reste la plus grande catastrophe maritime contemporaine avec plus de 1 600 victimes, donc plus que le Titanic.

2004
10 décembre : abolition de la peine de mort.
30 décembre, accord de paix en Casamance.

2007
Réélection d’Abdoulaye Wade ; fort boycott de l’opposition lors des élections législatives ; novembre 2007 : émeutes "de la faim" à Dakar.

2008
11e sommet de l’OCI à Dakar ; manifestation des étudiants et élèves de Kédougou, dans l’extrême sud-est du pays, riche en minerais, réclamant des emplois, tourne à une émeute. Plusieurs bâtiments appartenant à l’Etat sont incendiés (sous préfecture, brigade de la gendarmerie, les bureaux de l’urbanisme…) ; on dénombre un mort par balle et plusieurs blessés graves.

2009
Élections municipales, régionales et rurales ; l’opposition remporte plusieurs grandes villes dont la capitale Dakar.
Septembre : depuis Washington, sur les ondes de radio "Washington la Voix de l’Amérique ", Abdoulaye Wade, 83 ans, annonce sa candidature pour un troisième mandat présidentiel en 2012.

Novembre 2009
L’ambassade américaine au Sénégal fait état de rumeurs concernant la préparation d’un nouvel amendement à la Constitution, dont l’objectif serait la suppression du second tour des élections présidentielles, afin de permettre la victoire d’Abdoulaye Wade en 2012.
Cette mesure serait liée à la défaite de la majorité présidentielle aux élections locales 2011. La succession du Chef de l’Etat par son fils est directement évoquée, à plusieurs reprises et dans différents documents, par l’ambassade américaine à Dakar.

Octobre 2010
Le ministère de l’énergie est ajouté aux nombreux portefeuilles ministériels détenus par Karim Wade, le fils du Président, qui gère ainsi un quart du budget national du Sénégal. Cette situation fait de Karim Wade un premier Ministre bis.

Novembre 2010
La légalité de la candidature d’Abdoulaye Wade aux élections de 2012 fait débat. L’ancien Premier Ministre, Idrissa Seck, après avoir consulté des constitutionalistes sénégalais, demande l’avis d’un spécialiste français en la matière, Guy Carcassonne. Ce dernier, après une analyse de la Constitution du Sénégal, conclut à l’irrecevabilité de la candidature d’Abdoulaye Wade en 2012 après deux mandats (2000 à 2007 et de 2007 à 2012).

10 au 31 décembre 2010
3ème Festival Mondial des Arts Nègres (FESMAN)

27 mai 2011
À Deauville, lors du sommet du G8 où le Président Abdoulaye Wade est invité, la chaîne de télévision France 24 montre des images du Président Sarkozy qui présente Karim Wade, le fils du Président sénégalais, à Obama. Cette vidéo choque nombre de Sénégalais et apparaît comme la consécration d’une volonté de « dévolution monarchique » du pouvoir.

9 juin 2011
Le Président d’Abdoulaye Wade, sans l’avis de l’Union africaine, se rend à Benghazi (fief des rebelles) en Libye. Il y tient un discours hostile à Kadhafi et demande à ce dernier de quitter le pouvoir. Or, Kadhafi fut l’un des rares chefs d’Etat à se rendre à Dakar lors du 3e Festival Mondial des Arts Nègres. On ne sait si cette visite et la position exprimée à cette occasion est une conséquence des entretiens de Deauville.

Juin 2011
Abdoulaye Wade tente de faire voter une réforme constitutionnelle bouleversant la règle électorale. Dans sa première version, celle-ci propose d’une part, le principe d’un « ticket » présidentiel (Président/Vice-Président) éligible au premier tour avec seulement 25% des suffrages exprimés, et, d’autre part, la succession du Président jusqu’au terme de son mandat par le Vice-Président, en cas de vacance du pouvoir. Si le Vice-Président élu sur le « ticket » présidentiel, frappé de mauvaise fortune, venait à démissionner ou disparaître, le Président serait en droit de nommer son remplaçant. Donc ce dernier, en cas de démission ou de décès du Chef de l’Etat, deviendrait Président sans jamais avoir été élu. L’expression « dévolution monarchique du pouvoir » est alors le sujet de conversation favorite des Sénégalais. Même les partisans d’Abdoulaye Wade semblent atterrés par un tel projet.

23 juin 2011
Les Sénégalais dénonçant ce projet font le siège devant l’Assemblée nationale le jour du vote. Des scènes de violence éclatent partout au Sénégal. À la suite de débats houleux et sous la pression de la rue, la majorité présidentielle à l’Assemblée Nationale, par la voix de son chef de file Doudou Wade, par ailleurs neveu du Président de la République, refuse d’endosser la responsabilité du vote et s’en remet au gouvernement. Le pouvoir recule : le projet de loi est retiré.
Ce jour marquera la naissance du « mouvement du 23 juin » qui regroupe les forces vives de la Nation et de l’opposition. Ce mouvement milite contre la candidature de Maître Abdoulaye Wade à la magistrature suprême qu’il juge irrecevable.

27 juin 2011
Une nuit d’émeute éclate dans certains quartiers populaires privés d’électricité.

3 juillet 2011
Karim Wade, Ministre d’Etat en charge de l’énergie, des infrastructures, de la coopération internationale, des transports aériens et de l’aménagement du territoire, publie une lettre ouverte aux Sénégalais où il réfute toute idée de dévolution monarchique.

6 juillet 2011
Au cours d’une interview, Robert Bourgi, figure emblématique de la « Françafrique », affirme avoir reçu un appel téléphonique dans la nuit du 27 au 28 juin 2011, alors que des émeutes font rage à Dakar, de Karim Wade, affolé, lui demandant d’intercéder auprès des autorités françaises afin d’obtenir une intervention de l’armée française. Mais Karim Wade réfute la véracité des propos de M. Bourgi.

Octobre 2011
Le conseil rural de Fanaye, village situé dans la région du fleuve Sénégal, décide d’octroyer 20 000 hectares à des investisseurs italiens. Cette décision est perçue, par des habitants de cette localité, comme une spoliation. Pour appuyer des manifestations contre le projet, certains ressortissants de cette commune, établis en Afrique centrale ou en Europe, reviennent. Le 26 octobre 2011, les manifestations à Fanaye font deux morts et des blessés graves. Pour calmer les populations, le Président Abdoulaye Wade suspend le projet.

20 novembre 2011
Les rebelles en Casamance prennent pour cible une trentaine de jeunes chercheurs de bois. Le bilan est lourd : 11 morts par balle, trois blessés graves et plusieurs disparus.

Novembre 2011
Le 21 novembre 2011, le camp du Président Abdoulaye Wade réunit à Dakar un séminaire d’une vingtaine de « spécialistes » étrangers, dont des Français, des Américains, des Africains et quelques Sénégalais. Ce séminaire, retransmis en direct à la télévision publique durant toute la journée du 21 novembre, conclut que la candidature de Abdoulaye Wade est recevable.

1er Décembre 2011
« Benno Siggil Sénégal », la coalition de partis d’opposition, principal vainqueur des élections locales de 2009, élit Moustapha Niasse comme leur candidat unique au détriment d’Ousmane Tanor Dieng, Secrétaire général du PS. Malgré ce résultat, Ousmane Tanor Dieng décide annonce sa candidature à l’élection présidentielle du 26 février 2012, arguant qu’il est le candidat légitime de la coalition puisqu’en 2007 il a rassemblé 14% des voix lors des élections présidentielles contre 5% pour Moustapha Niasse. Cette décision du PS de faire cavalier seul après 2 ans de collaboration marque l’éclatement la coalition.

26 février 2012
Premier tour des élections présidentielles (sachant qu’un second tour n’est pas certain).

Juin 2012
Législatives au Sénégal.

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Éléments bibliographiques

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CRUISE, O’Brien, « Confréries soufies et politique en Afrique noire », Politique Africaine, n° 14, novembre 1981.

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FRÉROT, Anne-Marie (direction), L’Afrique en questions, Paris, Ellipses, 2004.

KANTE, Seydou, « Les Sénégalais émigrent aussi vers les États-Unis. De fortes différences toutefois avec la France », Population et Avenir, n° 689, octobre-novembre 2008.

Marchés tropicaux et méditerranées
, Spécial Sénégal, n° 2986, janvier 2003.

N’DIAYE, Mamadou Lamine, La fonction des émigrés dans la stratégie de développement rural : voie pour le Sénégal ? Exemple de la région de Tambacounda, Thèse de doctorat de géographie, Paris1, 1993.

ORSTOM, Atlas National du Sénégal, 1977.

WACKERMANN, Gabriel (direction), L’Afrique en dissertations corrigées, Paris, Ellipses, 2004.

VAN CHI-BONNARDEL, Vie de relation au Sénégal : la circulation des biens, Dakar, IFAN, 1978.


Plus :

. Voir le site de la revue Population et Avenir, présidée par le Recteur Gérard-François Dumont Voir

. Voir un article de Xavier Aurégan, « Communauté » libanaise en Afrique de l’Ouest, publié sur le Diploweb.com le 7 octobre 2012 Voir


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[1Y compris dans les pires échanges, l’Ile de Gorée ayant aussi servi « d’entrepôt » pour esclaves en partance pour l’Amérique.

[2Sardon, Jean-Paul, « La population des continents et des pays », Population & Avenir, n° 701, novembre-décembre 2011, population-demographie.org/revue03.htm

[3Selon les données de la Direction des prévisions et de la statistique (DPS) et le Ministère des Sénégalais de l’extérieur. Cf. également Dumont, Gérard-François, Seydou Kanté « L’émigration sénégalaise : autant Sud-Sud que Sud-Nord », dans : Moriniaux, Vincent (direction), Les mobilités, Paris, Sedes, 2010.

[4Exceptée la vallée du fleuve Sénégal.

[5Onchocercose, trypanosomiase…

[6Liée aux conditions de vie difficiles dans le monde rural ainsi qu’aux sécheresses répétitives (en 1974 et en 1983 par exemple). Rappelons que c’est à tort que la mauvaise habitude a été prise de parler « d’exode rural », alors qu’il convient d’utiliser l’expression « émigration rurale » pour désigner l’émigration liée à des changements structurels dans la productivité agricole. Cf. Wackermann, Gabriel (direction), Dictionnaire de Géographie, Paris, Ellipses, 2005.

[7Chiffres WUP.

[8Thiès, Diourbel, Kaolack, Saint Louis, Louga…

[96,6 enfants par femme en 1988.

[10Sardon, Jean-Paul, op. cit.

[11Cf. une analyse toujours d’actualité : Amat-Roze, Jeanne-Marie, Dumont, Gérard-François, "Le Sida et l’avenir de l’Afrique", Ethique, 1994, n° 12, population-demographie.org/revue05.htm. Les données 2007/2008 du PRB indiquent 1% des 15-49 ans atteint du Sida au Sénégal contre 3,9% en Côte d’Ivoire, 3,1% au Nigeria, 1,6% en Guinée ou 7,4% au Kenya.

[12Selon le découpage géographique de l’ONU, « La population des continents et des États », Population & Avenir, n° 690, novembre-décembre 2008, population-demographie.org

[13Dumont, Gérard-François, Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations, Paris, Ellipses, 2007.

[14Parmi ses avocats, figurent Me Abdoulaye Wade, actuel Président du Sénégal, et Me Robert Badinter. Douze ans plus tard, Mamadou Dia est libéré, gracié, puis amnistié par le président Senghor, mais il ne retrouvera plus jamais un poids politique significatif. Mamadou Dia est mort en 2009 à Dakar à l’âge de 99 ans.

[15Actuel secrétaire général de la Francophonie.

[16Jeune Afrique, n° 1690, 2 juin 1993.

[17Un autre pays de référence est le Ghana. Le Président John Kufuor a scrupuleusment respecté la limitaion à deux mandats du mandat présidentiel. En décembre 2008, le candidat de l’opposition a été élu au second tour avec une majorité de 50,23% contre le candidat du pouvoir en place. Ce dernier a félicité son adversaire et il n’y a eu aucne violence post-électorale. Cf. Bernard, Philippe, « Démocratie : le « yes we can » africain », Le Monde, 17 janvier 2009, p. 2.

[18Dr Ibrahima Thioub ; Département d’histoire à l’université de Dakar

[19Gervasoni, Olivia, Gueye, Cheikh , « La confrérie mouride au centre de la vie politique sénégalaise », dans : Gomez-Perez, Muriel (direction), Islam politique au sud du Sahara, Paris , Karthala, chapitre 27.

[20Qui se veut un modèle de la coopération entre les pays du Sud.

[21Cf. Dumont, Gérard-François, Verluise, Pierre, Géopolitique de l’Europe, Paris, Sedes, 2009.

[22Wade propose en janvier 2001, au sommet France - Afrique de Yaoundé, un plan appelé Oméga qui vise à « résorber l’écart entre pays développés et pays sous-développés par des investissements massifs d’origine externe, coordonnés à l’échelle continentale, pour poser les bases du développement du continent africain ».

[23Cependant ce n’est pas l’unique cause de l’émigration.

[24Sur la distinction entre les effets d’attirance et ceux de repoussement, cf. Dumont, Gérard-François, Les migrations internationales, Les nouvelles logiques migratoires, Paris, Éditions Sedes, 1995.

[25Pendant la campagne électorale de 2008, plusieurs chaînes de télévision françaises ont effectué des reportages sur lui et son ascension politique aux Etats-Unis.

[26Dumont, Gérard-François, « Les nouvelles logiques migratoires », in : Université de tous les savoirs, sous la direction d’Yves Michaud, Qu’est-ce que la Globalisation ?, Paris, Editions Odile Jacob, 2004.

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