Un ouvrage au commerce agréable pour le public cultivé, dans un style accessible, utile pour les étudiants qui y trouveront un intéressant effort de synthèse.
Présentation par Hugo Billard du livre d’Olivier Kempf, "Géopolitique de la France. Entre déclin et renaissance", Paris, Technip, 2013.
OLIVIER KEMPF est maître de conférences à l’IEP de Paris, conseiller de rédaction de la Revue Défense Nationale et de la Nouvelle Revue de Géopolitique. Spécialiste de l’OTAN et de la cyberstratégie, il publie une Géopolitique de la France. Le sous-titre Entre déclin et renaissance laisse deviner les transformations en cours. 11 documents statistiques et 28 cartes, dont 8 en couleurs, illustrent un propos en partie délivré à des étudiants de Sciences-Po.
La construction d’un ouvrage de géopolitique est le reflet des difficultés à en définir la matière, toujours sur le fil entre histoire, géographie et analyse des rapports de forces à différentes échelles. Première moitié de l’ouvrage : la géopolitique intérieure de la France ; deuxième moitié : sa géopolitique extérieure. « La France se rêve et se comporte comme une puissance » (p.6). L’auteur brosse à grands traits un portrait des transformations de la France dans l’espace et le temps, en recherche de la définition mouvante d’un territoire, devenu mondialisé, qu’il s’agit d’identifier, de faire vivre, de défendre et de projeter sur des théâtres extérieurs.
Olivier Kempf raisonne sur la longue durée. La description de la géopolitique intérieure française est une géographie historique parsemée d’allers-retours contemporains. Le récit de la construction du territoire et de ses structures pérennes, qui doit beaucoup à Fernand Braudel, met en avant des sources parfois anciennes mais fondatrices. La complexité de l’administration royale puis républicaine, les conséquences du centralisme parisien, la déconcentration régionale, permettent d’intéressantes lignes sur les régionalismes et les transformations de Paris, même si la surveillance des populations et le renseignement intérieur sont juste esquissés. Ce vieux « pays d’immigration » (p. 79) est touché par une ségrégation qui exacerbe les confrontations sociales et culturelles : les débats sur l’identité française sont anciens et souvent renouvelés.
Les tensions territoriales, entre essor des métropoles, difficultés interrégionales et accélération des mobilités, aboutissent à un constat : la France est plus terrestre que maritime, une « dromarchie » (de dromos, la route, et arkè, le pouvoir) qui préfère les routes aux canaux et les gares aux ports (p.110). En réglant son compte à l’idée d’un discours décliniste récent, l’auteur montre les ambiguïtés du « modèle français » tiraillé entre un capitalisme d’État ancien, interventionniste et régulateur, et l’ouverture récente aux échanges sans contraintes. En des pages dynamiques, Olivier Kempf analyse les effets de « l’exception culturelle », réduite à l’état d’arme conventionnelle de la puissance française. Tourisme, culture, patrimoine, sont les armes d’un soft power mondialisé par une diplomatie dédiée.
Dans « La France et les autres », l’auteur analyse les relations entre la France et ses voisins, et l’influence française dans la construction européenne. Le « pragmatisme français » cherche un équilibre entre alliance économique allemande et alliance militaire britannique. Cœur d’un « check and balance », il est le trinôme géopolitique ouest-européen. À l’échelle mondiale, l’histoire coloniale et postcoloniale fait de la France une puissance géopolitique forte sur des espaces-cibles : l’Afrique, le Pacifique, les Antilles. La présentation des archipels ultramarins aurait pu interroger les tensions aux frontières maritimes françaises. Mais les pages qui suivent à propos des concurrences d’universalismes avec l’ami Américain, de la politique arabe comme « mythe dépassé » (p.211), et des relations ambiguës avec la Chine, montrent une France dont l’action extérieure est en transformation constante depuis deux décennies.
La dernière partie est le cœur de métier de l’auteur. Pour ceux qui veulent s’initier à l’histoire et aux principes de la défense militaire française, la synthèse est stimulante. Armes, capacités de projection, renseignement et cyberespace, principes et actions de dissuasion, actions militaires extérieures, transformation progressive de l’arsenal militaire et diplomatique issu du gaullisme : la défense française est en constante « adaptation pragmatique » (p. 265).
L’idée d’un « tabou » français sur sa géopolitique convainc moins, mais interroge le rapport des Français à leur État, instrument de puissance, à leur culture, modèle universaliste, et à leur rapport au monde, qui commence à s’affranchir d’un idéal de domination universelle diffusé par les conquêtes coloniales.
Le spécialiste, ou celui qui se fait une définition plus économique de la géopolitique française, peut tiquer face à certains raccourcis, s’étonner de thèmes absents, ou face aux notes de bas de page qui commentent plus qu’elles ne signalent les sources. Sans chercher à définir la mouvante matière géopolitique, Olivier Kempf réussit un ouvrage au commerce agréable pour le public cultivé, dans un style accessible, utile pour les étudiants qui y trouveront un intéressant effort de synthèse : c’était son objectif.
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