Le vice-ministre chinois de la Construction, Qui Baoxing, a parlé dans un forum organisé au Henan « de la crise d’eau la plus sérieuse et urgente du monde » Pourquoi ?
Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le diploweb.com est heureux de vous présenter un article publié dans le n°15 de la revue Monde chinois, automne 2008, pp. 7-19. Cette revue est publiée à Paris par les éditions Choiseul.
FIDELE à son profil économique et démographique d’exception, la Chine concentre tous les paramètres de la démesure en matière environnementale. Grand pays par le nombre (1,305 milliard d’habitants) et la taille (9,6 millions de km2), la Chine est relativement peu pourvue en eau douce. Si sa population représente 21 % de la population mondiale, le pays ne dispose que de 7 % des ressources en eau douce de la planète.
Le premier constat qui peut être fait est qu’il existe une très forte inégalité de la population chinoise par rapport à la ressource en eau. Si la Chine du sud concentre 80 % des ressources en eau et 55 % de la population du pays, la Chine du nord s’apparente à un parent pauvre : elle possède moins de 15 % de l’eau disponible tout en hébergeant 45 % de la population chinoise. Les statistiques montrent en particulier que certaines provinces du nord disposent de moins de 500 m3 d’eau par habitant et par an, ce qui les place bien en deçà du seuil de stress hydrique et au même niveau que des pays comme l’Algérie (478 m3 d’eau par habitant et par an) et Djibouti (475 m3 d’eau par habitant et par an).
C’est ensuite en Chine que les ressources en eau disponibles déclinent le plus rapidement. Selon l’ingénieur en chef Liu Ning, plus de 90 % des cours d’eau, y compris le fleuve Jaune, sont asséchés une partie de l’année. Comparée à 1950, la superficie des lacs chinois a par ailleurs diminué de 15 % et celle des marais naturels de 26 % [1]. La partie nord de la Chine, et surtout le nord-est, est la plus touchée par un manque d’eau chronique. Une ville comme Pékin est en particulier concernée par cette rareté, et a dû à l’été 2000 procéder à un rationnement de cette denrée essentielle.
La pollution de l’eau est malheureusement un autre paramètre à prendre en compte. En terme d’eau de surface, les mesures de qualité effectuées en 2005 à travers 2000 segments montrent que 25 000 km de rivières ne répondent pas aux normes de qualité standard et que 90 % des sections de rivière en bordure des grandes villes sont sévèrement polluées [2]. Sur un contrôle réalisé en 2004, trois lacs (Taihu, Chaohu et Dinachi) n’arrivaient pas à atteindre le niveau minimal de qualité des eaux.
Plusieurs raisons expliquent ces seuils de pollution. La première explication tient à l’usage extensif et sans contrôle de pesticides agricoles par une agriculture chinoise qui doit relever le défi d’alimenter 1,31 milliard de personnes, le tout dans un contexte de pénurie d’eau qui a d’ores et déjà conduit à une décrue significative de la production céréalière.
Le manque cruel de capacités de traitement des eaux résiduaires apporte une seconde explication à cette situation. Environ un tiers des rejets industriels et deux tiers des rejets domestiques chinois seraient en effet déchargés sans aucun traitement primaire. Selon l’administration pour la protection de l’environnement (SEPA – State Environmental Protection Administration), en 2003, seulement 40 % des 669 villes de plus de 100 000 habitants disposaient de stations d’épuration, alors que la quantité d’eau usée produite progressait au rythme de 5 % l’an, atteignant le chiffre de 46 milliards de m3 (46 % sont d’origine industrielle et 54 % d’origine urbaine) [3]. Jusqu’en 1999, la Chine ne totalisait également que 266 stations d’épuration modernes qui ne représentaient que 15 % en capacité du total d’eaux usées produites par les ménages. Cette sous-capacité chronique est un vrai drame quand on sait qu’il est communément convenu qu’un litre d’eaux usées pollue environ huit litres d’eau douce.
Des pollutions industrielles dues à une faiblesse de maintenance se sont également déclarées avec une fréquence croissante ces dix dernières années. Une étude réalisée par l’Académie des sciences de Chine a ainsi montré que les polluants issus de l’industrie pétrochimique sont largement répandus dans les nappes phréatiques. Des prélèvements réalisés à proximité de stations essence à Tianjin, non loin de Pékin, révèlent que, dans 85 % des cas, des traces d’hydrocarbures ont été trouvées dans l’eau. Dans 79 % des cas, la présence d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des substances hautement cancérigènes, était également constatée [4] .
Des accidents industriels majeurs sont également survenus, comme l’épisode dramatique d’Harbin en novembre 2005 : 100 tonnes de benzène déversées dans la Songhua par une usine chimique privant les habitants d’eau potable pendant cinq jours. La réponse des autorités a certes été proportionnelle à cette catastrophe. Le chef de l’administration pour la protection de l’environnement a été renvoyé et une enquête sur 21 000 usines chimiques situées en bordure des fleuves et des rivières a été lancée. Mais, entre l’incident de novembre 2005 et avril 2006, 76 cas supplémentaires de pollution accidentelle des eaux ont été dénombrés [5]. Au-delà des risques qu’ils font peser sur les riverains et sur l’environnement, ces incidents industriels à répétition pourraient également avoir de fâcheuses conséquences sur la progression du tourisme en Chine. Pour exemple, la ville de Suzhou, haut lieu touristique, considérée depuis le passage de Marco Polo comme la Venise de l’Orient, a eu visiblement à pâtir, à l’été 2007, de la pollution industrielle du lac Taihu, situé au nord-est de la ville.
Mais ce sont les conséquences immédiates et à plus long terme sur la santé humaine qui sont sans doute les plus désastreuses. S’il est tenu compte des statistiques chinoises qui convergent en disant que 300 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau courante, et donc consomment l’eau à partir de forages et de stockages individuels, les populations concernées sont particulièrement exposées à des maladies graves. Il est en particulier estimé que 11 % des cas de cancer du système digestif en Chine sont imputables à de l’eau polluée [6].
Chine. La rivière Dang (Dang He) à Dunhuang, dans la province du Gansu, connue pour son extrême sécheresse et la disparition progressive de ses cours d’eau. Photographie Adeline Cassier
À la lecture des éléments présentés plus haut, il n’est pas étonnant que le vice-ministre chinois de la Construction, Qui Baoxing, ait parlé dans un forum organisé au Henan, le 25 octobre 2005, « de la crise d’eau la plus sérieuse et urgente du monde » [7].
Dans ce contexte tant de pénurie que de pollution de l’eau dans certaines parties de la Chine, en particulier au nord et au nord-est, plusieurs scénarios envisagent la situation comme difficilement tenable sur le long terme. Que peut-il dès lors se passer ?
Par manque d’eau ou à cause d’une eau polluée dans les zones rurales, les migrations risquent d’abord de continuer à s’accentuer vers les grandes villes chinoises. Elles ont déjà contribué à augmenter la population urbaine de 103 millions de personnes entre 2000 et 2005, ce qui pose de graves problèmes d’intégration sociale et d’accès au logement. Cette croissance exponentielle pose également la question de la viabilité de l’extension des périphéries urbaines. Les investissements n’arrivant pas à suivre la demande sociale, nombreux sont les quartiers nouveaux de grandes villes qui n’ont pas accès à l’eau et à l’assainissement, posant en conséquence d’importants problèmes environnementaux et de santé publique.
Mais ces soucis d’aménagement du territoire, et de bien-être collectif commencent à être sérieusement pris en considération par les autorités chinoises, comme en témoignent de récentes prises de position publiques.
Le 5 mars 2006, à l’occasion du discours officiel du gouvernement lors de l’ouverture de la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire, le Premier ministre chinois spécifiait ainsi que « la nouvelle mission historique de la Chine est de réduire les risques politiques du fossé qui se creuse entre les riches et les pauvres, et d’animer l’économie vaste mais encore traditionnelle des zones rurales ».
La deuxième partie de son intervention illustre a posteriori la logique dans laquelle s’inscrit le lancement de « la stratégie de développement de la région centrale » en 1999, et celui un an plus tard, de « la stratégie de développement de l’ouest », toutes deux plus connues sous le vocable Go West. Pour y répondre, 110 milliards de dollars auraient été investis depuis cette date. Ils ont principalement été consacrés au financement de grands travaux d’infrastructures, au premier rang desquels se trouve la construction de barrages et de systèmes d’alimentation en eau potable et d’assainissement [8].
Dans un discours prononcé en 2007 par le Premier ministre, Wen Jiabao, devant les cadres du Parti, sorte de discours sur l’état de l’Union, il a également été fait référence 48 fois aux mots « environnement », « pollution », et « protection de l’environnement » [9]. Du jamais entendu.
Du jamais entendu également, les prises de position du vice-ministre de l’administration de la Protection de l’environnement, Pan Yue, qui critique une croissance aveugle et irrespectueuse des Chinois et de leurs générations futures [10].
Cependant, les discours et les volontés politiques peinent pour l’instant à se hisser au niveau des enjeux environnementaux rencontrés par la Chine. Le silence autour des premiers résultats du « Green GDP » atteste par exemple d’un malaise politique sur le sujet de la croissance. Demandé par le président chinois pour évaluer la croissance économique réelle, une fois soustraits les coûts d’atteinte à l’environnement et à la santé publique, le nouvel indice a dû être stoppé à peine après avoir été lancé. Les premiers résultats ont en effet montré que le « Green GDP » (PNB Vert) de certaines régions chinoises serait proche de zéro avec ce nouveau mode de calcul.
La Chine semble ainsi au croisement de deux chemins, comme le note Benoît Vermander, jésuite et directeur de l’Institut Ricci de Taïwan [11]. La Chine sera-t-elle une Chine brune, maintenant à tout prix une croissance très forte, sans regard pour ses conséquences écologiques ; affirmant un rôle de leadership à l’international via sa puissance militaire ; continuant les mêmes recettes de centralisme et de contrôle social pour éviter toute forme d’anarchie ?
Ou alors la Chine sera-t-elle une Chine verte, constatant puis corrigeant massivement les dégâts causés sur l’environnement, s’affirmant sur la scène mondiale comme une puissance pacifique, et s’appuyant sur la société civile pour prévenir les désastres environnementaux qui ne manqueront pas à nouveau de se produire ? Réponse dans les dix ans qui viennent.
Un autre motif d’attention des autorités chinoises réside dans les relations que la Chine doit désormais nécessairement entretenir avec ses voisins sur le thème de la protection de l’environnement. À la manière de ce qui s’est passé avec l’intégration des pays d’Europe de l’Est dans l’espace communautaire européen (l’Allemagne ayant été particulièrement attentive et revendicative sur les dangers que pouvaient receler pour l’environnement certains ex-combinats soviétiques, particulièrement en République tchèque), les pays riverains de la Chine sont susceptibles à tout moment d’exercer une pression politique ou d’émettre des plaintes internationales en cas de non-respect du principe de « sécurité environnementale commune ».
En novembre 2005, la pollution au benzène de la rivière Songhua, affluent du fleuve Amour, a ainsi eu de fortes répercussions sur les relations sino-russes, les eaux du fleuve s’écoulant en territoire de Russie et ayant également pollué, après Harbin en Chine, la ville russe de Khabarosk. Mise en place au début de l’année 2006, une commission environnementale russo-chinoise s’est concrètement réunie en mars 2007 à Pékin pour se pencher sur l’état écologique des cours d’eau situés à la frontière russo-chinoise. À l’occasion de la venue du ministre russe des Ressources naturelles, Iouri Troutniev, présent pour clore les travaux de la commission, Pékin a promis de débloquer 1,7 milliard de dollars pour organiser un contrôle régulier de la situation écologique et assainir les eaux polluées aux confins sino-russes.
Ces relations désormais existantes entre Russes et Chinois dans le domaine de l’environnement devraient s’étendre progressivement aux autres pays riverains. De ce point de vue, l’Organisation de Coopération de Shanghai pourrait offrir un cadre d’échanges pertinent. Instance de dialogue stratégique entre pays membres (Russie, Chine, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, et Tadjikistan) et pays associés (Inde, Iran, Mongolie et Pakistan), l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) a pour but le renforcement et les relations de bon voisinage entre États membres, la sauvegarde de la paix, la sécurité et la stabilité régionale, ainsi que la création d’un nouvel ordre politique et économique international.
Pour ces raisons qui régissent ses principes de constitution, l’eau et l’environnement devraient en toute logique avoir leur place dans ce cadre régional d’échanges stratégiques.
L’OCS serait en particulier bien inspirée de traiter les cas de pollutions transfrontalières comme l’explosion du 13 novembre 2005 à Jilin, qui a causé le déversement de 100 tonnes de benzène dans la Songhua, avec les conséquences que nous connaissons sur le fleuve Amour en territoire russe. Instance de dialogue, elle pourrait opportunément apaiser les conflits et crispations qui ne manqueraient pas de survenir en cas de nouvelles pollutions de l’eau ou de l’air entre pays membres. Mais l’OCS pourrait également aborder utilement les problématiques de raréfaction et de captation de la ressource en eau entre pays frontaliers. Sur cette question spécifique, la Chine est là encore montrée du doigt. Ses grands projets d’aménagements hydrauliques inquiètent en effet nombre de pays membres ou associés de l’OCS.
Les relations Chine-Kazakhstan
Le développement de la région autonome de la région du Xinjiang est une priorité politico-militaire chinoise. Théâtre d’un affrontement de puissance au XIXe siècle entre Russie tsariste, empire britannique et dynastie Qing, le Xinjiang a connu un passé chaotique au cours du
XXe siècle, avec notamment une révolution, sans doute fomentée par d’ex-officiers russes blancs qui souhaitaient établir une République du Turkestan oriental.
En ce début du XXIe siècle, le Parti communiste chinois et l’Armée populaire de libération semblent avoir repris définitivement les choses en main.
Il est vrai que les projets de développement n’ont pas manqué dans cette région située aux confins du grand-ouest chinois. De 1978 à 2004, les investissements qui y ont été consentis s’élèvent à 98,4 milliards de dollars [12]. Le PIB du Xinjiang devrait ainsi atteindre 52,5 milliards de dollars en 2010.
Pourquoi tant d’argent pour cette région située aux confins occidentaux de la Chine ? Pourquoi tant de réalisations menées par le Xinjiang Production and Construction Corps, l’organisation politico-militaire appelée également China Xinjiang Group, chargée des grands travaux d’aménagement ?
Tout simplement parce que le Xinjiang a un intérêt stratégique pour la Chine. Riche en matières premières, en gaz et en pétrole, la région autonome est jugée d’une importance vitale pour une Chine qui consomme toujours plus d’énergie et de ressources naturelles. Un pipeline de 4 200 km a ainsi été mis en service en août 2004 entre le bassin de Tarim et Shanghai. De plus, les investissements en infrastructures routières et ferroviaires ont consacré la région comme un nœud de communication stratégique. Enfin, lieu d’expérimentation nucléaire chinois, poste d’écoute régionale et de surveillance des bases missiles russes, le Xinjiang est une région militaire des plus sensibles pour l’Armée populaire de libération.
Dans ces conditions, l’eau est une nouvelle fois au cœur des enjeux. Pour que Pékin puisse maintenir sur le long terme sa position stratégique au Xinjiang et continuer sa dynamique de développement dans une zone qui est paradoxalement désertique, il faut de l’eau ; beaucoup d’eau. En particulier, grande exportatrice de coton, la région doit se doter de nouvelles capacités d’alimentation, l’industrie cotonnière étant traditionnellement très consommatrice en eau.
Pour y parvenir, Pékin s’est lancé en 1997 dans des travaux d’aménagements sur la rivière Irtych. Les autorités chinoises ont en particulier entamé la construction d’un canal de 300 km de long et de 22 m de profondeur qui inquiète particulièrement le Kazakhstan voisin. L’Irtych prend sa source dans les monts Altaï de Mongolie, s’écoule en Chine occidentale avant de traverser la Sibérie sur 4 248 km, ce qui en fait un des plus longs fleuves du monde. Le fleuve est à plusieurs titres fondamental pour l’économie du Kazakhstan. Il supporte d’abord des ouvrages hydroélectriques situés non loin de la frontière chinoise. Il alimente ensuite le canal d’irrigation Irtych-Karaganda, long de 450 km, qui apporte de l’eau aux terres arides des steppes du Kazakhstan. Il est enfin essentiel pour l’alimentation en eau d’Almaty, la principale ville du pays.
Or, force est de constater du côté kazakh que le débit du fleuve diminue depuis que les Chinois se sont lancés dans d’importants travaux d’aménagements en amont. Longtemps niée par les autorités chinoises, cette situation a cependant été pour la première fois reconnue lors d’une visite à Pékin du ministre russe des Ressources naturelles, Youri Troutniev, en avril 2005. Les autorités chinoises reconnaissaient, à l’occasion de cette rencontre officielle, qu’elles comptaient prélever jusqu’à 20 % des eaux du fleuve Irtych.
Même source d’inquiétude pour la rivière Ili qui s’écoule au Kazakhstan et prend sa source en Chine dans les Monts Célestes (Tian Shan). L’augmentation des besoins et des ponctions du côté chinois a d’ores et déjà des conséquences sur le débit de la rivière. Elle est pourtant essentielle à l’alimentation du lac Balkhach, contribuant à 80 % de son approvisionnement en eau. Comme pour la mer d’Aral, la superficie du lac Balkhach a fortement diminué au cours des décennies passées. En 1910, elle était de 23 464 km2. Elle n’est plus aujourd’hui que de 18 200 km2. En 20 ans, le lac aura baissé de 3 m. Le lac Alakol, situé à l’est du lac Balkhach, à 50 km de la frontière chinoise, n’existe plus qu’à l’état de marais salant. Triste fin pour cette retenue d’eau, qui préfigure malheureusement ce qui pourrait advenir du grand Balkhach. La fragilité de son écosystème a d’ores et déjà été constatée par des experts de la Banque mondiale [13] qui craignent à terme une catastrophe climatique et économique pour le Kazakhstan si rien n’est fait pour arrêter tant les visées chinoises sur les eaux de l’Ili que les pollutions industrielles du complexe métallurgique de Balkhach.
Mais, au-delà des problématiques d’eau sino-kazakhes, c’est l’ensemble de l’Asie centrale qui pourrait connaître de très sérieuses sources de conflit à cause de l’eau. La demande en eau régionale a en effet très fortement augmenté.
En 1911, 15 millions d’habitants étaient recensés au Turkestan (région d’Asie centrale comprenant le Turkmenistan, l’Ouzbekistan, le Tadjikistan, le Kirghizstan, le sud du Kazakhstan et le Xinjiang chinois) [14]. Ils représentent, en 2001, 73 millions de personnes et devraient dépasser 100 millions à horizon 2025, ce dans un contexte de raréfaction et de pollution des ressources en eau.
Les relations Chine-Russie
Les craintes des Kazakhs pour l’Irtych sont également partagées par les Russes. L’appétit du Xinjiang chinois en eau et en ouvrages hydroélectriques interpelle en effet les autorités russes qui craignent les conséquences de la surutilisation des eaux du fleuve par le grand voisin de l’amont. Il est vrai que la ville d’Omsk est alimentée par le fleuve, ainsi que l’Ob, autre grande rivière sibérienne, dans laquelle se jette l’Irtych.
Des problématiques similaires existent potentiellement tout au long de la frontière commune entre Chine et Russie, longue de 4 250 km. La Chine a en particulier parlé de son intention de prélever de l’eau sur la rivière Oussouri, qui fût déjà le théâtre d’incidents frontaliers entre Russie et Chine aux mois de mars et d’août 1969, lors de la rupture sino-soviétique.
La Russie accuse également les visées chinoises sur le fleuve Amour, le plus long de Sibérie et le quatrième d’Asie. Frontière naturelle entre Chine et Russie sur 1 600 km avant de recevoir la Songhua et l’Oussouri, il devient complètement russe avant de se jeter dans la mer d’Okhotsk. D’où notamment les inquiétudes des autorités régionales russes sur une nouvelle pollution de l’Amour à partir de la Songhua.
Par ailleurs, au-delà des pollutions accidentelles pouvant survenir, ce sont les rejets domestiques chinois dans les fleuves qui inquiètent les autorités russes. La population du Xinjiang croît en effet très fortement. Avec 1,6 million d’habitants en 2006, Urumqi, la capitale du Xinjiang, connaît une croissance démographique qui est à l’image de celle du nord-ouest de la Chine, la plus vaste et la moins peuplée des six grandes régions géographiques chinoises. Selon les statistiques officielles, cette région qui comprend, outre la région autonome du Xinjiang et celle du Ningxia, de même que trois provinces (Shaanxi, Gansu et Qinghai) a enregistré un taux de croissance démographique de 15,37 pour mille entre 1982 et 2000, soit 14,6 % de plus que la moyenne nationale sur la même période [15]. En 2003, la part de cette région représentait 7,23 % de la population nationale avec 90 millions d’habitants, et devrait atteindre les 100 millions de personnes à horizon 2015. Cette situation posera inévitablement des problèmes en terme de ressources en eau, sachant que la moyenne régionale de consommation est d’ores et déjà assez limitée avec 846,12 m3 par an et par habitant [16].
C’est pourquoi, tant en terme de disponibilité de la ressource qu’en terme de pollution des eaux de surface par les rejets domestiques, les Russes sont inquiets pour leurs fleuves situés en aval.
La signature d’un contrat par Veolia Water, en septembre 2005, visant la modernisation et l’exploitation d’une usine de traitement des eaux usées à Urumqi, pour 23 ans, ne suffira sans doute pas à apaiser les craintes russes, même si, par ce contrat, les capacités de traitement de l’usine seront portées de 200 000 m3/jour à 300 000 m3/jour.
Importance stratégique du Tibet : relations de la Chine avec l’Inde
Pour faire face à son manque d’eau, la Chine s’est lancée dans la construction d’ouvrages titanesques permettant un transfert d’eau Sud-Nord : le Projet d’adduction d’eau du Sud au Nord ou PAESN.
À travers ce projet, l’idée est de lier sur plus de 1 500 km le fleuve Jaune, asséché une grande partie de l’année, et le Yangtze (fleuve Bleu), fréquemment confronté à d’importantes crues. Pour ce faire, trois dérivations sont nécessaires. La première, dérivation Est, reliera l’aval du Yangtze non loin de Nanhin, jusqu’au Sud de Tianjin, le port commercial de Pékin. La seconde, dérivation Centre, sera un fleuve de 1 432 km entièrement façonné par l’homme pour assurer à Pékin et à Tianjin, un complément fondamental en eau brute à partir de 2010. La troisième, la dérivation Ouest, est d’une ambition technique très audacieuse : prélever 17 milliards de m3 d’eau du Yangtze sur les hauts plateaux tibétains et les transférer dans le fleuve Jaune non loin de sa source ; le tout à 4 000 m d’altitude.
Ce volontarisme des dirigeants chinois en matière d’aménagements hydrauliques a pour conséquence immédiate de réaffirmer la place du Tibet en tant qu’espace géostratégique essentiel de la République populaire de Chine.
Représentant 40 % des territoires du Grand Ouest chinois sur 2 500 000 km2, il est au centre des préoccupations du Programme de développement de l’Ouest, lancé en 2001 et dont les objectifs sont de valoriser les « ressources locales intéressantes » en vue de renforcer « la sécurité de l’État et de l’économie nationale ». L’eau du Tibet est ainsi vue comme une ressource stratégique qu’il convient de préserver et de gérer dans le strict respect de l’intérêt national. À cette fin, la région autonome du Tibet a approuvé, début février 2006, un « Programme sur la protection et la construction d’un rideau de sécurité écologique du plateau d’État du Tibet », qui comprend un investissement de 10,7 milliards de yuans [17] entre 2006 et 2010.
C’est précisément l’importance stratégique prise désormais par le Tibet, ainsi que les projets de développement chinois s’y déroulant, qui inquiètent l’Inde. A juste titre. Les hauts plateaux tibétains sont en effet considérés comme le château d’eau de l’Asie. Dix fleuves majeurs du continent asiatique y prennent leur source, dont le Brahmapoutre et l’Indus pour l’Inde.
Par ailleurs, c’est l’avenir même du Yangtze qui interpelle les autorités indiennes. Qu’adviendra-t-il du débit du fleuve une fois les transferts opérés ? Est-ce que les volontés de Mao qui ont inspiré le PAESN (“Southern water is plentiful, northern water scarce. If at all possible, borrowing some water would be good”) ne vont-elles pas conduire in fine à d’autres transferts massifs d’eau qui viseront cette fois-ci à alimenter le Yangtze ?
Dans cette perspective, les Indiens craignent de voir le cours supérieur du Brahmapoutre potentiellement utilisé à son tour par les autorités chinoises pour alimenter le Yangtze. Pour de nombreux experts, ce dernier sera en effet inévitablement touché à partir de 2020 par les ponctions du PAESN dont il aura été l’objet. D’où l’idée de l’alimenter à son tour par des dérivations.
Afin de réalimenter le Yangtze, la tentation chinoise pourrait être grande d’utiliser le débit du Yarlung Zangbo, nom chinois du Brahmapoutre quand celui-ci traverse sur 2 057 km la région autonome chinoise du Tibet. Cinquième fleuve de Chine par sa longueur, troisième par sa largeur après le Yangtze et la rivière des Perles, le Yarlung Zangbo a un débit annuel moyen de 140 milliards de m3 ; de quoi effectivement alimenter un Yangtze soumis à des pénuries chroniques dans un scénario de long terme.
Une autre source d’inquiétude indienne porte sur l’Arunachal Pradesh, un Etat de l’extrême nord-est de l’Inde, où s’écoule le Brahmapoutre, après que le fleuve ait quitté la Chine. Sur 92 000 km2, l’équivalent d’1 % du territoire indien, cette région est très riche en eau avec 5 000 mm de précipitations annuelles, contre un maximum de 2000 mm par an sur l’amont du Brahmapoutre dans la région autonome du Tibet.
Or, la souveraineté de l’Inde sur l’Arunachal Pradesh n’a jamais été officiellement reconnue par Pékin, qui conteste depuis une cinquantaine d’années, l’établissement de la ligne MacMahon, du nom de l’administrateur des Indes Sir Henry MacMahon qui établit en mars 1914 une ligne de séparation entre Inde et Chine. En 1962, la Chine interviendra même militairement pour reprendre contrôle du territoire, avant finalement de se retirer derrière les frontières qui prévalent aujourd’hui encore. Mais, si les armes ont cessé, les relations bilatérales sur les questions de l’eau sont tendues entre les deux pays. Elles atteignent des pics de tension à périodes récurrentes, surtout quand l’Arunachal Pradesh est l’objet d’inondations anormales à cause de la rupture de barrages naturels situés en amont du Brahmapoutre [18]. Elles viennent ainsi périodiquement rappeler un événement dramatique qui avait frappé l’Inde pendant l’été 2000. À la suite d’un glissement de terrain ayant provoqué l’affaissement d’un barrage, une masse d’eau s’était précipitée vers l’aval provoquant des dégâts considérables en Inde. Selon les autorités indiennes, la responsabilité des autorités chinoises avait été pleine et entière, les Chinois n’ayant communiqué aucune information sur la montée des eaux ni sur les fortes pluies survenues en amont du fleuve.
Sans parler de détournement des eaux du Yarling Zangbo (Brahmapoutre) et d’une occupation militaire de l’Aranachal Pradesh, afin d’alimenter le nord chinois en état de stress hydrique, les besoins en eau du Tibet vont eux-mêmes s’accroître dans les cinquante prochaines années, sur le modèle de ceux du Xinjiang. Si la zone est stratégique pour l’eau, elle l’est également pour ses ressources naturelles (gaz, pétrole, uranium) que la Chine entend exploiter pour ses besoins propres.
Depuis le Tibet, Pékin envisage ainsi de subvenir à terme à 50 % des besoins en énergie et à 60 % des besoins en matières premières de la Chine de l’Est [19]. Deux projets de pipeline pour acheminer du gaz à l’est sont déjà à l’œuvre afin d’exploiter le potentiel des sites pétroliers et gaziers tibétains : le bassin de Taisdam (6 champs de gaz et 1 de pétrole) et celui de Chang Thang. Par ailleurs, les autorités de Pékin ont pour objectif de désenclaver le Tibet et d’organiser d’importantes migrations dans un territoire représentant deux fois la France. Des lignes de chemins de fer, établies au rang de priorités nationales, vont le permettre. Pour exemple, le plus haut train du monde relie désormais Golmud dans la Province de Qinghai à Lhassa, capitale du Tibet. Quatre ans et près de 3 milliards d’euros auront été nécessaires pour traverser 1 142 km de plateau tibétain. Une prouesse technique comprenant 11 tunnels et 2 647 ponts, les trois-quarts du trajet s’effectuant à plus de 4 000 m d’altitude [20].
Actuellement, 5 à 8 millions de chinois sont présents au Tibet pour seulement 5 à 6 millions de Tibétains. Les besoins de main-d’œuvre pour valoriser le potentiel énergétique du Tibet, ainsi que les défis techniques relevés par les ingénieurs des chemins de fer chinois, vont permettre l’arrivée massive de nouveaux migrants et étendre la militarisation de la région sachant que celle-ci comprend déjà huit bases de missiles, soit le quart de l’arsenal nucléaire chinois.
Ces phénomènes de migration vont inévitablement accroître les besoins en eau, ainsi que les pollutions issues de rejets domestiques et industriels. La région autonome du Tibet se doit donc d’anticiper ces augmentations et de mettre en place rapidement des moyens de traitement d’eaux usées et des systèmes d’alimentation en eau potable adaptés à ces nouveaux enjeux. Sans quoi, les craintes du voisin indien pourraient bien s’avérer pleinement justifiées.
Mais, si les velléités de la Chine se confirmaient sur les sources du Brahmapoutre ou directement sur l’Arunachal Pradesh, la réaction indienne serait à n’en pas douter immédiate, car, au-delà d’un problème évident de souveraineté sur son territoire, le fleuve est essentiel à l’Inde, tant du point de vue religieux, économique, que sociétal.
Le Brahmapoutre, venant du sanskrit « fils de Brahma », est en effet sacré dans son cours inférieur pour les hindous. Il traverse sur 725 km la large et fertile vallée de l’Assam, avant d’entrer au Bangladesh, où il est rebaptisé la Jamula et devient affluent du Gange. Il est par ailleurs essentiel à la vie économique de l’Inde, qui ne peut se permettre la moindre contrariété à son sujet.
L’Inde représente 16 % de la population mondiale pour 4 % des réserves d’eau douce. Un fait d’autant plus préoccupant que la disponibilité en eau douce dans le pays est passée de 5 177 m3/hab en 1951 à 1 869 m3/hab en 2001. La concomitance de la forte croissance démographique (2 % par an, avec 1,7 milliard d’habitants atteint en 2024) et de l’urbanisation galopante (2003 : 29 % ; 2020 : 50 %) aura pour conséquence une aggravation de la disponibilité de la ressource. Les projections estiment celle-ci à 1 341 m3/hab en 2025 et 1 140 m3/hab en 2050.
Aujourd’hui, à l’image de la Chine, mais de manière différenciée, l’Inde cumule de graves problèmes : une surexploitation des aquifères, une pression démographique forte, notamment dans les mégapoles, une agriculture toujours plus consommatrice d’eau et une logique politique qui entrave toute gestion efficiente des ressources.
Si son grand voisin, et rival immédiat, se lançait dans une politique trop volontariste au Tibet dans le domaine de l’eau, il est écrit que les autorités indiennes réagiraient vigoureusement. Elles ne souhaiteront pas se voir imposer les lois de la géographie par une Chine conquérante sur son grand sud-ouest. Elles ne peuvent se le permettre au nom du principe de stabilité interne recherché par la plus grande démocratie du monde, sachant que le contexte de rareté de la ressource en eau que connaît l’Inde est déjà suffisamment grave, et potentiellement déjà crisogène.
Comme nous venons de le voir, les politiques d’aménagement du territoire de la Chine en matière d’eau auront à l’évidence des conséquences sur ses relations avec ses proches voisins. Mais, question de survie à terme pour la nation chinoise – ce qui est bien légitime – la stratégie des autorités de Pékin vise également le domaine technologique. Grâce aux miracles de la technologie, Pékin compte en effet avoir accès à de nombreuses ressources alternatives.
Aussi des partenariats nouveaux ne manqueront pas de se concrétiser entre la Chine et des pays ayant vaincu la rareté de la ressource en eau par la technologie et l’ingéniosité des chercheurs et des ingénieurs. Il en est ainsi d’Israël. Si les experts israéliens de la sûreté ont été assez présents pour conseiller Pékin sur la bonne organisation des Jeux olympiques, les experts en eau d’Israël ont également investi le sol chinois.
En 2006, la visite en Chine du Premier ministre israélien, Ehud Olmert, a en effet placé l’eau au centre des discussions entre les deux pays. Au moment de la signature d’un accord technologique dans ce domaine, le Premier ministre Olmert allait ainsi jusqu’à spécifier : « for China, water is as important as oil » [21]. Depuis cet accord, se multiplient visites de délégations, déclarations d’intention de l’Ambassadeur d’Israël en Chine, échanges d’experts dans le domaine de la réutilisation des eaux et du dessalement, ainsi qu’implantations d’entreprises israéliennes sur le sol chinois. L’entreprise israélienne Netafim a ainsi délocalisé en Chine une partie de sa production dans les systèmes d’irrigation, et la société Global Environment Services (GES) suit notamment un projet de traitement d’eau en Mongolie intérieure.
En avril 2006, un déplacement de neuf entreprises high-tech israéliennes a également été encadré par Mekorot, la société nationale d’eau, pour saisir les opportunités existantes dans le secteur du traitement des eaux résiduaires.
Dans ce domaine, il est vrai, Pékin se met en ordre de marche pour rattraper son retard. Afin de répondre aux enjeux considérables de la pollution de la ressource en eau, les autorités gouvernementales chinoises ont déployé un véritable plan de bataille pour s’attaquer à l’assainissement des grandes villes.
L’assainissement a ainsi été mis au rang des priorités du Xe plan quinquennal (2001-2005), ce qui devrait permettre de faire progresser le taux de traitement des eaux usées de 18 % en 2002 à 40 % en 2010 [22]. Mais les avancées de ce programme devraient rester assez contrastées. De fortes disparités sont en effet manifestes entre la Chine littorale, qui bénéficie à plein du mouvement de modernisation, et la Chine intérieure jusqu’ici moins chanceuse. Au sein des régions littorales, il apparaît par ailleurs que le Nord, situé sur la rive gauche du Yangtze, est moins ciblé par les actions en cours.
Il est donc fort à parier que le volontarisme de Pékin ne conduise la dynamique d’assainissement lancée en 2001 à s’étendre aux grandes villes chinoises de l’intérieur et à celles des côtes qui n’auront pu bénéficier de la tendance actuelle d’équipement et de mise aux normes. De quoi offrir de belles perspectives de marchés aux grandes sociétés privées occidentales, françaises en tête avec Suez Environnement et Veolia Environnement, qui contribuent fortement à améliorer la gestion des infrastructures et des ressources en eaux.
Mais, de leur côté, les acteurs chinois ne seront pas en reste. Les entreprises chinoises devraient en particulier être amenées à jouer un rôle clé dans le dessalement. Les autorités de Pékin ont fait du dessalement une priorité de développement pour répondre aux besoins en eau potable, toujours plus nombreux, de la côte est. En juillet 2005, la State Oceanic Administration, la Commission du développement et de la réforme de l’État, ainsi que le ministère chinois des Finances ont lancé un plan spécial pour l’utilisation de l’eau qui comprend le développement du dessalement comme industrie de pointe nationale. Alors que le déficit hydrique aurait provoqué une perte pour l’industrie chinoise de 24,7 milliards de dollars entre 2001 et 2005, selon les statistiques 2006 du State Flood Control and Drought Relief Center [23], il est estimé que quatre provinces côtières chinoises, représentant 25 % du PNB national, auront chaque année (d’ici 2010) un manque d’eau estimée entre 16,6 et 25,5 milliards de m3. D’où l’urgence absolue pour la Chine de se doter de capacités de dessalement pour répondre aux enjeux rencontrés par les grandes villes côtières de l’est.
Si le dessalement en Chine est modeste, puisque Hongkong et Macau inclus, il représente une production annuelle de 380 000 m3/jour en 2006, les prévisions à horizon 2015 sont estimées à 2,5 millions de m3/jour et à 3 millions en 2020, ce qui permettrait à cette date de fournir jusqu’à 24 % de la ressource en eau dans certaines villes côtières [24]. Un énorme marché de 860 millions de dollars estimés à horizon 2015 (contre 70 millions en 2006) s’ouvre ainsi pour les opérateurs étrangers, mais également pour les entrepreneurs-professeurs chinois, du nom de ces chercheurs qui ont développé, en parallèle de leurs cours à l’université, leur propre entreprise d’ingénieur-conseil. Car, la Chine semble avoir clairement l’ambition de devenir leader dans le dessalement, dès que la courbe d’apprentissage de ses entreprises sera atteinte tant dans la technologie actuelle d’osmose inverse que dans le couplage futur du dessalement avec l’énergie nucléaire. Mais chaque chose en son temps. Pékin enjoint pour le moment ses entreprises à répondre aux enjeux de la très forte demande intérieure, avant d’aller vers les technologies de demain. Une province comme le Shandong a ainsi fait part de sa décision d’investir 3,6 milliards de yuans (445 millions de dollars) pour la construction de 21 stations de dessalement d’ici quatre ans. Elles viendront s’ajouter aux 16 unités déjà existantes et qui représentent 57 % des capacités installées en Chine.
En revanche, la conquête des marchés étrangers ne devrait pas attendre que la Chine se dote de capacités sur son marché intérieur. Il faut ainsi s’attendre à une concurrence chinoise sur le marché du design, build. Un dessalement made in China sera en particulier disponible sur les marchés du Pacifique, du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord dans le contexte de forte demande que connaissent ces marchés.
Bien qu’uniquement 1 % de l’eau potable consommée dans le monde soit produite à partir du dessalement, les perspectives offertes par cette technologie sont en effet très importantes. Avec 12 000 unités installées sur la planète, qui représentent aujourd’hui environ 40 millions de m3 d’eau produite, il est estimé que la production d’eau dessalée se situera à 62 millions de m3 en 2015. En terme de potentialité de marché, la banque d’affaires Goldman Sachs parle de 5 milliards annuels de chiffre d’affaires avec une progression de 10 à 15 % chaque année [25]. De quoi à l’évidence attirer les convoitises des sociétés chinoises.
Mais celles-ci pourraient être tentées par la mise sur le marché d’autres solutions techniques que la Chine aura su expérimenter pour répondre à ses contraintes de rareté de la ressource en eau. Parmi celles-ci se trouve l’ensemencement de nuages, plus connu sous le vocable de cloud seeding.
L’ensemencement de nuages est une opération de modification du temps, via un traitement des nuages avec une substance ou un agent actifs en vue d’obtenir en général l’un des résultats suivants : stimuler les processus de précipitation ; dissiper nuages et brouillard ; prévenir la grêle.
En 2004, plus de cent projets de modification artificielle du temps étaient recensés et mis en œuvre par des dizaines de pays, en particulier dans les régions arides et semi-arides. Le plus grand programme actuel est mené en Chine. Le pays est en effet devenu précurseur et leader mondial dans cette technologie certes innovante, mais également inquiétante. L’emploi de particules artificielles dans les nuages (des aérosols) pour en modifier la composition est un pas de plus de l’homme vers sa capacité à modifier la nature. Quelles en seront les conséquences environnementales exactes ? On ne le sait pour l’heure.
Les scientifiques chinois de la China Academy of Meteorological Sciences se veulent cependant rassurant, arguant que la quantité d’agents glaçogènes utilisés (agents qui provoquent la congélation) comme l’iodure d’Argent (AgI) ou la neige carbonique, est négligeable [26]. Introduits dans la tranche de nuage où la température est comprise entre 0°C et –12°C (mais de préférence entre -5°C et –12°C, tranche dans laquelle l’activation de l’iodure d’argent est la plus efficace), ces agents transforment les gouttelettes d’eau surfondues des nuages (température inférieure à 0°C) en de multiples cristaux de glace provoquant ensuite les précipitations souhaitées.
Programme militaire considéré comme stratégique, l’ensemencement de nuages est assumé en Chine par une noria de pilotes d’avions qualifiés, d’ingénieurs météorologues, et de personnels de l’artillerie chinoise. 35 000 personnes seraient ainsi concernées par cette industrie nationale naissante [27]. Toutes ont un statut militaire.
La National Meteorological Administration estime dans son plan quinquennal lancé en 2006 que la Chine entend produire par cette technologie 50 000 gigalitres d’eau supplémentaire, ce qui représente un équivalent de contenance de 50 millions de piscines olympiques. Les zones du nord, touchées par l’absence de précipitations (les précipitations annuelles du nord de la Chine étant, rappelons-le, inférieures de 65 % à la moyenne annuelle mondiale), sont les premières concernées par l’ambition du plan quinquennal chinois. À Pékin, le Beijing Office of Artificial Weather Inducement supervise l’application de cette technologie qui fait pleuvoir et étudie de près ses applications éventuelles pour d’autres utilisations urbaines. Les programmes de recherche météorologiques chinois, tous relevant du secret défense, sont en effet également centrés sur les capacités de dispersion de nuages et de brouillards, ou sur la capacité à lutter artificiellement contre la pollution de l’air.
En ligne de mire, la réussite, coûte que coûte, après les Jeux olympiques de 2008, d’événements comme l’exposition universelle de Shanghai en 2010. Autre possibilité d’application : modifier le temps, vieux rêve de tout général livrant bataille, afin de désorganiser l’ennemi, ou, au contraire, de favoriser la progression de son armée. Passés maîtres en la matière, les Chinois ont semble-t-il dépassé les intentions américaines qui visaient durant la guerre du Vietnam à générer des pluies torrentielles sur les routes de ravitaillement d’Ho Chi Minh. Ils auront ainsi probablement introduit un nouveau concept dans l’art militaire : celui de la guerre environnementale.
Copyright Galland-2008/Monde chinois/Choiseul
Le reportage photographique d’Adeline Cassier qui illustre cet article Voir
La revue de référence consacrée à l’analyse des évolutions économiques, stratégiques, politiques et culturelles de l’ensemble formé par la République populaire de Chine, Taïwan, Hong Kong et Singapour.
Le site des éditions Choiseul Voir
[1] Lettre de Chine, 31 octobre 2005, « Pénurie d’eau et pollution : le diagnostic d’un expert ».
[2] “Cost of Pollution in China”, Banque Mondiale et State Environmental Protection Administration. février 2007.
[3] Note de la Mission économique de l’ambassade de France en Chine, « L’eau en Chine », mars 2005.
[4] « De l’essence dans l’eau des robinets chinois », Fenchuang Zhoukan, Phoenix Weekly (Hong-Kong), publié dans Courrier international, le 27 septembre 2007.
[5] D’après Associated Press 2006, cité dans “Cost of Pollution in China”, Banque mondiale et State Environmental Protection Administration, février 2007.
[6] “Cost of Pollution in China”, Banque mondiale et State Environmental Protection Administration, février 2007.
[7] « Chine : la problématique de l’eau toujours plus complexe ».
[8] « À la conquête de l’Ouest », Gabriel Gresillon et Yann Rousseau, Les Echos, 5 mars 2007.
[9] “The dark side of China’ boom”, Joseph Kahn et Jim Yardley, Herald Tribune, 27 août 2007.
[10] Ce responsable chinois des affaires environnementales est une des étoiles montantes du PCC. Nommé à 39 ans au rang de Vice Ministre (ce qui est très rare), il en a aujourd’hui 46. Ancien journaliste, il connaît particulièrement bien les médias chinois pour avoir été notamment rédacteur en chef adjoint du Zhongguo Qingnian Bao, l’organe de la Ligue de la jeunesse.
[11] « Chine brune ou Chine verte ? », Benoît Vermander dans les Débats, Le Figaro, 15 octobre 2007.
[12] « Chine : développement économique du Xinjiang », Xinhua, 22 septembre 2005.
[13] « Le lac Balkhach en voie de disparition », Gérard Diez, Libération, 26 décembre 2004.
[14] « Asie Centrale de l’eau dans le gaz », René Cagnat, Le Courrier de L’Unesco, octobre 2001.
[15] « La croissance démographique de la région nord-ouest cause des préoccupations en matière d’environnement », Xinhuanet, 11 août 2005.
[16] Ibid.
[17] Xinhuanet, dépêche du 2 février 2006.
[18] “Flash floods hit north-east India”, BBC News 24, 6 juillet 2004.
[19] « Le programme de développement de l’Ouest », Mathieu Vernerey, Diplomatie, juillet-août 2005.
[20] « Pekin approfondit l’intégration du Tibet dans l’espace chinois par le chemin de fer », Bruno Philip, Le Monde, 24 octobre 2005.
[21] “The China-Israel Connection”, Neal Sandler, Business Week Jerusalem, 2006.
[22] Yves Guermond et Gu Renhe, intervention au Festival International de Géographie 2003, « le traitement de l’eau : la Chine comble son retard ».
[23] “Dawning of a new dynasty”, Global Water Intelligence, 1er février 2007.
[24] “East China province invests 3,6 billions yuan in sea water desalination”, Xinhua News Agency, 23 février 2007.
[25] Cité dans “The Seawater Solution”, NYSE Magazine, 1er janvier 2007.
[26] “Cloud seeding helps alleviate drought”, Wang Jian, China Daily, 24 juillet 2007.
[27] “China on cloud nine over seeding program”, John Taylor, ABC Online, 4 juin 2006.
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